Rosmerta ouvre les yeux et les referme aussitôt. Ce n'est pas la lumière trop vive qui la dérange,la nuit est encore noire. C'est juste la pensée qu'une nouvelle journée commence, plus morose que la précédente. La rue est encore ensommeillée, et même le vent humide ne brise pas le lourd silence qui s'y est installé. Elle sort de ses draps et frissonne quand ses pieds rencontrent le sol glacé. Vêtue d'une robe noire, elle descend délicatement les marches grinçantes qui mènent de l'auberge au pub. Elle sent la lassitude peser sur ses frêles épaules, mais elle avance quand même, portée par le peu de force qu'il lui reste.
Quand elle entre dans la pièce, l'odeur de bois et de poussière l'envahit. Elle esquisse un mince sourire et saisit le chiffon posé sur le bord du bar. Aussi vide et triste soit-il, elle aime son pub. Les odeurs, les formes et les couleurs ternis lui rappellent la vie, la joie, la chaleur qui remplissait ce lieu il y a quelques années. Aujourd'hui, tout s'est envolé. A cette pensée, une boule se forme dans la gorge de Rosmerta. Cette tristesse, ce sentiment d'injustice qu'elle ressent à chaque instant remplie ses yeux de larmes. Elle secoue la tête, ravale ses larmes et noue son tablier dans son dos.
Une fine couche de poussière et de cendre recouvre les tables et le bar des Trois Balais. Rosmerta soupire et peste contre elle même. Elle saisit un crayon derrière le bar et s'en sert pour attacher ses longs cheveux blonds . Il fait tellement froid le soir dans le bar qu'elle a pris l'habitude d'allumer un grand feu dans l'imposante cheminée du pub. Ça ne la réchauffe pas tellement, mais la lumière envahit le bar, et les ombres que projettent les meubles lui donnent l'impression qu'il est habité. Elle regarde alors les flammes lécher le bois jusqu'à ce que les cendres tièdes recouvrent les dernières braises, étouffant leurs douce chaleur.
Le torchon dans une main, un thé chaud dans l'autre, elle frotte minutieusement le bois foncé, l'esprit ailleurs. Elle pense à l'époque où le bar vivait et où l'insouciance n'avait pas encore fait place à la peur. Entre deux gorgées de thé, elle attend un miracle. Après tout, seul un miracle pourrait débarrasser le monde de cette satanée guerre et de ces satanées Mangemorts. Sauf qu'elle n'y croit plus, au miracle. Elle croit encore un peu à ceux qui se battent, ceux qui résistent, mais plus assez. Il y a quelques années, quand elle avait découvert les rumeurs qui couraient, l'espoir avait rempli son cœur, certaine que la guerre, cette horreur qui dévorait sa vie, allait être terrassée par ceux qui faisaient partis de ce qu'on appelait « l'Ordre ». Mais la vérité a fait taire les rumeurs et a rendu Rosmerta sourde aux bruits qui courent. Aujourd'hui, elle n'a même pas un client pour l'informer. Ça, c'est le rôle de la gazette. Elle prévient,à chaque article élogieux sur Celui-dont-on-ne-doit-pas-prononcer-le-nom, que la guerre est plus active que jamais. Hélas, Rosmerta se doute un peu de l'équipe qui en sortira vainqueur.
Quelques mèches ternes tombent mollement sur son front, et elle les balaye négligemment d'un geste de la main. L'horloge sonne cinq heures. Le bar brille tellement qu'elle peut voir son reflet dans le noyer. Elle peut voir sa peau claire, ses larges cernes et les premières rides que fait apparaître le souci. Rosmerta, symbole de jeunesse et d'espoir, vieillit à trente-deux ans. La vie est triste, la guerre est misérable, et Rosmerta vieillit. A quoi bon se lever le matin, pense t-elle en soupirant.
N'ayant plus rien à faire, elle se dirige vers la fenêtre et observe le monde se réveiller doucement. L'air est humide et le brouillard épais cache les maisons de Pré-au-lard. Pourtant, au fil des minutes que Rosmerta passe assise sur le rebord de la fenêtre, le brouillard se lève et laisse apparaître le ciel encore sombre de l'aube. Et elle s'en étonne. Il avait disparu, caché par les nuages, la pluie et le brouillard. Caché par le désespoir et la peur.
Mais le jour se lève, enveloppé par la chaleur et l'espoir. Pourtant, Rosmerta sent son coeur se serrer sous l'effet de la tristesse. Elle a toujours été pleine d'espoir, la merveille du monde brillant sous son regard. Mais la guerre, la mort et sa nouvelle vie ont rongé ses espérances et voilé ses merveilles. Il ne lui reste qu'une peur sourde au fond du cœur, qui la pousse à fuir l'espoir, craignant qu'il ne lui glisse entre les doigts. Rosmerta frissonne, plus glacée que jamais.
Elle descend de la fenêtre, traverse le pub et s'approche de la cheminée. L'âtre est vide ,et Rosmerta y dépose une bûche poussièreuse avant d'y mettre feu du bout de sa baguette. Le pub est encore plongé dans une douce pénombre, et la lumière pâle du bois entrain de se consumer éclaire doucement les chaises et les tables des Trois Balais. Elle observe son précieux pub, le cœur lourd. Le bois des chaises ne craque plus, ne racle plus le sol. Aucune boisson n'est servie. Le bois dans l'âtre craque. Mais aucune chaleur. Les réserves baissent et aucun salaire ne peut les améliorer. La faillite guette. Rosmerta sait qu'elle ne fera pas long feu dans la rue. Et sans aucune famille pour la loger, ce n'est qu'une question de temps.
Soudain, un craquement différent rompt les pensées de Rosmerta. Elle sait ce que c'est. Ce sont Eux. Elle sert sa baguette entre ses doigts fins, se lève précipitamment et cherche une issue. Mais que pouvez vous faire, quand les mangemorts ne veulent plus vous épargnez?
Le coeur cognant dans la poitrine, les jambes tremblantes, Rosmerta se dirige vers la porte. On frappe trois coups précipité, et la respiration érratique de Rosmerta se stoppe.
Depuis quand les mangemorts frappent aux portes?
Elle pousse lentement la porte et soupire de soulagement en apercevant la silhouette frêle d'Amélia Bones.
– Par le caleçon de Merlin, Amélia, j'ai cru que tu étais.. tu sais!
– Rosmerta, écoute.. implore t-elle, essoufflée, les joues rosies par une excitation que Rosmerta ne décèle pas.
– Tu as perdu l'esprit! Tu aurais pu te faire tuer! Tu sais que Pré-au-lard est sous haute-surveillance, c'est même toi qui me l'a dit!
– Rosmerta..
– D'ailleurs,tu ne devrais pas être au ministère? Pourquoi.. Pourquoi tu pleures Amélia?
– Rosmerta.
Elle n'écoutera pas, elle ne saura pas. Les morts ne le sont pas si on ne le sait pas encore.
– Rosmerta, il est mort.
Son cœur se serre dans sa poitrine. Elle ne veut pas entendre. Elle a entendu beaucoup d'histoire déchirante. Beaucoup Trop. Alors elle ferme les yeux, et ne vois pas le sourire qui s'étend sur le visage de son amie.
– Tu-sais-qui, il est mort.
Rosmerta commence à comprendre l'information. Elle assimile, lentement. La nouvelle ne semble pas vouloir se graver dans son cerveau. Tout est trop absurde, la présence d'Amélia, le soleil qui se lève, visible à l'horizon. Plusieurs "pop" sonore retentissent dans la rue. Des hommes et des femmes s'avancent vers elle, le visage rayonnant. Un vieil homme serre dans ses bras Amélia, les yeux encore baignés de larmes.
– Mon dieu, Miss Bones, je suis tellement heureux de vous voir, s'exclame t-il la voix rauque. Et vous aussi bien sur, Madame Rosmerta, ça faisait tellement longtemps!
Il entre dans le bar, suivi des nouveaux arrivants.
Amélia les suit, le sourire aux lèvres, et Rosmerta leur emboîte le pas, l'esprit embrumé.
Le seigneur des ténèbres, mort? Elle ne sais pas s'il faut en rire ou en pleurer. Ou même y croire.
Amélia se dirige derrière le bar, saisit un vieux tablier et le noue dans son dos.
– Il est 7h, annonce la nouvelle serveuse d'une voix suraiguë, vous voulez un café?
– Par Merlin, servez moi un Whisky-pur feu, qu'on fête la nouvelle dignement!
Amélia part chercher un stock de bouteille de Whisky pendant qu'un nouveau groupe de sorciers entre dans le pub. Rosmerta reste au beau milieu de la pièce, immobile, observant son pub au bord de la faillite reprendre vie. Pourtant la colère s'empare de la propriétaire du pub: onze ans de guerre, d'horreur, et ils font la fête sans savoir comment Celui-dont-on-ne-doit-pas-prononcé-le-nom est mort?
Une vingtaine de personne discute allégrement, trinque avec joie, quand Rosmerta se décide à réagir.
– Mais quelqu'un va m'expliquer ce qu'il se passe à la fin! hurle t-elle, faisant se retourner tous les clients.
Un homme se dirige vers elle, lui prend gentiment la main et la fait s'asseoir sur une des chaises. Amélia lui sert un verre de Whisky-pur-feu, un sourire rayonnant toujours gravé sur son visage.
Elle prend sa voix la plus douce pour raconter ce qu'elle a entendu au ministère le matin même, ce qui réussit à atténuer la colère de Rosmerta.
– Ambrosius semblait être sur le point de pleurer quand il m'a raconté cette affaire ce matin.
Quelques personnes de Pré-au-Lard, attiré par le bruit et les rires, s'approchent et boivent les paroles d'Amélia. Ceux qui sont déjà au courant ont les larmes aux yeux et les joues rouges d'excitation. Amélia, au comble de l'excitation, semble danser sur sa chaise au rythme de son histoire.
– Hier soir, Vous-savez-qui est allé chez les Potter. Et là..
– Attend, il a quoi?
– Il est allé chez les Potter, répète Amélia, son sourire s'effaçant.
-Comment vont-ils?
L'ambiance dans le bar s'alourdit soudainement. Les sourires s'effacent, les verres s'abaissent en même temps que les yeux. Rosmerta n'y croit pas, et pourtant, c'est une évidence.
- Ils sont mort.
Rosmerta en a le souffle coupé. Évidemment, elle a connu beaucoup des victimes de celui-dont-on-ne-doit-pas-prononcer-le-nom. Mais elle n'aurait jamais pensé que les Potter succomberaient. Elle se souvient de ces deux élèves de Poudlard, James qui emplissait le bar de ses rires et Lily qui parlait parfois de long moment avec elle. Elle se souvient, quand son pub marchait encore un peu, que certains venaient et racontaient à voix basse les exploits des Potter.
Mais ils sont morts. Sa gorge se noue un peu plus quand elle pense à leur enfant. Il doit avoir tout juste un an.
– Oui, moi aussi ça m'a retournée, continue Amélia en faisant la moue. Ils sont morts en héros, selon Ambrosius. On ne sait pas vraiment pourquoi il est allé là bas. Sûrement pour enfin en finir avec eux, comme pour tous les amis de Dumbledore.
Son regard se perd quelques secondes, et plus aucun bruit ne se fait entendre. Personne n'a oublié Edgar, le frère d'Amélia, mort quelques mois auparavant. Rosmerta se rappelle avoir accueilli son amie dès qu'elle avait appris la nouvelle.
Amélia semble revenir à elle et sourit timidement.
– Mais ce n'est pas fini, reprend-t-elle. Figurez-vous qu'il a aussi essayé de tuer leur fils, Harry.
– Essayé? s'exclame Madame Piedoddu.
– Oui! Le petit a survécu! Et mieux encore, il a terrassé tu-sais-qui!
– Le fils Potter? demande un des clients, franchement perplexe.
– Je ne l'ai jamais vu. Tu penses bien que rechercher comme le sont.. comme l'étaient ses parents, il devait être protéger.
– Ils n'auraient pas dû, il est assez puissant pour nous débarrassez de tu-sais-qui, une protection ne servait à rien, remarque Amélia, riant discrètement.
– Un bambin d'à peine un an? Amélia, tu as bu avant de venir?
Un vieil homme à la moustache garnie éclate de rire.
– Ma chère Rosmerta, vous savez parfaitement qu'on ne boit que chez vous!
Elle s'autorise un sourire et le vieil homme en profite pour boire une longue gorgée de son whisky.
Tout cela à l'air insensé. Elle ne doute pas de la disparition des Potter, même si elle le souhaiterait. Elle est même prête à croire en leur fils, un enfant, un bambin, qui survit au plus grand mage noir de tout les temps. Un peu réticente, mais elle y croit. Pourtant, une question la taraude.
– Pourquoi faites vous donc la fête alors ?
Les regards des clients se croisent, une lueur de honte brillant dans leur regard. Amélia baisse la tête, observe le liquide qui nappe les bords de son verre. Sa voix est incertaine, mais c'est la seule à parler.
– Rosmerta.. La guerre dure depuis onze ans, et aujourd'hui, tout est fini. Tu ne peux pas passer ta journée ,cette journée à pleurer les morts. Les Potter se sont battus pour que nous vivions en paix, alors Rosmerta, rend leur hommage, et vit.
Le sourire réapparais sur les visages, mais pour Rosmerta, tout paraît trop simple. Comment célébrer la mort de Héros ?
– Et vous pouvez vivre avec cette pensée ? Je veux dire, vous n'avez pas cette voix, votre conscience, qui vous dit que c'est mal de fêter .. ça !
– Tout ce que ma conscience me dit, ma chère Rosmerta, c'est que nous avons mérité de fêter cela, répond doucement Madame Piedoddu en posant sa main sur celle de Rosmerta. Ne me dîtes pas que vous n'avez pas espérer ce jour autant que nous. Vous avez survécu, vous vous êtes battu, à votre façon, accordé vous une journée pour célébrer cela.
– Celui-dont-on-ne-doit-pas-prononcer-le-nom est mort! s'exclame un jeune homme que Rosmerta n'avais jamais vu, Arrosons ça, mes amis, nous sommes enfin libre!
– Le gamin a raison ! Répond à son tour un homme trapu, les yeux caché par un chapeau melon orange, Tenez, pour l'occasion, je vais demander à un vieil ami si il connaît toujours ce vieux sort compliqué, vous savez, celui avec des comètes, il m'en avait parlé un jour...
– Par la barbe de Merlin ! Il faut que j'envoie un Hibou à ma sœur !
Le silence pesant s'évanouit, remplacé par les discussions animées et les rires.
Les Potter sont morts. Et le monde sorcier est de nouveau libre. C'est avec un élan de culpabilité que Rosmerta laisse un sourire naître sur ses lèvres et la gorge nouée qu'elle fête la réouverture de son bar.
Une larme roule sur sa joue et plonge dans le liquide ambrée. Rosmerta ne peut dire si c'est une larme de joie, de tristesse pour la mort des Potter, ou d'amertume pour les onze années de guerres qu'elle vient de vivre.
On célébrera la nouvelle toute la journée et jusqu'au plus profond de la nuit chez Rosmerta, la joie explosera après une décennie de malheur. Le bois dans l'âtre se consumera , brûlant tout le malheur de Rosmerta, le réduisant en cendres.Car tout ce qu'a connu Rosmerta a été réduit en cendres, brûler dans le chaos de la guerre et dans la froideur de la mort. Un feu intense, une rage brûlante saisit le cœur de Rosmerta. Mais les cendres éteindront les flammes, se déposeront sur les braises fumantes, et étoufferont le mal qui ronge, le mal qui creuse, le feu qui consume les âmes qui ont vécu la guerre.
Aujourd'hui, on ne pense pas aux cendres.
Aujourd'hui on ne compte pas les morts, on ne cherche pas les traîtres, on ne fuit pas la foule chez Rosmerta. Aujourd'hui, le monde lève, uni, son verre à ceux tombé pour la justice, et lève à jamais son verre à l'espoir, et à la vie qui reprend ses droits.
A la vie du survivant.