Tes yeux pourraient me voir
dans tout ce que j’ai de plus beau
Je suis le monstre caché dans le noir
Et l'horrible cauchemar
Qui tourmentait tes nuits
C’était moi.
C’était moi.
Tout est si laid sous ma peau.
Je me demande ce que tu crois
encore trouver de sublime en moi.
Tu voudrais savoir si j’ai
des marques dans le dos.
Dans le dos.
Sur mes jambes.
Sous ma peau.
Si j’ai des marques du passé.
Tout est laid
Dans mon dos
Sur mes jambes
Sous ma peau
Je porte les marques du passé.
Je suis le monstre dans les contes
Que les héros fuyaient
Effrayant et abject
Sanglotant dans la nuit.
Dans la nuit.
Il pleut depuis.
Ça flambe sous notre peau.
Dans nos os.
De la vie que nous nous étions inventées
ne restent que les larmes.
Et des bras
Et des voix.
Deux monstres se rencontrent.
Tes yeux pourraient me voir
comme la plus douce des amies.
La triste fleur sans magie
qui pleure dans son lit
quand vient la nuit.
Et tu pourrais t’asseoir
Là
sur le rebord de mon lit.
Ou sur mon dos.
Sur ton dos.
Tes yeux pourraient me voir
malgré les masques malgré la pluie
malgré la foudre malgré l'ennui.
Et je saurais te croire
dans les dernières lueurs du jour
pour retrouver comme toi la paix
avant la nuit.
ma voix chanterait tes louanges
mon ange
et la tristesse de la vie.
j'entendrais un hymne
que je graverais
sur ton dos.
Tes mains douces
sur ma peau
Et tes dents
sur mon cou.
J'aurais voulu la nuit
que la lune s'évapore
me fondre dans les étoiles
ou dans ta peau.
J’aurais voulu le soir
confier tes peines à la nuit.
Ou les porter sur mon dos.
Sur mon dos.
J'aurais voulu
que ton rire éclate
a priori
J'aurais voulu
que tes larmes
me sourient
la nuit que tu ne m'entendes pas pleurer
le jour que tu ne me vois pas flancher
j'aurais aimé mourir
traverser le passé
Tes yeux pourraient me voir
dans tout ce que j'ai
de plus sale.
ta peau pâle
pourrait
me nettoyer.
Les monstres se retrouveraient quand même.
Sur mon dos.
Sur mon dos.
Je t’aime après la guerre.
Je t’aime après l’enfer.
Une vieille femme entra dans la salle des ventes de Glastonbury.
C’était le dernier lieu de ce genre dans la nouvelle Europe. Les enchères n’intéressaient plus personne, à part les grands collectionneurs - et les désespérés.
Elle appartenait au clan des désespérés.
Elle avait tout de même vécu des beaux jours après la guerre. Quelques poignées de bonheur et d’amour par ci par là, une fois tous les dix ans, mais la vie d’avant appartenait à une autre époque qui relevait davantage du rêve.
La femme n’y songeait plus.
C’était ça ou l’asile. Certains avaient préféré l’asile. Y’avait pas de mauvais choix.
Elle, avait pleuré des nuits entières lorsqu’elle avait trente ans, ruminant, songeant, à qui elle était, à qui elle avait été et à qui elle aurait pu être, maudissant ceux qui « allaient de l’avant », qui pouvaient oublier, ces privilégiés qu’elle ne pouvait s’empêcher d’envier dans le fond, pleurant sa jeunesse volée, mais ça n’avait servi à rien - à part la drainer de toute son énergie. Le temps se moquait des pleurs et des regrets. Alors il avait fallu tout effacer, même les bons souvenirs. Surtout ceux-là.
Un peu plus de soixante ans après la guerre, les héros, on les avait oubliés. A part le trio.
Il n’avait pas fallu attendre soixante ans pour se rendre compte que les autres ne valaient pas grand-chose aux yeux de l’opinion publique. Une petite médaille, une cérémonie, des remerciements, et d’autres cérémonies tous les 2 juin auxquelles elle avait fini par ne plus être invitée du tout, avec le temps.
Si bien que, d’héroïque, il ne lui restait plus rien - si tant est que ce mot ait pu lui seoir un jour. Ce genre de mots convenait à des Hermione Granger.
Elle, elle avait les mêmes cicatrices sur le visage. Elle s’y était faite à force, elle les avait apprivoisées à sa façon. Par exemple, chacune avait son nom. Elles vivaient ensemble dans une sorte de trêve.
Elle ne les aimait toujours pas mais elle ne s’en plaignait plus.
Pendant qu’elle songeait à son passé pour la première fois depuis une éternité, une foule fiévreuse et impatiente prenait place dans la salle des ventes. Elle s’était blottie dans un coin, proche de la sortie. Elle ne savait pas bien ce qu’elle faisait ici.
Quelques collectionneurs véreux la dévisageaient. Elle s’en moquait bien. Ils pouvaient regarder ses cicatrices, elle les assumait depuis une soixantaine d’années. Les regards insistants, curieux, parfois dégoûtés, n’avaient plus aucune portée. Ça l’arrangeait, même, de repousser les belles gens, de les écœurer. Elle leur en était presque reconnaissante.
Avant elle aurait voulu leur crier qu’elle avait été quelqu’un.
Qu’elle avait été belle.
Mais la beauté ça ne voulait plus rien dire pour elle.
Elle aurait tout fait pour qu’ils ne la jugent pas.
Mais elle était fatiguée.
Alors.
Il n’y avait plus rien à leur crier.
La vente commença.
Premier article. Un très vieux médaillon que Helga Poufsouffle aurait tenu dans ses mains.
Les collectionneurs surenchérissaient. Ils ne savaient même pas ce qu'ils achetaient. Ils voulaient simplement prouver qu’ils pouvaient se le permettre.
Le marteau retombait. Elle, elle observait le spectacle. Elle ne savait plus pourquoi elle était là.
Elle était fauchée, oui, c’est pourquoi elle était là. Figée, superbe et déchirante, certes mais fauchée.
Elle, cette gloire déchue, cette ancienne beauté, cette héroïne démodée, elle avait mis aux enchères un vieux bijou donné par un amour d’antan.
Et quel amour.
Les articles passaient. Le marteau retombait. Les mains qui se nouaient se dénouaient tremblantes. Son ventre se retournait. Une voix à l’intérieur lui sommait de tout arrêter.
Pour moi, s’il te plaît,
Pour ce qu’on a été.
Une larme coula sur sa joue. Elle étouffa la voix, assassinant son passé une nouvelle fois.
Le vieux bijou qu’elle vendait arriva à son tour dans le panier d’osier de la salle des ventes. Il brillait de tant de baisers volés et d’amour donné.
Les choses ont leurs secrets, les choses ont leurs légendes, mais les choses murmurent si nous savons entendre. Et le bijou disait : je t’ai aimé et surtout, toi, toi tu m’as aimé comme jamais tu n’avais aimé, alors que fais-tu ? Pourquoi te débarrasser de moi ? Est-ce que je ne vaux pas plus que ça ?
Dis-moi.
Il l’appelait par son nom mais Lavande ignorait la voix du bijou comme elle avait ignoré celle à l’intérieur de son ventre. Cela faisait des années qu’elle s’entendait être appelée. Lavande, Lavande. Il n’y avait qu’elle qui avait su dire ce prénom correctement, il n’y avait qu’elle. Les larmes coulaient sur ses joues. Le temps se figea.
Elle était toujours là.
Le marteau s’éleva dans la salle des ventes. Une fois. Deux fois. Alors dans le silence, elle s’écria : « Je prends, je rachète tout ça ! Ce que vous vendez là, c’est mon passé à moi ».
C’était trop tard déjà dans la salle des ventes.
Le marteau retomba sur sa voix suppliante.
Elle vit s’en aller parmi quelques brocantes le dernier souvenir de son amour d’antan.
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Près du panier d’osier de la salle des ventes, une femme pleurait ses folles années.
Et revoyait soudain défiler son passé.
Défiler son passé.
Car venait de surgir du fond de sa mémoire un visage oublié
Une image chérie du fond de sa mémoire
son seul amour de femme.
Pansy.
Pansy qui avait pansé ses cicatrices, Pansy qui avait pris le temps d’embrasser toutes les plaies de son corps, Pansy qui avait appris en même temps qu’elle ce que ça signifiait d'aimer.
Sa plus belle histoire, son plus grand regret.
__
Pansy
Au fond de ma mémoire
Pansy, désolée mais c’est terminé et je
j’ai besoin d’argent.
Pansy c’était le passé. C’était beau mais c’est dépassé.
Alors pourquoi tu y penses ?
Je suis bien là. Tu vois.
NON.
S’il te plaît. Pars. C’est terminé.
Je t’ai aimée mais je suis fauchée.
Et c’était il y a des lustres.
Et il est trop tard
pour me hanter.
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Et tout de même, les larmes coulaient.
Du fond de sa mémoire, ce visage oublié
venait tout bouleverser.
Hagarde, elle sortit de la salle des ventes, froissant quelques billets dedans ses mains tremblantes.
Froissant quelques billets du bout de ses doigts nus.
Quelques billets froissés pour un passé perdu.
Comme une voleuse, elle s’éloigna. Courbée et déchirante.
De son amour d’antan, rien ne lui restait plus, à part ce souvenir
aujourd’hui disparu.