Le plus beau jour de sa vie. Non, le plus intense. Non... Le plus incroyable. Enfin bref. Peu importe l’adjectif, le jour était mémorable. Cela faisait si longtemps qu’il attendait cet évènement, il avait compté les jours. Même les séances d’entraînement les mieux réussies n’arrivaient pas à déloger l’attente qui s’était glissée dans son esprit depuis maintenant six mois.
-Tu peux fermer la bouche, l’assura une voix moqueuse à ses côtés.
Alice Spinnet se tenait à côté de lui, lui faisant prendre conscience du ridicule de sa posture. Debout, la bouche entrouverte et les yeux écarquillés, Olivier Dubois contemplait le stade immense de Quidditch qui se dressait devant lui. Il cligna des yeux pour s’assurer qu’il ne rêvait pas. A ce moment-là, Alicia le pinça si fort que la douleur le fit enfin réagir.
-Il faut qu’on se bouge, déclara-t-elle. Nos places ne sont pas numérotées, rappela-t-elle.
Tout était parfait. Le ciel était d’un bleu triomphant, les tentes dressées ondulaient sous l’effet du vent, le stade était rutilant et l’herbe verte n’avait jamais été aussi douce sous ses chaussures-si, il pouvait la sentir s’il se concentrait! Il se sentait connecté à l’univers tout entier, à vrai dire.
Cependant, quelques heures restaient avant l’ouverture du match, et Olivier refusait d’aller s’asseoir bêtement. Il y avait tous les stands à regarder, les objets des deux équipes à regarder, les derniers modèles de balais à aller admirer, les différents dégradés de couleurs des maillots de toutes les équipes de Quidditch à analyser. Il avait mis une semaine à réaliser le programme parfait, celui qui lui permettrait de visiter tous les stands sans perdre une minute. Il sortit le papier plié en quatre de sa poche.
-Alicia, déclara-t-il avec solennité alors qu’elle le regardait, impatiente d’aller bloquer les places. Tu apprécies la façon dont je dirige l’équipe, n’est-ce pas? On peut même dire qu’en tant qu’être humain, tu m’estimes plutôt, n’est-ce pas? Sans exagérer, ajouta-t-il en la fixant gravement.
-Euh... Oui? Supposa-t-elle en lui prenant le bras, empressée.
-Dans ce cas, c’est aujourd’hui ou jamais que tu dois me faire une faveur. J’ai besoin que tu ailles réserver nos places. En attendant, j’ai 34 stands à parcourir. Je te revaudrai ça, Spinnet, promis, garantit-il en essayant de transmettre toute l’ardeur nécessaire dans son regard.
-Ah non, s’écria-t-elle. Tu aurais dû prendre un elfe de maison alors! Je ne vais pas attendre trois heures toute seule, affirma-t-elle en croisant les bras.
Les Dubois n’avaient pas d’elfe de maison. Ils n’étaient pas assez riches, et assez peu connectés avec cet aspect de la culture Sorcière de toutes façons. Olivier réfléchit rapidement, lorsqu’il vit passer Lee Jordans. Preste, il lui attrapa le bras et l’amena devant Alicia.
-Lee te tiendra compagnie. Je le sais, parce qu’il a accepté de me rendre ce service. N’est-ce pas, Lee? Trois heures avec Alicia, ce n’est pas si long. Allez, à tout à l’heure, lança-t-il très vite en se retournant, laissant une Alicia choquée et un Lee déboussolé.
Olivier savait ce qu’il faisait. Cela faisait des années que Lee se mourrait d’amour pour Alicia. La réciproque n’était pas vraie, mais au moins, il ne rechignerait pas à occuper ce temps avec elle. Et si jamais il faisait des difficultés pour rendre sa place à Olivier au moment du match, Olivier utiliserait son autorité légendaire, qui marchait presque à tous les coups. Pas de place pour les sentiments, se dit-il avec adrénaline en regardant tous les stands qui s’offraient à lui.
-Bon, je suis déjà au niveau du stand 16...Et j’ai gaspillé dix minutes. Je ferais mieux de faire ce côté-là, et je rattraperai ceux du début à la fin. Ce n’est pas si loin, dit-il à voix haute en regardant son schéma.
Le caractère méticuleux d’Olivier reprenait le dessus. Le stand 16 était impressionnant. C’était un stand composé d’objets uniquement en chocolat, mais sous forme de balais, dossards, cognards, panneau de score, etc. C’était exécuté si finement que l’on pouvait distinguer les différents liserés de chaque maison, et les couleurs artificielles étaient plus vraies que nature. Les prix étaient à la hauteur, et le budget d’Olivier était serré.
-Un vif d’or, s’il vous plaît. Gryffondor, précisa-t-il avec fierté en voyant la vendeuse hésiter devant les différents vifs d’or. L’extérieur du vif d’or était craquant puisque c’était une coque de chocolat blanc: cependant, l’intérieur se composait d’un liquide rouge fondant. De la mousse de cerise, réalisa-t-il avec délice.
C’était exquis, mais Olivier accéléra le pas. Le stand 17 était composé de terrains de Quidditch miniature en bois, taillés à la main-ou à la baguette-, et chaque détail était stupéfiant. Les modèles les plus avancés comprenaient même des petits souaffles volants en bois qui tournaient tout seul. C’était magnifique, mais ils coûtaient chacun dix gallions: les trois quart du budget d’Olivier. J’en aurais bien ramené un pour Perry, se dit-il avec regret en pensant à son petit frère. Le stand 18 n’était qu’un bar, agrémenté de tables en bois. Olivier allait faire demi-tour, peu intéressé, lorsqu’une queue de cheval rousse attira son attention.
Charlie, constata-t-il avec émotion. D’un pas étrangement peu assuré, il décida de se diriger vers lui. Charlie buvait une bièreaubeurre avec son père, Arthur, qui semblait exténué. Olivier allait dire quelque chose quand Charlie l’aperçut, son grand sourire se dessinant sur ses lèvres.
-Olivier, fit-il avec chaleur en l’étreignant très brièvement. Ca fait une paye, ajouta-t-il simplement.
Charlie n’avait pas changé, si ce n’était ses cheveux, plus longs, attachés en queue de cheval. Toujours aussi jovial et avenant que dans les souvenirs d’Olivier. Pourtant, cela faisait quelques années qu’ils ne s’étaient pas vus-depuis que Charlie avait terminé sa scolarité à Poudlard. Une des grandes craintes dans la vie d’Olivier avait été de ne pas être à la hauteur de Charlie, qui avait été un des meilleurs capitaine de l’équipe de Quidditch que Poudlard ait jamais connu. De fait, Gryffondor avait raflé plusieurs fois la Coupe de Quidditch sous l’égide de Charlie; avec Olivier, jamais encore.
Olivier avait bien conscience du ridicule de son complexe d’infériorité, mais rien n’y faisait: face à Charlie, il se sentait insignifiant. Ce qui ne l’empêchait pas de porter une grande estime au Weasley.
-On ne quitte pas un dragon si facilement, j’imagine, fit Olivier avec un petit sourire.
-Pour une finale de Quidditch entre l’Irlande et la Bulgarie, ça se justifie, répondit Charlie. Alors dis-moi comment Gryffondor s’en sort, à Poudlard. Ron me dit que tu commandes d’une main de fer, fit-il avec appréciation.
Olivier haussa les épaules.
- Chacun fait de son mieux. J’ai de bons joueurs, même s’ils refusent parfois de jouer quand il pleut. A croire que ça les étonne, la pluie en Ecosse, s’insurgea Olivier.
-Je vais vous laisser les garçons, décida Arthur en les voyant converser. Charlie, on se retrouve tout-à-l’heure. Olivier, fit-il en saluant Olivier d’un signe de tête.
Olivier répondit rapidement, tandis que Charlie finissait sa bièreaubeurre.
-Je n’ai pas eu le temps de tout visiter, exposa Olivier. Tu m’accompagnes? Demanda-t-il en regardant Charlie qui rendait sa pinte vide à la serveuse.
Ils firent quelques pas jusqu’au prochain stand.
-J’ai du mal à les motiver, parfois, avoua Olivier en passant une main amoureuse sur l’extrémité d’un balai. J’ai l’impression qu’il n’y a qu’à moi que ça importe, qu’on gagne ou pas. Il suffit d’un mauvais temps, d’un évènement à l’école, d’une blessure, et l’équipe est paralysée, expliqua-t-il.
Il n’y que Charlie qui pouvait comprendre ce genre de choses. Qui ne lui répondrait pas ‘qu’il y a autre chose que le Quidditch, dans la vie’ d’un ton désapprobateur comme Mc Gonagall ou son père.
-Je comprends, fit le roux d’un compréhensif. Tu as la responsabilité de mener l’équipe à la victoire, ce dont tout le monde se souvient lors des matchs: par contre, quand il faut s’entraîner, c’est l’individuel qui ressort et la négativité qui peut prendre le dessus. Or, sans entraînements réussis, pas de victoire. C’est une position difficile, statua Charlie.
-Mais oui, s’exclama Olivier. C’est exactement ça. Et puis... Il y a vraiment des profils différents. Avec les filles, je ne sais pas jusqu’où je peux les pousser, si je peux discuter lorsqu’elles loupent des entraînements. Si elles ont leurs règles, je me retrouve comme un idiot, alors j’ose plus trop rien dire, et en même temps, c’est mon rôle, admit-il d’un ton honteux.
Charlie esquissa un sourire complice.
-J’avoue que la question ne se posait pas tellement à mon époque. Il n’y avait qu’une seule fille, et je n’ai jamais eu à traiter ce genre de questions avec elle, puisqu’elle n’est pas restée longtemps, réfléchit-il à voix haute. Quand on parle du loup! S’exclama-t-il.
Une jeune femme à la silhouette agile et aux cheveux roses se dirigeait vers eux, l’air enthousiaste.
-Je t’ai cherché partout, s’écria-t-elle en claquant une bise sonore à Charlie, qui la prit brièvement dans ses bras.
-Dora, je te présente Olivier Dubois. Le capitaine de Quidditch de Poudlard depuis deux ans, précisa-t-il alors qu’Olivier la saluait rapidement. Elle haussa un sourcil amusé et lui tendit la main. Olivier remarqua avec surprise que ses cheveux passaient du rose au violet. Charlie capta le regard stupéfait d’Olivier.
-Ah, ne t’inquiète pas pour ça. Les cheveux de Nymphadora s’adaptent à son humeur, expliqua-t-il en insistant sur le prénom complet de la jeune femme.
-Espèce de troll, répondit-elle aussitôt en frappant Charlie à l’épaule en représailles. Ne l’écoute pas, fit-elle en se tournant vers Olivier. Appelle-moi Dora, et rien d’autre, avertit-elle dans un sourire malicieux.
Olivier écarquilla les yeux devant la prompte réaction de Nymphadora, mais préféra ne rien dire. Il se sentait étranger à leur complicité, et comme toujours en présence de Charlie, préféra ne pas trop intervenir. Il reporta son attention sur le stand à sa gauche, qui vendait des livres. L’attention d’Olivier fut particulièrement attirée par un gros livre à la couverture dorée animée, où l’on pouvait voir un stade de Quidditch en pleine ville médiévale remplie de bâtiments magnifiques, dont une église somptueuse et un beffroi extraordinairement haut.
-Enfin sorti, murmura Nymphadora en se penchant vers l’ouvrage. Le dernier livre sur la fameuse première coupe de Quidditch de 1473, qui opposa la Roumanie et la Flandre. Un match légendaire, puisqu’il n’y avait pas autant de règles que maintenant. J’aurais adoré remonter le temps, conclut-elle en caressant les pages.
-Tu avais quoi, 7 ans à cette époque-là? C’est sûr, ça fait une paye, se moqua ouvertement Charlie.
-Insolent, gronda Nymphora qui détestait que Charlie se moque d’elle à cause de leur-petite mais réelle-différence d’âge. J’aurais adoré assister à cette Coupe. Elle s’est déroulée à Gand, la capitale des Flandres. Un vrai défi pour les joueurs, puisqu’en plus d’éviter les cognards ils devaient éviter les toits pointus des quelques cent églises de la ville. Heureusement, il n’y a qu’un seul qui a terminé empalé sur un clocher, c’est un ratio correct, déclara-t-elle avec tant d’aplomb qu’Olivier ne sut dire si elle plaisantait ou non.
Le temps passa si vite qu’Olivier ne s’en rendit même pas compte. Ils s’arrêtaient dans tous les stands, et Nymphora semblait tout connaître sur le bout des doigts. Olivier n’avait jamais rencontré une fille aussi érudite sur le Quidditch et brûlait de lui demander quel poste elle avait occupé, mais elle n’en parlait jamais.
Vingt minutes avant le début du match, les spectateurs trépignaient d’impatience et Olivier sentit qu’il lui fallait retourner à sa place.
-Je vous laisse. On a obtenu des places dans les tribunes, avoua Charlie.
-C’est pas vrai, gémit Nymphadora. Si je me teints les cheveux en roux, tu me donnes la place de Percy? Demanda-t-elle avec un grand sourire.
-Désolée, répondit le Weasley. Tu es trop souriante, je crois, fit-il d’un air d’excuse. Allez, à plus tard! Olivier, c’était sympa de te voir. Continue comme ça, ajouta-t-il en lui serrant la main avec enthousiasme.
Une seconde plus tard Charlie avait disparu et Olivier se retrouva seul avec Nymphadora, légèrement embarrassé.
-Bon, je crois que je suis de ce côté-là, annonça-t-elle en consultant son billet. -Moi aussi, fit Olivier en lui emboîtant le pas. Dis-moi, Nymphora-
-Dora, tonna-t-elle.
-Dora, répéta-t-il avec difficulté. A quelle place as-tu joué, sous le commandement de Charlie? Tenta-t-il en essayant de faire abstraction des cris enthousiastes autour d’eux. Nymphadora ouvrit la bouche, puis la referma, décidant de ne rien dire, ses cheveux virant au noir
-Bon, je suis là, fit-elle en désignant un siège qui flottait en l’air, comme tous ceux dont l’occupant n’était pas encore arrivé.
Olivier repéra un siège à côté du sien, flottant également dans les airs: il en ressentit un pincement au cœur. Quelqu’un qui aime autant le Quidditch ne peut pas avoir un siège aussi mal placé, songea-t-il. Il n’y avait aucune étiquette de réservation dessus, et pour cause: celui-ci et celui de Nymphadora se trouvaient dans un virage serré et sans profondeur de vue sur le stade.
-L’emplacement est nul, admit-elle en faisant écho aux pensées d’Olivier. Mais je dois économiser pour mes examens d’Aurors à venir. Je les passe dans quelques mois et la vie coûte cher à Londres, déplora-t-elle.
-Attends ici, fit-il en faisant demi-tour, courant aussi vite qu’il le pouvait.
-Aucune chance que je bouge, répondit-elle dans sa barbe, boudeuse.
Olivier courut jusqu’à la place d’Alicia et la sienne, alors qu’elle était en pleine conversation avec Lee sur les différentes parades de créatures magiques qui servaient d’introduction au match. Alicia semblait agacée plus qu’autre chose, mais Lee s’exprimait à grands renforts de gestes maladroits. Olivier eut pitié de lui, mais se concentra sur son objectif.
-Ah, tu es là, soupira Alicia avec gratitude.
-Ecoute, je sais que je te demande l’impossible, mais est-ce que tu pourrais laisser ta place à Nymphadora? Une ancienne joueuse de Quidditch à Gryffondor. Elle a... Elle a perdu sa mère ce matin, dit-il tout à coup d’une voix si sérieuse et tendue qu’Alicia fronça les sourcils.
-Euh... Pourquoi pas toi, si tu la connais si bien? Demanda Alicia en toute logique, ce à quoi Olivier ne trouva rien à répondre immédiatement.
-J’aimerais vraiment rester ici, affirma Lee en faisant un clin d’œil à Olivier alors qu’Alicia levait les yeux au ciel. Il n’y a aucune raison à ce que je fasse ça, se dit Olivier, mais malgré tout, agissant avec impulsivité comme souvent, il tourna les talons et retourna près de Nymphadora. Elle lui adressa un sourire chaleureux lorsqu’il revint, et il s’assit à côté d’elle sans éprouver autant de déception qu’il s’y attendait lorsqu’il réalisa une fois de plus à quel point le siège était mal placé.
-J’ai dû laisser ma place à un copain, expliqua-t-il sans trop savoir pourquoi il se justifiait.
Elle haussa un sourcil mais ne répondit rien, se contentant de sourire légèrement.
-Je devais venir accompagnée mais... On m’a lâchée, fit-elle avec amertume.
Olivier ne pouvait pas savoir qu’au moment même, elle pensait à Rémus, qui cherchait chaque prétexte pour ne pas lui donner d’espoirs, malgré qu’elle lui ait répété avec insistance qu’elle se fichait de sa condition de loup-garou. Le match démarra pour de bon, et très fort: le niveau était éclatant.
-Ouch, firent Olivier et Dora en même temps alors qu’un attaquant était propulsé hors de son balai à cause d’un cognard malintentionné.
-Mais? Mais non! Imbéciles! S’excita Dora lorsqu’elle vit son équipe favorite marquer contre son camp.
-C’était serré, objecta Olivier avec douceur. Modrichz n’a pas eu le temps de se positionner, il a été pressé par l’aile droite, ajouta-t-il avec compassion.
-Pas sûr que tu sois aussi compréhensif avec ta propre équipe, fit Nymphadora avec un clin d’œil amusé. Olivier repensa à la façon dont Mc Gonagall s’était indignée qu’il ne compatisse pas davantage avec Harry qui s’était lourdement blessé au dernier match contre les Serpentards.
-Certes, admit-il d’un ton bourru.
-Ne te méprends pas, je comprends tout-à-fait, indiqua-t-elle avec force. Pas d’états d’âme qui tiennent, fit-elle avec amertume.
L’air sombre qui avait une nouvelle fois envahi son visage poussa Olivier à détourner les yeux du match.
- Qu’est-ce qui s’est passé? Demanda-t-il simplement en détournant à nouveau le regard pour ne pas la mettre mal-à-l’aise. La jeune femme hésita, puis finit par vaincre sa réticence.
- Charlie a été adorable, mais j’étais si mauvaise qu’il ne pouvait pas décemment me prendre dans l’équipe. Pendant les essais, j’aurais dû être immédiatement recalée, mais il m’a quand même prise-tout le monde a cru qu’on était ensemble-, fit-elle avec un petit sourire. Un gamin! S’exclama-t-elle, ce qui fit rougir Olivier. Enfin bref, reprit-elle. Je suis extraordinairement maladroite, voilà mon problème. Ridicule, hein? Ajouta-t-elle en se tournant vers Olivier d’un air incrédule. Mais c’est bien vrai. J’étais tellement maladroite qu’aucun poste ne me convenait. J’étais rapide, j’étais plutôt souple, mais je n’ai aucune coordination, et c’est ça qui m’a complètement décrédibilisée. Si j’avais pu, j’aurais fait une carrière dans le Quidditch, soupira-t-elle en haussant les sourcils face à une figure particulièrement compliquée exécutée par un attaquant.
Olivier voyait bien qu’elle n’avait pas tout-à-fait digéré cette blessure, et se trouvait étrangement compatissant. Lui-même n’aurait jamais accepté quelqu’un de maladroit dans son équipe, non? Le Quidditch était une affaire de professionnels, d’excellence. Et pourtant... Il ne pouvait s’empêcher de comprendre pourquoi Charlie l’avait acceptée, au début. Bien sûr, tous les membres de son équipe étaient passionnés, mais Nymphadora, c’était un autre niveau.
Elle vibrait au moindre mouvement, il le voyait bien; elle connaissait chaque date, chaque coupe, chaque mouvement, chaque joueur. C’était presque une maladie, à ce point-là.
- Mais tu aimes ce que tu fais là, non? C’est pas rien d’être Auror, fit-il avec admiration.
-Si tu savais! Je dois encore repasser certaines épreuves à cause de ma maladresse. Quelque chose finit toujours par me trahir, c’est incroyable, avoua-t-elle avec dépit. Tu vois, quand tu adores un sport d’excellence, et que tu ne peux pas y jouer toi-même, c’est normal de vouloir briller ailleurs. Moi... Je sais que je ne serai jamais la meilleure, même chez les Aurors. Tous les jours je dois lutter pour ma crédibilité, c’est épuisant, admit-elle.
-Il y a pleins d’autres qualités dont personne ne parle, regimba Olivier. Ce qui compte, comme chef de Quidditch, ce n’est pas comment je joue, mais comment j’arrive à comprendre les dynamiques entre joueurs, la complémentarité de certains pour les mettre ensemble, trouver des manière d’améliorer l’efficacité de l’équipe dans son ensemble, gagner du temps, éviter les erreurs. Ça, tu pourrais largement le faire, affirma-t-il.
Elle haussa les épaules, peu convaincue, mais lui adressa un sourire sincère.
-Tu pourrais venir à l’occasion. A Poudlard, pour les grands matchs. Tu superviserais de loin, tu réunirais l’équipe, tu ferais les changements de joueurs, proposa-t-il.
-C’est ton job, ça, fit-elle en lui mettant un joyeux coup de poing dans l’épaule. Mais merci, précisa-t-elle avec gratitude. En attendant, si on me demandait mon avis, j’échangerai le numéro 12 contre le numéro 3, je mettrai Romez en attaquant plutôt qu’en poursuivant, et surtout, j’éviterai les stratégies latérales qu’ils utilisent depuis une demi-heure! C’est tellement prévisible! S’agita-t-elle.
-Ça c’est sûr, confirma Olivier. Mais c’est typique: il faut qu’ils perdent un championnat international pour montrer leur ressources et changer leurs techniques. Leur coach se fait vieux. Et puis, ils ont perdu trop de bons joueurs ces dernières années pour faire le poids, détailla-t-il en suivant avec attention les mouvements des joueurs.
-Comment sont tes joueurs? Tu en es content? Demanda Nymphadora, curieuse.
-Eh, répondit Olivier d’un air sceptique. Ils sont difficiles à discipliner. Je ne peux pas compter sur tous, ce qui est évidemment compliqué lorsque j’élabore la stratégie de match, dit-il en pensant, entre autres, à Harry Potter. J’ai du mal à les motiver, parfois. Pour certains d’entre eux, c’est un passe-temps, rien de plus...
-Si seulement ça n’était qu’un passe-temps, murmura-t-elle d’un filet de voix, qu’Olivier entendit malgré le bruit ambiant. Enfin, se reprit-elle, c’est sûr qu’il faut que tu aies un équilibre, à côté de tout ça. Des matières que tu aimes travailler, des possibilités de job intéressantes, des gens avec qui tu te souviens qu’il existe autre chose que le Quidditch, termina-t-elle.
Elle se leva précipitamment, dans le feu de l’action, alors que son équipe préférée marquait: elle hurla si fort qu’Olivier dut se boucher les oreilles. Transportée de joie, elle le serra dans ses bras avec ardeur.
Ses cheveux étaient d’un rose si vif qu’ils semblaient tout droit sortis d’une usine à chewing-gum. Lorsqu’elle le lâcha, Olivier s’écarta doucement, troublé.
-J’aimerais bien avoir quelqu’un qui puisse comprendre lorsque je suis absent, ou que j’arrive trempé après un bon entraînement. Quelqu’un qui soit aussi euphorique que moi après une victoire. Ça, je n’ai jamais trouvé, dit-il après un temps de retard afin de chercher ses mots.
-Des filles passionnées de Quidditch, ça ne doit pas manquer, s’exclama Nymphadora. Ou des garçons, fit-elle avec un clin d’œil suggestif.
-Je ne suis pas gay, répondit Olivier, haussant un sourcil, se demandant comment elle ait pu arriver à une telle conclusion.
La foule était en délire: malgré un match difficile, l’équipe de Nymphadora venait d’attraper le vif d’or et rien ne comptait davantage. Les gradins commençaient déjà à s’éclaircir, chacun cherchant nourriture et boissons après tant d’action. La jeune femme se leva précipitamment.
-Je dois y aller, mon employeur va me tuer. Lui se fiche du Quidditch, déplora-t-elle. Mon congé magique finit dans... Treize minutes, fit-elle en regardant une montre fluorescente si remplie d’aiguilles qu’Olivier se demanda comment elle pouvait lire un tel objet. C’était super de te rencontrer, j’essayerai de venir lors du prochain match à Poudlard. D’ici là, bon courage, et surtout, pas de découragement!
Elle le prit à nouveau dans ses bras, mais Olivier fit durer un peu l’étreinte, presque malgré lui. Elle écarquilla les yeux, et ils échangèrent un regard qui lui confirma ce qu’elle avait deviné. Elle eut un sourire chaleureux qu’Olivier détesta immédiatement; ses cheveux passèrent d’un rose vif à un rose plus doux.
-Tu peux m’écrire, si tu veux. Pour des questions de tactiques, ou n’importe quoi d’autre. Je ne prétends pas donner les meilleurs conseils du monde, hein. Mais voilà, si tu as besoin de partager, dit-elle en haussant les épaules.
Olivier hocha la tête, conscient que c’était une façon de le rejeter en douceur, et la regarda s’éloigner, indécis. Pour la première fois depuis bien longtemps, lorsqu’il s’endormit ce soir-là, ce ne fut pas exclusivement des joueurs de Quidditch qui voltigèrent devant ses yeux.