Les employés du Ministère s'agitaient dans tous les sens alors que dix-sept heures approchaient. Les notes volantes se heurtaient en plein vol. Les capes bruissaient et les échanges dépassaient légèrement le seuil de murmures habituellement toléré dans les couloirs alors que la journée de travail touchait à sa fin.
Hermione, les bras croisés, bouillait de rage en attendant son supérieur. L’empressement de ses collègues à l’approche du week-end semblait être le cadet de ses soucis.
Un homme carré, habillé d'un costume traditionnel bleu nuit, franchit les portes de l'ascenseur et la jeune femme se redressa.
« Enfin ! Ce n'est pas trop tôt ! Savez-vous depuis combien de temps je vous attends devant cette porte ?
— Je dirai une bonne heure.
— Exactement ! Kingsley, comment avez-vous pu ?
— Hermione, si tu dois me dire tout le mal que tu penses de cette réforme, je préfère le faire devant une tasse de thé. »
Il ouvrit la porte d'un coup de baguette et montra calmement l'intérieur à Hermione. Elle maugréa mais accepta finalement d'entrer.
« Alors ? demanda le Ministre avec une pointe de malice dans le ton de sa voix.
— Comment avez-vous pu faire passer une réforme pareille ? Et sans m'en parler de surcroît !
— Hermione, tu es une assistante très efficace, mais sur ce coup-là, j'ai préféré jouer sans toi.
— Pourquoi ? s'énerva-t-elle.
— C'est pourtant évident.
— Si vous m'en aviez ne serait-ce que touché un mot, je vous aurais dit combien cette idée était stupide ! »
Il se retourna, sa tasse en porcelaine de Chine à la main, et esquissa un sourire avant de rétorquer :
« Voilà exactement pourquoi je ne t'en ai pas parlé.
— Qui est la triple buse qui vous a donné l'idée de pondre un projet de loi pareil ? Marier tous les sorciers et sorcières célibataires de plus de vingt-cinq ans en leur attribuant un compagnon compatible selon des lois statistiques ? Rien que de le dire à haute voix j'ai envie de vomir ! Alors, qui ? »
Kingsley souffla tranquillement sur son thé fumant et répondit :
« C'est toi. »
Hermione démêlait sa tignasse avant d'aller se coucher tout en se repassant le fil de la conversation qu'elle avait eu avec son patron. Elle lui fournissait des chiffres catastrophiques sur la population sorcière après les deux guerres et sur la baisse de natalité, et la seule chose qu'il en tirait c'était ce projet de loi fumeux sorti tout droit des romans les plus rétrogrades du XIXème siècle ? Il avait complètement perdu la tête !
Elle retira la touffe de cheveux morts coincés dans sa brosse. Elle comprenait mieux pourquoi elle avait été si occupée ces dernières semaines : Kingsley avait trouvé toutes les excuses possibles pour la garder occupée afin de vaquer à ses occupations.
« Écoute Hermione, je sais ce que tu en penses. Moi non plus je n'étais pas pour au départ...
— Parce que maintenant vous l'êtes ?
— Laisse-moi terminer. Je n'étais pas pour, mais les chiffres sont effrayants. Nous n'avons pas trouvé de meilleure idée pour corriger le tir.
— Vous auriez pu organiser des speed dating. Ou des applications de rencontre. Ou même des...
— Qu'est-ce que c'est que tout ça ?
— Les moldus y arrivent bien, pourquoi pas nous ?
— Et toi Hermione ?
— Quoi, moi ?
— As-tu quelqu'un dans ta vie en ce moment ?
— Non, j'ai bien trop de travail pour penser à ces bêtises.
— C'est bien ce que je disais, c'est le seul moyen que nous ayons trouvé. »
Elle lâcha un grognement en jetant la poignée de cheveux à la poubelle. Elle s'était faite prendre à son propre piège ! Soudain elle se figea. Une minute... Elle se précipita dans la pièce de vie de l’appartement puis vida son sac à main sur le comptoir de la cuisine ouverte. Elle attrapa la loi qu'elle avait pu récupérer le matin même et le relut attentivement :
« À compter du 2 novembre, toutes les personnes célibataires ayant plus de vingt-quatre ans révolus, se verront attribuer une personne que le Département des Mystères a jugé compatible. Ils devront s'unir à cette personne avant le 25 décembre. Toute infraction à cette loi sera passible d'un an à Azkaban. »
Vingt-quatre ans révolus... Elle en avait vingt-six !
« Hermione ? Ça va ?»
Elle fit un bon de côté. Sa colocataire la regardait, un peu inquiète. La tête penchée sur le côté, sa crème de nuit à moitié étalée sur le visage, Ginny détaillait Hermione.
« On dirait que tu vas t'évanouir.
— J'ai vingt-six ans, Gin'.
— Je sais, pas la peine d'en faire un fromage. On vit très bien, même avec vingt-six ans. Enfin, je suppose... »
Hermione arracha sa meilleure amie à ses réflexions philosophique en lui tendant le parchemin.
« Lis ! Ça vient d'être voté ! J'imagine que ça fera la Une de la Gazette dès demain matin. »
Elle posa une fesse sur la chaise de bar et se massa les sourcils.
« La vache ! C'est toi qui as fait passer ça ?
— Ça ne va pas la tête ! Ce n'est pas marqué "Agence matrimoniale" ici ! s'offusqua la jeune fille en montrant son front.
— Je ne pensais pas Kingsley aussi rétrograde.
— Kingsley ne l'est pas, mais sa bande de conseillés empoussiérés le sont, il n'y a aucun doute là-dessus.
— C'est complètement fou. Genre ils vont réussir à faire passer un projet pareil, ricana Ginny. Je n'y crois pas une seule seconde.
— Franchement, avec une telle menace, même moi je serais prête à me marier.
— Attends de voir qui on va t'attribuer, on va rire ! »
Ginny attrapa le paquet de popcorn et fit mine de piocher dedans en regardant sa meilleure amie.
Hermione lui lança le torchon à la figure.
« Enlève ce sourire moqueur tout de suite !
— Je trouve ça extrêmement drôle la façon dont Kingsley a réussi à piéger la meilleure sorcière de tous les temps.
— Tu rigoleras moins quand Harry aura été attribué à quelqu'un d'autre. »
Ginny se décomposa.
« Non, ils ne peuvent pas faire ça !
— Techniquement parlant, il est célibataire.
— Nous sommes en pause, ça n'a rien à voir !
— C'est bien ce que je dis.
— Par Merlin, Hermione ! Il faut que j'aille le voir, tout de suite ! Que je lui dise que je ne lui en veux plus pour les soirées entre collègues et que... C'était quoi les autres problèmes déjà ? »
Hermione explosa de rire.
« Il y en avait tellement. Tu aurais dû faire une liste. Allez, viens, allons prendre un verre, il faut que j'oublie ça le temps d'une heure. »
Hermione soupira. Quand elle avait proposé un verre à sa coloc, elle avait un autre genre de soirée en tête. Entendre inlassablement Ginny lui raconter encore et encore, tout ce qu'elle ne pouvait plus supporter chez Harry lui était devenu insupportable.
« Mais pourtant je l'aime Hermione. Tu sais que je l'aime ! Il sait que je l'aime ! Et ma famille sait que...
— STOP ! Un whisky pur feu pour la demoiselle à côté de moi s'il vous plaît ! supplia Hermione en arrêtant le serveur par la manche de sa robe.
— Dis tout de suite que je t'embête, se renfrogna Ginny.
— Ginny, tu sais combien je tiens à toi ? Mais là, c'est au-dessus de mes forces. Harry et toi avez rompu combien de fois, rappelle-moi ? Une dizaine ? Une vingtaine de fois ? J'ai arrêté de tenir les comptes. Et pourtant, à chaque fois vous revenez l'un vers l'autre. Alors, écoute-moi bien maintenant. Tu vas prendre ce whisky pur feu, te souler jusqu'à ce que Harry te sorte de la tête et demain matin tu prendras ta décision. Définitive.
— Tu crois que ça va m'aider ?
— Toi, je ne sais pas, mais moi c'est certain. Un deuxième s'il vous plaît !
— Je n'ai pas fini le premier ! s'horrifia Ginny.
— Il est pour moi. Il faut que je noie mon échec professionnel ce soir. »
« Désolé de vous avoir cheminé si tard, s'excusa le serveur. Elles n'avaient pas l'air en état de transplaner. »
Ron soupira en regardant sa sœur et sa meilleure amie ricaner comme des baleines en s'agrippant au comptoir comme on se tiendrait à une bouée de sauvetage en plein naufrage. Elle était belle la jeunesse...
« Merci ! Désolé pour le dérangement mon gars... Elles n'ont pas l'habitude de boire. Il suffit de les voir dans cet état pour se dire que ce n'est pas un mal... Allez les filles, on y va.
— Ron ! sourit Hermione en soufflant une haleine de phoque au visage du jeune homme. Tu te joins à nous ?
— Tu as pris combien de whisky, Hermione ? Rien que les vapeurs d'alcool qui s'échappent de ta bouche pourraient rendre soule une classe entière de premières années.
— Hi, hi, hi, ricana Ginny en tapant sur le comptoir. Une classe entière !
— Vous pouvez m'expliquer pourquoi c'est moi qu'on appelle ?
— T'es le meilleur Ron-Ron !
— Mon frère préféré d'amour que j'aime tant ! Hi hi hi !
— Sérieux, vous auriez pu appeler Harry. Lui au moins a une formation dans la gestion de crise.
— Haaaaarrrryyyy ! sanglota Ginny en répandant de la morve sur le comptoir. Je l'aaaaaiiiiiimmmmmeeee !
— Fallait pas dire ça mon Ron-Ron, pouffa Hermione avant de laisser échapper un rot. Oh, je crois que c'est pas bien. Eh, Ron-Ron, c'est vrai que c’est pas bien ?
— Purée, pourquoi tu m'appelles Ron-Ron d'un coup ? Ça date d'au moins dix ans cette histoire ! Oh et j'en ai marre. J'appelle Harry.
— Haaaaarrrrryyyyy !
— Je peux vous emprunter votre cheminée ? supplia Ron. J'ai besoin de renfort. »
Ron balança Hermione sur son lit pendant Harry portait Ginny comme un vulgaire sac à patates avant de la poser à côté. Les ronflements qui s'échappaient de la chambre d’Hermione faisaient peur à voir.
« Je ne pensais pas qu'un jour je verrai Hermione Granger soule.
— Comme quoi, on en apprend tous les jours !
— Merci Harry pour ton aide, je n'y serais jamais arrivé seul.
— De rien. Tu as de la chance, mon astreinte c'est demain.
— Je vais les surveiller cette nuit, je bosserai dans la réserve demain pour rattraper mon sommeil en retard.
— L'avantage d'être son propre patron, rit Harry. Dis, sais-tu pourquoi elles se sont mises dans un état pareil ? Ce n'est ni le genre d'Hermione, ni celui de Ginny.
— Aucune idée. Elle n'arrêtait pas de parler loi et mariage et que Ginny voulait que tu reviennes mais qu'elle t'en voulait toujours. Je croyais que vous étiez passé à autre chose. J'ai loupé un épisode ?
— C'est ce que je croyais aussi, soupira Harry en regardant Ginny qui bavait sur l'oreiller. Je vais me coucher. Bon courage Ron ! »
Hermione avait l'impression qu'un bulldozer venait de lui rouler sur le crâne. Ses cheveux semblaient pousser à l'intérieur et son estomac dansait la rumba.
« Réveil difficile ? plaisanta Ron en lui tendant un toast beurré.
— Je ne pensais pas vivre ça un jour. C'est ça la gueule de bois ?
— Ça en a tout l'air. Café ?
— Un verre d'eau simplement. Je ne suis pas sûre que le café soit toléré par mon système digestif.
— Hermione, toi qui es si raisonnable, tu peux m'expliquer ce qui t'a fait complètement péter les plombs hier soir ? Non pas que je n'ai pas trouvé ça drôle mais devoir dormir sur un fauteuil bancal toute la nuit pour vérifier que vous ne vous asphyxiez pas dans votre sommeil, je n'ai pas l'habitude et j'aimerais autant que ça reste comme ça.
— Lis la Gazette, je suis sûre que c'est dedans. »
Elle grignota un bout de toast, esquissa une grimace, puis voyant que son estomac ne jouait pas les montagnes russes, croqua dedans à pleines dents.
Ron ouvrit la fenêtre et récupéra le journal laissé sur le rebord par le hibou postal. Il déplia les feuillets et jura.
« Nan !
— Je t'avais dit que c'était à la hauteur des évènements.
— Hermione, je croyais que tu étais l'assistante du Ministre ?
— Yep.
— Et tu as laissé passer une loi pareille ?
— Double yep.
— Hermione ?
— Oui ?
— Es-tu toujours soule à cette heure-ci ?
— C'est fort probable. »
Il lui fallut un autre toast puis une tasse de thé pour que son cerveau se remette complètement des excès faits la veille. Ron était retourné travailler depuis longtemps et l'après-midi était déjà bien entamée quand Ginny émergea à son tour. Elles n'échangèrent que des regards vitreux, peu fières de ce qu'il restait de lors corps de déesse un lendemain de débauche.
« Alors, la Gazette a parlé ? couina finalement Ginny, la tête dans son bol de céréales.
— Oui.
— Verdict ?
— Ce n'était pas un cauchemar, soupira Hermione.
— Tu penses qu'il faut que j'aille voir Harry ?
— Honnêtement ?
— Honnêtement.
— Laisse-le venir à toi. Si d'ici quelques jours tu n'as pas de nouvelle, propose-lui de discuter. Si tu débarque comme une furie au Square Grimmaurd, je ne pense pas que tu obtiennes ce que tu veux vraiment.
— Qu'est-ce que je veux vraiment ? répondit pensivement Ginny. Vaste question... »
Hermione relut pour la dizième fois l'article et le reste de la journée se passa dans le plus grand silence à la colocation.
Le jet d'eau fraîche baignait son visage depuis dix bonnes minutes mais Hermione refusait de sortir de la douche. C'était trop difficile d'affronter la réalité. Sa gueule de bois de la veille semblait encore se prolonger ce matin. Elle avait enchainé les cauchemars et avait jeté tous ses draps à cause des bouffées de chaleur durant la nuit. Si c'était ça consommer de l'alcool, elle validait complètement sa conduite habituelle : abstinence totale !
Le mal de tête était plus tolérable et se faisait plus latent. Elle versa un flacon de potion trois en un pour lisser, dompter et faire briller ses cheveux, et se massa doucement le cuir chevelu dans l'espoir de faire disparaître toutes les tensions nerveuses de la nuit. C'était perdu d'avance, mais essayer lui donnait l'impression de ne pas céder face à l'adversité, c'était déjà ça de pris.
Malgré le bruit de l'eau en continue, elle entendait sa coloc faire les cents pas dans leur salon minuscule. Kingsley s'était bien gardé de lui dire que les tests des attributions avaient été lancé la veille ! Sans La Gazette, elles n'auraient pas su qu'elles seraient fixées sur le sort le matin-même.
Quand elles avaient compris cela, et ce après quinze lectures du journal, les grands discours d'Hermione sur les valeurs de la patience faits à Ginny avaient un peu perdu de leur sens. Il avait fallu le grand pouvoir de persuasion et d'éloquence qu'elle n'avait pas, pour qu'Hermione convainque sa meilleure amie de ne pas se ruer au départements de Aurors en robe de chambre et pyjama.
Hermione avait tellement de questions en tête qu'elle ne savait même plus par où commencer. Que se passait-il si la personne qui nous correspondait était déjà en couple ? Ou si elle était morte ? Pouvait-on nous attribuer quelqu'un du même sexe ? La personne qui nous correspondait était-elle la même que la personne dont on tomberait amoureux ? Lui attribuerait-on quelqu'un ou finirait-elle seule dans sa maison de campagne avec trois chats ?
Hermione secoua vivement la tête et manqua de se mettre de la mousse dans les yeux. Finalement, elle se demandait si la dernière solution ne lui était pas la plus préférable. Au moins, on n'est jamais déçu par les chats !
Elle rinça doucement sa potion premier prix et essaya tant bien que mal de démêler sa tignasse. En vain. Cette potion était vraiment nulle ! Ce qu'elle pouvait envier Ginny avec sa chevelure lisse et bien coiffée en permanence !
Laissant tomber, comme tous les jours, ses efforts capillaires, elle sortit de la douche et s'efforça de ne pas paniquer. Elle sécha soigneusement, à la vitesse d'un escargot en plein sprint, ses orteils un à uns. Se concentrer sur des gestes anodins et parfaitement insipides lui permettait de ne pas penser qu'en ce moment-même une lettre, qui allait sceller son destin, était certainement en route, portée par un hibou du Ministère.
« Hermiiiiiooooonnnneee ! Il est làààà ! »
La jeune femme manqua de s'étaler de tout son long en sautant dans sa culotte. Le gros orteil du pied gauche resta coincé et elle ripa sur le tapis de douche. Elle se rattrapa au lavabo et gémit : elle s'était certainement fait une élongation du rhomboïde avec ces conneries !
Ni une, ni deux, elle remit le pyjama qu'elle portait encore une demi-heure avant et déboula en trombe dans le salon. Ginny ouvrit de grands yeux en la découvrant dégoulinante et la vue encore un peu troublée par des larmes de douleur.
« Je croyais que tu avais pris une douche ? Bref. Tiens. »
Sans plus de fioriture, elle lui tendit une lettre de papier épais et immaculé avec son prénom et son adresse notés en lettre dorées. On aurait pu croire qu'elle venait d'être invitée à une garden party.
« Allez, ouvre ! Je n'en peux plus d'attendre !
— Ginny... Je ne peux pas... Ouvre, toi. »
C'était au-dessus de ses forces. Hermione Granger qui avait toujours angoissé à l'idée d'ouvrir ses bulletins scolaires ressentait la même angoisse que le jour où elle pensait avoir loupé ses Aspics. C'était même pire. Dix mille fois pire ! Parce que cette fois-ci, elle avait beau avoir beaucoup travaillé, elle n'avait aucun moyen de s'assurer qu'elle réussirait.
Ginny déchira rapidement l'enveloppe, parcourut le parchemin et leva un regard de merlan frit vers sa meilleure amie.
« Alors ?
— Il ne vaut mieux pas que tu saches.
— Quoi ? Mais tu es folle ? Dis-moi !
— Crois-moi, tu n’es pas prête.
— Arrête tes bêtises ! »
Elle lui arracha le parchemin des mains et se figea d'horreur. Les lettres noires se succédaient pour afficher un nom qu'elle aurait voulu ne plus jamais voir de sa vie :
Draco Malfoy.
Hermione était restée figée pendant de longues minutes à regarder le parchemin. Si bien que Ginny avait dû lui flanquer deux claques pour lui remettre les idées en ordre. Elle s'était alors réfugiée dans sa chambre. Elle avait enfilé la tenue la plus classe qu'elle avait dans sa penderie, avait séché ses cheveux d'un coup de baguette et était sortie de l'appartement sans dire un mot.
Elle attendait devant une demeure cossue du sud de l'Angleterre que quelqu'un la remarque enfin. Un elfe de maison reçut finalement l'ordre de la recevoir et lui demanda d'une petite voix :
« Je peux vous aider Miss ?
— Hermione Granger. Je dois voir Draco Malfoy. Je sais qu'il est ici. »
L'elfe, surpris par cette annonce peu commune, s'inclina et fila sur ses petites jambes transmettre le message. Hermione ne voyait qu'une partie de la réception de derrière le portail. L'immense haie lui cachait le reste. Les éclats de voix étaient magiquement étouffés et rien ne filtrait hormis un brouhaha incompréhensible.
Elle attendit de longues minutes jusqu'à ce qu'un jeune homme blond en costume de cérémonie vienne jusqu'à elle. Il ouvrit le portail et lança un sourire narquois.
« Granger, quelle surprise ! Je ne m'attendais pas à ce que tu débarques ainsi au milieu d'un repas entre amis. C'est fou ce que tu peux être zélée ! D'ailleurs, comment savais-tu où j'étais ?
— Simple déduction logique pour un peu qu'on suive l'agenda des réceptions mondaines.
— Impressionnant ! Je ne savais pas que ça t'intéressait !
— C'est mon boulot de savoir ce genre de choses, Malfoy. »
Draco eut du mal à cacher son sourire impressionné.
« Je pensais que tu débarquerais demain matin comme une furie dans mon bureau pour me remonter les bretelles, tu me prends de cours.
— Il faut qu'on parle.
— Excuse-moi mais j'ai une réception en ce moment. »
Il allait refermer le portail quand Hermione l'arrêta d'une main.
« Pourquoi crois-tu que je me sois habillée en croque-mort un dimanche matin au lieu de regarder des séries avec un bol de céréales ? »
Draco la détailla du regard. Décidément, Granger était terriblement imprévisible.
« Et donc ?
— Tu m'invites, on parle.
— Charmante idée. Comment vais-je justifier ta présence ?
— Tu n'as qu'à dire qu'on travaille sur un projet commun, soupira Hermione. Je n'en sais rien, invente !»
Draco pencha la tête, soudain intéressé.
« Un projet commun ? On peut faire ça sans être au gouvernement ?
— Évidemment ! Selon l'article 113 du...
— Vas-y entre. »
Il rouvrit le portail et la laissa passer.
« Je ne te propose pas mon bras, j'imagine qu'avec les trucs que tu as aux pieds tu réussiras à mettre un pas devant l'autre sans mon aide.
— Ce sont des ballerines, c'est parfaitement adapté pour une réception en plein air.
— Et parfaitement contraire à l'étiquette également.
— Quelle étiquette ? s'indigna Hermione.
— L'étiquette du monde Sang-Pur. Pour te citer, selon l'article 24 de ce protocole, toute dame invitée à une réception de plein air durant l'hiver se doit de porter une tenue sombre et des escarpins. »
Il lui jeta à nouveau un regard froid.
« Passe pour la tenue sombre, il te manque les escarpins.
— C'est ridicule. Comment veux-tu marcher dans l'herbe avec des talons aiguille ?
— C'est à ça que servent les cavaliers. »
Les rumeurs de conversations s'arrêtèrent presque immédiatement quand Hermione passa le coin de la haie. Draco semblait amusé par la situation.
« Suis-moi, que je te présente.
— Je n'ai pas besoin de...
— Suis-moi et arrête de parler pour une fois. »
Comprenant que c'était dans son intérêt, Hermione avança, la tête basse et suivit son guide improvisé. Il l'amena jusqu'à un couple paré de plus de bijoux qu'Hermione n'en avait !
« Lord et Lady Greengrass, laissez-moi vous présenter Hermione Granger, elle va se joindre à nous pour quelques heures.
— Enchantée, murmura Hermione, un peu gênée.
— Que fabriquez-vous ici ? Je ne me souviens pas vous avoir invitée.
— Nous avons une affaire en commun, éluda Draco. Projet en lien avec le Ministère.
— Je me souviens maintenant, comprit le Lord en plissant les yeux. Vous êtes l'assistante du Ministre, c'est ça ?
— Tout à fait, Monsieur.
— Intéressant !
— Excusez-nous, il faut que nous discutions d'un point problématique, » minauda Malfoy avant de pousser Hermione dans le bas du dos.
Il la dirigea jusqu'à un coin tranquille, à l'abris de regards. Une fois certaine que personne ne les regardait, Hermione repoussa vivement le jeune homme.
« Bas les pattes, Malfoy. Je ne te permets pas.
— Granger, j'essaie de sauver les apparences, là.
— Tu viens de me présenter comme une collègue de travail, tes mains qui s'égarent sont tout sauf professionnelles.
— Bien, quel est le problème au juste ? Pourquoi t'es là ?
— Tu as reçu la lettre du Ministère ?
— Celle pour l'audience de demain ? Évidemment ! Ça fait au moins quinze fois que je confirme au greffier que mon client sera là. Si maintenant il faut que tu passes en personne le dimanche pour me demander de confirmer oralement sa présence, on n'a pas fini !
— Pas celle-là, imbécile ! Que veux-tu que ça me fasse que tu aies confirmé ton audience ou pas ? Tes petites magouilles d'avocat véreux ne m'intéressent pas, Malfoy.
— De quoi tu parles dans ce cas ?
— De la lettre du Ministère suite au projet de loi qui a été voté vendredi.
— Celui sur les attributions ? Je n'ai reçu.
— C'est arrivé ce matin.
— Ah ! Dans ce cas, elle doit être chez moi. J'avoue que j'étais un peu pressé. Et donc ? Tu veux les conseils d'un avocat véreux pour te débarrasser de ton futur mari ? ricana-t-il.
— J'aimerais beaucoup !
— Sache que le poison ça fait mauvais genre, tu serais grillée tout de suite.
— Pourquoi ?
— Si tu avais étudié comme moi l'histoire du droit, les plus grandes affaires de meurtres par empoisonnement ont toutes été commises par des femmes. Et dans la majorité des cas, l'épouse ou l'amante était en cause.
— Ça me laisse donc une porte de sortie.
— Laquelle ?
— L'amante.
— Vous n'êtes pas encore marié et il a déjà une maîtresse ? J'adore ce type ! Je le connais ?
— Oh que oui ! C'est toi Malfoy. »
Draco resta bouche bée et blêmit si fortement qu'Hermione l'attrapa par les épaules pour l'empêcher de tomber.
« Malfoy ! Ça va ? Dis quelque chose bon sang ! Oh ! Tu ne vas pas t'évanouir maintenant ? »
Elle le secoua comme un prunier jusqu'à ce qu'elle l'entende prendre une grande inspiration et tousser.
« Bon sang, tu m'as fait peur ! J'ai cru que tu avais fait une crise cardiaque !»
Malfoy était maintenant plié en deux, un bras sur le tronc de l'arbre sous lequel ils s'étaient réfugiés, un autre sur son estomac. Il semblait sur le point de rendre son petit déjeuner.
« Malfoy ? Dis quelque chose !
— Une minute... Juste une... minute... »
Hermione croisa les bras et compta nerveusement jusqu'à soixante. Le jeune homme se redressa, le visage encore un peu pâle et des gouttes de sueurs perlant le long de ses tempes.
« Granger, j'ai mal entendu, c'est ça ?
— Tu m'as très bien entendue.
— Je croyais que les tests du Département des Mystères étaient aux points ?
— C'est aussi ce qu'on m'avait dit.
— Mais enfin, fais quelque chose ! C'est toi l'assistante du Ministre ! Tu diriges tout le gouvernement !
— Sauf cette loi. Je n'ai pas été consultée une seule seconde.
— Demande une dérogation.
— Déjà fait.
— Et alors ?
— Refusée. C'est soit je t'épouse, soit je gagne un billet gratuit pour Azkaban. »
Draco finit par s'asseoir dans l'herbe, ses jambes avaient du mal à le porter.
« C'est pas vrai...
— Moi non plus je ne suis pas ravie par la situation je te signale.
— Mais c'est pas vrai ! Qu'est-ce que j'ai fait par Merlin pour mériter ça ?
— Je me le demande aussi. »
Elle se laissa tomber à côté du jeune homme et restèrent en silence à regarder les enfants qui jouaient un peu plus loin. Au bout de longues minutes, Draco murmura :
« Qu'est-ce qu'on va faire Granger ? »
« Hermione, comment vas-tu ?
— Par pitié Kingsley, épargnez-moi les formules de politesse, je ne suis pas d'humeur.
— Le week-end a été difficile ?
— Difficile ? Difficile ! Il a été horrible ! Affreux ! Le pire de toute ma vie ! Même la bataille de Poudlard c'était du gâteau à côté de ça ! Le basilic et les dragons de Gringotts n'avaient qu'à se rhabiller ! Vous m'avez mise dans une bouse de dragon pas possible avec votre loi à deux noises !
— Allons, l'agitation va retomber, c'est le temps d'une semaine ou deux.
— Je ne suis pas certaine de réussir à digérer un jour que je vais épouser Draco Malfoy. Même avec toute la bonne volonté du monde. »
Kingsley lui fit une grimace contrite et lui tendit les missions du jour. Il devait reconnaître que son assistante n'avait pas tiré le gros lot...
« Le sortilège utilisé a été le même pour toi que pour les autres. Hermione, tu es le fer de lance de la reconstruction du monde sorcier. Pourquoi ne vois-tu pas cela comme une nouvelle chance de faire avancer les choses ? Tendre la main vers nos ennemis d'hier ? »
Nos ennemis d'hier... Hermione grommela en sortant du bureau. Elle ne trouverait aucun soutien auprès de Kingsley, elle le savait. L'attribution d'Hermione était un trop grand coup politique pour qu'il l'empêche. Elle devrait se débrouiller toute seule.
Elle poussa la porte de son bureau et lança la musique d'un coup de baguette. Du Tchaïkovski s'éleva avec force dans la pièce. Elle ne mettait de la musique classique que quand elle était furieuse. Automatiquement, ses collègues froncèrent les sourcils, se demandant ce qui avait pu mettre Hermione Granger hors d'elle.
Elle se lança dans un ménage de printemps et d'automne avancé dans l'espoir de se vider la tête. Son cœur se serra. Dans son grand bureau elle ne s'était jamais sentie aussi seule de toute sa vie. Une boule se forma dans sa gorge et les larmes lui montèrent aux yeux. Alors qu'elle s'apprêtait à récurer sa théière, on frappa à la porte, la faisant sursauter. D'un geste vif, elle essuya ses cils humides et répondit d'une voix croassante :
« Entrez ! »
Un jeune homme blond au regard d'acier franchit le seuil et dit d'une voix grave :
« Je crois qu'il faut qu'on parle Granger. »
Il referma sur les regards curieux des collègues d'Hermione et lança un sort.
« Inutile d'insonoriser, dit Hermione. J'ai besoin de prendre l'air.
— Parfait, moi aussi ! »
Hermione attrapa sa veste et verrouilla derrière eux.
Dans l'ascenseur puis dans le hall, elle sentait la colère sourde de Malfoy dans son dos. Elle allait passer un très mauvais quart d'heure, elle le savait. Autant qu'il y ait le moins de témoins possible à la dispute qui allait suivre. Arrivée à l'air de transplanage, elle dit :
« Une idée ? »
Pour toute réponse, Draco attrapa brusquement son bras et les fit tournoyer.