Le Jardinier by Amnesie
Ancienne histoire coup de coeurSummary:

sélection

C'était à présent institué, Rosier n'enterrait pas les corps.

Son rôle à lui, disait-il avec un clin d'œil entendu, était plutôt de jardiner.

 

(Crédit image : Giuseppe Arcimboldo, L'Eté)


Categories: Autres portraits de personnages Characters: Les Mangemorts, Rosier Sr., Tom Jedusor/Voldemort
Genres: Guerre, Horreur, Tragédie/Drame
Langue: Français
Warnings: Aucun
Challenges: Aucun
Series: Aucun
Chapters: 1 Completed: Oui Word count: 2394 Read: 704 Published: 17/02/2022 Updated: 18/02/2022
Story Notes:

Petit OS sur Rosier Sr, Mangemort contemporain de Tom Jedusor. J'en offre une vision... fleurie !

Un très très grand merci à MarlyMcKinnon pour sa relecture ♥

Le Jardinier by Amnesie
Author's Notes:

TW : mort, violences physiques, discrimination

Ils transportèrent le corps à un kilomètre dans la forêt et, à tour de rôle, creusèrent une tombe profonde sous un grand chêne noir qui surplombait le ruisseau. L'odeur de mort, une odeur de rouille et d'œuf pourri, et peut être aussi d'excréments, chassait celle des pins et de la terre humide. C'était une odeur que son nez délicat n'avait jamais pu supporter, parfum trop capiteux qu'il avait pourtant lui-même propagé.

 

Ça et tant de choses que Rosier avait exécrées durant ses quarante années au service du Seigneur des Ténèbres. Il avait été le premier. Il se demandait parfois, et de plus en plus souvent ces derniers temps, comment il en était arrivé là.

 

oOo

 

Nuit de Walpurgis, 1942

 

Ils étaient jeunes et au milieu de la Forêt Interdite gisait leur premier cadavre. Dans la nuit, l'argent de la Lune était un pâle reflet de celui de son sang. Une flaque argentée s'étendait concentriquement, luisant comme le plus beau des astres à leurs pieds. 

 

Rosier pleurait devant la beauté de cette licorne assassinée.

 

C'est la première chose que l'on apprenait de Rosier. Un jeune homme sensible, disait-on, un esthète, un mécène précoce des Arts occultes. Rosier, pourtant encore sans ASPICS, savait apprécier le spectacle et la grandeur. Rosier savait apprécier Tom.

 

- À genoux. 

 

Il n'hésita pas. Tom, plus jeune, moins noble, appartiendrait, Rosier l'avait compris il y a quelques années, à la Grande Histoire. Comment en douter ? Il connaissait les plus grands rituels de magie noire, donnait vie aux récits mythiques qui l'avaient bercé. Surtout - c'était un secret révélé aux initiés présents pour le meurtre de la licorne -, il parlait Fourchelangue. Et quand ils lui avaient demandé si lui, l'héritier de Serpentard, avait ouvert la Chambre des Secrets, il avait souri. 

 

Un sourire identique à celui qu'il lui offrait à présent : élégant, confiant, effrayant. 

 

Rosier tendit son avant-bras. Il rêvait aussi de l'extase du rituel, celui qui ferait de ses plus proches alliés des Chevaliers. La noblesse restaurée sous la nuit de Walpurgis, assassinant son innocence pour enfin révéler sa puissance. 

 

Tom trancha ses veines de la même lame qui avait achevé la Licorne. Son sang se mêla à celui de la créature, et c'était la mort et la vie en même temps, c'était plus grand qu'un baiser rêvé de Charlotte. 

 

Tom prit sa main et le releva. 

 

Il était le premier.

 

oOo

 

Une fois sorti de Poudlard, quelques années après cette nuit qui les avait tous liés, Rosier avait rapidement charmé la haute société. Fils aîné et beau garçon voyez, chuchotait-on, voyez comme il est grand. Voyez ses longs cils et ses sourires brillants. Voyez sa stature et ses manières, écoutez son phrasé leste, ses soupirs intimes et ses éclats de rire de verre - mais baissez les yeux, car Rosier est dangereux.

 

Auguste Rosier sonnait comme un mois d'été : bavard, lumineux, secrètement orageux. Il transportait avec lui un parfum de jardin ; léger et frivole, délicat, mielleux. Et tout le monde se laissait prendre à son élégante brutalité. 

 

Ce fut lui, pourtant méprisé pour sa médiocre magie - ce fut lui, le fidèle qui acheva le premier moldu dans une forêt d'Albanie. Un unique Diffindo si précis que le sang s'écoula sans éclaboussures le long du torse du paysan, sillonnant entre les ecchymoses en fleur sur sa peau blême. Des ecchymoses en emblème que Rosier faisait désormais éclore sur le bord des chemins empruntés aux côtés de Tom.

 

Nul n'aurait imaginé - nul n'imaginait, en vérité - l'élégant et mondain Rosier courir ces routes sordides. Quand il avait annoncé qu'il s'en allait suivre le mage noir, on s'était étonné. Et son éclat ? Et ses couleurs ? Comment la cour survivrait-elle sans ses divertissements déjà renommés ? 

 

Il avait suivi Tom comme une épopée adolescente, conquérant la magie noire et ses mystères avec une arrogance d'héritier. Et de là-bas, déjà, Auguste ratissait le sol qui les ferait sombrer.

 

Rares étaient ceux qui comprenaient que petit à petit, entre Tom et l'aristocratie, il se positionnait ; car même à l'autre bout du continent, Rosier s'assurait de fleurir à la cour. 

- T'en as pas marre, d'être le toutou des Black ? railla ainsi Mulciber tout en creusant la fosse qui engloutirait le Moldu. Tu leur as même refilé ta petite sœur. 

- Comme dirait les Malefoy, déclara-t-il en ajustant son chapeau, il faut savoir diversifier ses atouts. 

Ses camarades rirent bruyamment dans la nuit, puis il ajouta avec une nonchalance calculée :

- J'ai également proposé Druella à Tom. 

Il fit durer un silence théâtral. Certains sondèrent la forêt pour s'assurer que leur Maître n'était pas revenu depuis qu'il les avait abandonnés à la tâche ingrate d'enterrer Son cadavre. L'un d'eux demanda finalement, abasourdi :

- Il a refusé ?

Un silence, encore, puis il alluma un cigare en inclinant la tête comme pour acquiescer. 

- Selon lui, avoir une épouse nuira à nos affaires.

- Tu m'étonnes, renchérit Yaxley tout en soulevant le cadavre par les pieds. Si tu voyais la mienne...

- C'est ma cousine, connard, grogna Mulciber.

- Justement. T'as vu ta tête ?

 

Rosier ferma les yeux, s'oubliant au présent. Vivre l'excitation des découvertes avec Tom exigeait d'accepter aussi ses désagréments. 

 

Dans son esprit, les inepties des autres Chevaliers et l'odeur du cadavre s'effacèrent, et ce ne fut bientôt que le parfum de camélia sur l'éventail de Charlotte dissimulant à peine sa bouche rieuse. Divin spectacle. Un jour, il rentrerait. Il l'épouserait.

 

oOo

 

Plus tard dans l'année, installés dans la maison d'un homme - ou bien était-ce une femme ? - qu'ils venaient d'enterrer, Rosier plantait, l'air de rien, les graines de l'insubordination.

- Nous étions des Chevaliers. Désormais, nous sommes des Mangemorts

- C'est plus menaçant, fit remarquer Avery.

- Et plus moderne, concéda-t-il non sans ironie. Mais moins élégant, vous en conviendrez.

Ses amis crachèrent la fumée de leur cigare en riant. 

 

- La Marque des Ténèbres ne te plait-elle pas, Auguste ?

En quelques gestes fluides, Rosier retrouva son masque d'humilité. Il adressa un sourire éclatant à son Maître.

- Non, Tom, elle est superbe.

 

Superbe, elle l'était. Sublime - un trésor de magie noir qu'il aurait exhibé en bijou par-dessus ses dentelles, si sa société y avait été assez préparée. Bientôt...

 

Tom sourit et Rosier s'empressa de se lever, remplit une coupe de champagne qu'il lui tendit après cette sorte de danse gracieuse que constituait tous ses mouvements. 

 

- Appelle-moi Voldemort, le menaça Tom en s'emparant le verre qu'il lui offrait.

- Bien sûr, répondit Auguste avec un hochement de tête léger.

 

oOo

 

C'était à présent institué, Rosier n'enterrait pas les corps. Son rôle à lui, disait-il avec un clin d'œil entendu, était plutôt de jardiner.  

 

Il sélectionnait les graines les plus corrompues en fonction du fruit pourri qu'elles apporteraient. Il les examinait. Il semait ainsi l'ivraie avec la satisfaction d'un mauvais dieu, allant tantôt voir un Malefoy pour son or, un Dolohov pour sa baguette ou un Yaxley pour ses faveurs politiques. Il s'assurait ensuite qu'ils grandissent tordus dans l'ombre de leur Maître, arrosant régulièrement le tout du sang de leurs victimes.

 

En d'autres termes, Rosier recrutait les futurs Mangemorts. 

 

Il faisait venir les sorciers du continent : des vignes de son pays natal aux neiges de Russie. Il conseillait, séduisait, s'alliait. Il prospérait. Voilà pourquoi il Le tutoyait.

 

Et une fois chez lui, il se lavait les mains. Il frottait fort, très fort pour retirer la terre et le sang et la mort sous ses ongles. Alors, seulement, la peau rougie d'avoir été tant frottée, il allait embrasser Charlotte. 

 

Avec elle, il se faisait fleuriste. Il l'admirait. Il dansait autour d'elle. Il humait son souffle. Il se penchait pour cueillir un baiser, effleurait sa peau, à peine, comme de peur de l'abimer. Il l'avait épousée.

 

oOo

 

Mignonne, allons voir si...

 

La rosée du matin faisait briller le sang sur la poitrine de leur victime embaumée sous  le soleil d'hiver. 

- Sublime, n'est-ce pas ? chuchota Rosier d'une voix pourtant audible de toute l'assemblée.

Il se tenait à côté du corps comme un prestidigitateur en fin de spectacle. Son audience de nobles sorciers était comme figée depuis que le véritable artiste, Tom, était parti. 

 

C'était ainsi qu'ils procédaient à présent. D'abord, le Seigneur des Ténèbres éblouissait l'aristocratie avec toute la noirceur de ses maléfices et cérémonies. Puis, peu friand des hommes et de leurs mondanités, il laissait son premier Mangemort jouer de ses charmes pour séduire ses pairs. 

 

Rosier se tenait donc face à l'audience de sorciers de Sang Pur, devant le cadavres et les runes, ruines de la cérémonie achevée. 

- Une magie que nous n'aurions jamais du oublier, ajouta-t-il en faisant un pas en avant pour se maquiller d'une ombre.

- Une magie dont tu ne saurais réaliser un fragment, Auguste, intervint un sorcier dont ces quelques mots figèrent l'assemblée. Si je me souviens de tes piètres performances à Poudlard...

- Mais il n'est pas question de moi, Orion, répliqua doucement Rosier.

 

Les lèvres d'Orion Black s'étirèrent lentement en un sourire moqueur, et sa poitrine se contracta, rire silencieux, douloureux, du plus puissant d'entre eux.

 

- Vraiment, Auguste ? 

 

Qu'il était petit, le jardinier, face à l'astre centre de leur univers. Qu'il était invisible, face à la lumière de l'étoile. Qu'importe, Rosier charmait sans y paraître,  jouait des odeurs, et lentement s'infiltrerait celle de ses fleurs. 

 

Orion ne le comprenait pas, mais Rosier n'avait que faire du pouvoir et de la magie. Il s'enivrait des contrastes, jouait à l'équilibriste entre la pureté de Charlotte et la fureur de Tom. Il rêvait une fragmentation du monde dans les contradictions qu'il aurait créées. Parfois, il perdait pied.

 

oOo

 

A mesure que Tom devenait Voldemort, Rosier devenait Auguste. Il présentait au jour les œuvres de son maitre, affichait plus que jamais son visage éclatant. Jamais il n'avait été si grand. 

 

Son jardin regorgeait des plus fines fleurs de l'aristocratie sorcière. Toutes à ses pieds, elles le réclamaient comme un père, brûlant de connaitre sa lumière. 

 

Auguste aurait du comprendre que Tom finirait par se méfier de l'ascension vertigineuse de son jardinier. 

 

Il fallait régulièrement nourrir la terre du sang des Traitres. Alors que le masque de douleur, blanc et tragique d'un ancien Chevalier, disparaissait sous les feuilles mortes, Tom se pencha sur son jardinier :

- Recrute un nouveau Mangemort pour moi. 

- Qui donc, Maître ?

- Ton fils, Auguste. Je veux ton fils. 

Nul besoin de l'interroger, Rosier savait quelle fonction son fils allait remplir. Un gage de sa fidélité. Rosier sentit l'orage s'épaissir dans son corps. Il le souffla brutalement en s'inclinant. Tu auras mon fils, Tom, car quoi de plus grand que son propre sang ? C'était douloureux et spectaculaire. Pour la première fois, Rosier trouva la grandeur amère. 

 

oOo

 

Il ne vint pas lorsque la Marque l'appela après quatorze ans de silence. Il regretta simplement de ne pas avoir assisté au spectacle de sa renaissance. 

 

Rosier n'avait pas trahi Tom. Il ne s'était pas renié en Malefoy, non, c'eût été grossier. Quand on l'avait interrogé, il s'était tu, tel un vieillard mystérieux. Sa sentence ? Ni gracié, ni condamné. Peut-être un peu oublié.

 

Il se présenta tout de même plus tard, excité de constater de ses yeux le prodige.

 

Et Voldemort l'attendait.

- Où étais-tu ? 

- J'enterrais mon fils, répondit-il en souriant. 

- Quatorze ans durant, tu as enterré ton fils ?

- Tu sais comme il était, Tom. Légèrement claustroph...

- Ne m'appelle pas Tom. 

- Alors ne me traite pas comme un de tes Rafleurs, répliqua-t-il durement. J'étais le premier. 

 

En vérité, Tom le dégoûtait. Il l'avait connu beau et distingué, charmant. Auguste avait vieilli, ses mains fines s'étaient ridées et son nez s'était allongé, mais il n'avait pas pris cette odeur de mort et ce physique reptilien. 

 

- Tu as perdu ce titre quand tu m'as abandonné, dit Tom.

- J'enterrais mon fils, répéta-t-il cette fois-ci sans sourire.

 

Le silence s'abattit sur eux et pendant un centième de seconde, il lui sembla qu'ils étaient égaux. Puis Voldemort ordonna :

- Embrasse mes pieds, Auguste.

 

Rosier frissonna. Il avait tué, torturé, saigné. Il n'avait jamais craint de se salir les mains pourvut qu'il ne les salisse pas réellement. Et la crasse de Tom n'avait rien de comparable. Il pensa qu'en un autre temps, il aurait raconté cet épisode comme une plaisanterie entre deux cigares. « Imaginez les pieds du Seigneur des Ténèbres, messieurs. Même ceux de mon Elfe sont plus appétissants. Tiens, Grindy, montre-nous tes pieds. Ne fais pas le timide, Grindy - voilà, regardez et imaginez... »

 

- Ton Maître te dégoûte-t-il ?

 

Ses yeux rouges le sondaient avec une attention morbide. Auguste inspira difficilement les dernières effluves de camélia qu'il lui semblait sentir sur son mouchoir. Il présenta ses mains à la peau pâle et parcheminée, ses mains vides car il avait cessé de jardiner. 

 

- Permets-moi de rester fidèle aux lèvres de ma Charlotte, Tom. Je ne sais embrasser qu'elles. 

 

La poitrine de Tom se gonfla lentement, puis il sourit froidement. Il appela trois de ses Mangemorts.

 

- Prenez-le et enterrez-le vivant. Cet homme a mis quatorze ans à enterrer son fils. Voyons combien de temps il survivra à son propre enterrement.

 

La formule avait le mérite d'être élégante.

 

Rosier avait toujours été piètre duelliste, aussi fallut-il moins d'une minute à ses mauvaises herbes pour l'immobiliser et le trainer hors du manoir.  

 

Voilà donc qu'on portait son corps dans la forêt, trainant cette odeur de mort et de fumier - l'Auguste Rosier s'était chié dessus -, et qu'on creusait à tour de rôle la fosse qui servirait d'écrin à son cadavre. 

 

Rosier respira longtemps la terre noire, les yeux grands ouverts sur les ténèbres les plus opaques, sa poitrine étouffée sous le poids de la forêt. Il vit Charlotte, Charlotte, Charlotte, et ses graines infâmes, ses succès, son fils et son ombre terne et mélancolique, et l'aristocratie ensevelie. Un jardinier aux mains immaculées. Le jardinier enterré.

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