Dorcas et Fury sont passés maîtres dans l'art de connaître avec une exactitude d'une extrême précision le champ de chaque caméra du Shield, des véhicules, et des Quadjets. Cet art s'étend également à savoir quand un collègue passe, quand ils peuvent se faire surprendre par un importun. Cela amène à la fois pas mal de frustration mais entretient également leur désir l'un de l'autre.
Dorcas a montré à Fury à quel point elle maîtrise les sortilèges de discrétion, désillusion et impassibilité. Parce que quand ils trouvent quelques instants pour s'embrasser derrière une porte comme un couple d'adolescents qui n'en peut plus d'attendre pour se redécouvrir l'un l'autre, Dorcas ne veut pas en plus retenir ses soupirs, et si elle est plutôt à l'aise avec la sexualité, Fury l'est encore plus. Bien sûr que l'un et l'autre ont eu des expériences passées, mais là, c'est comme trouver l'exacte part qui leur manque, et ce sentiment de complétude, ils veulent le ressentir encore et encore, et au diable les règlements.
Cela dure quelques semaines, et quand ils se rendent compte que certains collègues un peu plus perspicaces commencent à soupçonner quelque chose, ils changent de stratégie : au lieu de quitter une pièce commune l'un après l'autre, ils se débrouillent pour se donner rendez-vous.
Fury est un amant passionné, Dorcas n'est pas en reste, et ils apprécient tous deux de se retrouver ainsi dans ces moments improvisés qu'ils ont l'impression de voler au Shield, comme deux gamins qui sèchent un cours pour s'embrasser sur un banc.
- Attends, attends, murmure en riant Dorcas, qui lance un sort d'impassibilité sur la porte de leur chambre, alors que Fury embrasse chaque centimètre de peau qu'il découvre au fur et à mesure qu'il ouvre la chemise de la jeune femme, bouton après bouton.
La caméra a été poussée contre le mur et ne peut rien montrer de leurs ébats. D'ailleurs, Fury a soulevé le problème de la vidéosurveillance dans les chambres lors de la dernière réunion, mettant en doute de filmer un quelconque espion russe qui se serait glissé jusque dans les locaux du Shield, et jusque dans leurs chambres. Ce point a été mis à l'ordre du jour et a déchaîné les passions, les autres agents usant de stratagèmes comme des chaussettes sur les caméras pour préserver leur intimité.
Aussi rapide que Fury a commencé, il s'arrête et Dorcas lève la tête vers lui.
- La terre à Dorcas, lui reproche-t-il d'un ton bougon.
Dorcas se tord de rire sous lui et attrape son visage qu'elle embrasse en fermant les yeux. Foutues caméras.
Fury reprend son déboutonnage et l'exploration minutieuse de la peau qu'il dévoile avec ses lèvres avides. Dorcas se débarrasse de ses chaussures qui rebondissent sur le matelas puis le plancher et entreprend de caresser de ses cuisses les flancs de Fury. Une des mains de l'homme quitte son corsage pour se poser sur la jambe de Dorcas, puis glisser jusqu'à son genou.
- On se déshabille, ça ira plus vite ! Suggère la jeune femme, mais Fury secoue la tête de droite à gauche.
- Je te déshabille, et je prends mon temps.
- Oui, mais comme tu es sur moi, cela ne va pas être facile...
Fury éteint ses récriminations en posant ses lèvres sur les siennes, et en éloignant la baguette que la main de Dorcas cherchait à tâtons d'une pichenette. Elle marmonne contre sa bouche, de désir et de frustration mêlés.
Les doigts de Fury atteignent les derniers boutons de la chemise de la sorcière et il effleure son ventre, ce qui la fait se tortiller de rire sous lui. Les mains de Dorcas quittent le visage de Fury et attrapent les siennes mais il plonge vers son cou et embrasse, mordille, lèche la peau sensible, mais la jeune femme s'impatiente. Elle esquisse un sourire en coin que Fury ne voit pas, et une de ses mains serpente jusqu'au pantalon de l'homme et en effleure le renflement avant de chercher à déboutonner, mais Fury attrape sa main et la garde dans la sienne avant de se redresser, de se cogner au lit du dessus et de grimacer.
- Si tu m'avais laissée ma baguette...
- Si tu écoutais ce que je dis...
Dorcas se redresse à son tour et se débarrasse de sa chemise, avant de s'attaquer aux boutons de celle de Fury en couvrant son visage de baisers. La jeune femme frissonne quand elle sent les doigts de l'homme dans son dos, cherchant à dégrafer son soutien-gorge, mais il grogne parce qu'il n'y arrive pas. Avec un sourire coquin, Dorcas s'éloigne de lui et pointe du doigt l'avant de sa lingerie. Fury esquisse la moue agacée de celui qui s'est fait avoir et détache les délicats crochets, dévoilant les deux seins fièrement dressés de Dorcas qui se cambre pour les lui faire admirer. La jeune femme est belle et elle le sait. Et elle est toute à son amant. Elle pouffe de rire devant la mine de Fury, qui peine à se tenir assis sur le matelas de Dorcas.
- Accio baguette, demande-t-elle, la main ouverte. Je vais virer tout ça.
Elle se lève de son lit, se débarrasse nonchalamment de son soutien-gorge et après avoir jeté un œil à Fury, celui-ci s'exécute à sa demande silencieuse et commence à se déshabiller, alors que tout change autour d'eux. Le mur contre lequel est installé le bureau semble reculer de deux bons mètres, le lit du dessus se met à se soulever, et Fury se réfugie contre le mur le temps qu'il se pose au sol. C'est à ce moment que la lumière, perturbée par les flux magiques, se met à clignoter, et Dorcas agite sa baguette vers le plafond, convoquant des chandelles allumées qui flottent dans l'air. Satisfaite, Dorcas pose sa baguette sur le bureau.
Fury a toujours son pantalon, et elle aussi. Voilà qui est contrariant.
Et quand Dorcas le regarde dans les yeux, elle se sent rougir dans ce qu'elle lit de désir et de luxure dans les pupilles sombres de Nick. Elle pose la baguette d'une main rendue un peu tremblante par l'émotion, et lève la tête vers le visage de Nick qui vient de se mettre debout. Les muscles de son torse semblent sculptés par la lumière vacillante des chandelles qui lévitent bien au-dessus d'eux. Bien que Dorcas soit grande, sans ses talons, Nick, si proche d'elle, semble être d'une hauteur écrasante et qui l'impressionne. Et elle comprend pourquoi elle était si peu sûre d'elle quand elle s'est mis en tête de tout faire pour le séduire. Parce qu'il est bien meilleur qu'elle ne le sera jamais.
- La terre à Dorcas, murmure Fury.
Et la jeune femme vient se blottir contre lui, sa peau contre la sienne. Fury l'enveloppe de se bras et embrasse ses cheveux. Il a remarqué qu'elle avait souvent de petits accès de mélancolie pendant l'amour.
- Où en étions-nous ? Chuchote-t-il, et il grimace un sourire quand il la sent rire contre lui et que les mains de Dorcas glissent de son dos à sa ceinture, puis entre eux, et qu'elle s'affaire à défaire sa ceinture puis les boutons de son pantalon qui tombe en accordéon autour de ses chevilles, son caleçon prenant la suite. Il s'en débarrasse et se tient nu devant elle.
- A mon tour, murmure-t-il en s'éloignant d'elle.
Dorcas semble reprendre un peu de confiance en elle, ce qui fait sourire Nick qui ne l'aime tant que lorsqu'elle est pleinement sûre d'elle. La tête un peu penchée, elle le laisse défaire les boutons de son pantalon et s'amuse de le voir si surpris quand il glisse le long de ses jambes fuselées et révèle un porte-jarretelles en dentelle crème. Dorcas lève alors les bras comme ces pin-ups qui sortaient d'immenses gâteaux dans les films en noir et blanc qu'elle a pu voir au cinéma.
- Je ne saurai pas défaire ça, avoue Nick. Garde-le.
Ses yeux sur elle sont brûlants, et elle acquiesce. Ses doigts se glissent dans l'élastique de sa culotte, mais Nick l'arrête, et entreprend de le faire à sa place. Il a l'impression d'avoir devant lui une de ces beautés de papier glacé, mais elle est bien là, en chair et en os, tremblante de froid et d'excitation.
Nick fait la moue devant le corps effilé de Dorcas, la lueur des bougies lui donnant une teinte dorée, mais le porte-jarretelles, aussi magnifique qu'il soit sur elle, est définitivement de trop. Il lance un regard interrogatif à Dorcas qui guide ses mains vers les agrafes sur le côté. Mais il préfère d'abord décrocher les bas et les faire glisser le long de ses jambes et de ses pieds, puis ôter la lingerie fine.
Nick se remet debout, un air d'une douceur infinie sur le visage, et Dorcas vient l'embrasser, faisant la liste en son for intérieur : la porte est bien verrouillée, elle a bien lancé un sort d'impassibilité, personne ne peut les entendre, le lit et la pièce sont modifiés, la lumière vive du néon est éteinte au profit de celle, flottante et plus romantiques, des chandelles qui lévitent...
La liste de Dorcas s'arrête là quand Nick l'entraîne sur le lit, qu'il parcourt son corps de ses lèvres et de ses dents qui mordillent gentiment, et qu'ils ont toute la nuit pour penser uniquement à se donner du plaisir et se montrer qu'ils s'aiment, bien qu'ils ne se le soient pas encore dit.
Les jours et les semaines filent, entre les missions pour le Shield et les réunions au Macusa, Fury et Dorcas n'ont pas le temps de s'ennuyer. Mais quelque chose reste à l'esprit de la jeune femme, comme un truc qu'elle aurait oublié, et qui l'obsède, mais dont elle n'arrive ni à se souvenir, ni à s'en débarrasser.
Fury, habitué maintenant à son caractère lumineux, et à des moments où elle est plus renfermée, s'en accommode sans se poser plus de questions. Cela le gêne encore qu'ils contreviennent au règlement, mais comme le dit si bien Dorcas, elle travaille pour le Macusa avant de travailler pour le Shield, ce qui convient très bien à l'agent qui lui, fait l'exact inverse. Et ce fichu règlement, ils peuvent se le carrer dans le cul, Fury et Dorcas savent parfaitement faire la part des choses, et ils n'ont jamais montré que de l'efficacité sur le terrain. Ils n'ont rien à se reprocher.
Ce matin-là, Dorcas et Fury ont une journée de congé, mais à peine levés, un hibou du Macusa vient toquer au carreau de leur fenêtre. Dorcas lit avec attention le rouleau de parchemin avant de récompenser le hibou et de murmure à Fury, en lui tendant la lettre.
- On a une urgence. Une partie des incendies criminels de New-York seraient d'origine magique. On doit aller dans le quartier de la Fleur de Mai.
Fury déchiffre l'écriture en pattes de mouche de Cromwell avant de lever un sourcil interrogateur.
- Le quartier de la Fleur de Mai est dans Central Park, précise la jeune sorcière.
- Dans Central Park ?
Dorcas sourit. Depuis qu'elle a révélé à Fury qu'elle était une sorcière, il n'a de cesse de lire tout ce qui lui tombe sous la main concernant son monde.
- Les sorciers sont plein de surprise, sourit-elle.
Arrivés par l'entrée qui longe la East 72th street, Dorcas avance d'un bon pas sur la colline aux cerisiers dont tous les fruits sont tombés et craquent sous leurs pas. Fury la suit, se demandant quand même où ce foutu quartier sorcier se trouve, alors qu'ils sont en plein parc, et qu'à part les arbres, la pelouse, les chemins de terre et les bancs, il ne voit pas le moindre bâtiment.
- Tu te souviens du Macusa, qui est un bâtiment jumeau du Woolworth Building ?
Fury acquiesce, silencieusement, alors qu'ils se rapprochent de la statue du Pèlerin qui est au sommet de la colline.
- Eh bien, ici, c'est pareil, annonce Dorcas avec un sourire.
La jeune femme attrape sa baguette devant la statue du Pèlerin, portant un mousquet, et dont la stèle présente une Bible et une épée, le Mayflower, des armes indigènes, et un globe entouré d'outils de navigation. Elle tapote le globe, et dans un crissement de pierre et de métal, une seconde statue de Pèlerin, mais bien différente, s'extirpe de la première. Fury ouvre grand la bouche alors que Dorcas admire avec un air nostalgique la deuxième sculpture, un sorcier portant une robe et un chapeau, tenant dans une de ses mains une baguette et dans l'autre un globe qui tourne à toute vitesse. Quand l'objet magique cesse sa rotation, des engrenages se mettent à tourner quelque part à l'intérieur de la stèle qui finit par s'ouvrir et découvrir un passage.
- Le quartier de la Fleur de Mai n'est pas le plus ancien de New-York, récite Dorcas. Il y en a encore deux autres mais je te les ferai visiter plus tard, à l'occasion.
Dorcas tend sa main à Fury qui la prend dans la sienne, et ils passent dans l'étroit goulot qui semble s'enfoncer sous le parc, mais à la grande surprise de l'homme, ils se retrouvent dans une rue remplie de sorciers et sorcières qui, un peu comme au Macusa, grouillent partout, entrent et sortent de bâtiments, discutent à voix haute à grand renfort de gestes des mains, ce qui donnent l'impression à Fury d'être entré dans une fourmilière dans laquelle on vient de mettre un coup de pied.
Main dans la main, ils descendent les escaliers menant à une rue pavé flanquée de deux rangées de maisons qui rappellent à Fury les vieilles villes européennes.
- Cela a l'air ancien.
- Les bâtiments, oui. Le quartier purement sorcier, non. Cela date de l'érection de la statue, en 1865, je crois.
Dorcas et Fury longent la rue et tournent à l'angle sur la ruelle menant à l'Auberge du Nouveau Monde, où, assis en terrasse, Cromwell les accueille d'un signe de la main, les invitant à le rejoindre. Le chef des Aurors agite sa baguette en l'air, lançant un sort d'impassibilité qui va garantir la confidentialité de leur échange. Dorcas se rend compte qu'elle a vraiment faim en s'asseyant à la table sur laquelle est posée un plateau rempli d'assiettes contenant du bacon grillé, des œufs, des haricots blancs baignant dans une sauce tomate.
- Je peux ? Demande-t-elle alors qu'elle est déjà en train de se servir largement sous les yeux étonnés de Fury qui se contente d'un mug de café et d'une viennoiserie française qui a une forme étrange.
Il tourne l'espèce de croissant dans sa main, se demandant ce qu'est cette bestiole.
- Un niffleur, l'informe Cromwell. Cela ressemble à un ornithorynque, mais ces petites bêtes ont une appétence pour tout ce qui brille.
Le regard de Dorcas se pose sur la devanture de l'Auberge du Nouveau Monde, qui porte le nom de Kowalski. Cela ne lui dit rien.
- On est chez Jacob Kowalski et Queenie Goldstein. Oui, comme Porpentina Goldstein, précise Cromwell à l'interrogation muette de Dorcas.
Cromwell se tourne alors vers Fury et lui précise que les sœurs Goldstein, le Non-Maj Jacob Kowalski, ont aidé les frères Dragonneau à combattre Gellert Grindelwald, des années plus tôt. Il résume brièvement la volonté du mage noir de sortir la société magique du secret et de dominer le monde Non-Maj, jusqu'à ce qu'à l'issue d'un ultime duel contre Albus Dumbledore, Grindelwald soit défait et emprisonné quelque part en Europe de l'Est.
- Albus Dumbledore est le sorcier le plus puissant de notre temps, acquiesce Dorcas, pensive. Mais pourquoi nous avez-vous fait venir, à part nous inviter à ce superbe petit-déjeuner ?
Cromwell les regarde l'un après l'autre avant de se décider à parler.
- Il y a une vague d'incendies criminels à New-York depuis plusieurs semaines. Nous avons des raisons de penser qu'une partie d'entre eux est imputable à un ou plusieurs sorciers, sauf que nous n'arrivons pas à mettre la main sur eux, commence-t-il.
- La police de New-York a arrêté trois incendiaires, précise Nick Fury.
- Mais les incendies continuent, et les pompiers ont vraiment eu du mal à éteindre le dernier, au World Trade Center*. N'avez-vous rien remarqué par rapport aux lieux touchés par ces incendies ?
Dorcas réfléchit, se remémorant ce qu'elle a lu dans les journaux Non-Maj et sorciers.
- Ils touchent uniquement des bâtiments moldus liés à la finance, commence-t-elle.
- Et ?
- Et ils touchent des quartiers sorciers ?
- Bien, Meadowes. Le World Trade Center a été construit sur les Treize Blocs, un des plus anciens quartiers sorciers de New-York, qui date d'avant la Guerre de Sécession.
Dorcas se mit à réfléchir à toute vitesse, associant le lieu des incendies des bâtiments moldus à des ruelles sorcières. Fury se contentait d'écouter, enregistrant ce que les deux sorciers s'échangeaient, car beaucoup de choses lui échappait à son goût.
- La banque sorcière américaine est sous le 70 Pine Street, et Chrysler Building, sur Lexington Avenue, est à l'entrée de la rue commerçante où les élèves et professeurs d'Ilvermorny se fournissent...
Fury s'avance vers Cromwell, interrompant Dorcas qui se tait en le regardant avec des gros yeux.
- Pourquoi faire appel à nous ? Dorcas n'est pas une Auror, et quel est mon rôle dans tout ça ?
- Notre équipe est sur l'affaire depuis que les incendies ont commencé, il y a quinze jours, commence Cromwell.
- Ils ont commencé il y a un mois, rétorque Fury.
- Et il y a quinze jours, nous nous sommes rendus compte qu'ils étaient d'origine magique. Nous avons aidé les pompiers à les éteindre. Et nous avons trouvé des traces de ponte de serpencendre, qui ne peuvent pas vivre ailleurs que dans un endroit magique, sauf qu'ils étaient côté Non-Maj.
- Et ? D'autres indices ? Des suspects ? Un mobile ?
Cromwell se tourne vers Dorcas qui a suivi l'échange avec attention mais n'aime pas ce qu'elle lit dans le regard de l'Auror.
- Pas d'autres indices. Pas de mobile, et juste deux intuitions : des sympathisants de Lord Voldemort en fuite, ou des imitateurs.
L'expression de terreur qui passe sur le visage de Dorcas n'échappe à aucun des deux hommes. Si elle attriste Cromwell, elle énerve Fury qui pointe son doigt vers l'Auror.
- Vous voulez un mobile ? Si ces incendies ont lieu à des endroits qui sont des points de passage entre nos deux mondes, les incendiaires sont sorciers. Ils relèvent de votre juridiction. Le mobile est double : terroriser les Non-Magiques, et envoyer un message aux sorciers. C'est quelqu'un qui peut faire ça seul ? Allumer les incendies ?
Cromwell se cale contre le dossier de sa chaise.
- Les serpencendres vivent une heure. Les incendies ont lieu deux fois par semaine, le temps... commence-t-il.
- Le temps que le sorcier les élève. Ce qui est tout à fait possible dans un contenant en verre avec un sort de réfrigération permettant d'éviter l'explosion du verre. C'est pour ça qu'on est là, Cromwell ? Vous voulez voir Norbert Dragonneau ?
Dorcas fixe la devanture de l'Auberge du Nouveau Monde, avec l'impression un peu amère de s'être fait mener en bateau par Cromwell.
Si c'est un ancien Mangemort, c'est au-dessus de ses forces de l'affronter.
- Vous lui avez fait grande impression, à Guatavita.
Dorcas secoue la tête, maudissant Cromwell d'essayer de la manipuler ainsi.
- Vous n'avez pas besoin de moi pour contacter Norbert Dragonneau.
Cromwell acquiesce doucement, démentant Dorcas.
- Et pourtant si. Le Macusa maintient sa politique de non-intervention envers les ressortissants britanniques et continue de rester à distance de la guerre...
Dorcas se sent bouillir, puis se lève brusquement, s'apprêtant à quitter la bulle d'impassibilité qui les englobe et protège la confidentialité de leur conversation.
- Vous ne pouvez pas me demander ça, Cromwell, et vous le savez ! C'est parfaitement dégueulasse...
Elle refait deux pas avant de revenir.
- Mon statut de réfugiée est dans la balance ?
Cromwell secoue la tête.
- Nous n'irons pas jusque là.
Dorcas comprend alors qu'en apparence, on lui laisse le choix, mais qu'en réalité, elle ne l'a pas. Elle secoue la tête une dernière fois avant de quitter la bulle. Elle veut se calmer. Se rafraîchir. Rassembler ses idées, dompter ses émotions. Elle rentre en trombe dans l'Auberge du Nouveau Monde, bouscule un vieil homme aux impressionnantes moustaches blanches et son tablier tendu sur son ventre bedonnant, repère le panneau indiquant les toilettes, et file vers ceux pour les femmes. Derrière elle, l'homme au tablier fronce les sourcils en la regardant partir avant d'adresser un sourire éblouissant à sa femme, qui portent les cheveux blancs et bouclés en une coupe un peu démodée.
- Je vais aller la voir, mon chéri, ne t'inquiète pas. Jette un œil à Monsieur Cromwell, si cela se passe bien avec Monsieur Fury.
Elle l'embrasse sur les lèvres, lui caresse la joue, et entre dans les toilettes à la suite de la jeune femme qui se réfugie dans une des cabines sur laquelle elle lance un sort d'impassibilité, ce qui tait immédiatement les sanglots étouffés que la sorcière a entendu en rentrant.
- Oh, chérie, inutile de vous cacher, je sais que vous vous sentez trahie, mais ce n'est pas du tout l'intention de Monsieur Cromwell, et il n'aime pas du tout devoir vous imposer cela. Je m'appelle Queenie Kowalski. Je suis la sœur de Porpentina Goldstein, qui s'est mariée à Norbert Dragonneau. Norbert m'a dit qu'il vous a rencontrée il y a quelques semaines, et que vous lui avez fait une forte impression.
Dorcas annule le sort d'impassibilité et sort en reniflant de la cabine, essuyant ses yeux d'un geste vif. Queenie s'approche d'elle, toute en sourire et la prend dans ses bras, et c'est comme retrouver une amie très chère, ou une mère, et Dorcas se perd dans cette étreinte, se rendant compte que dans sa vie actuelle, cela lui manque.
- Là, là, chuchote Queenie de sa voix douce, vous vous ferez des amies, bientôt, Dorcas. Il n'y aucun raison de vous en faire pour cela.
Dorcas se raidit dans l'étreinte de Queenie, se demandant si elle lit dans ses pensées. La sorcière plus âgée s'éloigne d'elle, passe ses mains sur ses joues avec un doux sourire.
- Je suis legilimens, je n'ai jamais eu d'effort à faire, les pensées des autres viennent toutes seules dans ma tête. Je sais que c'est perturbant. Mais je fais avec.
- Je préfère discuter qu'on lise dans mon esprit, bougonne Dorcas.
Queenie esquisse une grimace désolée, tout en elle n'est que charme et délicatesse et la jeune sorcière est rapidement conquise par la vieille femme.
- Ah, ben voilà.
Queenie redevient plus sérieuse, ses yeux bleus à l'affût de la moindre expression sur le visage de Dorcas.
- Monsieur Cromwell a besoin de vous pour que l'enquête soit confidentielle, de votre compagnon Nick Fury pour investiguer du côté Non-Maj, et de moi pour écouter les pensées quand on sera tous les trois en mission.
Comme une enfant, elle se met à claquer des mains.
- On va tellement s'amuser tous les trois !
Après avoir adressé un au revoir frisquet à Cromwell, Fury suit Dorcas et Queenie, se demandant pourquoi Cromwell veut associer à une enquête criminelle une sorcière manifestement si âgée.
- Oh, j'aurai quatre-vingts ans l'année prochaine, Nicholas. Les sorciers ont une meilleure constitution que les Non-Maj, vous ne le saviez pas ? Il n'est pas rare que nous dépassions les cent ans tout en restant en très bonne santé !
Fury ne relève pas qu'elle l'ait appelé Nicholas, mais darde un œil interrogateur sur Dorcas qui reste silencieuse.
- Je suis legilimens, précise Queenie, refermant sur elle les pans de son manteau d'un vieux rose et resserrant son écharpe. Oh, il fait si frais, je deviens frileuse en vieillissant. Legilimens, cela signifie que je peux lire vos pensées, il est inutile d'essayer de me le cacher, elles viennent se réfugier dans mon esprit, comme si je les aimantais. Et c'est pour cela que Monsieur Cromwell a pensé à moi. Parce que je ne travaille pas pour le Macusa, l'enquête reste ainsi officieuse.
Dorcas se tend alors qu'elle marche à côté de Fury qui est entre les deux femmes. Si c'est bien d'anciens Mangemorts, elle va encore en faire des cauchemars pendant des semaines, pense-t-elle avec appréhension. Elle ne sait même pas si elle se sent capable d'agir quand elle sera face à eux. Les a-t-elle déjà affrontés ?
- Oh, j'oubliais, prévient Queenie en fouillant dans son petit sac - elle en sort un objet ressemblant à un minuteur de cuisine. Voilà ! Si on est vraiment en difficulté, ce qui n'arrivera pas, parce que je pense les prévoir, on peut utiliser ceci pour appeler à l'aide. C'est un avertisseur.
Fury renifle avec circonspection, et demande alors quel est le plan.
- On doit se rendre sur les lieux des feux. L'incendiaire s'y trouvera peut-être pour admirer les résultats de ses exploits, et c'est là que Queenie nous servira en captant des pensées autour d'elle. Et je l'appréhenderai.
- Et moi ?
Dorcas se tourne vers lui en souriant.
- On est une équipe.
- Vous êtes aussi là pour agir si Dorcas ne le peut pas, Nicholas.
Le sourire de la jeune femme s'efface alors qu'ils se dirigent vers le premier lieu des incendies, le 70 Pine Street.
La journée est passée à toute vitesse, mais Dorcas et surtout Fury sont frustrés par l'absence totale de résultats. Queenie, quant à elle, a bavardé gaiment avec eux toute la journée, ne s'offusquant pas devant les réponses laconiques.
Ils se séparent en se donnant rendez-vous le lendemain en soirée, après leur journée de travail au Shield, tout en promettant de prévenir la vieille sorcière en cas d'imprévu. Ils repartent les bras chargés de boîtes de viennoiseries, de gâteaux et de pain, offertes par un généreux Jacob qui les regarde partir en les saluant de la main.
De retour au quartier général, ils déposent dans la salle de repos toutes les victuailles. Et quand les yeux de Dorcas passent machinalement sur le calendrier affiché sur le mur, ils s'y arrêtent, et d'un coup, cette petite chose qu'elle avait dans la tête, et qu'elle n'arrivait pas à nommer, lui explose en plein visage. Ce doute. Dorcas calcule rapidement dans son esprit la date de ses dernières règles, survenues le lendemain du retour de Guatavita. Près de deux mois. Comment a-t-elle pu ne pas être plus attentive ?
Sentant le regard de Fury dans son dos, Dorcas se ressaisit, et comprend rapidement que son amant a perçu son trouble, mais elle sourit, et ne dit rien. Ils passent comme d'habitude la soirée ensemble, un peu à l'écart de leurs collègues qui ne sont plus vraiment dupes mais n'en parlent pas.
Le soir, quand ils se couchent l'un près de l'autre, Dorcas plus en recherche d'une présence douce et rassurante que d'une folle nuit passionnée qui la laissera éreintée, elle s'endort doucement dans les bras de Nick alors que d'une main distraite il lui caresse son dos nu.
Il ne faut pas longtemps à Dorcas pour plonger dans ce cauchemar familier où elle tombe d'une hauteur folle et se vide de son sang, comme un ballon se dégonfle. Elle se réveille en sanglotant dans les bras de Nick, sa main sur son ventre, en une faible protection. Elle sent dans ses cheveux et sur son front les baisers de son amant, et la force de son étreinte lui ôte toute peur.
Sortant des limbes de son cauchemar, se reprenant, reniflant et essuyant ses yeux, Dorcas lâche ce qui lui pèse.
- J'ai du retard...
Elle lève les yeux vers Nick, son expression indéchiffrable. Et quand elle perçoit dans son regard une lueur de compréhension, il murmure :
- Donc tu dis que...
Dorcas grimace d'incertitude et acquiesce, de nouveau au bord des larmes. Et l'étreinte féroce de Nick qui la serre contre lui, l'entoure de ses bras puissants et de ses baisers rassurants, la berce de paroles d'amour, sont autant de preuves qu'il ne la laissera pas seule.
Jamais.