Novembre 1990
SEVERUS
Severus avait gardé peu de contacts de son ancienne vie. Aucun, pour être honnête. Mais quand il tomba par hasard sur Narcissa Malefoy, née Black, une vague de souvenirs le heurta de plein fouet.
— Comment vas-tu ?
— Bien et toi ?
Des banalités.
En réalité, Narcissa ne semblait pas du tout aller bien. Pour tout dire, elle semblait… inquiète. Ce n’était pas son genre de laisser ses émotions transparaître, cela le surprit.
— Que se passe t-il ?
— Je ne vais pas t’embêter avec ça…
— Je t’en prie, dis-moi.
— C’est ma tante… Je n’ai plus de nouvelles depuis des semaines.
— Tu es passée la voir ?
— Non. Je le faisais avant qu’elle récupère la garde d’Emilynn Lupin, tu sais…
Oui, il savait, il savait très bien même.
— Mais depuis, elle a un peu changé. Je ne me le permettrais pas.
Il se rappelait très bien de Lyra, lors de cette retenue dans les cachots de potions. Son air apeuré, comme un animal effrayé qui souhaitait se faire oublier du monde.
Il avait fait une promesse…
Une inquiétude se logea dans son ventre.
— Tu n’as pas de nouvelles depuis quand tu dis ?
— Des semaines, mais c’est courant, elle est peut-être partie en voyage, elle m’aurait prévenue, mais elle a sûrement oublié, ce n’est rien Severus, vraiment.
— Quelle est son adresse ?
— Tu ne vas pas y aller, c’est juste moi qui m’inquiète pour rien…
— Vraiment Narcissa ? Pour rien ?
Son ton était beaucoup plus froid et cassant qu’il aurait voulu. Elle sursauta et finalement, il ne regretta pas. Elle, plus que quiconque, savait de quoi les Black étaient capables.
— 12 Square Grimmaurd, souffla-t-elle les larmes aux yeux.
— Fais-moi transplaner.
Ses courses d’ingrédients rares de potion attendraient, le mauvais pressentiment grandissait. L’image de Lyra (ce devait être en quatrième ou cinquième année) le visage déformé par une plaie énorme défilait sur sa rétine.
Merde, il avait fait une promesse.
Narcissa prit son bras sans discuter et les fit transplaner sur le perron de la demeure de l’illustre famille des Black.
Sans attendre, il frappa à la porte… Rien. Il frappa une nouvelle fois… Toujours rien. Il aurait pu repartir chez lui, convenir qu’il avait tenté de remplir sa part du marché, qu’il reviendrait une autre fois.
Mais allez savoir, appelez ça l’instinct peut-être, Severus était convaincu que quelque chose n’allait pas.
Il posa sa main sur la poignée et ouvrit la porte sans difficulté.
La première chose qui le frappa mit à part l’obscurité, c’était l’odeur. Douloureusement familière, c’était l’odeur de mort. Il entra, passa dans le premier salon à gauche et tomba directement sur le cadavre de Walburga Black.
— Narcissa, va chercher les secours et les aurors tout de suite.
Il ne vérifia pas qu’elle écoutait bien son ordre, sa seule préoccupation était de trouver l’enfant.
— Emilynn ? Je m’appelle Severus, je ne te veux pas de mal, je viens te chercher.
Il attendit, espérant avoir une réponse. Mais il n’entendit rien.
— Putain de merde, marmonna t-il.
Il monta au premier étage, ouvrit les portes à la volée, rien, il passa au deuxième. La maison était décrépite, tout était sale, laissé à l’abandon. Comment une enfant pouvait grandir ici ? Merde, il espérait de tout coeur qu’elle soit toujours en vie. Il le devait pour Lyra. Il avait promis. Merde, merde, merde.
Quand il arriva au dernier étage et qu’il vit le nom de Sirius sur une porte, il sut qu’il était au bon endroit. La chambre d’à côté était celle de Lyra, derrière celle de Regulus.
Il inspira profondément avant d’ouvrir. Des cadavres, il en avait déjà vu, bien trop d’ailleurs. Mais là, pour cette fois-là, il ne voulait surtout pas être confronté à la mort.
Combien de temps était resté Walburga dans le salon ? Combien de temps la petite fille avait été livrée à elle-même ? Longtemps d’après l’odeur.
Il ouvrit.
*****
Novembre 1990
Beaucoup de monde parlait autour d’elle, elle ne comprenait pas trop ce qui se passait. Un monsieur restait constamment à ses côtés, elle ne le connaissait pas, pourtant, c’était lui qui l’avait sauvée.
Les médicomages autour d’elle parlaient comme si elle n’était pas là. D’un autre côté, c’était vrai, elle était toujours plongée dans ce brouillard, même si de plus en plus, elle parvenait à rester lucide.
L’autre jour, par exemple, elle avait réussi à manger toute seule.
Le monsieur en noir était gentil, très doux aussi. Il lui parlait peu, mais c’était toujours d’une voix calme et rassurante. Les premiers mots qu’elle prononça furent :
— Je veux mon papa.
Il n’avait pas dit que c’était mal de souhaiter voir son père. Il n’avait pas non plus dit que c’était possible. Il avait simplement hoché de la tête. Rien d’autre.
Elle n’arrivait pas à dormir sans les potions des médicomages, elle faisait toujours des cauchemars et se réveillait en hurlant. Parfois, on lui posait des questions, on lui demandait ce qui s’était passé, elle refusait de répondre. Seul son bras avec une cicatrice bien rose, bien fraîche attestait qu’elle n’avait pas rêvé.
— Heureusement que vous êtes passé. Cela faisait plusieurs jours qu’elle était décédée, un arrêt cardiaque. La petite était livrée à elle-même, on pense qu’elle est juste restée allongée dans sa chambre pendant tout ce temps. Sans se nourrir, elle buvait par contre. L’elfe n’a rien dit lors de l’interrogatoire, on ne peut faire que des suppositions.
Lui, c’était le monsieur étrange avec un œil encore plus étrange.
- On a identifié le dernier sort jeté sur la baguette de Mrs Walburga Black, un sort de magie noire. On pense qu’elle l’a jeté à la gamine, d’où la cicatrice. Puis elle est décédée, un arrêt dû à l’effort probablement. Le sort était douloureux, la gamine a dû perdre connaissance à un moment, puis elle se serait trainée dans l’escalier pour rejoindre sa chambre. Ce qui expliquerait les ecchymoses sur son corps.
— Ne me remerciez pas.
— Ne soyez pas si dur avec vous-même, personne ne pouvait savoir…
Ou pas.
- Les traces de drogues dans son sang indiquent qu’elle ingurgitait une grande quantité de calmants par jour. C’est une fille de loup-garou, c’était sûrement pour calmer ses colères.
Ça s’était l’autre monsieur, lui, elle ne l’aimait pas trop.
— C’est pas une raison, avait répondu l’autre. Ce n’est qu’une enfant arrachée à son père. On ne donne pas des calmants à une gamine de dix ans !
Le temps passait, elle n’avait pas trop de notions du temps. Le brouillard était maintenant parti, mais son état ne s’améliorait pas. Elle refusait de se nourrir, pleurait beaucoup, restait murée dans son silence.
Un soir, le gentil monsieur en noir était parti. Lui aussi l’abandonnait. Elle ferma les yeux et tenta de dormir. Son doudou lui manquait, il était resté dans le grenier.
Elle rouvrit les yeux quand elle sentit une main sur la sienne.
— Salut ma grande.
— Papa…
*****
Décembre 1990 - Juillet 1991
Son lit était convenable, elle avait même une malle pour mettre ses affaires personnelles. Bon, elle n’en avait pas, mais au moins elle se sentait en sécurité. Les autres enfants ne lui parlaient pas, ils la trouvaient étrange et préféraient la laisser dans son coin. En même temps, elle ne faisait aucun effort de socialisation, elle voulait être seule.
Toutes les semaines, elle avait un rendez-vous avec un psychomage, Brook, elle avait vite appris son nom. Lui, elle ne l’aimait pas. Il refusait de lui parler de son père, et même si elle l’avait vu à l’hôpital dans le plus grand secret, il lui manquait, elle voulait le retrouver, ne comprenait pas pourquoi elle devait être dans cet endroit plutôt qu’avec lui. Personne la considérait comme une adulte, personne ne l'écoutait, alors elle ne parlait plus.
On ne lui posait plus de questions sur ce qui s’était passé, on lui demandait juste comment elle allait. La réponse était simple : mal. Elle était aussi pleine de colère, c’était de pire en pire à l’approche de la pleine lune.
Le Ministère ne prenait pas de risque, un auror, Smith, lui aussi elle avait vite appris son nom, le même que celui qui était à l’hôpital, l’emmenait dans une pièce sécurisée pour qu’elle passe la pleine lune.
Sa première transformation avait été douloureuse, les suivantes tout autant. Quand elle se rouvrait les yeux, allongée sur une dalle de béton, elle découvrait les nouvelles blessures qui ornaient son corps. Un médicomage la soignait, puis elle retournait à l’orphelinat.
Et toujours aucun contact avec son père.
Les mois passèrent, enfermée dans sa bulle, perdue dans ses pensées, seule.
Puis une lettre arriva. C’était le début de sa nouvelle vie.