Loin du monde by Princesse
Summary:

 

Victoire venait de traîner ses valises jusqu’à la voiture, non sans les cris d’indignations de sa mère, l’incompréhension de son jeune frère et les moqueries de sa sœur. Seul son père semblait comprendre qu’elle avait besoin de partir. Qu’elle en avait besoin maintenant.

- Tu pars pour oublier ? demanda Dominique au dernier moment en retenant le poignet de sa sœur.
- Non, coupa Victoire en se redressant. Je pars pour grandir… et il serai temps que tu fasses la même chose !

L’ainée des Weasley claqua la portière de la voiture, et ses yeux azur glissèrent vers son billet d’avion, là où les lettres formant le mot CAMBODGE semblaient danser sur le papier brillant. Grandir… c’était tout ce qu’elle espérait.

 

Participation au concours "TUT-TUUUT Embarquement Immédiat" de Julia Erwelin et Catie

(Shushuhome, montage de Labige)


Categories: Biographies, Durant Poudlard, "19 ans plus tard" Characters: Victoire Weasley
Genres: Autres genres, Aventure/Action
Langue: Français
Warnings: Aucun
Challenges: Aucun
Series: Take a picture, TU-TUUUT ! Embarquement immédiat !
Chapters: 3 Completed: Oui Word count: 9115 Read: 3585 Published: 22/08/2016 Updated: 29/08/2016
Chapitre 2: Neak Pean by Princesse
Author's Notes:

La suite des aventures de Victoire au Cambodge. Comment la jeune Weasley va-t-elle se débrouiller dans ce pays si différent du sien ? Pour le savoir, il n'y a qu'un moyen... plonger dans l'histoire ; )

 

Merci à Jade Malefoy, Lilys, Sectusempra et Sarah_Valentin pour leurs reviews !




Août venait à peine de commencer, et Victoire, elle, trouvait tout juste  ses repères. Elle avait réussi à construire un certain équilibre entre sa personnalité d’anglaise occidentale et la culture cambodgienne qu’elle appréciait et découvrait de plus en plus.

La jeune fille avait troqué sa garde-robe d’adolescente modèle contre des tenues du pays. Ses shorts en jean et jupes plissées s’étaient vus remplacés par tout un tas de longues jupes portefeuille en coton, pour la journée, ou en soie, pour le soir. Elle portait désormais des  couleurs chaudes, tel que l’ocre, le doré, l’orange, ou le turquoise. Des couleurs dont Victoire n’avait absolument pas l’habitude, bien loin de son traditionnel camaïeu de bleu et de taupe. Ses débardeurs ou chemisiers en coton avaient été gardés mais elle ne se promenait jamais sans une étole en soie blanche ou en parchemina ethnique rose ou lilas dans un sac en bandoulière.
Couvrir ses épaules lorsqu’elle rentrait dans une pagode, un restaurant ou même chez un habitant pour se fournir en épices ou en pâte onctueuse pour les produits de beauté, ne lui paraissait plus incongru ou stupide.
Bien au contraire…
C’était une marque de respect des us et coutumes locales, une marque de maturité aussi et elle ne se sentait plus observée comme un animal de foire à présent. Ses cheveux aussi avaient changés. Elle ne s’occupait plus de les lisser chaque matin, mais elle les laissait boucler et les attachait en une longue tresse comme Evelyn et les femmes de ce pays. Son maquillage était en train de mourir dans le tiroir de sa table de chevet, elle ne s’en était pas servie depuis trois semaines.
Seul son labello et un peu de poudre pour les joues gardaient leur place dans son sac. Et évidemment, ses sandales à talons et ses escarpins avaient élu domicile dans sa valise fermée.  Ses pieds n’étaient plus sublimés désormais que par des petites sandalettes entièrement plates, quand elle ne mettait pas des tennis en toile de coton pour aller se promener.

Mais la transformation de Victoire Weasley ne s’arrêtait pas là… Evelyn et Charlie l’avaient embarqués avec eux dans leurs expéditions à travers le Cambodge où son rôle était d’écrire les rapports sur les interventions faits sur les dragons que lui dictait Evelyn.
Elle était Reptilomage, une sorte de vétérinaire pour les animaux à écailles. Victoire devait aussi trier toutes les archives, ce  que son Oncle n’avait pas fait depuis… depuis une bonne dizaine d’années, soit depuis son arrivée au pays.
Au début, Victoire avait trouvé cela ennuyant, mais à présent, elle adorait se plonger dans les archives de son Oncle, là où la vie fantastique des dragons prenaient forme devant ses yeux. Elle ne s’était jamais rendue compte à quel point ces créatures pouvaient être fascinantes. Dangereusement fascinantes à en juger les bras brulés de Charlie et la jambe couverte de cicatrices d’Evelyn. C’était les risques du métier comme ils disaient, et Victoire n’avait absolument pas le droit de s’approcher des dragons pendant qu’ils les étudiaient aux quatre coins du pays.
Mais elle avait tout de même eu la chance, à Kampot, de toucher la tête d’un bébé Boutefeu chinois, âgé seulement de quelques minutes, après qu’elle ait vue celui-ci éclore de son œuf. C’était la chose la plus touchante et la plus émouvante qu’elle n’ait jamais vue, et voir Evelyn s’en occuper après la mort de la dragonne, chassé par des braconniers pour ses œufs, avait donné à Victoire certaine perspective sur l’avenir. Elle se voyait bien s’occuper d’animaux en voie de disparition.
Pourquoi pas les Dragons même… mais elle n’en était pas encore certaine. D’autres questions continuaient de lui polluer l’esprit. A savoir ce que pouvait bien faire Teddy Lupin en ce moment même, alors qu’elle se trouvait à Siem Reap pour un nouveau périple avec Charlie et Evelyn.
Pensait-il à elle ? L’avait-il oubliée ? Etait-il avec Do’ ? Elle espérait que non… elle savait que partir loin de Londres laisserait la place libre à sa jeune sœur dans le cœur de Teddy. Elle espérait aussi que partir loin de tout lui permettrait de récupérer sa place de choix auprès du jeune métamorphomage.
Mais avant, elle devait encore trouver qui elle était vraiment.
Il y avait encore trop de sentiments perturbants en elle pour trouver la sérénité à laquelle elle  aspirait tant.

- C’est quoi ton programme de la journée, Vic ? demanda Evelyn en arrivant sur la terrasse marbrée de l’hôtel dans lequel ils résidaient tous les trois.

Il était à peine huit heures et le soleil dominait déjà une bonne partie de la ville, présageant ainsi une magnifique journée. La jeune fille haussa les épaules et engloutit une nouvelle bouchée de Pao, un petit pain vapeur aux légumes que les cambodgiens adoraient manger le matin, avant de picorer du bout de ses baguettes quelques morceaux de mangues pimentées. Et dire qu’il y a un mois, tout ceci la dégoutait…

- Je ne sais pas trop, avoua-t-elle. Qu’est ce qui est sympa à visiter dans le coin ?

Evelyn se mit à rire et se massa les tempes. Sa nièce était surprenante.

- Enfin Victoire, on est à Siem Reap… il y a les Temples d’Angkor ! Il faut absolument que tu ailles les voir, précisa Evelyn en souriant.

Elle sortit de son sac une carte d’Angkor et la tendit à la jeune fille, non sans se défaire de son sourire éclatant.

- Tu vas adorer, enchaina-t-elle pendant que Victoire dépliait la carte de toutes les cités à visiter.

Cela ressemblait à une carte au trésor. Avec son papier jauni et la jungle qui régnait autour, dessiné à l’encre verte, Victoire s’imaginait en grande exploratrice, ce qui la fit sourire.

- Et ce soir, on t’emmène à « la tanière tigrée ». C’est le meilleur restaurant sorcier de tout le nord du Cambodge, ça aussi tu vas adorer. On y mange les meilleurs Amoks de la région, et je sais que tu en raffoles…

Evelyn lui fit un clin d’œil et disparut de la terrasse laissant alors Victoire dans ses pensées. Les cités d’Angkor… son père lui en avait parlé avant son arrivée ici. Il lui avait dit que, jadis, les rois vivaient dans ses palais surdimensionnés et qu’à présent, seules les ruines de la grandeur d’antan restaient visibles au nord du Tonlé Sap.
Des temples… Il y en avait des dizaines. Similaires mais différents. La journée allait être longue, Victoire le savait, mais elle avait hâte de les découvrir. Peut-être le passé Khmer se mêlerait avec les questions de son avenir, qui sait ? Victoire pouvait toujours espérer… bien qu’elle ne s’imaginait guère trouver un sens à sa vie en contemplant de vieilles pierres toute la journée. Les mythes et les légendes, elle en connaissait pas mal… et très peu dénotaient une certaine réalité
La jeune fille quitta à son tour la terrasse après avoir mis dans son sac quelques pao emballés, pour la petite fringale du midi, et vérifia que son écharpe en soie jaune pâle y était aussi. Rapidement, elle laissa un message pour son oncle à la réception, et sauta dans un Tuk-Tuk.

Les paysages verdoyants, les hauts palmiers, et les petits singes sauvages défilèrent devant ses yeux au fur et à mesure que le Tuk-Tuk se rapprochait des cités perdues, et Victoire huma à plein poumon l’odeur de la terre mouillé qui s’estompait dans les airs, après la grosse tempête de la nuit dernière. En arrière fond, il y avait toujours cet arôme de gingembre et d’encens poivré qui semblait la suivre depuis Phnom Penh. Ou était-ce l’odeur propre du Cambodge ? Au loin, elle aperçut un jeune couple marchant main dans la main sur la route en terre battue. Ils étaient pieds nus, portaient des longs sarouels, et la femme avait une longue chevelure brune remontée en natte sur la tête. Ses épaules étaient entièrement tatouées d’inscriptions et de symboles khmers, tout comme les bras de l’homme. Victoire se pencha par-dessus la porte pour mieux les observer, un sourire en coin. Ils paraissaient heureux… ils semblaient ne rien avoir mais paraissaient tout de même heureux. Profitant des plaisirs simples de la vie.

Le vent souffla sur la route, et Victoire s’accrocha à son chapeau de paille sur sa tête pour ne pas qu’il s’envole. Derrière elle, de moins en moins distincts, le jeune couple riait aux éclats et s’enlaçait timidement alors qu’un vieux chien gris sautillait autour d’eux.
Et la jeune fille pensa automatiquement à Teddy. Il lui manquait. Terriblement. Et plusieurs fois elle avait voulu lui écrire mais qu’aurait-elle pu lui dire ? Qu’elle était désolée d’être partie sans donner de nouvelles, mais qu’elle n’avait pas supporter de savoir que sa sœur l’avait embrassé, et qu’il avait, de surcroit, prit sa défense lorsqu’elle s’était expliquée brièvement avec Do’ ?

C’était dur pour Victoire de repenser à ce souvenir. Surtout lorsque sa mère s’était interposée entre ses filles pour donner raison à la cadette. L’ambition du jeune âge, avait-elle excusé. Et Victoire aurait dû se montrer conciliante, et adulte.
Victoire n’avait pas courbé l’échine. Pour une fois elle  avait refusé d’endosser le rôle de la plus intelligente, de la plus raisonnée. Elle était malheureuse, trahit par sa sœur, le sang de son sang, et l’ainée des Weasley avait fini par comprendre que l’exil serait son seul moyen de respirer et de décompresser de cette vie régie  par les dictâtes absurdes de sa mère, la grande et parfaite Fleur Delacour-Weasley.

Cette popularité, Victoire en avait fait les frais toute son enfance. Elle était celle qui ressemblait à sa mère. A l’intérieur comme à l’extérieur, et la petite fille timide qu’elle était s’était muée en une adolescente autoritaire et hautaine.

Jongler entre l’image parfaite que sa mère lui renvoyait, que ses parents lui conférait, jurait atrocement avec ce qu’elle voyait dans le reflet.
Au cœur de ses prunelles obscures, Victoire voyait à quel point elle rugissait… à quel point elle n’était ni parfaite, ni victorieuse, ni même glaciale. Elle était simplement elle… et même cette simple idée la rendait confuse.

Il lui était difficile de mettre des mots sur cette torsion de personnalité qui faisait coexister Vic et Victoire à l’intérieur de son corps.

- On est arrivé, Lady, précisa le conducteur du Tuk-Tuk.

Victoire remercia le chauffeur, lui donna quelques dollars, et partit à l’aventure, seule, dans cette jungle qui renfermait sans doute les plus beaux trésors de l’Asie du sud-est.
Rapidement, la jeune fille se rendit compte de la beauté des cités d’Angkor. Perdues au milieu de la jungle la plupart des ruines avaient gardées leur somptuosité d’avant ainsi que leurs plateaux d’offrandes, et chaque temple avait sa particularité.

Angkor Vat était le temple le plus impressionnant, de par sa complexité et sa célébrité. Il avait été construit au début du XIIe siècle, et en était devenu l’emblème national. Angkor Thom, lui, était un palais. Selon le guide touristique, que Victoire lisait en biais, c’était un monument dont les différents vestiges de la cité royale comme la terrasse des éléphants ou le bassin Sras Srei pour les ablutions royales, avaient été conservés par Dame Nature. Le temple Banteay Samré était totalement différent de ces compères. Déjà, il était entièrement dédié à la divinité Visnu et il n’était pas facile d’accès. Victoire avait du enjamber des lianes de la taille de camionnettes pour le visiter. Puis il y avait, Banteay Srei, l’ancienne citadelle des femmes, fortifiée dans un marbre rose d’une rareté impressionnante. L’édifice était si raffinée, et les détails si poétique, que Victoire regretta l’absence de sa tante Hermione. Ensemble, elles auraient sans doute chiné la moindre précision sur ce temple féministe dans tous les guides que Victoire avait emmené dans son sac à dos. Mais Victoire était bel et bien toute seule… et cette pensée la rendit triste. Dans sa famille, elle était considérée comme un loup solitaire, et elle attachait beaucoup d’importance à son indépendance. Élément qui la rapprochait considérablement de Teddy. Mais aujourd’hui, elle aurait voulu être entouré de sa famille. Des sourires de son père, des plaisanteries de son frère, des remarques effrontées de sa cousine Roxanne. Même les pitreries de son cousin James lui manquaient cruellement.

Victoire secoua la tête pour effacer les visages rayonnants de sa famille de son esprit, et se pencha sur la carte qu’elle tenait entre les mains. Des temples, il y en avait encore des dizaines à découvrir…  La jeune fille savait qu’elle n’aurait jamais le temps de tous les explorer, mais Evelyn avait entouré les meilleurs sur son plan et elle se contentait de suivre les indications laissées par sa tante. Pour l’instant, elle ne s’était pas trompée, et Victoire se sentait happée par cette magnificence et ce calme qui se dégageaient des enceintes fortifiés des anciens temples et palais.
L’odeur de l’encens et de terre mouillée avaient disparu, laissant place à celle plus corsée des arbres et plus fleurie des hibiscus sauvages, ou des fleurs de lotus qui envahissaient les bassins crasseux de certaines ruines boudés des touristes.

La jeune fille marcha nonchalamment le long d’un petit sentier, la tête perdue dans son plan essayant de décrypter où pouvait se trouver Neak Pean, le dernier temple qu’elle devait découvrir avant de rentrer. Evelyn l’avait entouré à plusieurs reprises avec un petit smiley à côté, ce qui fit sourire Victoire. Mais cette dernière avait l’impression de tourner en rond et lorsqu’elle se pensait complètement perdue, ses yeux rencontrèrent un long ponton de bois, à peine suspendu au-dessus de l’eau qui reliait la route à un autre îlot.

Juste avant le pont, un vieux panneau en bois indiquait la direction de Neak Pean. Victoire sourit. Elle n’était pas si perdue que cela. Elle croqua dans  un des Pao qu’elle avait gardé pour le goûter, bu quelques gorgées d’eau, et s’aventura sur le pont jusqu’à arriver sur l’île circulaire.
Face à son regard impressionné, le prasat central dominait de ses quatorze mètre de haut les quatre bassins carrés qui entouraient le principal. D’épaisses statues de Nâgas délimitaient l’entrée principale par l’enchevêtrement de leurs queues. Victoire fut étonnée de constater qu’aucun panneau explicatif ne se trouvait près de ce temple. Il semblait pourtant si intéressant !
Elle contourna les bassins carrés puis ce qu’il restait des quatre statues qui les surplombaient avant de revenir au centre, face aux Nâgas. L’eau du bassin principale semblait claire et limpide malgré des profondeurs vaseuses, et Victoire s’approcha timidement de cette eau qui la faisait tant rêver. Elle pouvait y voir son reflet distinctement.
Des joues plus bombées, un nez constellé de tâche de rousseur, un sourire discret et des prunelles plus douces. Elle avait vraiment l’impression d’être différente, d’avoir réussi à changer. Même son port de tête, plus léger, ses manières, moins rigides, lui paraissait différent. Certes, elle souhaitait ce changement. Elle le désirait pour Teddy, pour qu’il puisse l’aimer de nouveau, comprendre profondément qui était Victoire Weasley. Elle voulait un changement, pour lui mais surtout pour elle. Elle se voulait plus humaine, plus réelle. Moins torturée par l’image parfaite que lui conférait sa mère et par l’image de petite fille que lui renvoyait son père. Victoire voulait grandir pour elle. Et pour personne d’autres. Si ces transformations pouvaient lui apporter le bonheur avec Teddy, elle ne pouvait pas en être plus heureuse. Cela pouvait en être une   conséquence, et non la cause.

- Qu’attends-tu pour sauter ?

Une vieille voix fatiguée par l’âge et les années de dur labeur résonna jusqu’aux oreilles de Victoire et cette dernière sursauta, refermant son sac en tissu contre sa poitrine avant de se retourner.

-    Comment ? demanda Victoire, interloqué en replaçant quelques mèches de cheveux derrière son oreille droite.
-    Je t’ai dit : « Qu’attends-tu pour sauter ? »

C’était une vieille femme qui lui parlait. Une très vieille femme. Elle devait toucher le centenaire, Victoire en était certaine. Ses yeux, deux grosses billes noires brillantes, étaient encadrés d’une montagne de fines rides et sa bouche, autrefois charnue, n’était plus qu’une mince ligne sur un visage angulaire.
Ses longs cheveux poivre et sel étaient nattés en couronne sur sa tête, et son corps fin et décharné aux épaules et à la taille était entouré d’une sorte de toge cambodgienne dans les tons dorés et bordeaux. Ses mains, baguées d’or aux doigts, étaient jointes sur son ventre, et devant elle s’étalait un petit tréteau en bois sur lequel étaient posé des bracelets tressés en cuir, quelques boucles d’oreilles en bois, et des petites boites à bijoux tricotés dans une sorte de maille cotonneuse mais rigide.

-    C’est l’eau du bassin qui t’attire ? enchaine la vieille dame en penchant légèrement la tête sur le côté. Ou ton reflet ?
-    Euh… Je… c’est…

Victoire se sentit perdre pied, et ses yeux glissèrent vers l’eau du bassin principal, essayant d’apercevoir le fond, mais en vain. Une odeur de boue se mêla étrangement à celle des hibiscus et lorsqu’elle se retourna vers son interlocutrice, elle fut étonnée de voir la vieille dame tout proche d’elle, comme si ses pieds avaient glissé sur le sol, ce qui la fit sursauter.

-    Excusez-moi, mais… qui êtes-vous ? osa demander Victoire, le visage confus.
-    Moi ? demanda la centenaire, un sourire édenté sur sa bouche fine. Juste une vieille âme qui vend des bijoux artisanaux.
-    Vous… vous en vendez depuis longtemps ?
-    Oui, acquiesça la cambodgienne. Juste ici, indiqua-t-elle en montrant du doigt son emplacement, sous un parasol jaunâtre.
-    Oh…

Victoire hocha lentement de la tête, et son esprit se dirigea de nouveau vers le bassin, comme si le fond invisible l’attirait dangereusement.

-    Pourquoi devrais-je sauter ? demanda-t-elle subitement en se retournant vers la vieille dame dont elle vit les yeux s’amincir en raison de son sourire.
-    Tu ne sais pas ce que ce temple représente, n’est-ce pas ?
-    Je devrais le savoir ? questionna Victoire, sur la défensive, les sourcils toujours froncés.
-    Seules les âmes perdues s’arrêtent devant l’eau de Neak Pean…
-    Pourquoi ?
-    Ce temple a été érigé au XIIe siècle par le roi Jayavarman VII. Autrefois, l’eau coulait du bassin central dans les bassins périphériques par quatre gargouilles. Aujourd’hui, il n'en reste plus qu’une, précisa la veille dame avec tristesse. L’eau servait aux rites de purification, et les grandes prêtresses venaient s’y baigner, espérant obtenir les idées claires des grandes questions du temps dernier.
-    Un rite de purification ? s’étonna Victoire. Comment ça marche ?
-    Il suffit juste de s’y baigner, de s’immerger complètement. L’eau lave alors tous les doutes. Aussi bien ceux de notre corps que ceux de notre esprit.
-    Je vois, murmura Victoire, le cœur battant.
-    C’est pour ça que tu es venue petite, n’est-ce pas ? Trouver des réponses à tes questions
-    Non…

La voix de Victoire mourut dans sa gorge.

-    Non ? s’étonna la vieille dame.
-    Je les ai déjà mes réponses… je sais ce que j’aimerais être… je souhaite juste prendre un nouveau départ.
-    Alors pourquoi ne sauterais-tu pas ?
-    Dans cette eau vaseuse ? s’indigna Victoire. Non… impossible.

Ses yeux bleus glissèrent de nouveau sur l’ensemble du bassin avant de se reporter sur la vieille dame mais celle-ci n’était plus près d’elle.

- Madame ? appela Victoire, confuse en tournant sur elle-même.

La vieille cambodgienne avait disparu. En un souffle son corps s’était évaporé, mais ces bijoux, eux, étaient toujours posés sur le tréteau de bois.
La jeune anglaise fronça les sourcils et elle sentit son cœur s’accélérer dans sa poitrine alors que son visage se tourna une fois de plus vers l’eau étrangement scintillante du bassin. Que se passerait-il si elle décidait de sauter ? Tomberait-elle malade, infecté par un quelconque virus ? Arriverait-elle à se purifier ou au contraire, aurait-elle des ennuis pour se baigner dans un lieu touristique et privé ? En même temps, il n’y avait personne autour d’elle, et à en croire la vieille dame, seules les âmes perdues arrivaient jusqu’ici. En était-elle une dans ce cas ?
Victoire ne savait que penser. Qu’était-elle censée faire ? Et si la vieille dame avait raison ? Et si l’eau du bassin pouvait la purifier et lui faire prendre un nouveau départ ? Après tout, c’était ce qu’elle désirait. Elle souhaitait plus que tout prendre un nouveau départ. Pouvoir laver ses anciens tourments et ne pensant qu’à ces nouvelles résolutions. Notamment celle de ne pas s’oublier, de ne pas oublier Vic, cette fille qui avait fini par disparaître sous le poids des responsabilités et du passé de sa famille. Bien sûr, elle savait que tout ceci n’était que spirituel, presque psychologique… mais pour une raison obscure, Victoire avait envie d’y croire.

Une fois n’étant pas coutume, l’envie fut plus forte que la raison, et la jeune fille retira nerveusement son écharpe, son sarouel et son débardeur. Une seconde s’écoula alors, et sans réfléchir, Victoire sauta pieds joints dans ce bassin si envoûtant.

Lorsqu’elle sentit son corps tout entier s’immerger dans l’eau froide, légèrement ternie par les algues sous-marines, Victoire ferma les yeux priant alors pour que la vieille dame ait raison. Elle espérait que son âme perdue serait lavée de tous ses doutes, prêt à commencer une nouvelle vie. Et ses yeux restèrent solidement fermés jusqu’à ce que ses pieds ne touchent le fond vaseux du bassin, et que son cerveau, lui, ne chasse de sa vie la froideur qui la caractérisait tant.

End Notes:

Grand merci à Awena, qui, encore une fois, se montre être une bêta exceptionnelle ! :)

 

Troisième et dernier chapitre dans quelques jours...

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