Ginny savait qu’elle aurait dû être morte d’inquiétude en cet après-midi ensoleillé. Après tout, Harry se préparait à faire la première tâche du Tournoi des Trois sorciers, elle ne savait pas ce qui l’attendait, mais sachant ce qu’Hermione lui avait appris sur les précédents Tournois, ça allait sans doute être dangereux.
Mais en marchant du château vers les estrades surélevées, entourée de centaines d’élèves qui criaient, s’amusaient, riaient, Ginny ne pouvait empêcher l’excitation ambiante de la gagner. Colin, Danny, Romilda et elle se trouvèrent de bonnes places, à quelques mètres seulement du bas de l’estrade. Devant eux, avant les premiers arbres de la forêt interdite, un large ovale avait été complètement transformé : il n’y avait plus d’herbe, que des gros rochers et de la terre sèche. Et au centre, un nid avec de gros œufs gris pierre qui semblaient prêts à éclore d’un moment à l’autre.
— Qu’est-ce que tu penses que c’est ? demanda Danny, à sa gauche.
— C’est des œufs de dragon au milieu, non ? dit Colin. Ça ressemble, je crois.
Ginny ouvrit la bouche pour répondre qu’elle espérait que non, quand même. Elle se souvenait de la crise qu’avait faite sa mère le jour où Charlie leur avait annoncé son intention de partir en Roumanie pour travailler avec ces bêtes dangereuses : « Non, tu vas te faire brûle, manger, piétiner, c’est bien trop dangereux, je t’interdis de partir ! » Malgré son intérêt pour les lettres et les photos que lui envoyait son grand frère, Ginny n’avait quand même pas envie de voir un dragon en chair et en os à Poudlard – encore moins si Harry était enfermé dans l’enclos avec lui ! Mais avant qu’elle ne puisse dire quoi que ce soit, Romilda lui tira la manche, demandant son attention.
— Tu le connais ?
Ginny suivit son doigt étendu pour voir un homme roux qui entrait dans l’arène et se dirigeait vers le nid. Elle s’apprêtait à protester que tous les gens roux ne se connaissaient pas forcément quand elle le reconnut et sursauta.
— C’est Charlie ! dit-elle. Mon grand frère !
— Celui qui s’occupe des dragons ?
— Ouais.
— Alors c’est vraiment des œufs de dragon ! s’exclama Colin avec fierté. J’avais raison !
Le cœur de Ginny plongea vers ses talons. Malheureusement, oui, il avait raison.
— Mais attends… Tu ne crois pas vraiment qu’ils vont vraiment les faire affronter des dragons ? dit Colin. C’est beaucoup trop dangereux !
Ginny eut envie de frapper son ami.
— Il y a déjà des gens qui sont morts pendant les Tournois, Colin. Bien sûr que c’est dangereux.
— Pourquoi tu crois que ça a été banni pendant des années ? ajouta Danny.
— Non, mais quand même, je suis sûr que Dumbledore ne permettrait pas…
La voix de Colin s’estompa, mais sa bouche resta ouverte et ses yeux écarquillés alors qu’il regardait Charlie et ses collègues amener un immense dragon bleu pâle dans l’arène. Tout autour d’elle, Ginny entendait des exclamations de surprise, d’admiration et d’horreur alors que dans l’arène, les sorciers faisaient doucement avancer le dragon – la dragonne, supposa-t-elle – vers les œufs, et l’enchaînèrent au sol avant de sortir en quatrième vitesse. Aussitôt, la voix de Ludo Verpey retentit.
— Bienvenue à tous à cette première tâche du Tournoi des Trois sorciers ! Si vous n’avez pas reconnu que c’est un dragon qui se tient devant vous, je crois que j’aurai quelques mots à adresser à votre professeur de soins aux créatures magiques !
Verpey eut un rire gras, que peu des élèves de l’auditoire partagèrent. Il se racla la gorge et poursuivit.
— Hum, oui, bref. L’objectif des champions sera de récupérer l’œuf doré qui est caché parmi les autres œufs, dans le nid. Ils pourront utiliser la méthode qu’ils souhaitent, et nos juges leur donneront suite à leur réussite une note sur dix.
Le commentateur fit un geste vers sa gauche, où les directeurs des écoles impliquées dans le Tournoi étaient installés.
— Sans plus attendre, accueillons le premier champion de Poudlard, Cédric Diggory !
Tout en applaudissant avec ses camarades, Ginny se demanda si elle devait être soulagée que Harry ne passe pas en premier et aurait donc plus de temps pour se préparer mentalement, ou déçue de devoir continuer à stresser pendant elle ne savait combien de temps encore.
Son ami fut chassé de son esprit quelques moments plus tard, par contre, quand Cédric s’avança et que la dragonne le remarqua. Ginny commença à se ronger les ongles, habitude qu’elle avait pourtant perdue des années auparavant. Avec tous ceux qui l’entouraient, elle se demanda ce que Cédric prévoyait faire, applaudit quand un chien apparut devant lui, retint son souffle quand l’immense tête de la dragonne se mit à suivre l’animal et que le jeune homme s’approchait subrepticement du nid.
— Oh non !
La bête s’était retournée vers Cédric et, avec un grognement courroucé, lui lança un jet de flammes. Ginny cria et se cacha le visage dans les mains… pour le relever aussitôt quand le monde autour d’elle explosa de cris de triomphe et d’applaudissements. Confuse, elle se leva à son tour. Dans l’arène, elle vit Cédric, la moitié du visage rouge vif, mais souriant d’une oreille à l’autre, brandissant à bout de bras un œuf de métal doré. De l’autre côté de l’arène, Charlie et ses collègues tentaient de maîtriser le dragon bleu, tirant sur ses chaînes et lui lançant des sortilèges.
Éventuellement, les élèves se rassirent et l’attente pour le prochain dragon et le prochain champion commença. Ginny remarqua que Romilda avait le cou étiré et fouillait l’arène vide des yeux.
— Qu’est-ce que tu cherches, Rommie ?
— Le chien, répondit la jeune fille. Ils vont quand même pas le laisser là avec les autres dragons, tu crois ?
— C’est ça qui t’inquiète ? demanda Danny avec un rire. Tu as un drôle de sens des priorités.
— Je suis certaine qu’ils s’en sont déjà occupés, répondit Ginny en envoyant un coup de coude dans les côtes de son ami.
Bientôt, ils virent du mouvement près de la tente des champions, et Verpey se leva à nouveau. Il dirigea la baguette vers sa gorge.
— Et maintenant, accueillons bien chaleureusement notre championne de Beauxbâtons, mademoiselle Fleur Delacour !
Les applaudissements étaient presque aussi forts que ceux qui avaient accueilli Cédric, et provenaient majoritairement de la gent masculine de l’auditoire. Ginny regarda la jeune femme blonde qui s’avançait vers le dragon émeraude. Même d’ici, elle voyait que son visage était un peu vert, et que ses doigts étaient crispés autour de sa baguette, mais elle marchait toujours avec son habituel port altier. Eh bien, c’est pas tes beaux cheveux qui vont t’aider ici, pensa Ginny.
— Elle est trop belle, soupira Danny.
Même Colin arborait un sourire stupide en la regardant. Ginny renifla dédaigneusement.
Dans l’arène, Fleur marchait lentement vers la dragonne, qui ne la quittait pas des yeux. Ginny se sentait moins nerveuse qu’au tour de Cédric, énormément moins sans doute que quand Harry apparaîtrait à son tour, mais même malgré son dédain pour la Française, elle ne pouvait s’empêcher d’espérer que tout se passerait bien. Elle n’était pas cruelle quand même.
À quelques mètres du nid, à moitié cachée derrière un rocher, Fleur leva sa baguette et se mit à lancer des sorts devant le visage du dragon. Ginny n’entendait pas ce qu’elle disait, et n’arrivait pas à comprendre le plan de la championne. Visiblement, elle ne tentait pas de blesser la bête ou de la faire bouger, elle y était depuis plusieurs minutes et il ne se passait rien…
— Regardez ! s’exclama Colin en empoignant le coude de Ginny. Il s’endort !
La jeune fille plissa les yeux et vit que son ami avait raison : les paupières de la dragonne papillonnaient et sa tête, au bout de son long cou, oscillait de gauche à droite, comme si elle avait du mal à rester droite.
Au bout de quelques minutes supplémentaires, Fleur sortit de sa cachette et commença à se diriger vers le nid, continuant à hypnotiser la dragonne.
— Mais il est toujours réveillé ! cria Danny. C’est encore trop dangereux.
Ginny ouvrit la bouche pour répondre qu’elle ne voulait sans doute pas perdre plus de temps, quand le reptile à moitié endormi laissa échapper ce qui ressemblait à un hoquet ou un ronflement, et enflamma la jupe de Fleur. Elle grimaça de sympathie quand la championne dut éteindre le brasier à l’aide de sa baguette, puis applaudit poliment avec tout le monde quand, à son tour, elle posa la main sur l’œuf doré.
En moins de temps qu’il ne fallait pour le dire, c’était au tour du champion de Durmstrang. Si l’accueil qui avait été réservé à Fleur avait été bruyant, celui de Krum fut tonitruant ; les filles hurlaient, les fans de Quidditch l’acclamaient. Même Ginny s’était mise debout et sautillait sur place, tentant de voir ce que faisait le jeune homme par-dessus les têtes aux alentours.
— Tu l’as vu à la coupe du monde cet été, pas vrai ? hurla Colin dans son oreille. Chanceuse !
Quand finalement la foule se calma et se rassit, et que Ginny put avoir une vision claire de l’arène, elle constata avec amusement que le dragon n’avait pas l’air dérangé le moins du monde par le vacarme qui l’avait entouré. Krum bougeait peu, mais les yeux du reptile d’un bleu acier ne le quittaient pas.
— À ton avis il va faire quoi ? demanda-t-elle à Ginny à Romilda.
Elle-même n’avait aucune idée de comment elle aurait fait face à cette tâche ; la métamorphose de Cédric avait été bien au-delà de son niveau, et elle ne savait même pas quels sortilèges avait utilisés Fleur. Alors elle ne savait pas du tout comment Krum pourrait s’en sortir. Et Harry… Elle déglutit.
Au centre de l’arène, Krum brandit sa baguette, et Ginny s’avança jusqu’au bout de son siège. Le joueur de Quidditch cria quelques mots qu’elle ne comprit pas, et un jet orange se dirigea directement vers la dragonne.
— Aïe !
Les expressions d’effarement de la foule quand le jet de magie frappa l’œil de l’animal furent noyées par son hurlement de surprise et de douleur. Ginny grimaça de sympathie quand, désorientée, la dragonne ne put s’empêcher de marcher sur ses œufs et les détruire.
— C’était des vrais bébés ! s’exclama Romilda. Je croyais que c’était des pierres !
— Tu pleures pour ça ? se moqua Danny.
— Non, mais je suis d’accord avec elle, hein ! répliqua Ginny. C’était brutal, ce qu’il a fait, j’espère qu’il va perdre des points.
Pendant ce temps-là, le champion de Durmstrang avait lui aussi posé les mains sur l’œuf doré et le brandissait devant ses partisans. Ceux-ci applaudissaient encore, mais avec nettement moins d’enthousiasme qu’à son arrivée ; non seulement il avait blessé la dragonne, ce qui déplaisait à nombre d’élèves, mais en plus il avait accompli la tâche beaucoup plus rapidement que Cédric. Ce n’était pas pour faire plaisir aux supporters de Poudlard.
Durant la pause qui suivit la performance de Krum, Ginny et ses amis redoublèrent d’attention. Ils surveillèrent Charlie et ses collègues guider un dragon noir – et plutôt réticent – vers son nid.
— C’est moi ou il a l’air encore plus vicieux que les autres ? demanda Colin d’une petite voix.
Ginny acquiesça sans rien dire. C’était peut-être seulement parce que c’était au tour de Harry et qu’elle craignait pour lui, mais la bête avait l’air encore moins contente que ses prédécesseurs de se trouver dans l’arène. Les hommes qui tiraient sur ses chaînes le faisaient à grand renfort de cris et de directives. Si c’était à cela que Charlie faisait face tous les jours, se dit Ginny quand la dragonne envoya un jet de flammes vers le ciel, elle comprenait bien sa mère d’avoir peur pour lui.
Finalement, l’animal fut installé, Ludo Verpey siffla, et le dernier champion émergea de la tente. Ginny ne se rendit même pas compte des bruits qui l’entouraient tant elle était nerveuse. Romilda lui dit quelque chose à l’oreille, mais elle n’enregistra pas, ne détourna même pas le regard.
Au centre de l’arène, Harry s’avançait vers la bête, qui le regardait venir d’un œil mauvais. Le visage du jeune homme était pâle, comme l’avaient été ceux des autres champions, mais il n’y avait aucune hésitation dans ses mouvements. Il s’arrêta près d’un haut rocher, hors de portée du dragon, et brandit sa baguette, la dirigeant vers le château.
— Qu’est-ce qu’il fiche ? demanda Danny. Le dragon est dans l’autre direction !
Ginny fronça les sourcils. Elle ne comprenait pas, elle non plus. Elle ne doutait pas que c’était une idée d’Hermione, que c’était donc une bonne idée, mais… Elle tourna la tête pour regarder dans la direction où Harry avait lancé ce sortilège, et un mouvement attira son regard. Elle plissa les yeux et, après quelques secondes, laissa échapper un cri.
— Son balai ! s’exclama-t-elle. Il a fait venir son Éclair de Feu !
Presque immédiatement, la rumeur se répandit parmi tous les spectateurs. Tous voyaient maintenant le balai s’approcher à toute vitesse, jusqu’à ce qu’il s’arrête tout près du champion. Harry l’enfourcha et s’envola, le vent soufflant dans ses cheveux et ramenant de la couleur dans ses joues. Ginny éclata de rire. Instantanément, il était entré dans son élément, et elle n’avait plus aucun doute qu’il allait battre la dragonne et gagner cette première épreuve.
Devant eux, Harry grimpa presque verticalement pour se placer au-dessus de la tête de l’animal. La foule était en liesse autour de Ginny et ses amis, tous semblant avoir oublié qu’ils préféraient Cédric à Harry. Même ceux qui portaient fièrement le badge concocté par Malefoy et ses amis étaient debout et applaudissaient les prouesses du jeune garçon devant eux. Ils criaient leur encouragement quand il descendait en piqué, s’exclamaient d’effroi quand la dragonne crachait son feu sur la trajectoire du balai, soupiraient de soulagement quand ils remarquaient que Harry n’était déjà plus là.
— Merlin, c’est qu’il sait voler ce garçon ! s’exclama Verpey. Vous regardez ça, monsieur Krum ?
Quand il tenta à nouveau la même feinte, quelques minutes plus tard, et que la queue du reptile l’atteignit à l’épaule, les expressions de dépit de la foule furent sonores. Ginny se plaqua une main sur la bouche et regarda son ami, qui s’était éloigné d’eux. Sur son habit noir, on ne voyait pas s’il saignait, mais… au moins il continuait à voler.
Il revint se placer juste au-dessus de l’animal et tournait en rond, ne semblant pas vouloir monter ni redescendre en piqué. Au bout de son long cou, la tête de la dragonne le suivait, oscillant d’un côté, puis de l’autre… Comme Pattenrond lorsqu’il chassait une mouche particulièrement enquiquinante.
Tout d’un coup, Ginny comprenait ce que Harry essayait de faire, et se mit à marmonner ses propres encouragements à l’animal.
— Allez, lève-toi ! Tu sais que tu le veux, alors bouge tes grosses fesses et va le chercher !
Après ce qui semblait une éternité – mais n’était en vérité qu’à peine plus qu’une minute –, les ailes noires du dragon s’écartèrent de son corps, donnèrent un puissant coup qui poussa un coup de vent jusque dans les estrades, et elle quitta le sol et le nid qu’elle protégeait jalousement.
Mais la mouche qu’elle voulait manger n’était plus là. Elle tourna la tête avec un cri de rage, mais il était trop tard : Harry avait déjà mis les mains sur l’objet de sa quête et survolait la foule en liesse, brandissant l’œuf doré à bout de bras.
Aussitôt avait-elle vu Harry se mettre à plonger que Ginny s’était levée, sautant et applaudissant à tout rompre. Elle n’aurait plus de voix le lendemain – peut-être plus de tympans non plus –, mais cela lui importait peu. Pour le moment, la foule n’était plus qu’une seule entité, hurlant de toutes ses forces sa joie de voir son champion réussir sa tâche avec brio.
L’euphorie dura un long moment. Charlie et ses collègues vinrent chercher la dragonne, furieuse d’avoir été battue. Harry posa les pieds au sol, tenant l’œuf sous son bras indemne et gardant l’autre près de son corps, pour rejoindre plusieurs professeurs de Poudlard qui l’accueillirent avec des sourires et, Ginny n’en doutait pas, des félicitations. Elle vit aussi Hermione et Ron, souriants eux aussi, se diriger à la course vers la tente des champions.
Le calme revint seulement une fois que l’arène se fut vidée, que tous les gens importants se furent retirés. Alors la foule se rassit pour attendre les scores des juges – même si personne ne doutait, à présent, que Harry en obtiendrait d’excellents.
À côté de Ginny, Colin se posa une main sur la poitrine.
— J’ai le cœur qui bat à cent milles à l’heure, dit-il d’une voix rauque. Vous croyez que les prochaines tâches vont être moins stressantes ?
Ginny haussa un sourcil. Sa réponse vint en même temps que celles de Danny et de Romilda :
— Non !