Dieu qu'elle était belle, si blanche, si claire
Ce dimanche de janvier
Dimanche 30 janvier 1979. Le ciel gris s’était éclairci malgré le vent froid et les précipitations matinales. Quelques rayons de soleil avaient percé l’épaisse couche de nuage recouvrant Londres, baignant les paysages glacés d’une douce lueur dorée. Mais il n’avait d’yeux que pour elle, qui souriait de cette manière qu’il aimait tant. C’était comme si l’astre du jour avait voulu lui rendre hommage en la faisant resplendir en ce jour si spécial pour elle.
En ce jour maudit pour lui.
Dieu qu'elle était celle que j'attendais,
Telle que je l'avais tant rêvée
Jamais elle n’avait paru aussi rayonnante, aussi magnifique qu’à cet instant. Jamais il ne l’avait vue ainsi. Peut-être parce qu’il n’avait jamais été capable de la rendre heureuse. Pourtant, il s’était toujours tenu à ses côtés, même quand elle ne s’en doutait pas. Il avait tout fait pour la protéger, même si cela signifiait la perdre à jamais. Elle était son rêve, celui qui le maintenait en vie, celui qu’il ne pourrait jamais atteindre de ses mains quand bien même il le désirait. En ce moment qu’il avait tant imaginé dans le passé quand il était seul, quand il se permettait d’y penser rien que pendant quelques infimes secondes, il réalisa amèrement que son rêve s’était bel et bien brisé, même s’il avait dû attendre le moment fatidique pour être obligé de l’accepter.
Amère utopie.
Je ne me souviens guère des gens
Ni de l'hiver, je n'ai vu qu'elle et ça n'a plus changé
Il avait peu de souvenirs de son enfance, avant qu’il n’entre à l’école de sorcellerie de Poudlard. Il habitait dans une rue assez sinistre, où le moindre éclat de lumière révélait la misère et la souffrance dissimulée dans l’ombre des murs sales. Il avait vite appris à se découper de son environnement, ignorant les corps étendus contre les pierres froides, ou les voix grasses quémandant sans cesse, le raillant d’être si chétif et si disgracieux. Il connaissait la sensation du froid s’incrustant cruellement dans chacun de ses membres, engourdissant le corps jusqu’à ce qu’il en devienne douloureux. Il avait détesté la neige, manteau immaculé, qui se déposait inlassablement chaque année sur son quartier délabré, semblant se moquer de la noirceur qu’elle narguait de sa blancheur cristalline. Jusqu’à ce qu’il la rencontre et que ses yeux comprennent le véritable sens de la « beauté », au point d’être incapable de s’en détourner.
Au point de ne plus voir autre chose qu’elle.
Dieu qu'elle était belle, en une étincelle
Ma vie s'est illuminée
Il avait continué à s’échapper de cet endroit maudit tous les jours, mais au lieu d’errer n’importe où, à exercer sa magie qu’il maîtrisait de mieux en mieux, il allait la voir. Elle était souvent accompagnée de sa « sœur » mais il s’en moquait : il ne la regardait pas, elle. Il ne l’aimait pas de toute manière, elle n’était qu’une moldue désagréable. Il préférait infiniment plus observer les reflets dorés de la chevelure rousse ondulant dans la brise automnale, entendre le rire aigu qui vrillait ses oreilles de leur gaieté si communicative, ou tenter de se noyer dans les yeux émeraude qui l’attiraient comme un papillon ayant trouvé sa lumière.
Bien qu’inconscient qu’il s’y brûlerait sans doute les ailes.
Dieu que j'ai dû ruser, pour enfin l'approcher,
Pour un peu l'apprivoiser
Il avait préparé cette rencontre maintes et maintes fois, répétant inlassablement chaque mot qu’il allait enfin lui dire. Mais ça ne s’était pas du tout passé comme il l’avait voulu et il était rentré avec la boule au ventre. Il y était habitué depuis le temps, mais cette fois, la raison avait été toute autre et c’était ce qui avait probablement empiré le sentiment de honte et de culpabilité l’accablant. Il avait juré de s’excuser pour son comportement, même s’il ne comprenait pas ce qu’il avait dit de mal. Mais qu’est-ce qu’étaient quelques pauvres excuses contre la possibilité de lui parler à nouveau ? Assurément rien. Alors il y était retourné. Il avait dû attendre longtemps pour la voir seul à seul, parce qu’il lui était interdit de l’approcher quand sa stupide sœur était dans les parages. Ça n’avait pas été simple, alors il avait dû user d’un peu de magie. Evidemment, elle ne le savait pas, et il ne comptait pas le lui dire un jour, mais il avait été content de voir qu’elle ne le fuyait pas quand elle était face à lui. Même si de longs mois avaient été nécessaires pour qu’elle se mette enfin à lui sourire de cette manière si franche qui la caractérisait tant.
Ce sourire qu’il avait tant aimé.
La regarder vivre, bouger, sourire,
Jamais je ne m'en lassais
Il avait bu chacun de ses mots, suivi chacun de ses gestes, admiré chacune de ses expressions animant son visage constellé de taches de rousseur. Il adorait particulièrement l’envie de tout connaître qu’elle arborait quand elle lui demandait de parler du monde sorcier, de leur monde, dont elle ignorait tout, enfermée dans son existence moldue. Il s’était senti important quand elle était à ses côtés, il s’était senti enfin vivant, en particulier quand elle prononçait son nom. Il n’avait jamais aimé ce nom que sa mère lui avait donné, il le haïssait même. Sauf quand c’était ces lèvres si blanches qui le prononçaient avec une affection qu’il n’aurait jamais cru pouvoir recevoir un jour. C’était ça, la vie, n’est-ce pas ? Attendre avec impatience le jour suivant, que la nuit passe un battement de sourcil pour pouvoir se précipiter au dehors et la revoir. Entendre sa voix le réprimander quand il se moquait de sa sœur, sentir son cœur se serrer lorsqu’elle le gratifiait de son sourire éclatant, rire avec elle en expérimentant leurs nouveaux pouvoirs, et surtout, se perdre dans l’intensité de son regard, si profond, si généreux, si lumineux de vérité.
Si différent du sien.
Dieu qu'elle était mienne dans mes nuits
Mes rêves, j'en rougissais quand je la revoyais
Parfois, il s’était maudit d’être capable de l’imaginer ainsi, semblant si faible alors qu’elle était si forte au quotidien. Poudlard avait changé beaucoup de choses entre eux, et s’ils se croisaient parfois dans les couloirs, il avait été difficile pour eux de se retrouver seul à seul. Les premiers temps avaient été tellement durs qu’il en était presque devenu malade. Elle était aussitôt accourue le voir, inquiète, comme à son habitude. Quel étrange sentiment que de se haïr pour l’avoir rendue soucieuse et en même temps, d’être envahi par une joie sans égale en ayant réalisé qu’elle faisait attention à lui. Qu’elle tenait à lui, malgré leurs maisons qui les séparaient, le temps qui avançait sans les attendre. Il suffisait qu’il croise son regard à midi, ou qu’il effleure sa main à la bibliothèque pour qu’elle envahisse son sommeil sans lui laisser la moindre chance de répit.
Elle lui avait fait perdre l’esprit.
Mais ses bises légères, ami, presque frère,
Dieu que je les détestais
Cependant, il n’y avait que chez lui que ce sentiment avait évolué. Il n’y avait que lui qui la voyait de cette manière, alors qu’elle continuait de le couver de ce même regard si maternel, si enfantin, bien que toujours aussi beau. Elle semblait se moquer de ce qu’il se passait autour d’elle, comme si son changement d’apparence n’avait rien changé dans ses relations. Elle avait pourtant dû le remarquer non ? Tous ces gars, tous ces nouveaux regards… elle était intelligente, très intelligente même. Alors pourquoi ne le comprenait-elle pas ? Ses sentiments n’étaient-ils pas assez forts pour l’atteindre, pour lui dire, qu’il souffrait d’être son ami. Souffrance baignée de douceur, de savoir que contrairement à certains, il avait une place spéciale dans son cœur. Que pouvait-il faire ? Pas grand-chose. Continuer de veiller sur elle dans l’ombre, comme il avait choisi de le faire parce que c’était la manière la plus efficace, bien qu’étant aussi la plus douloureuse. Elle n’en savait rien, elle n’en saurait jamais rien.
Elle n’en avait jamais rien su.
Dieu que ce fut clair dans ses yeux, ses airs,
Quand j'ai vu l'autre approcher
Même si elle le remettait sèchement à sa place, même si elle l’ignorait avec superbe, même si elle s’énervait contre lui, il avait mal. Parce qu’elle ne l’avait plus regardé, tellement occupée à « dresser » Potter. Mais qu’est-ce qu’elle pouvait bien lui trouver ? Il était arrogant, stupide, et se conduisait comme si tout lui appartenait. Pourquoi ne lui faisait-elle pas comprendre une fois pour toutes qu’elle n’en avait rien à faire de lui ? Qu’il arrête donc de lui tourner autour de manière si éhontée. Elle n’avait pas besoin de lui, qu’il aille donc embêter quelqu’un d’autre ! Mais il avait été incapable de le lui dire, et quand il la voyait, ses mots s’emmêlaient et tout partait de travers. Elle ne lui faisait que des reproches, comme s’il était comme l’autre crétin. C’en avait été frustrant de voir qu’elle se comportait de la même manière qu’avec lui envers les autres, comme s’il était juste une simple connaissance, alors qu’ils avaient partagés beaucoup de choses ensemble et qu’il avait suffi à un abruti bouffi de suffisance de faire quelques pirouettes pour qu’elle lui donne de son attention.
Il n’avait jamais imaginé que son cœur puisse se briser aussi facilement.
En propriétaire, ses mots, ses manières,
Moi je n'étais pas assez
Il avait détesté chaque jour où il les voyait ensemble, quand il posait ses mains sur elle, quand elle riait à ses blagues ou qu’elle faisait semblant de s’énerver contre lui. Il avait haï les journées ensoleillées dans le parc pendant qu’ils dormaient l’un à côté de l’autre, chaque instant qu’elle lui dévouait alors qu’elle ne le regardait même plus. Et même s’il nourrissait une rancœur intarissable à l’égard de James Potter, il savait que cette situation avait été inévitable. Il l’avait fait pour la protéger, comme il s’était évertué à le faire depuis qu’ils s’étaient connus, même si lui, devait en pâtir à chaque seconde où ses yeux se posaient sur son visage si animé. Il l’avait blessée, volontairement, pour qu’elle s’éloigne de lui. Ils étaient trop différents, il y avait trop de risques, et il ne pouvait pas se permettre de la perdre simplement à cause de son égoïsme. Et quand bien même il était mort un peu plus chaque jour en la voyant avec Potter, il s’était forcé à admettre qu’elle aurait un meilleur avenir avec lui, et qu’il n’aurait qu’à continuer de la protéger dans l’ombre, ainsi qu’il l’avait toujours fait. Il n’avait pas été assez fort pour la protéger, et elle avait trouvé quelqu’un d’autre.
Quelqu’un pour l’aimer.
Dieu qu'elle est cruelle, la vie si cruelle,
Quand je l'ai vu la gagner
Jamais il n’aurait cru pouvoir voir son cœur lacéré encore plus. Et pourtant, il était bien là, en ce dimanche 30 janvier 1979, dans son costume qu’il s’était forcé à porter pour l’occasion même s’il savait qu’elle ne le verrait pas. Il était resté dans l’ombre, mais comme les invités se comptaient sur le bout des doigts, il n’avait pas eu trop d’efforts à fournir pour se fondre dans le décor. Il ne connaissait rien aux mariages moldus, mais c’était sans doute les pires mariages existants. Elle s’était avancée au bras de Black dans la petite chapelle décorée pour l’occasion, jusqu’à l’autel où attendait le prêtre. Puis il était arrivé, au bras de Lupin, victorieux. Marchant fièrement vers elle, arborant ce sourire stupide qui le faisait vomir. Mais ce qui lui coupa le souffle fut sûrement quand il croisa ses yeux verts. Ces yeux qui ne l’avaient plus regardé depuis cette fameuse année, ces yeux qui lui avaient donné autant d’amour que de haine. Ces yeux qui ne le voyaient pas cependant, même s’il était bien là, invisible, et qui brillaient d’une flamme ne lui étant pas destinée, et qui ne le serait jamais.
Ces yeux qu’il était condamné à ne plus jamais revoir.
Dieu qu'elle était belle, si blanche, si claire,
Dans sa robe de mariée.