Elle était seule, complètement seule. Paumée, perdue, noyée. Elle agonise, s’effondre, tandis que les limbes qui l’entourent l’engloutissent. Elle suffoque, expire, ses poumons la brûle. Ses larmes ruissellent et elle se perd. Elle coule, s’engloutit. Un peu plus, un peu plus loin, à chaque seconde, elle s’oublie toujours un peu plus vite. C’est la fin, la déchéance, la dégringolade. La chute est brutale, la perte violente et elle se dilue dans ses pleurs.
C’est la fin de l’adrénaline, le ralentissement des sens, l’oubli de soi. Et autour d’elle, le monde s’effondre. Rejetée, abandonnée, dédaignée, elle se retrouve sur le carreau.
Elle les exécré, les déteste, les abhorre. Ils la débectent, la dégoûtent.
Qui sont-ils pour oser la juger ? Pour la reléguer dans un coin comme un objet cassé dont on n’ose se séparer. Répudiée, repoussée, on l’a mise à la décharge.
Poupée brisée au creux défectueux. Visage de porcelaine balafrée. Elle est rayée, hideuse, bonne à jeter.
Ils l’ont excommuniée, frappée du sceau de l’infamie. Elle voulait juste de l’amour. Un geste apaisant qui l’aurait graciée, aurait apaisée son âme, lui aurait rendu quelques couleurs. Elle ne voulait que de l’amour. Des bras aimants. Un sourire apaisant. L’amour d’une mère. Mais elle n’a rien eu de tout ça.
Elle n’a eu que des valises sur un pas-de-porte morose, ses larmes pour pleurer, le silence d’un couloir d’immeuble. Elle n’avait eu que ses yeux pour pleurer, ses mains abîmées comme seule étreinte. Il n’y avait eu que le silence. Aucun mot ne fut prononcé, ni même laissé dans ses affaires.
Alors Lavande était resté sur le paillasson, recroquevillée, à maudire sa famille, à s’en écorcher la voix sans savoir si quelqu’un se trouvait de l’autre côté de la porte.
Et puis il lui avait fallu partir.
Au bout de combien de temps, d’heures, de jours ? Elle ne s’en souvenait plus. Elle ne se souvient que du vide, de l’absence et du silence. Elle ne se souvient que du sentiment d’abandon qui s’était emparé d’elle, du poids de ses bagages et de son cœur brisé.
Elle avait quitté le pallier de l’appartement où elle avait grandi sans piper un mot. Elle avait passé les portes de l’immeuble qui avait été sa maison sans se retourner. Elle n’avait plus rien sur quoi jeter un dernier regard. Sa vie venait de prendre fin.
Ils lui avaient tout pris, tout donné, tout fourré dans ses valises qui meurtrissaient ses mains tout autant que son âme. On lui avait tout pris, sa vie, sa famille, ses espoirs, ses rêves, et même des bouts de chair. Ils l’avaient brisée. Tous, ils l’avaient détruite. Sa famille. Le système. Greyback.
Ils l’avaient cassée comme une poupée de porcelaine et avait laissé les morceaux sur le sol, répandus en un puzzle insoluble. Personne n’avait tenté de la ramasser, de recoller les brisures. On l’avait laissé sur le trottoir, bonne pour les encombrants.
Elle n’était qu’une ordure de plus dont on devait se débarrasser. Et c’est ce que ses parents avaient fait sans tarder. À peine rentrée de l’hôpital, elle avait trouvé ses valises sur le pas de la porte.
Et alors elle avait compris. Admis que toutes les excuses qu’elle avait donné à leurs absences, leurs silences, étaient fausses.