Summary: 
art by tohdraws sur DA
Le problème des souvenirs, c'est qu'ils vous hantent.
Des années après "cet été-là", James, Rose, Scorpius et Hugo se retrouvent à l'ombre de leur mémoire pour honorer leurs morts. Ou sombrer avec eux.
Cet été-là...
Sous les fortes chaleurs de l'adolescence, à l'orée d'un drame familial qui se joue en coulisses, Scorpius tombe amoureux, James est tiraillé entre l'envie d'être lui et l'envie d'être un autre, Albus tire les ficelles, Rose soutient l'échafaudage branlant de leur enfance, et Hugo observe Lily, silencieux.
Ils ont dix-sept ans, seize ans et quatorze ans, peut-être éternellement.
Pour Calixto <3
Categories: Romance (Slash),
"19 ans plus tard",
Tranches de vie Characters: Albus S. Potter, Hugo Granger-Weasley, James S. Potter, Lily L. Potter, Rose Granger-Weasley, Scorpius Malefoy
Genres: Amitié, Famille, Tragédie/Drame
Langue: Français
Warnings: Lemon soft, Scène(s) gore(s)
Challenges: Aucun
Series: Textes sur la Nouvelle Génération, Personnages en quête de sens face à l'absence
Chapters: 3
Completed: Non
Word count: 7397
Read: 985
Published: 02/01/2022
Updated: 16/01/2022
Story Notes:
J'espère que vous aimez le drame, le angst, les gens bizarres et les secrets de famille, les amitiés toxiques et les relations tordues, les gens tristes, et les updates irréguliers. :mg:
Cette histoire est inspirée en autres du film Stand By Me, ça de Stephen King, Nuit d'été de Dan Simmons, et de tout un tas de musiques et de poèmes déprimants.
J'ai concocté une petite playlist :)
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1. HIVER - James by Roxane-James
2. HIVER - Rose by Roxane-James
3. HIVER - Scorpius by Roxane-James
HIVER - James by Roxane-James
Author's Notes:
Playlist de l'histoire
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HIVER
and with this bullet lodged in my chest,
covered with your name, I will turn myself into a gun, because I'm hungry
and hollow and just want something to call my own. I'll be your
slaughterhouse, your killing floor, your morgue
and final resting, walking around with this bullet inside me like the bullet
was already there, like it's been waiting inside me the whole time.
- Extrait du poème Wishbone de Richard Siken
1.
James se réveilla dans sa voiture, le cou en vrac. Il avait dû appuyer par mégarde sur le tableau de bord en tentant de trouver une position plus confortable car la radio crachotait à présent ce qui ressemblait à un vieux tube des années 60. « When the night has come... And the land is dark... And the moon is the only light we'll see... No, I won't be afraid... Oh, I won't be afraid... Just as long as you stand... Stand by me... » James esquissa un sourire tandis que la voix franche du chanteur emplissait l'habitacle du véhicule. Ce n'était pas un mauvais son. En fait, il trouva même que les paroles avaient quelque chose de vaguement réconfortant, comme un goût de souvenir ensoleillé, le parfum mûr d'un après-midi d'été tapi dans les recoins obscurs de sa mémoire. James s'étira, la bouche sèche de n'avoir rien bu depuis des heures, et jeta un coup d'œil au paysage lugubre qui s'étirait derrière son pare-brise. En face de lui, la mer léchait une plage de sable jaune fade et un cercle de mouettes faisait des courbettes sur la jetée. Quelqu'un avait balancé les restes d'un sandwich sur un bloc de béton abandonné aux caprices du vent et du sel, et les goélands se le disputaient à coups de bec et de cris indignés. Stupides poulets, songea James en les surveillant du coin de l'œil. Le rire de Rose Weasley résonna à l'arrière de sa tête, comme un écho à sa réflexion. Sa cousine avait horreur des oiseaux. Enfant, James s'était souvent moqué de cette phobie un peu bizarre, incapable de comprendre ce qui pouvait bien effrayer une fille comme Rose dans la vision d'un sac de plumes au dandinement maladroit. Maintenant, il ne disait plus rien. Il n'avait plus revu Rose depuis près de cinq ans.
« C'était donc Stand By Me à l'antenne, chanson interprétée par Ben E. King pour la première fois en 1961, maintenant laissons place à un classique de Led Zeppelin avec Whole Lotta Love qui vous donnera des frissons en ce lundi matin et... » James coupa la radio, réduisant le flot de paroles du chroniqueur à un silence bienvenu. Lundi matin. On était lundi matin. James décida qu'il était incapable de traiter cette information l'estomac vide, attrapa sa besace jetée sur la plage arrière, et s'extirpa de sa voiture en grelottant. Le vent lui mordit le visage sitôt qu'il eut un pied dehors. James rabattit vivement le col de sa veste d'aviateur sur son cou, verrouilla sa portière et rangea ses clefs dans son sac tout en examinant les environs à la recherche d'un endroit à l'abri du froid et de l'humidité. Ses pas le portèrent naturellement en centre-ville - si l'on pouvait qualifier de centre-ville les quatre bâtiments de briques rouges et de murs blanchis à la chaux qui se coudoyaient autour de la place de Cloverfield. La seule vitrine animée appartenait à un Bed & Breakfast dont l'enseigne défraîchie indiquait qu'il s'agissait de L'Albatros.
James contempla son reflet dans la vitre en se mordant l'intérieur de la bouche. Ses cheveux bruns étaient si emmêlés qu'on aurait dit qu'un oiseau y avait fait son nid, et son blouson orange vif gonflé par le vent ne parvenait pas à dissimuler sa minceur extrême ni ses traits tirés. Il avait des cernes plus noirs que ses yeux, et des croûtes de sang au niveau de l'arcade sourcilière et de ses pommettes. Son jeans noir était lui aussi taché de sang que James gratta d'un air absent.
« Ben merde, Jamie, t'as bouffé des pâquerettes par la racine ou quoi ? »
Dans son dos, Albus se balançait d'avant en arrière, comme d'habitude, un sourire narquois plaqué sur ses lèvres fines, sourire que James n'avait pas besoin de voir pour entendre à travers les voyelles sinueuses d'Albus, ses consonnes sourdes, le rire qui s'éternisait dans sa gorge. James ferma les yeux et les rouvrit, le souffle court. Albus.
« Des pissenlits, Al', dit-il. On dit « tu as mangé des pissenlits par la racine ». Pas des pâquerettes. »
Albus ricana et enfonça ses mains dans les poches de son short de pyjama. Il y avait de la terre sur ses jambes. Il y avait toujours de la terre sur ses jambes, de la boue coincée sous ses ongles de pieds, des ecchymoses de la taille de l'Amérique sur ses coudes pointus et ses genoux cagneux. James regardait ses jambes parce qu'il ne voulait pas voir au-dessus, le torse d'Albus, son t-shirt Guns N' Roses orné du logo de l'album Appetite For Destruction que James avait si souvent écouté cet été-là, ni au-dessus, le visage d'Albus, et les yeux fous qu'il savait qu'il rencontrerait s'il osait. Mais il n'osait pas. Il n'osait pas, il ne pouvait pas regarder Albus en face, il voulait qu'il parte, et il voulait qu'il reste, adieu.
« Ouais, fit Albus. Peu importante, tu vois ce que je veux dire. T'as l'air mort, Jamie. »
Il éclata d'un rire aigu qui rappelait le cri des mouettes sur la jetée. James déglutit. Il n'aimait pas ce rire. Il se souvenait enfant, avoir essayé de l'étouffer sous la pression d'un oreiller collé à une bouche, d'un oreiller que l'on écrasait contre des oreilles. Le rire pourtant grondait, comme le remous lointain des vagues.
« Ne m'appelle pas Jamie », dit-il.
Les bras d'Albus ceignirent sa taille, et comme chaque fois qu'il l'étreignait, James se sentit saturé d'un vide inexplicable. Toujours face à la vitre du Bed & Breakfast, James regarda son reflet caresser les doigts arachnéens d'Albus, les entremêler aux siens, et les serrer fort contre lui, comme s'il pouvait les sentir, comme s'il pouvait réparer les dégâts, comme si c'était suffisant. Comme si cela pouvait apaiser l'espèce de tsunami qui se formait dans sa gorge dès qu'Albus était là.
« Je rêve souvent de toi, avoua-il.
- Ne te fourre pas dans des bastons que tu ne peux pas gagner, Jamie.
- Je rêve que tu me plantes ce stupide couteau entre les côtes.
- Tu devrais au moins nettoyer tout ça ou tu vas finir à l'hosto avec une vilaine infection au visage, et tu finiras tout déformé, Jamie. Tout déformé, comme Elephant Man.
- Tu sais, le couteau que tu avais trouvé, cet été-là ?
- Tu n'as jamais été du genre costaud. Quand on était gosses, je me souviens qu'on se foutait de toi parce que t'étais pas capable de remporter un seul bras de fer. Même contre Lucy, nada. Tu te croutais à chaque fois.
- Je crois que ça me revient, maintenant.
- Victoire riait. Elle riait, Jamie, et toi, tu étais furieux.
- Oui, ça me revient, murmura James. Je voudrais bien que ça ne me revienne pas. »
Albus desserra son étreinte, et le front de James s'écrasa contre la vitre. Quelques secondes plus tard, une femme petite, grande, silhouette floue, indéterminée, teintes rouges, roses, blanches - ah, elle portait une robe vichy, et un tablier... Brodé ? - fit irruption à sa droite. Elle se tordait les mains et tendait le cou sur le côté, sa bouche s'ouvrant grand sur des dents bien rangées, et James la vit l'ouvrir et la refermer plusieurs fois sans comprendre un seul mot de ce qu'elle disait. Une autruche, pensa James, stupidement. Le bourdonnement qui parasitait ses oreilles se dissipa soudainement. James ne s'était même pas aperçu de sa présence. Il avait fallu qu'il cesse pour qu'il le remarque. C'était typique. Typique, tragique. James mettait toujours le doigt sur ce qui n'allait pas trop tard, explosait après la détonation, suffoquait sans réaliser qu'il avait une corde au cou, que, peut-être il se l'était lui-même passée. Albus appelait ça son « déclic à retardement », mais tout ce que James entendait, c'était « tic, tac, boum ». Dans la vie, il attendait l'impact tandis que les balles lui trouaient la poitrine.
« ...Bien, Monsieur ?
- Hein ? »
James se tourna vers la femme en clignant des yeux. Il trouva que le monde flottait bizarrement, des petits points grésillaient sur sa rétine, des dizaines de petites tumeurs faiblardes qui lui bousillaient le cadrage. Merde, il n'y voyait plus droit. Respire. Une respiration, deux, un souffle coincé dans la gorge, il fallait pousser, pousser, pousser... Voilà, comme ça, pensa-t-il en prenant une grande inspiration tandis que la sensation de tournis s'estompait un peu et que sa vision se clarifiait. Brutalement, le monde se remit debout et la voix de la femme perça le mur du son.
« Je vous demandais si vous vous sentiez bien ?
- Ça va, dit-il.
Mensonge en deux mots. Trente points. C'était comme caser le « Z » et le « Y » sur le scrabble de la vie, aurait dit Rose en riant. Mensonge en deux mots, c'était la spécialité de James.
- Vous... Vous êtes sûr, Monsieur ? Vous... Je vous ai vu tomber contre la vitre. J'ai cru que vous faisiez une attaque.
- Une attaque, répéta James d'une voix lente, le regard fixé sur les sourcils clairsemés de la femme.
- Oui. C'est parce que vous parliez, Monsieur. Je ne vous espionnais pas, seulement vous aviez l'air un peu perdu et vous vous êtes arrêté une bonne dizaine de minutes devant mon B&B, alors vous comprenez, j'étais curieuse...
- Je parlais.
- Oui, Monsieur. Et d'un coup, vous vous êtes affalé contre la vitre. »
La femme tripotait à présent son tablier, les yeux écarquillés face à son absence de réaction. Elle avait des cheveux gris au niveau des tempes, une bague en or à l'annulaire. L'alliance avait l'air neuve. Peut-être venait-elle d'épouser quelqu'un de bien et lui, il était là, brouillon contre son bonheur, fané. James ressentit un subi élan de pitié à son égard. Il n'avait pas voulu l'inquiéter. Il ne voulait inquiéter personne.
« Je suis désolé pour le dérangement, dit-il. Je cherchais seulement un endroit où manger, j'ai dû me perdre dans mes pensées. Je m'appelle James Potter », ajouta-il en lui offrant sa main.
Ella la lui serra, prise au dépourvu, et répondit d'une voix tremblante :
« Je sais, Monsieur. Vous nous avez appelé il y a une semaine pour réserver une chambre et un petit-déjeuner.
- Je ne pense pas, déclara James dans un rire, je n'avais même aucune idée que ce bled existait jusqu'à ce matin. J'ai roulé toute la nuit et je suis arrivée ici vers cinq heures. Je suis seulement de passage, vous comprenez ?
- Je vous assure, Monsieur, répondit la femme d'un ton hésitant, vous êtes inscrit sur mon registre depuis la semaine dernière. En fait, ajouta-t-elle d'une voix lente, il était même écrit que vous arriveriez sur les coups des dix heures. »
Comme si l'église du village avait attendu la fin de sa phrase pour s'animer, les cloches sonnèrent dix coups. James cligna une nouvelle fois des yeux, et se tourna pour échanger un regard stupéfait avec Albus.
Mais Albus n'était plus là. Il avait disparu.
HIVER - Rose by Roxane-James
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HIVER
2. Rose
Rose décrocha à la cinquième sonnerie. Elle savait déjà qui était au bout du fil, bien sûr. Elle l'avait lu dans ses cartes éparpillées sur le tapis persan délavé qui recouvrait le parquet de sa chambre. (En fait, elle n'avait pas besoin des cartes, elle l'avait su avant même que la figure Pendu ne fasse irruption dans son jeu). Elle était assise en tailleur au pied de son lit, un verre d'alcool à la main, sa tête appuyée contre la cuisse nue qu'Ada laissait pendre dans le vide, humant l'odeur fraîche que ses caresses avaient imprimé sur sa peau. Elle se disait qu'elle était heureuse mais que ça ne durerait pas. Ça ne durait jamais, et puis il était déjà trop tard. Alors, le téléphone avait sonné.
« Tu ne décroches pas ? » demanda Ada en tournant machinalement la tête vers le combiné archaïque qui siégeait sur sa table de chevet.
Rose compta le nombre de sonneries. Un vieux tic à l'arôme poussiéreux. Deux sonneries pour Maman. Trois pour Papa. Une pour Hugo... C'était stupide. Réconfortant. C'était comme un souvenir qu'on refusait de noyer dans la fange du présent. Rose n'avait qu'à fermer les yeux pour se revoir, enfant - mais avait-elle seulement quitté l'enfance ? - à genoux devant le téléphone du salon, sa main droite enfoncée dans la moquette qu'elle ratissait de ses ongles, attendant, attendant, attendant, que quelque chose se produise. Lorsqu'elle fut parvenue à trois, elle déposa le verre de Whisky Pur Feu qu'elle avait à la main, et la tendit vers le combiné. A quatre, Ada se redressa sur le matelas, faisant grincer les ressorts du sommier. Rose n'avait pas besoin de la regarder pour savoir qu'elle était belle, les lèvres encore rougies par ses baisers, sa peau brune se fondant dans les ombres de la pièce, ses yeux étincelant d'une intelligence vorace. Rose se demandait souvent ce qu'Ada fichait avec quelqu'un comme elle. Elle se disait qu'un jour, Ada réaliserait tout ce que Rose n'était pas, et tout ce qu'Ada était, et elle s'en irait sans dire au revoir. Quand cela arriverait, elle ne lui en voudrait pas. Elle comprendrait. D'autres l'avaient fait avant. Rose s'était elle-même quittée plus souvent qu'à son tour. Cette fois-ci, cependant, seul le visage émacié de son cousin flottait dans son esprit. D'autres prunelles se superposaient aux yeux de James. Yeux verts. Yeux mouchetés d'automne. Yeux de fer. Yeux bleus. Et puis le sien, son œil. L'accroc dans la toile d'araignée. Cela avait toujours été ainsi. Ils étaient trois, puis six, puis quatre, et le monde n'avait pas de sens. Mais peut-être n'avait-il pas besoin d'en avoir. Peut-être était-il censé être détraqué, absurde, brutal, parce qu'ils l'étaient aussi, qu'ils le désiraient dément.
« Je suis fou », murmurait Albus en souriant l'été de ses quinze ans.
Ils devaient l'être aussi, tant ils l'aimaient.
(À en mourir.)
« Rose ? »
Le regard intrigué d'Ada l'enveloppait d'un voile protecteur et familier. Rose regarda sa main. L'alliance sur son annulaire paraissait à sa place, comme une extension naturelle de son doigt. Tout ira bien.
La cinquième sonnerie résonna, bientôt remplacée par le grésillement caractéristique d'une communication qui s'établit. Rose pressa la paume de sa main contre son œil valide et inspira. Elle entendit son interlocuteur en faire de même de l'autre côté du fil. De l'autre côté du monde.
« Rose ? »
La voix de James était pleine de fêlures, mais dès qu'elle l'entendit, Rose fut parcourue d'un spasme d'allégresse. Enfin. Cinq ans après cet été-là, cinq ans après sa disparition, la voix de James perçait l'échafaudage silencieux qui prenait la poussière entre eux et Rose respirait. Les couleurs brûlaient plus fort derrière ses paupières closes. Elle ne demanda pas à James s'il ressentait aussi cette ivresse brutale qui lui tournait la tête. Elle le savait.
« James. »
Le prénom roula sur ses lèvres comme un sourire.
« James, où es-tu ? demanda Rose.
- Je ne sais pas, répondit James, d'un ton confus - et Rose sut qu'il fronçait légèrement les sourcils, chassant d'un geste distrait une mèche de cheveux qui balayait son front. Un village perdu au sud de l'Angleterre. Ça s'appelle Cloverfield, je crois. Je ne sais pas ce que je fous ici, ajouta-t-il après un silence. Je me suis réveillé dans ma bagnole ce matin, en face de la mer. Il y avait des mouettes. »
Rose frissonna. Dans son dos, elle entendit Ada s'enfermer discrètement dans la salle de bain après avoir jeté un sortilège d'ébullition à la bouilloire, et placé deux sachets de thé dans des tasses ébréchées dont l'une, ornée d'un Ispolin, proclamait « Coupe du monde de Quidditch 2014 » en caractères flamboyants. Ginny la lui avait offerte pour ses neuf ans, lorsqu'elle l'avait emmenée le jour de son anniversaire au match opposant la Bulgarie et le Canada. La Bulgarie avait raflé la Coupe au plus grand bonheur de Viktor Krum, un ami de la famille qui venait ponctuellement leur rendre visite avant que les choses ne tournent mal. Rose se souvenait avoir hurlé de concert avec lui, un sourire éclatant étirant ses lèvres, tandis que Ginny applaudissait de toutes ses forces. C'était une belle soirée. Mais comme les meilleurs et les pires souvenirs, celui-ci était recouvert d'une brume au parfum de banitsa et de baklava aux amandes que toute la magie du monde n'aurait su dissiper.
« Je t'appelle depuis un Bed & Breakfast, L'Albatros. Il y avait une réservation à mon nom quand je suis arrivé. Étrange, non ?
- Oui, répondit Rose sans vraiment le penser. Étrange. »
Il y eut un nouveau silence, puis la voix de James se fit plus claire de l'autre côté du fil :
« Je me suis dit que c'était peut-être toi. »
Rose hocha la tête. Oui, cela faisait sens. C'était peut-être elle. Le nom du village ne lui évoquait rien, pas plus que le nom de l'établissement, mais cela n'avait aucune importance. Rose avait pu décrocher le combiné à un moment la semaine dernière, composer le numéro de L'Albatros et réserver une chambre au nom de James Sirius Potter avant d'aller se recoucher, sachant sans pouvoir dire pourquoi qu'il s'y trouverait sept jours plus tard vers dix heures de la matinée. C'était des choses qui arrivaient parfois. Rose ne s'étonnait pas de ces incongruités.
« C'est possible, dit-elle.
- Tu ne te souviens pas ? demanda James.
- Non. Pas encore.
- Ça te reviendra plus tard.
- Oui », dit Rose en se levant pour enfiler sa robe de chambre étendue sur le dossier d'un fauteuil.
(Ça te reviendra plus tard. Les miettes de mémoire enterrées, les appendices de notre enfance. Le goût de terre gorgée de larmes. Le sang sur tes chaussures, aussi. Tout te reviendra quand il le faudra. D'ailleurs, tout commence à revenir un peu. Sens-tu la vague de froid sous tes paupières ? Le souffle tiède qui caresse ta nuque ? Oui, tu l'as deviné. Ils sont là, les souvenirs, là, ils rôdent, ils attendent leur heure... Ça te reviendra plus tard. Ça finit toujours par revenir, même quand on ne veut pas.)
James toussa à l'autre bout du fil, mais sa quinte de toux sonnait faux, comme si des mots lui éraflaient la trachée plutôt qu'un reste de grippe. James se débattait souvent avec ce genre de problème, avait remarqué Rose. Adolescent, déjà, les mots le fuyaient. Ses yeux parlaient à sa place. On pouvait entretenir toutes sortes de dialogues avec eux, des dialogues d'une honnêteté fulgurante. Rose, elle, y lisait ses hontes précoces sans peine, et ses secrets aussi. Elle savait qu'il détestait ça, qu'elle voit de la sorte à travers lui, comme s'il n'était rien d'autre qu'un paquet de cartes. Pourtant, il la laissait faire. C'était Rose, et c'était James. On n'y pouvait rien. Et comme chaque fois que cela se produisait, Rose le lança sur un autre sujet. Elle savait qu'il serait vain de le pousser à cracher le morceau. James parlerait quand il serait prêt.
« Je me suis mariée, annonça-t-elle à James en s'allongeant sur son lit.
- Oh, murmura James. Félicitations.
- C'est tout récent, ajouta Rose. La semaine dernière seulement.
- Tu aurais pu m'inviter, dit James d'un air faussement offusqué.
- Je l'ai fait, répliqua Rose d'un ton placide. Tu n'as pas répondu. »
Il y eut un silence gêné, puis James répondit :
« J'ai perdu mon portable.
- Mes hiboux ne t'ont pas non plus trouvé.
- Tu sais bien que j'ai horreur de ces sales bêtes.
- Ni mes lettres moldues.
- J'ai déménagé. Treize fois.
- Ni mes emails.
- Je n'ai plus d'ordinateur, je vis pratiquement dans ma voiture.
- Ni mes Patronus.
- Tu n'as jamais été capable d'en produire de parlants.
- James.
- Pardon, murmura James. Je suis désolé, Rose.
- Je sais, soupira Rose. Je sais. »
Ada s'activait désormais dans la cuisine. Rose entendait le cliquetis du grille-pain qui se met en branle et le bruit des portes de placard qui s'ouvrent et se referment dans un nuage de magie. Le tintement d'une petite cuiller contre une assiette en porcelaine précéda le chuintement de la radio. Rose esquissa un sourire tandis que I'll Be There des Jackson 5 retentissait dans l'appartement. « You and I must make a pact... We must bring salvation back... Where there is love, I'll be there... I'll reach out my hand to you... I'll have faith in all you do... Just call my name and I'll be there... » Combien de fois Ada et elle avaient-elles dansé sur cette chanson en préparant le petit-déjeuner ? Pas assez pour qu'elle s'en lasse, en tout cas.
Oh, pourvu que nous dansions toujours, toi et moi, mon amour.
« Elle s'appelle Ada, reprit-elle d'une voix égale. Je pense que tu l'aimerais bien.
- Ah oui ? Pourquoi ? »
Parce qu'elle ressemble un peu à Lily. Ou à Albus. Ou à ce que nous étions, ensemble, à ce que nous sommes encore. Elle ressemble aux bons jours.
« Je ne sais pas », mentit Rose. « C'est juste une impression, c'est tout. »
Elle se rongea les ongles. Un énième réflexe qui avait survécu à la dilatation des ans. Hugo le faisait aussi, parfois. Peut-être ce genre de tic courait-il dans le sang.
« Elle illustre des comics et elle écoute Queen en boucle », ajouta-t-elle après un instant de réflexion. « Elle m'a proposé de l'épouser dans les toilettes d'un cinéma. La première fois qu'elle m'a embrassée, elle portait une salopette jaune fluo. Elle sait cracher du feu à la Moldue. C'est un as aux échecs, pire que mon père sauf que contrairement à lui, elle prend un malin plaisir à écraser ses adversaires. Un jour, elle a assommé le commentateur d'un match de Quidditch en lui envoyant un cognard dans la figure. Elle dit qu'elle n'a pas fait exprès, mais elle sourit un peu trop fort quand elle en parle. Elle a lu tous les romans de Stephen King en moins de deux semaines, même ma mère était impressionnée.
- C'est lequel, son préféré ?
- Christine.
- Elle a l'air cool, dit James.
- Elle l'est », assura Rose.
Elle pouvait entendre le sourire de James dans son silence. Le même ornait ses lèvres. Un sourire qui rappelait ceux de cet été-là, dans sa splendide innocence et sa gaieté foudroyante. Avant le reste.
Avant la pluie. Les stèles gelées. L'hiver. Et, peu à peu, la mémoire qui s'effrite entre leurs doigts malades.
« Rose ?
- Oui, James ?
- On va se revoir, n'est-ce pas ? »
Rose hocha la tête. Cinq ans. Elle comprenait la question de James. Elle comprenait les interrogations qui se cachaient derrière les inflexions légères de sa voix, et la simplicité apparente d'une telle demande. Es-tu prête ? Et moi ? Suis-je prêt à me souvenir ? Sommes-nous prêts à revenir ? Et elle savait aussi que, quelles que soient ses intentions, leur volonté n'aurait aucun poids dans l'équation que la vie leur soumettait. Ils devaient le faire, c'est tout. Ils se l'étaient juré. De toute manière, le destin les poussait déjà dans le ravin. Il était trop tard pour reculer. James s'était réveillé ce matin à Cloverfield, et il l'avait appelée. Rose avait su qu'il l'appellerait, et elle avait répondu. Dans quelques heures, ou quelques minutes seulement, Hugo et Scorpius se mettraient en chemin. Peut-être étaient-ils déjà en route sans le savoir. Peut-être étaient-ils déjà en route il y a dix ans. Peut-être avaient-ils toujours été en route, dès le départ.
End Notes:
Le prochain chapitre est centré sur Scorpius. Je préviens en revanche qu'il y a une scène de sexe dans le prochain chapitre, et qu'elle est assez glauque.
HIVER - Scorpius by Roxane-James
Author's Notes:
Hello, on se retrouve pour un chapitre moins poétique que les deux autres... Parce que Scorp' est juste moins poétique en fait XD
Attention : Scène de sexe glauque en perspective et langage vulgaire
Playlist de l'histoire
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HIVER
3. Scorpius
Scorpius avait un type de mecs. Il les désirait petits, minces, bruns, pâles, les yeux noirs, et vêtus des accoutrements les plus scandaleusement inappropriés au mauvais temps possible. « Bizarrement spécifique », avait déclaré Hugo une fois qu'ils étaient assis autour d'un verre après l'un de ses concerts et que Scorpius s'étalait en long, en large et en travers sur son absence de vie sentimentale et le sentiment de frustration qui en résultait. « Tu ne veux pas me dire son nom, plutôt ? », avait-il ajouté en arquant les sourcils d'un air suggestif. Pour la peine, Scorpius lui avait balancé sa paille en bambou à la figure. Hugo avait éclaté de rire. « C'est personne », avait menti Scorpius. « Je te dis que j'ai un type, c'est tout. Voilà, un genre de mecs qui me fait bander. Okay, c'est spécifique. Mais merde, c'est un type de mecs... Tu ne peux pas comprendre », avait rétorqué Scorpius sur la défensive - sans pouvoir s'empêcher de rire à son tour face à l'hilarité de son ami - « tu es plus hétéro que...que... Enfin tu vois », avait-il conclu avec un geste contrarié. Hugo avait hoché la tête, un sourire moqueur au coin des lèvres. Il était peut-être hétéro, mais il comprenait très bien. Peut-être même mieux que ce que Scorpius aurait souhaité.
Normalement, Scorpius réservait ce genre de confessions pour Rose, mais elle n'avait pas pu assister à la dernière représentation des Phantasms of Oz. Elle avait des « choses à faire », avait-elle déclaré à Scorpius lorsqu'il lui avait passé un coup de Cheminette pour savoir si elle se joindrait à lui. Des choses qui, visiblement, n'incluaient pas d'aller danser au son des hurlements de son frère ou ceux de sa guitare ensorcelée. C'était tout aussi bien.
Scorpius adorait passer ses soirées avec les frangins Weasmoche, comme il les appelait, mais il appréciait aussi les têtes-à-têtes entre copains. Il aimait les parties d'échecs silencieuses, les conversations à mi-voix et l'impossibilité de faire appel à une tierce personne pour combler le silence. Il aimait l'impression de proximité qui lui broyait les sens quand il était seul avec quelqu'un en qui il avait une totale et aveugle confiance. Un dialogue muet s'installait alors dans l'étroitesse de leur entretien, et Scorpius se gorgeait de ces moments avec un appétit immodéré. Je suis là, et tu es là, et je t'aime, et je sais que tu m'aimes aussi, scandaient ses gestes. Regarde-moi, je t'aime. Je te connais, et je t'aime. Je connais tes tics et tes tocs, ton rire, tes peurs, je connais tes gestes, je sais que tu détestes que je te prenne la main mais que tu adores les étreintes, je sais que tu mets des feuilles de menthe dans ton verre d'eau pour lui donner du goût, et je sais que tu as horreur de Shakespeare mais que tu me laisseras quand même parler de mes pièces préférées pendant des heures si j'en ai envie. Il aimait cette sensation étrange qui germait dans sa poitrine lorsqu'il « connectait » avec quelqu'un. C'était puissant. Indescriptible. Addictif. Ça lui rappelait avant, quand Albus était encore là, pourpre, bouillonnant, réel, que Scorpius n'avait pas l'impression de devoir courir après les distractions pour combler le cratère béant dans sa poitrine. Alors non, Hugo et Rose, ce n'était pas comme Albus, ça n'avait pas sa saveur âpre ou son arrière-goût calciné, mais c'était ce qui s'en approchait le plus, et Scorpius ne pouvait imaginer une seconde ce que sa vie serait sans eux. Il les aimait comme on aime les gens avec lesquels on a grandi, qui nous ont blessés, détruits, reconstruits. Il les aimait comme on aime les gens qui connaissent nos cicatrices, portent les mêmes à leurs poignets, qui sont familiers de nos monstruosités, nos échecs et nos doutes. Il les aimait parce qu'ils l'aimaient, parce qu'ils savaient tout du néant, qu'ils partageaient le sien, qu'ils l'avaient fait leur.
« Tu parles beaucoup de tes amis », lui avait un jour reproché l'une de ses conquêtes alors qu'ils étaient au lit. « Tu en parles tout le temps, comme on parlerait de ses amants. » Scorpius avait haussé les épaules. « Je ne pourrais pas vivre sans eux », avait-il répondu. L'autre avait ri. Il ne comprenait pas. « Tu es tellement mélo, Malefoy ». Mais Scorpius ne pensait pas qu'il était mélo, ou dramatique, ou qu'il exagérait. Il savait que c'était vrai, que ses amis vivaient en lui et mourraient en lui quand il fermerait les yeux pour la dernière fois. Il savait qu'il était autre, que, parfois, il était eux. Qu'ils le laissaient se glisser dans leur peau, entre leurs secrets et leurs terreurs, tout comme eux l'habitaient à toute heure du jour et de la nuit, jusque dans les serres de ses cauchemars. Parfois, sa multiplicité lui faisait peur. Il craignait de se disloquer sous les ailes de leur amour. Parce que l'amour ébrèche au moins autant qu'il adoucit les maux. Parce que le leur était une sorte de monstre auquel ils avaient donné des griffes. « Je ne pourrais pas vivre sans eux », avait-il répété, intraitable. L'autre n'était pas resté.
Scorpius voyait souvent Rose, à Oxford ou ailleurs, mais Hugo, c'était plus compliqué. Suite à la sortie de leur dernier album, Hugo et sa bande n'étaient presque plus de passage à Londres, ni même en Angleterre. Ils tournaient en Europe, distribuant des flyers multicolores qui donnaient la migraine - au moins autant que leurs chansons - et accordaient des interviews aux magazines musicaux qui voulaient bien les écouter jacasser pendant des heures à propos des lyrics obscurs de leur dernier succès en date. Scorpius n'avait pas vraiment l'oreille musicale, mais il ne ratait jamais une occasion de voir son ami lorsqu'il se trouvait dans les parages. A force, il connaissait les collègues d'Hugo presque autant que les siens. « Salut, Malefoy ! », le saluait Skylar North, la trompettiste, lorsqu'il déambulait dans les coulisses de la salle de spectacle où les Phantasms of Oz se produisaient ce soir-là. « Toujours vivant, Malefoy ? Les études n'ont pas encore eu ta peau ? » plaisantait Quill, quand il le trouvait dans la loge d'Hugo, flairant d'un air faussement désapprobateur les potions d'euphorie et les élixirs de sommeil surdosés qui s'empilaient sur les étagères.
Scorpius aimait bien Quill. Avant de devenir bassiste, il avait poursuivi une carrière de Médicomage en Hongrie mais il avait fini par comprendre qu'il n'était pas fait pour ça et s'était reconverti dans la poterie, puis dans la poésie, et enfin dans la musique. Ils étaient déjà allés prendre un verre une fois ou deux sous prétexte d'aider Scorpius à réviser ses examens de Médicomagie (mais Quill avait déjà tout oublié, et, de toute manière, ça n'avait pas d'intérêt), puis avaient fini la nuit chez lui. Parfois, quand Quill faisait un saut à Oxford et que Scorpius avait besoin de tirer un coup, ils se donnaient rendez-vous, passaient une bonne soirée, et s'en allaient chacun de leur côté quand l'heure était venue. « Je n'aime pas me prendre la tête », affirmait Quill en se rhabillant le matin. Scorpius hochait la tête. Lui non plus n'aimait pas se prendre la tête. Ça ne l'empêchait pas de le faire.
Quill ne remplissait aucun des critères du « mec idéal de Scorpius Malefoy », comme se plaisait à répéter Hugo avec un sourire entendu. En fait, aucun des hommes avec lesquels Scorpius avait couché ne répondait à ses exigences. Sans doute parce qu'il ne pouvait pas s'imaginer faire ça avec quelqu'un qui lui ressemblait vraiment. Peut-être parce qu'il était plus facile de prétendre qu'il l'avait oublié, et ses envies avec. (Et les souvenirs, leur goût tiède, leur odeur de rires éraillés par la nuit). Quoiqu'il en soit, ce « désagrément » n'avait jamais empêché Scorpius de prendre son pied avec qui que ce soit, et il continuait bien continuer ainsi. Alors quand un type à l'allure de cow-boy qui partageait ses cours d'Alchimie Sanguine le lundi matin de neuf à dix lui avait proposé de se rendre à une soirée ensemble, il avait accepté.
Scorpius raffolait de ce genre d'évènements. Les soirées était le lieu idéal pour croiser du monde et tisser des liens, même dérisoires, avec des gens de son âge, affligés comme lui d'une chappe austère qui venait avec la réalisation que l'enfance vous tournait le dos sitôt que vous aviez un pied dans le monde des grands.
Le mal du siècle coûtait trois livres cinquante, le prix d'une bouteille de vin rouge et d'un paquet de chewing-gum goût nostalgie à la supérette Moldue du coin.
« C'était mieux avant », disaient les autres. Ils étaient affalés sur des canapés d'où sortait de la mousse, déjà torchés à vingt heures, en bonne voie pour une gueule de bois réussie. Scorpius acquiesçait en riant (jaune). C'était mieux avant. Avant, quand le monde possédait encore ses charmes saccharins, que le cratère n'existait pas. Oui, c'était mieux Avant, mais Avant faisait mal, aussi, surtout Maintenant, quand on prenait le temps d'y penser, de s'y replonger, de s'y immoler. Scorpius n'était pas un penseur. Les philosophes du bourdon, il les laissait près du comptoir à l'arrivée. Lui, ce qu'il voulait, c'était trouver le salut dans le divertissement. Il se vautrait dans l'effervescence générale avec un sourire félin, se laissait entraîner par la musique, des mains inconnues, des rires pétulants, des lèvres imbibées d'alcool, et il sombrait dans la lumière, sombrait, sombrait, sombrait, jusqu'à se perdre complètement de vue. Jusqu'à se désintégrer dans la vaste foule des autres, dans l'anonymat délirant du monde estudiantin.
Et Scorpius dansait. Il dansait. Et les mots perlaient sur sa peau, et les larmes affluaient à ses lèvres, et il tournait dans le vide, tournait, tournait, tournait, et les autres disaient « J'adore cette musique ! » et Scorpius hochait la tête, de la bière dégoulinant le long de son menton.
(I think of two young lovers
Running wild and free
I close my eyes and sometimes see
You in the shadows of this smoke-filled room
No telling how many tears
I've sat here and cried or how many lies that I've lied
Telling my poor heart
You will come back one day
I spend most every night
Beneath the light of a neon moon
If you lose your one and only
There's always room here for the lonely
To watch your broken dreams, dance in and out of the beams
Of a neon moon)
Là-bas, avec eux, à la lueur des néons et des pulsations de couleurs qui résultaient d'un sortilège d'éclairage particulièrement réussi, Scorpius parvenait à négliger l'Absence qui lui perforait l'abdomen.
Le manque, pendant un bref instant, s'estompait, recouvert par le vacarme ambiant. Scorpius respirait plus librement. Il disparaissait en lui-même, se fondait dans les autres, silhouette abstraite dans un océan de rêves contrariés, d'espoirs saturés de désirs, de joies commandées par la peine. Ici, tout le monde était tristement bienheureux, le rire faux et gras, théâtral, la peau suintante de la carapace que l'on abandonnait à l'orée des festivités pour l'enfiler de nouveau le lendemain comme si de rien n'était. Ici, dans le désastre pluriel d'une fête universitaire, il pouvait échapper à ses stupides ruminations pour la nuit. Il cessait un instant d'être Scorpius, le petit garçon et le jeune homme, l'adolescent coincé dans ses baskets.
Et son visage à lui s'effaçait, oui, se désagrégeait dans les limbes du plaisir, et rien n'avait plus d'importance, car Scorpius ne pouvait plus sentir son souvenir tambouriner contre son cœur, ses lèvres articulant son nom aux heures les plus noires. En soirée, il était minuit jusqu'à six heures, la fin du monde jusqu'au lendemain. En soirée, Scorpius l'oubliait juste le temps de reprendre son souffle, de mourir peut-être, heureux.
Sauf que ce soir, son imbécile de cerveau en avait décidé autrement.
« Malefoy », gémit une voix à son oreille, le ramenant brusquement à la réalité.
Scorpius cligna des yeux et baissa la tête vers ses mains, pour se rendre compte qu'il... Oh. D'une manière ou d'une autre, il avait oublié ce qu'il était en train de fabriquer. Cela n'était pas le cas de son compagnon qui, indifférent au flot indistinct de pensées qui lui encombraient l'esprit, pressait ses hanches contre les cuisses de Scorpius en ponctuant ses mouvements de halètements erratiques. Son sexe, sur lequel Scorpius exerçait des caresses circulaires d'un geste mécanique, était dur contre le sien. Le frottement prolongé de leurs membres envoyait des ondes de chaleur dans son bas-ventre, comme des éclats de rire. Scorpius ferma les yeux, se demanda comment il en était arrivé là, se souvint vaguement avoir monté un escalier, ouvert une porte à la volée, murmuré qu'il avait besoin de... Scorpius rouvrit les yeux. Merde. Il ne pouvait pas faire ça.
Au moment où il se résignait à ouvrir la bouche pour faire part de sa décision à son compagnon, celui-ci émit un soupir de frustration. Il se laissa tomber sur le matelas, entraînant Scorpius dans sa chute, et ils roulèrent tous les deux sur le côté, leurs jambes nues se heurtant dans un méli-mélo de blanc. Le type à l'allure de cow-boy se redressa sur son coude, plantant un regard décidé dans celui de Scorpius.
« Ecoute, Malefoy, dit-il. Tu peux continuer à m'appeler James si tu veux, Okay ? J'en ai rien à foutre. On a tous nos délires, je ne vais pas juger les tiens. Juste... Je pensais que tu voulais ça.
- Je... Oui, répliqua Scorpius, le souffle court, les yeux piquants. Oui, je voulais ça », termina-t-il d'une petite voix.
Il voulait ça. Il se souvenait, maintenant. (Douleur). Il se souvenait d'avoir vidé le quart d'une bouteille de Whisky Pur Feu avant qu'une main invisible ne la lui arrache, du goût suave de la Bièraubeurre sur sa langue, du pétillement acide du Gin de Lutin qui circulait dans le salon, en bas, où la musique se répercutait en un fracas de sonorités déliées contre les murs et les corps collés-serrés sur la piste de danse. Il se souvenait de la chaleur, de la sueur qui coulait dans son dos, du fumet âpre qui emplissait ses narines à chaque inspiration. Il se souvenait de lèvres trouvant les siennes, d'avoir gémi lorsque des mains expertes avaient dénoué sa ceinture. Il se souvenait du nom qui enflait sur ses lèvres, du nom qu'il appelait en vain en cherchant un corps chaud, une retraite, la promesse d'une nuit d'ivresse.
(Des chaleurs lancinantes de l'été.)
« Tu ne veux pas me dire son nom, plutôt ? » résonnait la voix d'Hugo dans la pièce.
James. James. James.
« C'est personne. »
Scorpius plongea son regard dans celui du type. Il ne lui avait pas demandé son nom. Il ne voulait pas le savoir.
« Je suis désolé, dit-t-il.
- T'inquiète, Malefoy, je savais dans quoi je m'embarquais en acceptant, soupira l'autre. Appelle-moi James, si tu veux, je m'en fous. Je m'en fous, Malefoy, Okay ? Merde... tu pleures ? »
Scorpius secoua la tête. Il avait seulement une boule dans la gorge. Un vieux chagrin qui ne passait pas.
« Malefoy... »
Le cow-boy le regarda d'un air embarrassé tandis que Scorpius essuyait son nez dégoulinant de morve sur son t-shirt. Scorpius détourna la tête. Il n'avait pas besoin de sa pitié. Il avait besoin de faire la peau à l'Absence, au rire aigre d'Albus qui palpitait à ses oreilles, aux sourires clairs de Rose, au regard intelligent d'Hugo, au silence sépulcral de Lily, aux putains de souvenirs qui remontaient comme un raz-de-marée dans sa trachée. Distraction, l'implorait son esprit. Oui. D'accord, céda-t-il. Distraction.
Il attrapa le type par le coude et hocha la tête. Vas-y, disait-il. Vas-y. Baise-moi, je suis prêt. Baise-moi jusqu'à ce que je ne sois plus rien. Et je t'appellerai James, pensa-t-il. Et tu deviendras James. Tu deviendras lui, une pâle réplique, un mime sans vie.
Il s'en foutait. Une imitation valait toujours mieux que le vide.
Les yeux incandescents d'Albus lui transpercèrent le front dans le noir. Scorpius les ignora, lui et sa présence maladive dans un coin de sa tête, la culpabilité tortueuse qui rampait dans son ventre comme un cancer qui ne veut pas guérir. Au fond, il savait qu'il commençait à se souvenir, à se remémorer... Tout. Cinq ans aujourd'hui, comme Rose l'avait prévu. Bientôt, il se mettrait en route, rebrousserait chemin, comme il l'avait promis. Pas ce soir. Ce soir, il crierait le nom de James dans les bras d'un autre homme. Ce soir encore, il feindrait l'amnésie.
Le type le suçait à présent, presque hargneux, et Scorpius savait plus qu'il ne sentait qu'il répondait aux caresses brutales en gémissant un nom au parfum d'interdit, arc-boutant ses hanches contre celles de l'autre, creusant son dos pour mieux goûter au contact de la peau moite contre la sienne, et... Oh. Scorpius enfonça ses ongles dans le dos de James, des perles de sueur dévalant sa nuque.
« James... je... j'y suis presque », soupira-t-il.
« Vraiment ? »
Le ton mordant d'Albus lacéra l'air. Scorpius hoqueta. Ce fut comme s'il l'avait giflé.
Il devina avant même de le voir ce qu'Albus s'apprêtait à faire. Scorpius se cambra, le supplia, enfonçant ses ongles si profondément dans la peau de James qu'il sentit du sang couler le long de ses poignets. Rien n'y fit. Albus ne lui obéit pas. Albus n'obéissait jamais à personne. Longtemps Scorpius l'avait aimé pour ses vipères, toujours il regretterait de l'avoir fait. Il aurait dû savoir, alors, qu'Albus exigerait sa mise à mort. Il aurait dû savoir que leur lutte se terminerait dans un bain de sang. Mais il l'aimait, il l'aimait en dépit de la haine, il l'aimait pour tout le mal qu'ils s'octroyaient, il l'aimait pour les désastres qu'il provoquait, il l'aimait en le tuant quand Albus le faisait plier.
Te souviens-tu, Albus, du temps ou tu me comptais parmi les tiens ? Ou ai-je rêvé cela aussi, la douceur dans ton regard, ton pouce essuyant mes larmes, tes mots de réconfort ?
Cet Albus ne sentait ni le miel ni la cannelle de leur enfance. La chaleur avait déserté ses traits. Il était un étranger, le reflet d'une réalité abhorrée et le phantasme de la vengeance compromise.
Albus se glissa entre leurs corps fébriles, son souffle glacial rasant les clavicules de Scorpius. Non. Non, pas maintenant. Albus, pas maintenant, ne me vole pas ce moment. Mais Albus continua, imperturbable, tandis que Scorpius contenait ses larmes. James, qui n'avait rien remarqué, émit un râle de plaisir. L'espace d'un instant horrifiant, le visage éclaté d'Albus se superposa à celui de James, et ses lèvres remplacèrent les siennes autour du sexe douloureux de Scorpius, suçant, léchant, aspirant et frôlant l'extrémité de son sexe avec ses dents, réduisant Scorpius à un magma de soubresauts incontrôlables. Albus se retira tandis que des convulsions déferlaient dans le corps de Scorpius, lui arrachant un cri de détresse.
Tu n'es pas réel, voulut-il hurler. Tu n'es qu'un fantôme, une hallucination, tu n'as pas le droit de me toucher...
Pantelant, Scorpius appela le nom de James, priant pour qu'il comble le vide qu'Albus avait laissé derrière lui, priant pour l'oublier, lui, et la lame d'un couteau maculée de sang, le froid qui lui glaçait les os. Le goût de rouille sur sa langue... Albus, qu'avons-nous fait ?
« Tu aimes ça, Scorp' ? se moqua Albus d'une voix doucereuse, son souffle chatouillant sa poitrine.
- Je t'en prie, je t'en prie... »
Mais Albus poursuivit, impassible, ses lèvres ourlées en un rictus dédaigneux.
« Tu croyais vraiment que je ne savais rien de tes petites fantaisies tordues au sujet de mon propre frère ? Tu croyais peut-être que je te laisserais faire ? Que je te laisserais me le prendre sous prétexte que nous étions amis ? Oh, Scorpius, susurra-t-il d'un air mesquin, tu as toujours été tellement naïf... Tu devrais savoir, depuis le temps, que je ne partage pas. James est mien jusque dans l'os.
- C'est... C'est faux, s'étrangla Scorpius. Je l'ai eu aussi. Je l'ai encore.
- Tu mens », cracha Albus.
Puis son regard s'éclaira, et il se pencha vers Scorpius, presque langoureux, ignorant James et ses soupirs étouffés.
« Il t'a quitté une fois et il te quittera encore. Mais toi et moi, Scorpius... Toi et moi, ce sera différent. »
Scorpius voulut se débattre, se soustraire au supplice qu'exerçait la langue gelée d'Albus entre ses cuisses, à la chair de poule qui naissait sur sa peau, mais déjà Albus reprenait sa place à droite du lit, son visage pâle brillant comme un cierge dans la nuit, veillant Scorpius comme on veillerait un mort. Tout rituel demande un sacrifice. Mais lequel d'entre eux avait prononcé ces mots pour la première fois ? Scorpius s'abandonna sur l'autel de ses souvenirs. La terreur le pénétra tandis que James s'effondrait sur lui, anéanti par le plaisir.
Scorpius donna un dernier coup de reins, la tête rejetée en arrière, les lèvres ouvertes sur un cri d'épouvante.
« Profite tant que tu peux, Scorp' », siffla Albus à ses oreilles avec un horrible sourire. « Mais n'oublie pas que ta place est auprès de moi. »
Souviens-toi que tu vas mourir.
L'orgasme le terrassa.
End Notes:
La musique présente dans le texte est Neon Moon, de Cigarette After Sex :)
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