Avril 1990
C’était la troisième fois qu’elles retournaient chez Natalia. Maintenant, Emilynn était devenue une vraie pro dans l’art de s’effacer et de disparaître. Cependant, quand elle était ici, loin de Walburga, tout devenait plus net autour d’elle. Elle avait l’impression de revivre. Maintenant, elle se faufilait aussi très bien dehors, et malgré le froid de l’hiver rude d’Europe de l’Est, elle sortait pour voler pendant des heures sur le balai prêté par Viktor.
À chaque fois qu’elle venait, il était au château. C’était les vacances à Durmstrang, et comme il passait des sélections juniors pour une équipe pro, il rentrait.
— Eligen tres personas cada año. Tengo full suerte.
** Ils choisissent trois personnes par an. J’ai beaucoup de chance. **
Elle lui sourit. Il était rarement enthousiaste, c’était d’ailleurs la première fois qu’il souriait.
— Es una oportunidad para ser un jugador profesional. Te imaginas ?
** C’est une opportunité pour devenir joueur professionnel. Tu imagines ? **
Oui, elle se l’imaginait. Elle aussi adorerait ne faire que ça : voler sur un balai.
— Entonces, he preparado muchos ejercicios. Tu también tienes que prepararte por el dia donde llegaras a tu colegio.
** Donc, j’ai préparé plein d’exercices. Toi aussi, tu dois te préparer pour quand tu iras à l’école. **
— Para ser cazadora.
** Pour devenir poursuiveuse. **
— Exacto.
** Absolument. **
Ils faisaient plein d’exercices ensemble. Des courses en slalomant entre les arbres. Des exercices de passes, de plus en plus loin, de plus en plus rapide entre les branchages. Ça, c’était l’exercice préféré d’Emilynn.
Parfois, elle oubliait un peu de se préoccuper de l’heure. Et plus ils s’amusaient tous les deux, plus elle oubliait. Un jour, la nuit était presque tombée quand ils rangèrent les balais dans la petite soue.
— Viktor !
Ils sursautèrent. Une femme arrivait, les joues rouges de colère, le visage dur d’une femme qui a dû élever seule son fils en travaillant dur.
— Qué haces con ella ? No esta de nuestro mundo ! Que te paso por la cabeza ? Hijo, que pena, que pena…
** Que fais-tu avec elle ? Elle n’est pas de notre monde ! Qu’est-ce qu’il t’es passé par la tête ? Mon fils, quelle peine, quelle peine… **
Viktor pâlit.
— No quiero que te metes con ella jamas ! Me oyes ?
** Je ne veux pas que tu retournes avec elle, jamais. Tu m’entends ? **
Elle lui prit le bras et commença à l’entrainer derrière elle.
— Y tú, vuelves a casa. Tu abuela te esta buscando.
** Et toi, retourne chez toi. Ta grand-mère te cherche. **
L’inquiétude saisit la petite fille. Elle courut vers le château et arriva hors d’haleine dans la salle à manger où le dîner était servi. Sa grand-mère regarda ses bottes pleines de boue, son air essoufflé, ses cheveux échappés de sa coiffure avec un air si réprobateur qu’elle se ratatina sur elle-même sous son regard. Elle n’avait pas pris le temps de se remettre bien. Elle aurait dû.
— Approchez.
Prenant tout son courage, elle s’avança vers Walburga puis s’arrêta à un mètre d’elle.
— Encore.
Elle fit deux nouveaux pas, la tête baissée, elle attendait la sentence qui allait tomber. Walburga leva la main et la gifla.
— Ne recommencez plus jamais.
*****
Juillet 1990
NARCISSA
— Quelle merveilleuse idée d’apprendre à Emilynn la valse sorcière pour ses dix ans, se réjouit Narcissa.
Walburga pinça les lèvres.
— Il y avait des lacunes à son éducation qu’il fallait combler. Je fais tout pour qu’elle puisse devenir quelqu’un. J’espère qu’elle ne deviendra pas comme son ingrate de mère…
Narcissa sursauta devant la grossièreté de sa tante. Elle ne l’avait pas habituée à un tel langage. Walburga se faisait vieille, et plus elle vieillissait, plus elle devenait dure. Un instant, elle se demanda si c’était une bonne idée de laisser Emilynn à sa grand-mère. Elle n’était pas sotte, elle voyait qu’elle était exactement comme Lyra à son âge. À sursauter dès qu’un adulte approchait, des manches longues, sûrement pour cacher des bleus, totalement effacée, jamais un sourire, pas une once de joie…
Drago et Emilynn dansaient devant eux. Son fils, si adorable dans son petit costume, s’appliquait pour guider Emilynn dans les mouvements. Il était si attentionné, cela fit fondre son cœur de mère.
- Ensemble, ils sauvegarderont la pureté de sang, dommage, c’est un Malefoy, marmonna Walburga.
Ça non plus elle ne le faisait pas avant. Marmonner.
Narcissa se rappelait que petite, on la réprimandait beaucoup si on la retrouvait à marmonner ou à ne pas articuler.
Et puis, Walburga semblait oublier un détail important : non seulement d’avoir un père loup-garou, celui-ci était également un sang-mêlé car sa mère était une moldue. Elle qui avait donné son deuxième prénom à la petite fille devant elles.
Bref, c’était tout sauf un détail.
Narcissa appréciait que son fils ne soit pas un Black. Ne pas être un Black signifiait la possibilité de pouvoir être quelqu’un d’autre. Et c’était tout ce dont elle souhaitait pour son fils.
Alors qu’Emilynn dansait, son visage se détendait peu à peu. Elle semblait même apprécier la compagnie de Drago. Cela réjouit Narcissa, Lyra était jolie, sa fille tenait d’elle, avec ses yeux vairons, elle ferait tourner des têtes. Si c’était celle de son fils, cela ne dérangerait pas Narcissa.
Puis Walburga se leva et exigea de partir sur le champ. Emilynn eut un léger frémissement. Imperceptible pour une personne qui ne connaissait pas ce que c’était de grandir en étant une Black. Or Narcissa savait, et le poids de la culpabilité s’installa dans son cœur.
Quand elle les vit partir dans l’âtre de la cheminée, elle se promit de déposer un bouquet de fleurs sur la tombe de sa cousine.
Cela ne fit pas partir le poids de la culpabilité.
*****
Novembre 1990
La vie au Square Grimmaurd s’était de plus en plus détériorée. Kreattur délirait dans son coin, tout comme sa maîtresse.
Les serments de Walburga étaient de plus en plus violents. Ses leçons aussi. Résister, ne pas plier, rester droite, c’était impossible pour la fillette. Pendant ce temps, Walburga s’insurgeait sur tout, les moldus, les nés moldus, les traitres à leur sang, les loups-garous et toutes les autres créatures magiques. Puis elle s’énervait, et c’était à ce moment là qu’Emilynn disparaissait. C’était souvent pire quand Walburga la retrouvait. Mais parfois, elle l’oubliait tout simplement, et retournait à ses divagations toute seule en marmonnant dans les couloirs.
Elles ne sortaient plus, ne rendaient visite à personne. C’était comme si elles étaient coupées du monde. Emilynn savait que ce n’était pas vivable, qu’un jour ou l’autre, cette situation n’allait plus tenir. Que se passerait-il ? Elle en avait aucune idée.
Le brouillard qui l’entourait depuis qu’elle était arrivée dans cette maison s’épaississait de plus en plus. Parfois, elle sentait le sol se dérober sous elle. Parfois, elle s’effondrait. Parfois, elle avait l’impression qu’elle aussi, elle délirait.
— Emilynn !
Quand Walburga hurlait dans la maison comme cela, c’est qu’elle devait la rejoindre de suite. Sinon la punition était le placard, et elle ne le supportait plus ce placard.
Walburga se mit à parler dans tous les sens. Aujourd’hui, son sujet était la guerre, à quel point c’était dommage d’avoir perdu le Seigneur des Ténèbres. Emilynn avait du mal à se concentrer. Elle tangua un peu, et manqua de tomber par terre.
— Ne tombez pas voyons ! Bon sang, même ça, c’est trop compliqué pour vous ! Ce n’est pas possible d’être aussi dysfonctionnelle ! Kreattur ! Un verre et une vitamine !
L’elfe apparut et Emilynn but sans sourciller.
— Le Seigneur des Ténèbres reviendra. Vous savez qui est-ce n’est-ce pas ?
Emilynn hocha la tête. Elle lui avait déjà raconté tout cela.
— Je veux redorer le blason de notre famille, des Black. Toujours pur. Oui, toujours pur. C’est pour votre bien.
Avant qu’Emilynn puisse faire le moindre geste, elle se saisit de son bras gauche et releva la manche d’un coup sec qui fait sauter le bouton de sa chemise. Plongée dans son brouillard, elle la regarda poser sa baguette sur son avant-bras sans esquisser le moindre geste.
Puis une douleur immense l’envahit, elle voulut retirer son bras, mais Walburga était bien plus forte. La douleur grandissait, grossissait au fur et à mesure que le dessin prenait forme. Elle se mit à crier, supplia d’arrêter, se débattit, mais rien n’y faisait, Walburga ne lâchait pas. Elle n’avait jamais lâché durant leurs longues leçons, elle n’allait pas commencer aujourd’hui.
— Cessez de geindre de la sorte, votre sang n’est pas assez pur pour être une Black, vous devez vous en montrer digne. Sinon vous n’êtes rien. Vous m’entendez ? Rien !
Emilynn n’entendait plus rien, la douleur l’aveuglait, elle était comme un animal blessé, seul importait de fuir.
— Quand Il reviendra, vous le saurez, et alors vous pourrez redorer le blason des Black !
Elle hurlait en répétant les mêmes phrases, encore et encore. Ses yeux roulaient dans ses orbites, elle semblait complètement folle.
Soudain, elle lâcha Emilynn qui s’effondra au sol.
Noir total.