C’était fini, Lily n’avait plus rien. Plus rien de concret, plus rien d’abstrait non plus. Un vide, un gouffre dans lequel elle plongeait indéfiniment, un gouffre dont le fond était chaque jour un peu plus bas. Parce qu’être Lily Luna Potter, c’était finalement être condamnée à ne pas vivre.
La vie de Lily, c’était un beau bal d’hypocrisie. De l’hypocrisie partout, en elle-même mais surtout, surtout, chez les autres.
Lily était de ces êtres qui avaient ce que l’on qualifierait d’une vie parfaite. Destinée dès sa naissance à être quelqu’un de bien, à être quelqu’un de grand, une place de choix dans la société sorcière, l’admiration dans le regard de tous ceux qui croisaient son chemin. Mais aussi cette hypocrisie qui était là, constamment, en vieille ennemie avisée qui ne laisse jamais un seul instant de répit à sa proie. Lily avait vécu une enfance heureuse, entourée de ses nombreux cousins, de ses parents aimants, de sa famille attentionnée. Elle était habituée à la célébrité de ses parents, de sa famille, elle était habituée aux regards lorsqu’elle marchait sur le Chemin de Traverse, elle était habituée aux chuchotements, aux murmures, aux sourires, aux remerciements pour des actes dont elle n’était pas responsable. Mais son entrée à Poudlard, ç’avait certainement été la goutte de trop.
Lily sourit. Belle la regarde avec tendresse. Belle est gentille. Elle est toujours là dans les moments durs. Et puis, Belle ne l’a jamais jugé. Belle n’a jamais eu d’arrière-pensées lorsqu’elle s’adressait à Lily, Belle n’a jamais fait preuve d’hypocrisie. Belle voulait juste être son amie pour elle, pour Lily, une fille qu’elle appréciait. Elle se moquait bien de la société, de ce que les gens pensaient. Belle était comme ça, une amie incroyable.
Lily rit. Blanche la regarde avec tendresse. Blanche est gentille elle aussi. Blanche est là dans les moments durs elle aussi. Comme Belle, Blanche se moque des réputations, des rumeurs, de la société. Blanche est une amie fidèle qui aime Lily pour ce qu’elle est. Blanche et Belle sont même les seuls personnes au monde à vraiment connaître Lily Luna Potter. Parce que ce que les autres gens croient savoir de Lily, c’est bien souvent faux. Mais Lily est la fille d’Harry et Ginny Potter, alors Lily se tait, Lily sourit, Lily se fait bien voir.
Mais finalement, ce n’est pas ça qui est le plus dur pour Lily. Les chuchotements, l’admiration, Lily s’en moquait bien lorsqu’elle n’était pas encore à Poudlard. Elle était bien au-dessus de tout cela, ça ne l’atteignait pas. Ce qui avait précipité Lily à sa perte, ce n’était pas tant son nom. C’était le prénom qui allait avec.
Lily. Comme Lily Evans. Depuis sa troisième année, depuis que Lily en était arrivée à la conclusion qui l’avait coupé de ses parents, Lily haïssait son nom. Elle avait compris ce qu’on lui demandait, compris que depuis sa plus tendre enfance elle s’appliquait à faire, inconsciemment, ce qu’on attendait d’elle. On lui demandait d’être comme Lily Evans. On lui demandait d’être Lily Evans. Mais aussi d’être une Potter. On lui demandait de faire honneur à sa famille. Alors depuis petite, Lily faisait honneur à sa famille. Lily se taisait, Lily souriait, Lily se faisait bien voir.
Mais en troisième année, tout cela vola en éclats. Lily ne voulait plus être un fantôme, le fantôme de sa grand-mère. Elle en voulait à son père de lui avoir donné ce nom, elle en voulait à sa mère de l’avoir laissé faire, elle en voulait à la terre entière de l’obliger à endosser une responsabilité pareille. Elle en voulait à la terre entière de la condamner à n’être que Lily Evans ou Lily Potter. Jamais Lily Luna Potter, jamais elle-même. Alors elle se rebella. Elle coupa les ponts avec ses amis, s’enferma dans une bulle. Elle vivait dans son monde. Elle coupait aussi peu à peu les ponts à sa famille. Pourquoi devrait-elle être Lily, élève brillante de Gryffondor, courageuse, digne fille des Potter ? Pourquoi ne pourrait-elle pas choisir ce qu’elle voulait être ? Et Lily s’isola. Lily se taisait, mais Lily ne souriait plus, Lily ne se faisait plus bien voir. Lily ne sortait plus, n’accompagnait plus ses parents, n’était plus polie et bien élevée, Lily s’enfermait dans sa bulle de solitude. Une bulle ou au moins, elle avait cette consolation de pouvoir être elle-même.
Et puis les choses s’aggravèrent. Lily ne se taisait plus. Lily se disputait avec ses parents, avec ses frères. Lily accompagnait de nouveau ses parents aux réceptions, mais cela dans le seul but de dire franchement ce qu’elle pensait à la société. Tout ce qu’elle pensait de négatif.
Et puis Lily finit sa scolarité, et elle s’en alla. Ses parents n’entendirent plus jamais parler d’elle pendant des années. Toujours ils se demandaient, ils essayaient de comprendre ce qu’ils avaient raté, ce qu’ils avaient raté dans l’éducation de leur fille. Et toujours, ils étaient à côté de la plaque.
Alors Lily était seule, avec Belle et Blanche. Elle habitait Paris, dans un petit appartement sous les combles. Ses parents lui envoyaient de l’argent, de quoi subvenir à ses besoins, et joignaient sans cesse une lettre demandant des nouvelles. Mais Lily ne répondait pas. Lorsqu’elle décrocha un travail, elle renvoya même l’argent. Lily quitta le monde sorcier. Elle vivait parmi les Moldus, et elle s’y plaisait. Elle peignait, lorsqu’elle n’était pas de service au restaurant, elle flânait dans Paris, elle commençait peu à peu à se faire des amis. La sorcellerie faisait de moins en moins partie de sa vie. Au moins chez les Moldus, personne ne la connaissait vraiment. Elle vivait.
Et puis Lily tomba malade. Comme ça, brusquement. Elle se leva un matin et se sentit très mal, elle était fiévreuse. Elle se recoucha. Dans l’après-midi elle contacta un médecin Moldu. Lorsqu’il arriva, il lui annonça une nouvelle qui la fit éclater d’un rire froid. Un rire ironique. Elle avait contractée une maladie Moldue, une méningite, comme disait le médecin. Elle n’était pas vaccinée. Il voulait l’emmener à l’hôpital, ou elle allait mourir. Alors elle accepta, à condition que Belle et Blanche viennent aussi. Le médecin protesta, mais fut forcé d’accepter.
Lily ne guérit pas. Elle avait compris qu’elle allait mourir. On lui avait expliqué que c’était une maladie foudroyante, qu’elle avait dû être prise de fièvre pendant la nuit. Alors Lily sourit, au milieu de ses larmes, en regardant le plafond blanc. Elle était sans famille, sans amis. Il n’y avait que Belle et Blanche, qui n’étaient même pas humaines. Qui gazouillaient à ses côtés dans sa chambre blanche.
Elle était seule, avec le poids de son passé. Avec son nom et ses regrets. Avec la Mort à ses côtés, qui l’attendait à bras ouverts. Avec son sourire et ses larmes. Et deux oiseaux.