Extrait de l'essai Esprits, ces êtres d'un autre monde par Godric Gryffondor (jamais terminé)
Ainsi sont créés les Esprits Farceurs.
Je vous ai dit plus haut qu'ils s'attachaient exclusivement à un lieu ou une personne. Il est possible de se défaire de ce lien, à condition d'en créer un autre. Pour ainsi se détacher, l’esprit doit être abandonné par son propriétaire dans un lieu non hanté et, surtout, qui a un lien profond avec celui-ci.
A ma connaissance, je n'ai entendu parler que d'un cas semblable. Il est beaucoup plus facile pour un esprit de partir d'un lieu pour s'attacher à une personne. Il suffit qu’elle en fasse la demande et la nature même de l'esprit l'incitera à y agréer - à moins qu'il ne se plaise davantage dans le lieu.
Pour revenir au cas dont je vous parlais, je vous le nomme et je ne doute pas que son nom soit parvenu jusqu'à vos oreilles : il s'agit de l’esprit farceur appelé Peeves, aujourd'hui profondément attaché à Poudlard. Le vagabond dont je vous parlais est revenu à Poudlard lors du banquet qui célébrait la passation de la direction entre moi et ma collègue estimé Helga.
Je ne vais pas m'attarder sur ce vagabond, je n'ai de toute façon pas plus de détails à ajouter. Cependant la nature de Peeves ne s'est révélée que cinq ans plus tard, lorsque je suis revenu de mon périple irlandais.
*
Godric Gryffondor avait fait son temps, c'était un fait. Tous en avaient conscience. En laissant sa place à Helga comme directrice de l’école, il avait contribué à asseoir le post. A présent, être à la tête de Poudlard était synonyme d’autorité sur le corps professoral. Helga y trouvait aussi une reconnaissance qu’elle n’avait pas eue lors de la fondation du château, alors critiquée pour ne pas tenir son rôle de jeune épouse.
Helga directrice, cela sonnait bien pour lui.
Il était donc parti, serein, se plonger dans les méandres des légendes d'Irlande, prêt à promouvoir l'école qu'il quittait. Il s’était ouvert aux formes de magies plus brutes, parfois jalousement gardées, et avait énormément appris. Il y avait passé cinq longues années. Et il en revenait la tête emplie de mille contes, de mille découvertes... Un savoir qu’il voulait coucher sur le papier.
Débutèrent alors les dures années. Si transmettre le savoir à des élèves semblait à Godric naturel et amusant, il avait beaucoup plus de mal à coucher sur le parchemin les fourmillements de son esprit. Il commençait de nombreux essais sans les finir. Il savait Helga impatiente de le lire, et de le partager avec les élèves mais Godric ne se sentait pas prêt.
Il lui arrivait d'errer ainsi dans les couloirs de l'école, perdu par les changements qui accompagnent toujours les jeunes années d'une telle institution, mais heureux de voir leur projet devenir un pilier du monde et de la société magique.
*
« Oui, je l'ai croisé au détour de quelques couloirs », lui dit le Moine Gras.
Le Moine Gras venait alors de rejoindre les fantômes qui allaient devenir les incontournables de Poudlard. Il était un des premiers élèves de Poufssouffle qui n’avait pas su arrêter de mélanger Magie et religion.
« Non, la seule fois où je l'ai aperçu c'était au banquet pour Dame Helga, avec ses chaussures ridicules... Je n'avais pas imaginé qu'il resterait dans le château... », lui avoua un autre fantôme.
Godric était bien embêté. Il avait tant appris sur les esprits, et il en avait un à sa portée dans ce château même qu'il avait bâti, et n'arrivait pas à le trouver ! C'était d'un comique.
En interrogeant les fantômes, les élèves et les professeurs, il entendit nombreux récits qui lui laissèrent penser que l'esprit parcourait encore les couloirs de l'école.
Ce qu’il semblait adorer, c’était mélanger les affaires des élèves ; ce méfait récurrent leur causait bien du souci. Il fallait entrer dans le dortoir des autres maisons, fouiller sous les lits, même dans les placards à balais !
Les premiers mois de son retour, Godric découvrit ce que les élèves appelaient « l'esprit de Poudlard » : il vit de nombreux tableaux et portes se claquer au nez d'un élève, parfois accompagnés d'un bruit qui pouvait être considéré comme un ricanement heureux.
Ce ne furent au début que de petites choses, comme une tapisserie tissée par une élève, retrouvée détissée au petit matin. Des plumes imbibées d’encre au point qu’elles explosaient et arrosaient leur propriétaire dès qu’elles touchaient le papier.
De toutes petites choses qui pouvaient passer pour des manifestations incontrôlées de magie. Mais Godric y reconnaissait l’empreinte de l’esprit qui teste. Des petits indices qui criaient « Je suis là, ne vous méprenez pas ! »
Mais Godric voulait que Peeves se manifestât vraiment, qu'il se reconnût comme esprit frappeur de Poudlard. Le vieux sorcier voulait en voir les limites, admirer l’imagination et compléter son essai sur les esprits de détails précis. Peeves était une source inespérée pour lui !
Et pour ça, il joua la provocation.
Il commença à affirmer que cet esprit n’était plus dans le château. Que cinq années sans caqueter, jacasser, tourmenter et inonder Poudlard de bruits et farces en tout genre, ce n'était pas possible pour un esprit farceur. Il continua à raconter que c'était décevant, qu'au mieux, s'il était toujours là, ses farces n’étaient que des petits incidents, à peine remarquables.
Il appela Peeves le « farceur farci », décrit les exploits de l'esprit farceur de Newgrange qui effrayait tellement les sorciers qui s'aventuraient dans le sanctuaire qu'aucun n'avait pu y rester plus de dix minutes. Même lui, Godric, avait dû se résoudre à en sortir sous peine d'avaler de la boue. Peeves, à côté, ce n'était rien !
Godric était sorti peu à peu de la carapace de son corps fatigué. Il avait déplié ses membres et s’était mis à raconter ces histoires d'esprits. Il avait décrit les lutins malins, les dangers des plaines désertes d'Irlande, les premiers châteaux en construction... Et Peeves était passé au second plan.
Ce qui n'était pas pour lui plaire.
Alors l’esprit farceur montra qu'il était capable de bien mieux ! Qu’il pouvait entrer dans la mémoire de Poudlard ! Et que des générations et des générations d’élèves se souviendraient de lui !
Pour cela, il disparut pendant longtemps. Difficile de dire à présent quel temps s'est écoulé, mais assez pour que Godric se lasse des élèves et retourne à ses parchemins.
*
Le matin du 1er novembre, Poudlard se réveilla sous une couche d'une sorte de peinture verte. Tous les accès, la majorité des murs et des portes en étaient recouverts.
Quelques jeunes élèves se risquèrent à toucher cette substance flasque et s'y brûlèrent les doigts, avant que leurs aînés n'y reconnaissent de l'Ectoplasme.
Peeves en avait enduit Poudlard et si elle était dangereuse pour les sorciers, qu'elle paralysait la vie du château et donnait du fil à retordre aux enseignants pour dégager les dortoirs — non sans laisser une affreuse odeur d'ongles de trolls — elle piégeait aussi les fantômes. Ils ne pouvaient plus traverser les murs, ni les portes enduites. Même les sorciers dans leurs tableaux se retrouvaient contraints à rester dans leurs cadres !
La panique et l'incompréhension se répandirent très vite.
Et Peeves rigolait ! Il avait mis tout ce temps pour laisser les champignons des cachots mûrir et en avait tiré une quantité d’Ectoplasme qui le délectait.
Il insupporta fantômes, sorciers et tableaux en chantonnant :
Peeves est le plus malin
Je les tiens tous dans ma main
Et paniqués
Ils s'emmêlent les pieds
Car ils s'ennuyaient
Du travail je leur donnerais
Godric lui-même resta bloqué deux jours dans ses appartements. Il n'avait pas vu le temps passer, et sans personne pour le rappeler de se joindre aux repas, il restait perdu dans ses papiers. Il se défit en quelques minutes de l'Ectoplasme qui fermait son tableau, et fut surpris de voir encore des murs et des couloirs entiers recouverts de cette substance.
Le Baron Sanglant furieux, vint le trouver. Il lui raconta les fanfaronnades de l'esprit farceur et lui demanda si, dans ses expéditions, il n'avait pas trouvé un moyen d'expulser un tel Malin du château.
Commencèrent des discussions, des réprimandes que l’esprit n'écouta point jusqu'au jour où...
« Peeves, nous te donnons une dernière chance, dit le Baron d'un air menaçant.
- Sot est l'idiot qui croit m'arrêter, lui répondit l'esprit avant de lâcher le plat de crème qu'il tenait sur la tête de deux filles.
- Tu n'es donc pas assez malin pour relever un défi... constata le fantôme sans pouvoir retenir un sourire quand les oreilles de l'esprit se redressèrent.
- Un défi ? Pour moi ? » persifla Peeves.
Et tout commença.
L'idée, qui venait de Godric, plut beaucoup à l'esprit farceur car elle lui promettait un trésor, le pouvoir d'influencer le destin du vieux sorcier.
En trois parties d'alquerque, s'il perdait il devrait porter un couvre-chef dont la nature lui resta inconnue.
S'il gagnait, Godric devrait rester fantôme à Poudlard et de ne plus pouvoir écrire son savoir.
Peeves accepta.
*
Godric posa le plateau d’alquerque sur la table et laissa Peeves l'étudier sous tous les angles, tester les résistances magiques et constater qu'il ne s'agissait que d'un simple objet travaillé.
Le plateau était fait d'un bois délicat, sombre dont la surface était finement décorée d'arabesques. Plus profondes que celles-ci, des lignes le découpaient en quatre carrés symétriques, eux-mêmes divisés en triangles. Le tout formait un quadrillage sur lequel étaient posés deux jeux de douze pions, taillés dans deux bois plus clairs que le plateau.
Godric prit les pions blancs, ayant convenu avec Peeves qu'il commencerait la partie. Le Baron donna le départ et commença le décompte, minutieusement.
Tour à tour, le sorcier et l’esprit bougèrent leurs pions sur le plateau, d'une intersection à l'autre, les glissant le long des segments. Peeves se révéla très malin dans la constitution de vides successifs, qui lui permettaient de faire sauter un pion d'un bout à l'autre du plateau, tandis que Godric montait une défense qui empêchait son adversaire de créer des doublons. La partie tourna vite à l'avantage du malin.
Première manche pour Peeves.
La deuxième serait décisive pour le sort de Godric. Fatigué, il décida de la repousser au lendemain. Son corps avait du mal à suivre la vivacité de son esprit. Il savait qu'il n'était question que d'une poignée de jours... Le vieux sorcier apprécia beaucoup que Peeves ne s'offusquât point de voir sa possible victoire reportée au lendemain.
L'esprit farceur n'en profiterait que davantage pour fanfaronner deux jours de suite. Cette première victoire, en effet, arriva très rapidement aux oreilles de Helga. Elle courut jusqu'aux appartements de son amie et entra en disant :
« Êtes-vous bien conscient cher ami que vous ne pouvez laisser un tel être gagner ?!
- Peeves n'est pas un être, il/c'est un esprit. Et je dirais même plus, un esprit plus vivace et intelligent que nos deux esprits réunis. Il joue d'ailleurs remarquablement bien, ajouta-t-il d'une voix faible.
- Mais remettre votre sort dans ses mains ! C'est de l’inconscience ! Il en fera une farce, comme toutes les précédentes et vous n'y trouverez jamais le repos ! »
Helga s'inquiétait vraiment que l'esprit ne laissât jamais la paix ni à Godric, ni au château. Elle savait aussi que continuer d'exister d'une autre façon dans ce monde, et qui plus est à Poudlard, était une grande tentation. Mais ils en avaient déjà parlé, ils en avaient même tant parlé !
Godric ne pouvait pas faire ça, elle le maintenait. C’était comme donner l’autorisation à Peeves de se croire au-dessus de toute autorité !
Son ami la remercia de s'inquiéter et la rassura : ils avaient tant joué à l'alquerque ! Et il avait essayé de contrer tous les coups perfides de Salazar, que ce n'étaient pas deux dizaines d'années qui allaient l'empêcher de retrouver sa maîtrise.
Il avait l'air fatigué. Mais derrière la fatigue des années, il y avait cette étincelle. Celle dans le regard tranquille qui disait Rien n'est fini, celle qui avait été absorbée jusque-là par les rouleaux de parchemins gribouillés, jamais terminés. Godric était de retour, sans la fougue de la jeunesse, mais avec la folie qui l'enflammait jadis.
Et Helga n'en faisait plus partie. Depuis qu'elle était devenue directrice, qu'elle avait continué leur projet de créer des postes bien précis et de donner une pérennité à Poudlard, elle avait perdu la notion du temps et se trouvait elle aussi plongée dans son univers. Godric s'en était volontairement éloigné et ces dernières années avaient suffi pour qu'elle soit la sérieuse à nouveau, et lui le fou.
Elle l'embrassa sur le front, lui serra la main, se demanda vaguement Quand le reverrais-je ainsi, si insouciant ? et retourna à ses dossiers et ses recherches d'enseignants.
Le lendemain matin, Peeves se présenta en caquetant dans les appartements de Godric. Il s'y engouffra sans daigner frapper ou attendre la permission. De toute façon il savait être bruyant et il trouvait cela suffisant pour ne pas prendre la peine de s'annoncer. Après tout, il était un esprit farceur, non ?
Le Baron prit la peine de suivre les règles de bienséance et de saluer Sir Gryffondor.
La deuxième partie se joua différemment.
Peeves commença par perdre trois pions, ce qui représentait un quart de son jeu, et pourtant, Godric jouait à nouveau les blancs, ce qui avait donné au premier coup l'avantage à l'esprit. Ils appliquèrent la règle du « souffler » pour forcer les prises. Elle consistait à forcer la main à l’adverse s’il avait la possibilité de prendre un pion, sous peine de perdre lui-même un pion.
Peeves se mit à chantonner
Godric le lombric
Ne voit pas plus loin que le bout de son nez
Dans le plateau il se prend les pieds
Fantôme il deviendra
Et Peeves sera son roi
sur un air terrible, celui que vous ne pouvez pas oublier à moins de vous concentrer sur autre chose inconsciemment. Lorsqu’il ne lui resta que deux pions, Peeves arrêta sa chanson. Concentré sur le jeu, il tentait de garder ses pions sur la même ligne. Malgré son affreuse langue tirée par la concentration, coincée dans sa bouche édentée, il se retrouva acculé. Il maudit cette règle du « souffler » qui fragilisait les pièges tissés.
Prendre ou être pris, il n'avait plus le choix. Il ne prenait pas et était pris. Il prenait et était pris.
Le scénario se répéta deux fois et il perdit.
Le Baron s’inclina, révérencieux et impressionné par le stratagème de Gryffondor. Une telle marque de la part d'un fantôme qui lui avait été contemporain toucha le vieux sorcier. Il aurait bien aimé découvrir cet homme avant que sa jeunesse ne soit envolée à cause de caprices et d'insouciance si peu recommandés... Mais la vie avait fait de cet homme un fantôme hanté par ses souvenirs.
Godric, faible, demanda à Peeves une semaine supplémentaire avant la dernière partie. Il n'avait pas peur de mourir dans ce laps de temps, il avait tellement appris en Irlande que ce savoir brûlait en lui et l’écrire démangeait ses doigts. Il était parfois tellement impatient de le faire, mais tellement fatigué de ce corps si lent qu'il cassait plusieurs plumes - parfois de très belles, dont une d'oie d'un blanc immuable offerte par Helga avant son départ en expédition. Il tremblait, il vivait encore à travers les mots sur les parchemins.
Mais Godric avait une conscience aiguë et douloureuse de la trahison physique. Les sortilèges alors pour prolonger la vitalité des organes du corps humains n'étaient qu'embryonnaires, si peu développés que les tester sur son corps si amoindri aurait pu accélérer la décomposition redoutée. Il prenait chaque jour et chaque soir un mélange infect d'herbes conservées précautionneusement dans son sac de trésors irlandais ; il y ajoutait un foie d’oiseau écrasé, l'avalait avec une grande grimace et retournait à ses parchemins. Il donnerait tout pour écrire plus longtemps.
Peeves reprit ses caquètements incessants, inlassablement, toute la semaine. A ses quelques vers esquissés au-dessus du jeu, il ajouta :
Ce vieux rabougri
Va mourir dans son lit
De ses parchemins
J'en jouerai malin
Il ne les trouvera plus
Dans le feu disparus
Ces nouveaux vers insupportaient Godric et ne l'en faisait que casser davantage de plumes, brûler des parchemins inutiles et laisser la cire étouffer la flamme des bougies. Peeves avait lu sa peur et s'en faisait une joie. Quoiqu'il arrivât, le vieux sorcier n’aurait pas la capacité d’empêcher l’esprit de détruire ses parchemins, fantôme ou mort. Personne n'avait cette autorité, et c'était bien pour cela qu’il avait accepté ce défi.
Jouer à l'alquerque ne lui avait jamais posé problème avant Peeves, et il avait pourtant connu des esprits malins. Mais cet esprit-là, c'était la prévoyance, l'inspiration, la méchanceté gratuite et calculée. Godric n'avait pas eu le temps d'étudier ce spécimen d'assez près pour mettre le doigt sur la nature même de ces esprits farceurs. Il en avait vus pourtant, certains peu consistants, d’autres tellement insupportables que les sorciers désertaient les lieux.
Godric avait aussi vu un sorcier auquel était attaché un esprit, en mourir de tourments. Et aucune magie n'avait suffi à s'en débarrasser. Un prêtre sorcier avait crié au Malin, avait décidé que les esprits farceurs ne pouvaient qu'être ce tourment qui martyriserait corps et esprits. Il n'avait jamais réussi à en attraper un pour tenter un exorcisme.
Le vieil homme n'y croyait pas. Pour lui Peeves, si esprit farceur il était, apprenait ses tours, ses rimes de ce qu'il entendait. C'était comme si chaque enseignement était une porte ouverte sur une possibilité.
Ca lui avait pris du temps, beaucoup de temps, mais le vieux sorcier pensait être certain d'avoir réussi. Et l'aide du Baron avait été précieuse. Aucun des Fondateurs ne pouvait se targuer d'avoir le savoir absolu de la communauté sorcière, ils n'étaient que des pièces sur un plateau. Tous ensembles, placés stratégiquement, ils pourraient rassembler ces connaissances.
Le Baron qui, pourtant, avait étudié à Poudlard, lui avait murmuré de vieilles formules, de celles qui étaient vagues mais gravées dans sa mémoire.
Les petits secrets de famille. Ceux qui ne transmettaient qu'aux plus purs, qu'aux sorciers dignes de ce nom. Ceux qui entretenaient la différence du sang, la différence entre ceux éduqués et ceux délaissés voir rejetés.
*
Le premier jour, Peeves s'amusa à enlever la mèche de toutes les bougies du château. Il apparaissait en plein cours, éteignait la flamme et tirait d'un coup sec.
L'orage qui grondait donnait une allure lugubre au château et l’esprit fit tout pour épouvanter les élèves. Rapide, invisible, il était partout à la fois. Un des professeurs abandonna l'idée de rallumer les bougies de la salle au bout de son dixième passage et demanda à ses élèves de s’éclairer par eux-mêmes.
Il relia les armures du deuxième étage avec un fil solide, se cacha au bout du couloir et s'amusa à les faire bouger à chaque fois que des élèves passaient. Il adorait les visages défigurés par la peur, ces petits coeurs qui battaient la chamade ou encore les premières années qui s'enfuyaient à toutes jambes. Il s'en délectait.
Le deuxième jour, Peeves ramena des kilos d'algues du lac et les glissa dans les robes des professeurs. Quand les élèves se mirent à rire du rictus dégoûté de leurs aînés, il lâcha les muinsornes, vers qui vivaient au milieu des algues, et les laissa s’insinuer dans les sacs de cours.
Ils ne remarquèrent rien, quelques bouts de parchemins suintants tout au plus. Mais dans les dortoirs... Il se régala des cris horrifiés des filles qui appelaient les garçons à l'aide parce qu'elles n'osaient pas toucher ces « trucs gluants ». Le mieux encore était d'imaginer les muinsornes qui s'étaient desséchés et collaient les sacs, les rouleaux de parchemins, les plumes et ne seraient trouvés que des jours plus tard. Il adorait ces bêtes.
Le troisième jour, il eut la surprise de rencontrer le Baron. Un Baron qui l'avait menacé de la pire des punitions pour un esprit frappeur s'il venait à perdre son jeu contre Godric. Le Baron qui avait souvent ce regard sinistre, si perçant que Peeves se demandait s'il devait l'embêter lui aussi ou si ce ne serait pas prudent. Il savait que ce n'était plus qu'un fantôme, le reliquat d'un sorcier qui aurait pu être puissant. Mais on ne savait jamais... Qu'est-ce qui lui garantissait que le Baron ne pouvait pas trouver un moyen détourné de le punir ?
L’esprit, lui, avait toujours la possibilité d'utiliser les objets, de pratiquer une magie assez incontrôlée mais très puissante. Une magie qui aidait ses desseins malins mais qui ne pouvait pas toujours le servir.
Alors par précaution, il avait évité ce fantôme. Jusqu'à la goutte de trop. Celle qui avait conduit à tout ça.
Le Baron le regarda longtemps jusqu'à ce que Peeves émergeât de ses pensées, eut un frisson et repartit caqueter ses rimes blessantes. Il humilia une ou deux filles à fleur de peau, bava sur un couple qui voulait essayer un premier baiser et glissa ses dernières algues dans la soupe du soir.
Une journée calme en somme.
Et le quatrième jour, l’esprit comprit qu'il avait réellement intérêt à gagner la dernière partie.
Ce jour-là, le Baron le trouva et se mit à le suivre jusqu'à ce qu’il promît de ne faire aucune farce jusqu'au dernier jeu contre Gryffondor.
Le Baron réussit à lui arracher cette promesse. Comme tout être consistant, Peeves pouvait sentir la sensation troublante d’être traversé par un fantôme. L’impression d’être trempé dans un liquide visqueux et froid. Plus que de le suivre, le Baron se déplaça avec lui. S’il avançait, le fantôme avançait en même temps que lui et ne cessait de le traverser. Il essaya de disparaître et de revenir à l'autre bout du château, mais il finissait toujours par croiser un fantôme qui prenait le relais jusqu'à ce que le Baron reprenne son rôle.
Les trois derniers jours, le fantôme s'assura que Peeves respectât bien cette promesse. Il faisait mine d'ôter un chapeau imaginaire pour saluer l'esprit chaque fois qu'ils se croisaient, alors que le Baron n'avait que ses épaisses boucles comme couvre-chef.
Car l'enjeu était là : l’esprit savait que s'il perdait, il aurait droit à un nouveau chapeau. Et il se doutait que ce ne serait pas un simple bout de tissu.
Mais il n'en connaissait que ça et détestait ne pas savoir.
Il arriva dans les appartements de Godric à l'heure. Il avait profité de l'absence du Baron dans son champ de vision pour déposer derrière chaque rideau, ces lourds tissus pleins de poussière, les déjections odorantes des Sombrals. Il avait tellement ri en mettant un de ses excréments dans la chambre de la directrice, un dans les cuisines et trois dans la Grande Salle, que la journée lui paraissait délicieuse.
Il se frotta les mains en voyant les cernes sur le visage fatigué de Godric et s'empressa d'installer le jeu.
Pour l'occasion, il avait changé le bout de ses chaussons en grelots et les agitait, trop excité pour rester maître de son impatience.
Le Baron arriva, toujours aussi calme, aussi sérieux, et Peeves lui fit des grimaces jusqu'à ce qu'il lançât la partie.
Son esprit fourmillait d'idées, de projets de farces. Il sentait qu'avec un peu d'entraînement, il pourrait déplacer des objets à distance et voulait essayer dès que possible dans la Grande Salle. Il imaginait déjà les plats de porridge volant de table en table, les élèves dégoulinant de sauce... Il n'avait qu'une hâte : que Godric et le Baron assistent à ce triomphe, impuissants.
Peeves n'avait pas eu besoin de lire le piètre essai de Gryffondor sur les esprits farceurs — comment un simple sorcier pourrait-il comprendre toute leur subtilité ? — pour savoir que ses pouvoirs continueraient à se développer. Oh bien sûr, jamais il n'atteindrait la maîtrise d'un sorcier ni même la connaissance. Mais il découvrait que sa nature hybride recelait de mystères. Et il n'y avait personne dans ce château, pas même Godric, qui était aussi impatient que lui d'en trouver des limites.
Il reprit sa comptine sur le sorcier pour le déstabiliser, et entama « Ce vieux rabougri va mourir dans son lit… »
Mais n'obtint rien du vieux sorcier bien trop concentré.
Et c'est tout ce bouillonnement, ces émotions, cette joie trop hâtive et ces projets bruyants qui lui firent lâcher le caquètement le plus sinistre. Il n'avait rien vu venir mais le vieux fou avait tissé une toile de ses pions et venait de lui en prendre sept d'un coup.
Alors qu’il ne lui restait plus que deux pions, Peeves hésita beaucoup à renverser le plateau et retourner à ses facéties. Après tout, que pourraient une vieille carcasse et un pauvre fantôme contre lui ? Il frapperait Poudlard de ses farces des centaines d'années encore et rien ne pourrait l’en empêcher !
Il lâcha un ricanement et décida de continuer. De nouveaux refrains sur Godric lui vinrent en tête :
Ses yeux fatigués
Laissent sa peau se tirer
Il est un peu fou
Et un peu trop mou
Pas que du genou
Et dans son lit
Seul la nuit
Godric joue avec son lombric
Personne ne pourrait lui arracher la langue. Il aurait toujours ça. Et il continuerait de chantonner ces airs indécents, et ce, bien après la mort du vieillard.
C'était donc une défaite. Sa dernière défaite à l'alquerque, il ne s'y prendrait plus à accepter le défi d'un sénile. Il aimait toujours sous-estimer ces pauvres sorciers qui lui courraient après sans réussir ne serait-ce qu'à l'enfermer.
Il resterait libre. Toujours.
Ce qui n'arrêtait pas la colère de la défaite. Peeves renversa les meubles de la chambre de Godric, il déchira la tapisserie sur le mur mais fidèle à ses mots, il resta pour attendre sa sentence.
Sa farce avait été tellement grosse qu'il ne pouvait passer à côté, et il ne pourrait se cacher éternellement. Le vieux fou était encore vivant, malheureusement.
Le Baron le regarda et grimaça un grand sourire. Un sourire machiavélique.
L’esprit ressentit à nouveau ce frisson de l'inconnu. Les sorciers avaient des pouvoirs qu'il n'avait pas, et il devait accepter.
Godric murmura quelques mots et un chapeau informe, noir sinistre avec un pompon blanc, apparu sur le plateau d'alquerque.
Le Baron lui désigna, et lui dit :
« Nous avons décidé que tu devrais le porter. Libre à toi de le modifier, d'en faire le couvre-chef de ton choix.»
Peeves acquiesça et s'en vêtit, non sans un rictus dégoûté. Il en changea immédiatement l'apparence. Il voulut l'enlever pour en admirer l'orange qu'il venait de mettre et le vert du pompon mais se rendit très vite compte que le chapeau était collé à sa tête. Il sentait que ça tirait, que c'était très désagréable.
Il n'eut pas besoin de plus de temps pour comprendre qu'il ne pourrait jamais l'enlever, jamais oublier cette défaite et donc l'impatience mal calculée. Il se promit de ne plus jamais se faire attraper, que ce soit physiquement ou dans un stupide pari tel que celui-ci.
Le Baron le regarda droit dans les yeux, rit devant la nouvelle allure de Peeves et dit :
« Tu apprendras tous les jours, esprit frappeur ! La magie t'est ouverte mais limitée au savoir. Tout ce que tu as pu faire jusqu'au moment où tu as posé ce chapeau sur ta tête t'est acquis. Utilise le avec soin car c'est tout ce que tu auras.»
Godric hocha la tête. Il avait réalisé, secret confié par le Baron, ce sortilège qui le répugnait. Son histoire était empreinte de tant de sang versé : le sang d'enfants à qui on avait refusé la magie, de femmes bridées par ce qu'elles ne voulaient enfanter ou voulaient être égales aux hommes.
Tant de sinistres destins.
Et il s'était laissé convaincre que ce serait la seule chose qui pourrait calmer l'esprit frappeur dont personne ne connaissait les limites. Car Peeves était déjà dangereux, imaginer plus c'était imaginer que le château en entier puisse disparaître ou pire, qu'un élève soit tué.
Godric voulait préserver ce qu'il avait aidé à construire et s'il acceptait avec plaisir qu'un Esprit s'attachât à un lieu assurément rempli d'Histoire, il ne voulait pas que celui-là même y mette fin.
*
C'est ainsi que Peeves devint l'esprit frappeur aigri. Fort connu par ses farces incessantes, par ses caquètements horripilants pour les professeurs et les étudiants, il n'eut plus jamais la possibilité de découvrir d'autres pans de la Magie.
Merlin merci pour la tranquillité du château !
Ce jour commença aussi la crainte de l’esprit pour le Baron. Car si ce n'était qu'un fantôme, il avait toujours ces connaissances de Magie noire qui pouvaient attaquer sa nature d'esprit farceur.
Et être puni par lui, Peeves ne voulait plus jamais l'être.