Je ne suis pas un héros by CacheCoeur
Summary:

Dessin réalisé par Nesache ❤

1914. Archer Evermonde, le premier ministre de la magie, a fait promulguer une loi interdisant aux sorciers de se mêler à la guerre des tranchées, afin de préserver le code international du secret magique. Deux ans après, la guerre est une véritable boucherie et Evan Wallergan, lui, s’en moque bien du code international du secret magique. De toute façon, il ne se sent même pas véritablement concerné par ce secret...

Comment un cracmol comme lui le pourrait-il ? 

Participation au concours de Lyssa7, "Voyage, voyage..."


Categories: Autres fics HP Characters: Personnage original (OC)
Genres: Aventure/Action
Langue: Aucun
Warnings: Mort violente/Meurtre, Scène(s) gore(s)
Challenges: Aucun
Series: Bienvenue chez les CRACMOL, C comme concours "Voyage, voyage..." , De meilleurs lendemains ...
Chapters: 3 Completed: Oui Word count: 11694 Read: 3070 Published: 08/02/2020 Updated: 21/02/2020
II by CacheCoeur

Je me souviens parfaitement du jour où j’ai vu le Poudlard express pour la première fois. J’accompagnais Henry avec toute la famille. Mina trépignait d’impatience en pensant que dans deux ans, ce serait son tour. Moi, j’étais fasciné par la locomotive flamboyante. Henry m’avait même fait monter dans le train, pour que je puisse voir l’intérieur. Depuis ce jour, je rêvais secrètement toutes les nuits de ma rentrée à Poudlard. Henry m’avait fidèlement décrit dans ses lettres la salle commune des Serdaigle, Mina celle des Poufsouffle et moi, je me demandais où est-ce que j’irais. Ma mère disait que j’étais malin comme un Serpentard, mon père affirmait que je fonçais souvent tête baissée comme un Gryffondor… J’avais hâte de passer sous le choixpeau à mon tour.

Sauf que ma lettre à Poudlard n’est jamais arrivée. Je l’ai attendu le jour de mes onze ans pendant des heures. Ce qui m’a brisé le cœur, c’est le fait que j’étais le seul, à l’attendre. Ma mère, mon père, mon frère et ma sœur, ils savaient tous que je n’irai jamais à Poudlard, parce que j’étais, et je suis, incapable de faire de la magie. Enfant, je pensais que j’avais juste un peu de retard. C’était ce que disait ma grand-mère. J’ai été dans le déni pendant très longtemps. Mon père m’a fait partir dans un collège moldu privé et j’ai poursuivi mes études, loin de Poudlard, loin de mon frère et de ma sœur. J’ai détesté tout le monde. Moi le premier.

On m’a interdit de monter sur un balai, parce que si je vole trop haut et que je tombe alors que je suis seul, je serais incapable d’arrêter ma chute. On m’a refusé l’entrée dans les écoles supérieures de potions alors que je suis doué. Ma mère m’a formé et elle est la sorcière la plus brillante que je connaisse. On ne m’a jamais appris à lire les runes, à m’occuper d’animaux magiques, ni même des plantes magiques. On m’a fermé les portes du monde magique, alors que je suis né dedans. On m’a emprisonné dans un environnement dans lequel on me considère comme un parasite.

Les sorciers n’aiment pas les cracmols. Les sang-purs les aiment encore moins. Les parents de mon père l’ont définitivement renié quand ils ont su pour moi. Leurs rapports n’étaient pas vraiment cordiaux, même avant ça, mais le fait que je sois un cracmol a définitivement rompu tous les liens qu’ils continuaient d’entretenir malgré tout.

Comment moi, Evan Wallergan, un héritier de deux personnes au sang-pur, pouvait être un cracmol ? Pourquoi moi ? Pourquoi pas Henry ou Mina ? Aujourd’hui encore, je ne le comprends et ne l’explique pas. Les cracmols sont rares. La magie est puissante, surtout dans notre famille. Mais moi, elle m’a évité. J’ai dû grandir en affrontant la honte, dans l’ombre. Quand mes parents se rendaient à des réceptions, je restais à la maison. Henry me rapportait des pâtisseries, Mina me racontait les derniers potins. Moi, je n’étais pas le bienvenu, considéré comme un moins que rien, un raté, pour quelque chose que je n’ai pas choisi, que je subis, quelque chose que je n’ai pas contrôlé.

- T’es un rêveur toi, ricane un homme à mes côtés.

Il est blond et il porte des lunettes. Il a l’air si jeune.

- J’aime bien être seul avec mes pensées.

- Je crois qu’être seul avec ses pensées, ici, ce n’est pas une bonne chose, marmonne-t-il. Je m’appelle Owen.

- Evan, je me présente à mon tour.

- C’est ton frère à côté ?

Henry regarde au loin et serre contre lui son sac en toile. Nous sommes arrivés en France il y a deux jours. Je ne saurais même pas dire exactement où nous sommes exactement. Nous occupons la rive nord d’un fleuve, dans le département de la Somme.

- Oui, c’est mon frère, je lui confirme.

- Vous vous ressemblez.

- Physiquement peut-être, mais je t’assure que je suis le plus drôle des deux.

- Je n’en doute pas. Il tire une tête de six pieds de long ton frangin ! plaisante Owen.

Il me tend une cigarette que j’accepte. Je tousse en inhalant la fumée et il se moque de moi en me donnant des tapes régulières dans le dos. Des soldats viennent et défilent, le pas sûr mais pressé. Je ne sais pas comment ils font pour se repérer dans les tranchées. Il a plu pendant des heures hier. Je ne sais pas où est John.

- Il n’a pas l’air d’aller bien, ton frère.

- Ne fais pas attention à lui, je murmure. Il s’est engagé seulement pour me suivre.

- Mes amis et moi nous nous sommes engagés nous aussi. Vous venez d’où, ton frère et toi ?

J’ai entendu parler de ces «Bataillons de copains», avec un argument simple : «Engagez-vous ensemble, vous servirez ensemble. ». Ces bataillons ont surtout l’avantage d’économiser au gouvernement britannique le soin de créer, et donc de financer, tout un système de recrutement par conscription, coûteux et lent à mettre en place. Beaucoup d’hommes se sont engagés au début de la guerre, grâce à un véritable élan patriotique. Ils ne sont pas expérimentés cependant… Georges faisait parti de l’armée professionnelle, il n’a pas été recruté, ne s’est pas non plus engagé : il n'a pas eu le choix. C’était son métier, et quand la guerre a commencé, on ne pensait pas que les civils seraient forcés de se battre eux aussi. Plus personne n'a le choix. Depuis janvier dernier, le service militaire est obligatoire pour les hommes de dix-huit à quarante-et-un ans. Ces hommes autour de moi n’ont aucune expérience du combat. Pas plus que les sorciers. Mais eux, au moins ont la magie. Et moi j’ai mes potions. Ainsi que mon frère… L'égalité, c'est une vaste connerie quand on y pense... Nous n'avons pas tous les mêmes chances de survie.

- Demain, on va lancer notre première grande offensive de la guerre. Juste pour donner un peu d’air aux français, à Verdun, en attaquant sur ce secteur, marmonne-t-il sans me laisser répondre à sa question.

Je fronce les sourcils. Il est si pâle alors qu’il secoue la tête Je me rends compte seulement maintenant comme ses mains tremblent et comme ses jambes semblent incapables de soutenir le poids de tout son corps.

- Qu’importe, soupire-t-il en terminant sa cigarette. Ce sera facile.

Au loin, ses amis l’appellent. Ils forment un bon groupe de dix hommes. Ils s’appellent tous par leurs prénoms. Ils se connaissent depuis toujours, ça se ressent. Il y a un roux tout petit, dont la taille contraste étrangement avec celle d’un brun aux membres dégingandés et effroyablement longs. Ils se donnent tous l’accolade. L’un d’eux chante un peu trop fort. Un autre encore, boit et je l’envie un moment en me disant que moi aussi, j’aimerais boire et que je donnerais n’importe quoi pour m’enivrer, même avec de la liqueur, alors que j’ai horreur de ça. On nous a répété toute la journée que l’attaque de demain serait une promenade de santé, que les bombardements effectués jusqu’à la veille avaient détruit les lignes de défenses des allemands, ainsi que leurs mitrailleuses et leurs abris de positions… Des milliers de canons de 75 ont été placés tous les 12 mètres sur un front de 50 kilomètres, projetant des obus, nuit et jour, durant une semaine. 20 millions d'obus ont été envoyés.

- Ça fait une moyenne de dix obus par ennemi posté en face, fait gaiement Owen après m’avoir présenté ses amis.

- Demain, ce sera notre baptême de feu ! s’enthousiasme presque l’un d’eux.

- J’ai hâte, sautille un autre.

Les tranchées allemandes sont vides de troupes. C’est ce qu’on nous répète depuis hier soir. Je m’endors en observant mon frère, qui me regarde lui aussi. Sa baguette est dans sa poche et il a enchanté, lancé des sortilèges sur tous nos équipements avant de se coucher. Il a répété chacun de ses gestes au moins trois fois.

J’ai hurlé quand Henry m’a suivi jusqu’ici. Il ne m’a pas lancé de petrificus totalus, contrairement à la dernière fois. Il s’est contenté de marcher à mes côtés jusqu’au portoloin clandestin. J’ai fulminé sur tout le chemin. Mais ma colère a explosé quand Mina s’est jointe à nous, en tranplanant juste à temps à nos côtés pour saisir la coupe qui faisait office de portoloin. Elle est actuellement dans l’un des hôpitaux militaires formés dans les villages aux alentours. Je suppose que ses talents de médicomage seront utiles… Je déteste cependant l’idée de les savoir ici pour moi, pour me surveiller. Henry ne m’a pas adressé la parole depuis que nous sommes ici.

Le lendemain, nous partons tous au pas vers les tranchées ennemies après être sortis de nos boyaux de boue. Owen me salue, entouré par ses amis. Nous marchons quelques instants, dans un silence qui n’a rien de pesant, mais rien de léger non plus. Les hommes sont lourdement chargés avec plus de 30 kg d'équipement. Henry s’est chargé des nôtres, si bien que je ne ressens aucun poids sur mes épaules. L’ordre de ne pas courir nous a été fait. Nous avançons donc calmement, toujours au pas.

- Ce n’est pas normal, murmure Henry.

Ce sont les premiers mots qui sortent de sa bouche en deux jours.

- Qu’est-ce qui n’est pas normal ?

- Regarde !

Il tend le doigt et désigne les réseaux barbelés qui zèbrent le sol. Je ne vois que des lignes d’hommes sur plusieurs mètres. Un fracas se fait entendre, suivi de plusieurs tirs qui déchirent le silence. Un mur parfait d’explosifs secoue tous nos corps comme des quilles. Chaque ligne de tranchées disparait dans un épais nuage de fumée et de poussière. Des hommes se mettent à crier et je n’ai même pas le temps de comprendre ce qu’il se passe. Les bombardements ont laissé intacts les barbelés que les soldats doivent couper sous le feu des mitrailleuses de l’ennemi. Les tirs d’artillerie, que cela soit les fusils ou les mitrailleuses, sont incessants mais ne couvrent ni les cris ni la douleur. Je trébuche une nouvelle fois, les pieds pris dans des barbelés, et un obus explose juste à mes côtés. Mes oreilles bourdonnent. Au loin me semble-t-il, alors qu’il est juste à côté de moi, Henry me hurle de me relever alors que je l’ai déjà fait. En relevant la tête, je constate que je ne suis pas le seul à m’empêtrer dans des barbelés. Les soldats se tortillent dans tous les sens pour s’en démêler et on dirait presque des moustiques, pris aux pièges dans des toiles d’araignée. Ils gesticulent dans tous les sens sans s'en défaire. Ils vont crever comme ça, paniqués, en attendant la balle qui les tuera. Les détonations s’enchaînent avec fracas et des colonnes de terres entières, noires, jaunes, brunes s’élèvent haut dans le ciel pour nous ensevelir. On n’y voit rien. C’est toute la terre qui tremble et gronde de colère.

Des hommes tombent autour de nous, soudainement inanimés, inertes, sans vie, alors que nous restons debout. Je regarde Owen, Harry, Peter, Rupert, et tous les autres. Dans mes poches, les fioles contenant mes potions tintent. J’accours vers eux. Rupert à le visage en sang et je n’arrive même pas à déterminer si c’est le sien. Harry vient de s’écrouler sur le sol et quelqu’un le secoue dans tous les sens en lui hurlant de se remettre sur ses deux pieds. Peter a la moitié du visage arraché, quand je me retourne vers lui. Je peux voir ses dents alors qu’il n’a même pas ouvert la bouche. Il tient son oreille dans ses mains, avant de s’évanouir. Je n’ai même pas le temps de les sauver. Ils sont tous morts, ou le seront bientôt, et du bataillon qu’ils formaient avec plus de huit cent hommes, il n’en reste rien. Que des cadavres. L’ensemble de la brigade est presque anéanti. Je regarde mes mains. Elles tremblent.

Je ne me suis jamais senti aussi inutile de ma vie, même quand j’ai appris que je ne ferai jamais de magie.

Le staccato des mitraillettes me donne un rythme. Si je ne bouge pas, je ne sers vraiment à rien. Alors je m'active, au son des balles qui sifflent près de mes oreilles et qui pourraient me transpercer. Si mon frère n'avait pas enchanté mon équipement, je serai mort mille fois.

J’ai l’impression d’être seul. Il n’y a que le chaos et la désolation autour de moi. Je me reprends définitivement, en constatant que mon frère est immobile à mes côtés.

- Il faut que tu bouges, je lui ordonne. Il faut agir !

Mais il reste immobile, alors je l’agrippe violemment et le force à me suivre. Il tient sa baguette dans ses mains, plus blanches que jamais. J’entends tellement d’appels à l’aide que je ne sais pas par où aller, par où commencer. Tout ce que je devine, c’est que de continuer d’avancer ne nous mènera qu’à une mort certaine. Pourtant, c’est ce qu’ils font tous… Alors quand un garçon de mon âge s’échoue à mes pieds et me lance un regard suppliant, je m’agenouille à ses côtés en sortant de mes poches l’essence de dictame pour recomposer son bras à moitié arraché. Je vérifie son pouls, alors qu’il s’est évanoui. Il est lent mais régulier. Henry hoche la tête. Je viens de sauver une vie. Une seule vie. Là où une montagne de cadavres nous entoure…

 

***

 

Henry ne me quitte pas des yeux depuis que nous sommes rentrés. Son uniforme est taché. Cela fait deux semaines que notre quotidien est le même. Pourtant, quand j’observe mon frère j’ai l’impression que cela fait deux ans.

Chaque jour, à l’aurore, les allemands attaquent. Ils nous réveillent, et les yeux encore embués de sommeil, nous devons garder les tranchées de la ligne de front. Les rares jours où il n’y a pas eu d’assaut, ce qui n’est arrivé que trois fois, nous nous rassemblons pour des inspections, le déjeuner et nos rations quotidiennes de rhum. Je refile la mienne à Henry. Quand il fait jour, nous effectuons tous les travaux sous terre et à l’abri des fusils des tireurs d’élite. Entre les corvées, certains lisent, rédigent leur journal, écrivent des lettres ou jouent à des jeux de hasard. Certains somnolent aussi. Parce que même si les bruits de la guerre nous hantent constament, au final, la fatigue l’emporte parfois. John, qui nous a rejoints la semaine dernière, dit que dans les tranchées, tout est un jeu de hasard de toute façon.

Quand la nuit tombe, nous nous activons plus. C’est le moment où nous sortons hors des tranchées et avançons dans le no man’s land, cette zone de mort, de terrain dévasté entre notre armée et l’armée allemande. Des équipes de travail y réparent les barbelés ou creusent de nouvelles tranchées. Des opérations plus offensives sont parfois menées et consistent à patrouiller pour détecter l’activité des ennemis, effectuer des raids pour tuer, capturer des soldats ennemis ou recueillir des renseignements.

Mais qu’importe la nuit, ou le jour, la mort s’en fiche pas mal de l’heure qu’il est, surtout quand elle considère que la nôtre est venue. Elle fauche inexorablement toutes vies autour de moi. Les tirs d’embuscade et d’obus sont constants, réguliers, si bien que je ne me souviens même plus du bruit du silence. Quand il n’y a pas d’assaut, on entend les gémissements de douleurs de nos compagnons qui sont restés dans le no man’s land, ceux qu’on n’a pas pu ramener avec nous et qui attendent qu’on vienne les secourir.  Ce qu’on peut rarement faire. Ils espèrent mais au fond, ils savent qu'ils vont mourir seuls. Lorsqu'une voix se tait, deux autres prennent parfois le relais et ça ne s'arrête jamais.  Au final, c’est quand on ne les entend plus gémir que c’est le pire.

- Tout ça, tout ce qu’on vit, c’est de ta faute, m’accuse-t-il.

- Je ne t’ai jamais forcé à me suivre, je grogne en nettoyant un coin de la tranchée.

- Si Evan.

- Non Henry. Tu m’as suivi. Tu as pris le portoloin. Tu as décidé de devenir mon ombre.

- Pour te protéger.

- Pour la dernière fois, je n’ai pas besoin de protection.

- Regarde autour de toi Evan.

Il n’y a que des gens seuls.

- On ne voit que la mort. Ça pue la mort. On touche la mort. On vit dans la mort. Je suis ton frère et je t’aime.

Je m’adosse contre une fortification. Puis je me ravise : elle grince trop et pourrait s'écrouler.

- Encore une fois Henry, tu n’étais pas obligé de me suivre, je grommelle.

- Sans moi, tu serais mort.

- Arrête de penser que je ne suis qu’un petit être fragile. L’officier Douglas est mort il y a trois jours. C’était un sorcier. Même vous, vous n’êtes pas infaillibles. Ce qui nous sauve, ce n’est pas la magie, c’est la chance.

- Arrête de tout ramener au fait que tu sois cracmol.

- Pourtant c’est bien pour ça que tu m’as suivi ?

Henry éclate de rire.

- T’es qu’un sombre crétin Evan. Je t’ai suivi parce que tu as une santé fragile. Tu tombes malade toutes les trois semaines. Tu es frêle, malingre, même si tu manges comme quatre. Je ne t’ai pas suivi parce que tu es cracmol. Je t’ai suivi parce que tu es mon frère. Mon petit frère et Merlin pour la dernière fois… Je t’aime !

- Ne me mens pas.

- Je ne te mens pas.

- Ne fais pas comme si vous n’aviez pas honte de moi. Comme si vous vous ne inquiétiez pas constamment pour mon avenir ou de ce que je vais devenir. Comme si vous ne me cachiez pas aux yeux de toute la communauté sorcière... Je ne suis pas un crétin.

Henry jette sa veste et passe une main dans ses cheveux, pleins de poussière.

- On n’a pas honte de toi. Tu as honte de toi. N'inverse pas les rôles. Ne prétends pas être dans nos têtes ! On ne s’inquiète pas pour toi. On sait que tu deviendras un brillant médecin. Papa et maman ne financeraient pas tes études sinon... Ils ne font jamais de mauvais investissement, même pour faire plaisir à leurs enfants ! On ne te cache pas des sorciers. C’est eux, qu’on éloigne de toi, parce qu’on ne veut pas que tu aies à affronter leur stupidité car tu es…

- Parce que je suis quoi ? je l’interromps.

- Parce que tu n’es pas comme eux.

- Pas comme vous.

Mon frère n'a jamais compris ou réussi à admettre qu'un fossé nous séparait, lui et moi. Henry croise les bras sur sa poitrine et désigne un groupe d’hommes.

- Et tu penses être comme eux ?

Je n’en sais rien. Je ne suis ni sorcier, ni moldu. Je ne suis pas vraiment entre les deux. Je ne peux pas m’intégrer dans la communauté sorcière. Je ne suis pas allé à Poudlard. Les lois sorcières m’interdisent de tenir un commerce de sorcier, d’accéder à des études supérieures de potions. Chez eux, je suis condamné à faire leurs basses besognes. La magie fait partie de ma vie, mais je ne suis pas sorcier. Je ne suis pas un moldu pour autant. Je connais tous les secrets, tout ce qu’on leur cache. Ce monde n’est pas fait pour les entres-deux. Je ne suis ni l’un ni l’autre, ou l’un et l’autre. Je n’appartiens à aucun groupe, à aucune communauté. Les gens comme moi sont seuls tout le temps.

Peut-être qu’en m’engageant parmi les sorciers réfractaires à la loi d’Archer Evermonde, je pensais enfin m’intégrer à un groupe. Je pensais enfin être utile. Mais je n’ai fait qu’attirer la haine de mon frère.

- Tu n’aurais jamais dû venir, je lui fais.

- Non, je n’aurais jamais dû venir.

Il se gratte la tête et instantanément, je m’en inquiète, parce que je n’ai pas envie qu’il attrape des poux et attrape la fièvre des tranchées. Il soupire lourdement, en colère, les poings serrés mais fatigués. John s'élance subitement vers nous, l'air indécemment léger. 

- Eh Evan ! J’ai des nouvelles du soldat que tu as sauvé hier ! Il a repris connaissance et il va s’en sortir ! m’apprend-t-il en tapant mon épaule, amicalement.

Je n’en retire aucune fierté.

Owen me tend une cigarette en nous rejoignant. Ses yeux sont tellement enfoncés dans leurs orbites que je me demande s’il y voit vraiment… J’inhale la fumée de ma cigarette. On s’habitue vite au goût du tabac, même si c’est dégueulasse.

 

***

 

- Evan.

- Quoi ?

- T'es en train de fumer le mégot de ta cigarette, m’apprend John.

- Oh, je fais en jetant ce dernier.

Il est si pâle que même la poussière a plus d'éclat que son teint blafard. Ses joues se sont creusées, ses yeux sont ternes et l'arrête de son nez s'est tordue. Son uniforme est bien trop grand, tout boueux, parce qu’il a plu hier, et les manches, qu'il a consciencieusement retroussées, laissent apparaître sa peau et ses os au niveau de ses poignets. Je sais que dans sa sacoche, il y a sa baguette magique, et qu'il est prêt à s'en saisir tout instant.

- Tu trouves ça normal, que nos armes soient plus propres que tout le reste ? Je murmure.

- J'en sais rien, répond John en haussant les épaules.

- Tu penses qu'elle fait quoi Mina ?

- J'en sais rien.

- Elle doit sûrement s'occuper des blessés et les asperger d'essence de dictame en susurrant à tous les officiers des « Laissez-moi soigner vos blessures » pour les distraire...

- J'en sais rien. J’espère pour eux…

- J'ai froid.

- Nous sommes en septembre, marmonne John.

- J'ai faim.

- Il a plu hier.

Henry vient vers nous, le regard de mon frère est vide. Il surveille ce qui se passe devant lui.

- Oh regarde Henry !

Je lui donne un coup de coude. Enfants, Mina, Henry et moi adorions nous cacher dans le vieux grenier du manoir. Les poutres étaient pleines de trous et le plancher grinçait. Nous y passions des heures... La chaleur y était étouffante, et pourtant, nous y étions toujours fourrés, même durant l'été. Et parfois, le soleil éclairait l'obscurité et faisait danser la poussière. Nous soufflions dessus, pour jouer, nous amuser...

- Quoi ?

- On dirait que la poussière danse...

- C'est juste le vent, Evan…

John me tend une autre cigarette.

- Tu te souviens des jeux qu’on inventait gamin ? Quand on s’amusait à se pourchasser ?

- Ouais, je fais.

- J’ai l’impression qu’on joue toujours. Le chat c’est eux. Nous, on est les souris et quand on perd, on meurt.

- On ne perdra pas.

- On va rentrer chez nous, affirme John.

- On pourrait prendre un portoloin dès demain et s’enfuir. Jeter des confundo sur les moldus, les oubliéter encore une fois… Une ultime fois, juste pour leur faire oublier notre existence.

- J’y pense tous les jours, sourit-il.

- Comment tu fais pour tenir ?

- Je pense à tous ceux que je peux aider.

- Je fais pareil.

- Est-ce que ça fonctionne ?

- Non.

- Pour moi non plus.

Owen est mort hier. Ou il y a deux jours, je ne sais plus trop. Il n’est pas rentré en tous cas. C’était le dernier homme vivant de son bataillon de copains…

Je crois que la guerre nous rend égoïste.

 

***

 

Voilà des mois maintenant que je suis parti. Je ne me reconnais même plus. On me hurle de tirer, alors je tire, rendant peut-être une femme veuve et des enfants orphelins. On m'ordonne de lancer des grenades, alors je lance, en privant sûrement un soldat ennemi d'une jambe, d'un pied ou d'un bras entier. Au début, je me disais que ça ferait toujours une menace de moins, un homme qui ne tuerait pas l’un des miens, parce que je venais moi-même de lui ôter la vie.

Même si je suis un cracmol, je ne me suis jamais considéré comme un monstre. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Je ne suis qu'un vulgaire pantin qui obéit à un certain instinct, qui aurait sommeillé pendant tout ce temps au plus profond de mon être. Est-ce animal, monstrueux ou un réflexe de survie ? Je ne fais plus la différence. Je me dégoûte moi-même, et je me sens si mal et horrifié par tout ce que j'ai eu le déplaisir de voir ou de faire. Ces cadavres que je sème, comme si quelque chose de beau allait pouvoir pousser au milieu d'eux... Je crois devenir fou. Les cris de douleur me rendent sourd. La poussière, les gaz me rendent aveugles. Les hurlements me déchirent silencieusement les entrailles. Les appels au secours, je les ignore et les enterre au plus profond de mon cœur. Nos tranchées sont construites, renforcées sur nos morts. Tout pourrit.

Je ne trouve plus le sommeil : il m'a lâchement abandonné pour laisser place aux fantômes des malheureux que j'ai tués, que je tue et que je tuerais demain. Alors je me retourne pour trouver une position plus confortable sur ce misérable tas de débris et de terre que j'ai construit à partir de rien. Pour éviter la boue qui nous colle telle une seconde peau, je serais prêt à tout...

Je me suis mis à prier aussi. J'invoque secrètement un dieu, n'importe lequel, pour qu'il arrête ce carnage qui me torture, me saigne et me tue lentement tel un poison. Mon seul dieu, avant c'était la liberté. Aujourd'hui, ce n'est que la peur et mes espoirs de paix irréalisables. Mais je continue de marcher, et peut-être que ça me maintient en vie... Je ne serai bientôt plus qu'un autre pantin. Mes heures sont comptées, et bientôt on coupera les fils qui me lient à la main qui m'anime.

Pour aller mieux, il ne me faut pas grand-chose, juste du sommeil et un ventre plein. Parce que j'ai arrêté de vouloir penser, j'ai arrêté de songer. La culpabilité ne me nourrit plus. C'est elle qui me ronge... Et je m'étais promis que cette guerre ne me changerait pas. J'ai échoué. J'ai lamentablement échoué. Tout ce que je sais, c'est que demain sera peut-être le dernier.

Je n’ai presque plus de potions. Je les rationne. Là où je faisais couler des fioles entières d’essence de dictame sur les blessures de mes frères d’armes, je n’en verse aujourd’hui que quelques gouttes. Il faut économiser la vie… Économiser tout, pour que chacun ait une chance.

John m’appelle pour jouer aux cartes. Allons voir si le hasard est de mon côté aujourd’hui…

 

***

 

- Laisse-moi !

- Tu plaisantes là ?

John tient fermement sa baguette dans les mains tandis qu’Henry est pâle et nous suit à la trace. A côté de nous, un moldu tombe touché à l’épaule. Nous avons grignoté un peu de terrain, que les allemands nous reprendront sûrement demain, et que nous reprendrons le surlendemain.

- Eh, relève-toi ! je lui hurle.

Il a si peur. Il est arrivé hier. Il m’a dit son prénom, mais je ne l’ai pas retenu. Pourquoi l’aurais-je fait ? Il est tétanisé.

- Tu t’appelles comment déjà ?

- Charlie.

- Secoue-toi, Charlie, hurle Wilfried.

C’est un moldu. Un poète. Il passe son temps à griffonner dans son carnet. Un obus explose à nous côtés et soulève dans les airs un monticule de cadavres. Chaque fois que nous devons traverser le no man’s land, je marche en regardant droit devant moi, pour ne pas voir les visages des gens morts, grignotés par les vers, pour ne pas apercevoir un bras, une jambe, un buste. Je suis en apnée, je retiens ma respiration jusqu'à voir des étoiles, pour ne pas sentir de l'odeur de la pourriture et de la décomposition. On est tous que de la viande, de la chair à canon et je n'ai pas besoin que mes sens me le rappelent.

- Il faut qu’on parte.

- Transplane, ordonne John à Henry. Emmène Evan et les autres.

- Et toi ?

- Il reste des hommes…

On les entend qui hurlent et souffrent sans se soucier de la bravoure, et de cette connerité de dignité qui voudrait qu'on meurt tous en silence et le regard fier d'avoir donné notre âme pour notre pays. Quand j’accours vers eux, Henry m’arrête et pointe du doigt Charlie. Sa blessure saigne tellement … Il me reste de l’essence de dictame, juste un peu mais la blessure n’est pas assez grave … Un sort devrait suffire. Je passe une épaule au niveau de sa taille, alors qu’il s’appuie de tout son poids sur moi. Il est en train de perdre connaissance.

- Charlie ! Eh Charlie ! je l’interpelle en lui tapotant les joues de ma main libre.

Ses yeux se ferment quand je le secoue après l’avoir rattrapé. Charlie ne porte pas de casque et je remarque une blessure à l’arrière de son crâne.

- Non, non, non, non, non…

J’en ai marre de voir mourir des gens.

- Dulce et decorum est pro patria mori, murmure Wilfried.

Il est doux et honorable de mourir pour sa patrie.

Que des conneries. John hurle quelque chose, puis s’arrête. Il a enlevé son casque pour le mettre sur la tête de Charlie. Une balle s’est perdue entre ses deux yeux. Il tombe écroulé dans mes bras et sa baguette, celle qu’il a acheté juste avant sa rentrée en première année à Poudlard, lui glisse entre les doigts. Le lendemain de son achat, il était venu me voir pour me la montrer, le sourire aux lèvres.

- Arresto Momentum !

Henry a arrêté juste à temps un obus, qu’il renvoie aux allemands d’un coup de baguette.

- Qu’est-ce qui vient de se passer ? murmure Wilfried, perdu. Que viens-tu de faire ?

Henry lui intime de se taire et agrippe son bras, ainsi que le mien, mais je m’échappe de son emprise. Je lâche Charlie, que mon frère rattrape et je me précipte vers john. Je tiens fermement  son corps inanimé dans mes bras. John est mon seul ami. Nos familles sont proches. Quand j’ai attendu ma lettre pour Poudlard et qu’elle n’est jamais arrivée, il a déclaré ne pas vouloir y aller si je ne venais pas. Sa mère a dû piquer une gueulante pour qu'il y aille. Il m’a écrit toutes les semaines. Il est resté à mes côtés toutes les fois où je broyais du noir…

- Evan, tu ne peux plus rien pour lui !

Je ferme les yeux bleus de John. Je ne réalise pas. Charlie gigote et a repris connaissance. Wilfried le soulève faiblement et je l’aide, alors que mon frère nous fait transplaner tous les quatre, loin du massacre, en abandonnant tous les autres.

 

***

 

- J’AURAIS PU LE SAUVER !

- Calme-toi !

Henry me force à le regarder.

- JE NE SERS A RIEN !

- FERME-LA UN PEU !

Henry crie rarement. Il déteste ça. Il sort de sa poche une feuille qu’il me tend. Des prénoms y figurent par centaines. Henry a écrit les mois qui ont défilé depuis que nous sommes ici, et juste en-dessous, alignés en colonne, des prénoms. Je réalise soudainement que cela fait plus de six mois que nous sommes ici.

- Eux, tu les as sauvés.

- Tu les as tous listés ?

- Parce que je savais que tu ne verrai que le mal en toi, tout ce que tu as été incapable de faire. T’es comme ça Evan… Tu ne vois toujours que le pire en toi.

- John est mort par ma faute.

- John est mort et ce n’est pas de ta faute.

- J’aurais pu le sauver, je répète comme une vieille rengaine.

Henry me force à lire sa liste.

- Eux tu les as sauvés, Evan. Pense à eux.

- Je n’ai rien fait seul.

Henry soupire bruyamment et serre les poings. Il est en colère.

- Evan, dès que j’entends une mitrailleuse, je me pétrifie. C’est grâce à toi que je suis encore en vie, même si c’est à cause de toi que j’ai peur de ne plus l’être. Parce que tu as assez de courage à chaque fois pour te retourner face à la mort et vérifier si je bouge et si je suis assez conscient pour lancer un sort et avancer.

Henry bafouille. Il ne le fait jamais.

- Ne dis pas n’importe quoi.

- Tu as raison. La magie, elle en a rien foutre de la mort. On aurait pu y passer mille fois, si tu n’avais pas été là. Charlie est encore vivant lui. Et il y a tous ces noms…

Peut-être que Henry a raison, et que je ne vois jamais que le pire en moi. Pour l’instant, tout ce que j’ai en tête, ce sont les visages de ceux que j’ai vu mourir parce que je n’ai pas été assez rapide, pas assez intelligent, parce que je n’avais pas assez de potions, parce que je suis incapable de faire de la magie, de transplaner. Si j’avais pu… Si seulement j’avais pu… La bataille de la Somme m’a enlevé ce que je savais ne pas posséder. Pourtant, ça me broie le cœur. Je ne suis qu’un cracmol inutile.

Je suis faible. Si faible… Je regarde Henry droit dans les yeux. Je pense à Mina, à mon père et à ma mère, à ma famille, mes cousins, mes cousines, ceux que j’aime.

- Je veux rentrer à la maison, je chuchote lâchement, les épaules basses et les membres tremblants.

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