Sirius étendit ses bras au dessus de sa tête, en se délectant du craquement produit et de la sensation qui se répercuta dans ses os. En dépit de toutes les douleurs, de toutes les faiblesses, qui assujettissaient son corps, il était heureux de sentir la vie qui battait dans ses veines. Il avait récupéré un corps meurtris et oublieux de tous les gestes du quotidien, et il avait l’impression qu’il devait se réhabituer à lui-même, comme si ces années passées derrière le voile avaient été autant de temps de non existence. C’était, d’ailleurs, plus ou moins le cas. Son enveloppe charnelle n’avait pas vieilli, n’avait accusé aucun changement si ce n’est une plaie béante à l’endroit où le sortilège de Bellatrix l’avait atteint lors de la bataille du Ministère. On avait tenté de l’interroger, de le faire parler de ce qu’il avait vu de l’autre côté. Il n’avait rien dit, pour la simple et bonne raison qu’il n’y avait rien à dire. Il ne se souvenait de rien, et il était presque certain que jamais il ne saurait ce qui c’était vraiment passé. Quand il était tombé à travers l’arcade, il avait réveillé une ancienne magie, plus vieille que ce qu’on pouvait concevoir. Cela terrifiait les Langues de plomb qui l’avaient interrogé, mais lui n’en avait cure. Tout ce qu’il voulait, c’était qu’on le laisse en paix. Enfin… ce n’était pas tout à fait vrai. Sirius se laissa retomber contre ses oreillers et grimaça. Il était décidément très mal installé ici, mais de telles considérations matérielles lui importaient peu. La seule chose à laquelle il accordait de l’attention, c’était au vieux réveil qu’une infirmière avait posé sur sa table de nuit. Il regardait s’égrener les heures en espérant une visite du seul à qui il avait vraiment envie de parler. Mais les visites de son plus vieil ami se faisaient rares ces temps-ci.
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Remus passa un long moment à simplement regarder l’enveloppe, un petit sourire flottant sur les lèvres. Il n’avait même pas besoin de la décacheter pour savoir de qui elle venait, il aurait reconnu entre mille cette écriture penchée, cette manière de malmener les majuscules en les tordant plus que de raison. Remus ferma les yeux un instant, en serrant le pli entre ses doigts. Sirius lui avait écrit, et c’était sa première lettre depuis des années, depuis qu’il était revenu. Remus resta immobile, savourant le sentiment de plénitude que cette simple missive éveillait en lui. Il sentait une vague de chaleur déferler dans son cœur et une émotion presque trop grande pour lui menaçait de l’écraser. Avoir un ami, et que cet ami vous écrive, quoi de plus merveilleux ? Après avoir vérifié sur la pointe des pieds que son petit garçon dormait toujours à poings fermés, Remus s’installa dans la cuisine et, tout en buvant son café, s’autorisa enfin à déplier le parchemin.
Mon vieux copain,
Dés la formule d’accroche, les lèvres de Remus s’incurvèrent en un sourire qui illumina tout son visage, en ôtant ainsi toutes les traces de fatigue. Ces trois mots renfermaient à eux seuls plus de bonheur que toutes les salutations possibles. Ils étaient toute une promesse de joie et laissaient entrapercevoir que le meilleur restait à venir. En même temps, ils étaient le miroir dans lequel se reflétaient une amitié qui datait presque du fond des âges et qui existait depuis plus que la moitié de leur vie.
Je t'écris de mon lit d'hôpital où je me remets doucement de mon accident.
Le regard de Remus se figea un instant, comme voilé par une ombre. En une seconde il revit tout, la bataille, le sort, la chute de Sirius… Et ce dernier parlait d’un simple accident ? Il n’aimait pas parler de l’arcade, et au fond Remus le comprenait. Comment mettre des mots sur quelque chose d’aussi incompréhensible ? Il avait sûrement raison en plus, rien ne servait de s’appesantir sur le passé, la seule chose qui comptait c’était qu’aujourd’hui, envers et contre tout, il était vivant. Et puis la phrase suivante suffit à ramener un sourire sur les lèvres de Remus.
Transformer ma chambre en cargo, en pique-nique dingue, les fêtes de l'automne... Du tonnerre. Une tabagie dans les couloirs, et les petites infirmières, et les petits plats, hum... t'y croirais pas.
Ces quelques mots firent affluer des dizaines de souvenirs à la mémoire de Remus. Il revoyait le dortoir dans la tour de Gryffondor, et tout le bonheur qu’elle contenait. Plus qu’un dortoir, ça avait été leur chambre commune, un nid au sein de leur foyer. En sept ans, ils y avaient été si heureux que Remus pensait souvent qu’ils avaient eu le droit à assez de bonheur pour toute une vie, qu’ils en avaient eu assez pour en abreuver le monde entier. C’est là-bas qu’avaient vraiment fait connaissance quatre enfants qui venaient à peine d’être répartis, et cette pièce avait accueilli par la suite une amitié plus grande que n’importe quelle autre. Des chansons, des rires, beaucoup de fêtes et de confidences, des blagues et des ronflements, des devoirs, des heures à plaisanter. Des retours de promenades, d’heures de retenue, de rendez-vous amoureux, de vacances. Et leurs cavalcades en chaussettes pour ouvrir la fenêtre à un hibou apportant un colis de sucreries. Remus se souvenait encore du goût du chocolat qu’ils partageaient, tous installés en tailleur sur le lit de l’un ou de l’autre. Soudainement, il eut envie de se précipiter à Sainte-Mangouste pour s’embarquer sur le lit-cargo de Sirius et partir avec lui pour de nouvelles aventures.
Et dès que je pourrai marcher j'irai à la fenêtre prendre les premiers rayons du printemps. Mon vieux copain, j'ai essayé d'imaginer à quoi pouvait ressembler cette ville il y a mille ans, avant les périphériques les publicités et tout ça. C'était surement très bien. J'imagine qu'il y avait des champs et du vent et des étoiles. Depuis quelques semaines les peupliers se répandent dans la cour, du sommeil il m'en faut pas plus.
Mais il n’avait même pas besoin d’être auprès de son vieux frère pour savoir ce qu’il faisait. Il le connaissait assez pour savoir qu’il devait rendre folles toutes les infirmières. Avec son caractère insupportable, il ne suivait certainement pas toutes les recommandations de ses Médicomages. Le cœur de Remus se serra lorsqu’il se rendit compte qu’il n’avait pas été rendre visite à Sirius depuis plus de trois semaines. Il en comprenait pas pourquoi, et cela lui semblait encore plus ridicule à la lecture de cette fabuleuse lettre. Cette dernière contenait tout ce qui faisait leur amitié, leur relation irremplaçable. Est-ce qu’il méritait encore l’amitié de Sirius, après tout ça ? Remus avait envie d’être là, le jour où les forces de Sirius lui permettraient enfin de marcher seul. Et ils iraient ensemble à la fenêtre, et même plus loin. Appuyé sur son bras, Sirius pourrait bien sortir un peu après tout. Ca serait si bien s’ils pouvaient se retrouver comme avant, ils referaient le monde une fois encore. Ca leur ferait autant de bien à l’un qu’à l’autre et de crise de rire en accolade ils seraient plus heureux que jamais. Remus n’avait pas de doute là-dessus. Pour Sirius, il inventerait une réalité qui n’existe pas, pleine d’étoiles qui brillent éternellement, d’étendues vertes dans lesquelles se perdre, entre brume et nuage. Ils redeviendraient des enfants, et sans bouger ils feraient le tour du monde, comme au bon vieux temps.
Je me réjouis de te revoir de te parler, de faire bouger ce vrai pantin de bois. Dès que je pourrai marcher nous serons loin : le désert sibérien, où tu voudras ! Et je laisse la ville et ses rumeurs au milieu du lit défait de tout ce blanc.
Je t'attends pour de bon mon vieux copain.
Cette fois, une larme s’échappa des yeux d’ambre de Remus et roula sur sa joue avant de s’écraser sur la lettre qu’il tenait d’une main tremblante, faisant légèrement couler l’encre. Il avait cru avoir perdu Sirius, il avait eu du mal à s’en remettre, et voilà que son ami revenait et lui, comme un idiot, ne savait pas profiter de cette deuxième chance que le destin lui donnait ! Il n’aurait pas dû passer tant de temps si loin de Sirius, sa place était tout autant avec lui qu’avec Nymphadora et Teddy. Il avait hâte de le voir, il irait aujourd’hui même. Ils rattraperaient tout le temps perdu, et même plus. Ils n’avaient jamais eu de chance, ils avaient évolué sous l’empire de la guerre, qui leur avait tant pris. La première avait signé la mort de James et Lily, l’enfermement de Sirius, la fin des Maraudeurs. La seconde avait emporté Sirius à travers le voile et avait plus que jamais fait couler le sang. Remus y avait survécu presque par miracle, et Sirius était revenu. Pourquoi, comment, il n’en savait rien, et au final ce n’était pas ce qui comptait. Et voilà que Merlin leur accordait une autre chance, une autre vie. Et celle-ci, il voulait l’user jusqu’à la corde, la sentir battre dans sa poitrine, s’enivrer de chaque seconde. Il s’imaginait très bien voyager sur le dos des chimères qui tisseraient avec Sirius. Ils seraient si bien, et pour la première fois ils savoureraient vraiment toutes les nuances de l’existence. Ce dernier les avait tant fuis, et dans le cas de Sirius il continuait de le faire. Remus avait été si égoïste, de ne pas avoir la force d’aller le visiter chaque jour. Il pouvait l’aider à retrouver sa place dans le monde, et il était le seul à pouvoir le faire.
Je meurs des choses pour lesquelles je n'ai pas su mourir.
S’il avait encore hésité, la dernière phrase aurait convaincu Remus de bondir dans ses chaussures pour transplaner jusqu’à l’hôpital. Quelle souffrance en si peu de mots ! Cette confession, seul aveu de faiblesse, était surtout la preuve que plus que jamais, il avait besoin de son vieil ami. Sirius regrettait de ne pas avoir été là pour mener la guerre jusqu’à son terme, pour se battre lors de la bataille finale. Il avait pleuré toutes les larmes de son corps en entendant la vérité sur Regulus. Il avait l’impression d’avoir loupé sa vie, d’être passé à côté de toutes les choses importantes. Il n’avait pas su aimer son frère comme il fallait, il n’avait jamais été là pour Harry, il n’avait jamais été utile. Remus le connaissait assez pour savoir qu’il ne devait plus se sentir de ce monde, lui qui y était revenu après avoir été mort depuis presque cinq ans. Il était un peu comme la fille du Conte des Trois Frères, sauf que lui sa place était ici, indubitablement. Alors Remus allait le lui prouver, en l’aimant plus que jamais.
Il n’eut même pas à demander la chambre de son ami en arrivant à l’hôpital, malgré le temps qui s’était écoulé depuis sa dernière visite il se souvenait parfaitement de l’étage auquel il fallait monter, de la porte qu’il fallait pousser pour se retrouver auprès de son si cher ami. Il trouva ce dernier installé sur son lit avec la majesté d’un roi sur son trône. Sirius se tourna vers la porte en l’entendant grincer, et un grand sourire illumina ses traits aussitôt qu’il reconnut son visiteur. Plus que ses lèvres, c’était ses yeux que Remus regardait. Ils pétillaient de la même joie que lorsque les Maraudeurs étaient adolescents, et rien n’était plus beau à voir. Remus ne dit rien, il se contenta de traverser la pièce à pas mesurés, jusqu’au lit. Là, il attrapa la main de Sirius et la serra fort entre ses doigts. Sirius ferma les yeux un instant et dit, de sa voix éraillée :
« Je sais bien que la terre est ronde. »
Et, parce qu’ils se connaissaient si bien, après toutes ces années, il n’eut pas besoin d’en dire plus. Remus le comprenait, enfin ils trouvaient tous les deux cette plénitude qu’ils avaient tant cherché, et qui au final n’existait que lorsqu’ils étaient ensemble. Sirius affermit sa prise sur la main de Remus et d’un mouvement il l’attira vers lui. Ils s’étreignirent alors longuement, heureux de sentir à quel point finalement tout était bien. Remus déposa un baiser sur la tempe de Sirius et murmura :
« So long, mon vieux copain. »