Fiertés by Calixto
Summary:

Tu peux faire ce que tu veux, vas-y explose et fous le feu

Grave, Eddy de Pretto

                                                   

30 prompts pour le Mois des Fiertés et Trans HPF Month

Image libre de droits


Categories: Autres fics HP Characters: Autre personnage
Genres: Autres genres
Langue: Français
Warnings: Aucun
Challenges: Aucun
Series: The Trans HPF Month
Chapters: 30 Completed: Oui Word count: 30034 Read: 7367 Published: 03/06/2023 Updated: 01/10/2023
Story Notes:

30 prompts pour le Trans HPF Month !

1. Psyché libérée (Blaise Zabini) by Calixto

2. En haut de la falaise (Barty Croupton Jr) by Calixto

3. Roommates to lovers (Kingsley Shacklebolt, Aurora Sinistra) by Calixto

4. Les chaînes (Dilys Derwent) by Calixto

5. Cinéma (Hermione Granger, Pansy Parkinson) by Calixto

6. Le parfum des camélias (Marlène McKinnon) by Calixto

7. Le cahier vert (Hugo Granger-Weasley) by Calixto

8. Rivière colère (Tonks) by Calixto

9. Comme ça (Sirius Black) by Calixto

10. De feu et de silence (Dean Thomas) by Calixto

11. Comète (Remus Lupin, Sirius Black) by Calixto

12. La mort silencieuse (Eulalie Hicks) by Calixto

13. Amour blanchi (Albus Dumbledore, Gellert Grindelwald) by Calixto

14. Soho Drag (Teddy Lupin) by Calixto

15. L'épée et la poupée (Narcissa Black, Molly Prewett) by Calixto

16. Protect Trans Kids (Gwenog Jones) by Calixto

17. Androgyne (Pandora Lovegood née Selwyn) by Calixto

18. Le temps de Cupidon (Blaise Zabini, Gabrielle Delacour) by Calixto

19. Cowboy like me (Demelza Robbins, Tracey Davis) by Calixto

20. Petit Sombral de bois (Ginny Weasley, Luna Lovegood) by Calixto

21. Une nuit d'été (Narcissa Malfoy, Molly Weasley) by Calixto

22. Pride (Tracey Davis, Demelza Robbins) by Calixto

23. Queer friendship (Hugo Granger-Weasley, Dominique Weasley-Delacour) by Calixto

24. Le cri des enragé.es (Dominique Weasley-Delacour) by Calixto

25. Euphorie (Dean Thomas, Gwenog Jones) by Calixto

26. Des éclats dans la pluie (Lavande Brown, Pansy Parkinson) by Calixto

27. Ruban de brume (Hugo Granger-Weasley, Nathaniel Rosier) by Calixto

28. Chez Mme Guipure (Psyché Zabini) by Calixto

29. Diva (Célestina Moldubec) by Calixto

30. Les cendres froides (Salazar Serpentard, Godric Gryffondor) by Calixto

Psyché libérée (Blaise Zabini) by Calixto
Author's Notes:

Premier prompt : "Smash the cis-tem".

J'ai introduit mon Blaise Zabini transgenre dans le recueil Une sorcière comme les autres, mais ce texte peut se lire indépendamment. Bonne lecture :)

 

 

Blaise se regarde dans le miroir. Pour la première fois depuis très longtemps, Blaise sourit.

Aujourd’hui, Maman est morte.

Blaise s’est glissé avec délice dans ses habits de cérémonie. La robe écarlate a ondoyé sur sa peau d’ébène. Le pinceau a frénétiquement remodelé ses traits, et la douce cascade de cheveux roux tombe à nouveau sur ses épaules, recouvrant son crane ras.

Mais cette fois, cette peau ne se flétrira pas en sortant de la chambre. Blaise ouvre toutes les portes.

Sa femme le regarde faire avec une expression indifférente. Il y a longtemps que Daphné ne se soucie plus de ce que fait son mari.

Bientôt, elle aura enfin le divorce qu’elle voulait.

La peau de Blaise tombe au sol dans un chuintement, mue morte.

Psyché est la plus belle des femmes, et aujourd’hui, Vénus est morte.

Psyché a triomphé des ronces et du venin.

C’est son corps qui marche maintenant, qui sort de la maison. Psyché ne sera plus jamais personne d’autre qu’elle-même.

Les murmures s’enroulent autour de ses pieds, mais elle ne vacille pas sur ses talons de diamant.

Suprême insolence, pensent tous les invités dans leur stupidité, cette belle femme inconnue qui se dresse au-dessus de la tombe de Venus Zabini.

Venus Zabini était la beauté incontestée. Elle était aussi le poison premier.

Elle a avalé à pleine bouche tant de derniers souffles.

Psyché se souvient de ses longues mains manucurées drapées sur ses épaules d'enfant. Du grattement de ses ongles sur ses vêtements. Sa voix à son oreille, le ronronnement : Blaise, chéri.

Il n'y avait aucun amour dans ce mot affectueux, rien d'autre qu'une satisfaction ravie.

Psyché le savait. Elle avait vu tous les hommes que sa mère appelait "chéri". Elle avait vu leurs lèvres bleuies, leurs yeux exsangues.

Elle a vu Venus sur toutes les scènes, dans toutes les représentations.

Elle a entendu tous ses sanglots staccato.

Sa mère l’a laissée baigner dans ces effluves de mort, comme si sa survie à elle était un cadeau.

Le seul homme intouchable dans la maison Zabini.

Quelle ironie.

Elle sourit, elle prend le visage flottant de sa mère entre ses mains. Elle s’imagine caresser la peau douce, elle la remodèle, et bientôt, Venus est là dans toute sa splendide vérité.

Un soleil brûlant, ses lèvres déformées de rage, la haine son seul ornement.

Psyché sait bien que Venus n’est pas la plus belle des déesses.

Elle est la plus laide, celle qui massacre sans répit.

 

Psyché est la première à survivre à la Veuve Noire et ses pieds sanglants.

Le cercueil flotte dans les airs, recouvert de roses écœurantes.

La déesse à la peau de mer mouillée s’enfonce dans la terre. L’ichor dégouline.

Psyché se tourne vers la foule en noir, tous les menteurs et leurs larmes bleues. Ils se demandent pourquoi Blaise est absent, l’unique héritier de la meurtrière, assis à présent sur la montagne de sa fortune.

Ils ne savent pas que Psyché entre dans le monde, qu’elle incline son visage vers le soleil.

Elle marche vers le premier d’entre eux qu’elle reconnaît, un ami proche de Vénus. Elle le regarde, du haut de son éclat impitoyable, et elle enregistre le moment où il comprend qui est en face de lui.

C’est parfait. Ils ne l’effaceront plus jamais.

- Enchanté, dit-elle. Je suis Psyché Zabini.

En haut de la falaise (Barty Croupton Jr) by Calixto
Author's Notes:

Deuxième prompt : En haut de la falaise.

 

 

Barty Croupton devient lentement fou. Et ce n’est pas pour la raison que l’on croit.

Il sent le regard de sa mère sur lui, compatissant. Il la déteste. Il la déteste peut-être encore plus qu’il ne le déteste, Lui.

Cette pauvre créature qui lui offre sa douceur, ses mains fraiches, ses yeux tristes. Par moments, quand il écoute les mots doux qu’elle lui répète sans cesse, il voudrait lui griffer le visage, la faire saigner, regarder la douleur déformer ses traits. Il ne veut pas de cette Madone impuissante, de sa faiblesse, de sa pitié.

Elle n’a que de la pitié pour lui.

Elle ne se dresse jamais contre Lui.

Barty déteste sa mère parce qu’elle lui ressemble trop.

Il a le même visage rond, les joues molles, la peau rose et couverte de tâches de son, les cheveux couleur paille.

Il sait donc qu’il est condamné, comme elle, à s’effacer.

Emily est pleine d’amour et devient un peu plus transparente chaque jour.

N’importe qui devient transparent dans l’ombre de son père.

Barty le hait aussi passionnément que son père le méprise.

Chaque dîner silencieux est une agonie. Bartemius est une statue de fer, un homme aux yeux vides, à la langue de carton. Son visage est un masque impassible alors qu’il mâche et avale. Pas un seul de ses regards n’est dirigé vers Barty.

La minuscule parcelle de son cœur stérile capable d’aimer a été dédiée à Emily.

Barty a su très jeune que rien de ce qu’il pourrait faire ne pourrait jamais lui accorder l’attention de son père, encore moins son amour.

Emily est le soleil pâle qui lie les deux hommes, qui maintient l’illusion familiale. En réalité, elle est seule au milieu de deux étrangers.

La seule fois où Bartemius a regardé son fils, c’est quand Barty s’est raclé la gorge, les premières vacances où il est rentré de Poudlard, pour parler de sa maison, Serpentard, et de ses nouveaux amis là-bas.

Les prunelles vides de Bartemius ont croisé les yeux bleus de Barty en entendant les noms « Black, Rosier, Rogue né Prince, Malfoy ».

La seule fois où Barty a regardé son fils, c’était avec une terrible colère.

La vérité est que Barty est terrifié par son père. La maison tout entière est remplie de bruissements et de bruits blancs, et Emily se tait, Emily ne parle jamais. Après, les pas de Bartemius claquent, sa valise claque au sol, son dos rigide claque contre le fauteuil du salon quand il s’assoit.

Le patriarche est comme un monstre dans la maison, un automate sans fin ni fond.

Barty sait que son père est le Juste, celui qui ordonne et exécute, un grand chevalier de la magie blanche.

Mais cette lumière glacée n’a jamais fait naitre que de la chair de poule sur sa peau.

Il n’y a que le soleil noir et gluant des sorts qui se chuchotent dans les cachots de Serpentard qui réchauffe Barty, un feu fascinant, interdit, mais dont les flammes bien réelles luisent de puissance et de chaleur, de chaleur, de chaleur pour un enfant gelé.

Barty devient lentement fou à chaque minute de plus qu’il passe dans cette maison-prison.

C’est depuis qu’il a compris pourquoi il regardait tant Regulus, le pli entre ses sourcils, les reflets sur sa peau ivoire, ses yeux gris, ses cheveux épais dans lesquels il veut passer les doigts.

C’est depuis qu’il sait qu’il est un des déviants que la Justice traque surement, qu’elle abat sans aucun doute.

Alors son bras armé, le Juste, l’abattra aussi.

Barty n’espère pas de pitié de son père, pas de compréhension. Il sait qu’il chutera comme tous ceux que son père a exécuté avant lui, tous ces criminels dont Bartemius ramène parfois l’odeur à la maison avant de la dissoudre dans les sorts ménagers à l’odeur piquante et stérilisée.

Dans un accès de faiblesse stupide, Barty en a parlé à Emily. Il lui a dit qu’il était attiré par la peau de Regulus, par les autres garçons aussi, et que les filles étaient aussi fades que du papier. Au creux d’une nuit sans sommeil, sa mère l’a bercé comme elle le berce depuis des années, et Barty a sangloté dans son épaule, il a dit « Il me tuera ».

Emily n’a pas répondu.

Barty s’est rendormi. Il a rêvé qu’on le poussait du haut de la falaise, que son corps s’écrasait sur les rochers.

Maintenant, à chaque seconde, Barty attend que le regard de son père se pose de nouveau sur lui, qu’il voit, qu’il comprenne.

Et que sa main se lève pour punir.

Roommates to lovers (Kingsley Shacklebolt, Aurora Sinistra) by Calixto
Author's Notes:

Troisième prompt : Roommates to lovers 

Il n’y a pas d’aube pour ceux qui ne croient qu’à la nuit.

C’était donc une belle ironie pour Kingsley Shacklebolt de se tenir devant la porte de l’Aube magique, la résidence dans laquelle il allait très probablement passer toutes ses années d’étude.

Kingsley ne croyait qu’à la nuit. Les Shacklebolt étaient une famille de gardiens. Pendant des siècles et des siècles, leur sang Pur leur avait offert cette position détachée du monde : ils veillaient. Kingsley avait été formé à la nuit, formé dans le noir. Il devait porter la lumière.

On lui avait toujours dit : la vie d’un Shacklebolt consistait à attendre le retour de la nuit, et la nuit revenait toujours.

Kingsley avait été éduqué à la ressentir par chaque pore de sa peau. Et alors même que, grand adolescent dégingandé à peine sorti de Poudlard, il se tenait devant cette porte en songeant au poste au Ministère qu’il espérait, Kingsley sentait la nuit dans son dos, ses mains effleurant ses épaules.

Ce tête à tête durerait toute sa vie. Seul avec le noir.

La porte s’était ouverte.

Et le monde avait frémi un peu sur son orbite, parce que Kingsley n’était pas seul dans une chambre comme il l’avait anticipé.

- Hey, le salua distraitement la jeune femme qui se tenait dans l’entrebâillement de la porte. Tu es le colocataire ?

Il remarqua d’abord le désordre de ses vêtements, la peinture qui les recouvrait, avant de voir ses cheveux coupés inégalement, et son sourire de travers.

C’était la deuxième ironie, que Kingsley soit associé en binôme avec ce chaos ambulant, lui qui n’était que muscles rigides et volonté de fer.

Bien évidemment la troisième ironie fut que Kingsley, indifférent à tout sauf à sa nuit, l’aima immédiatement.

C’est peut être parce que Aurora Sinistra était la nuit.

Aurora voulait devenir le professeur Sinistra.

Elle étudiait les mouvements des étoiles et des planètes : son côté de l’appartement était recouvert de ses dessins, études, peintures, en plus des instruments métalliques étrangers pointés vers le ciel.

Aurora étudiait l’astronomie.

Dans les premiers mois de cohabitation, ce fut la chose la plus étrange que ce dédoublement de l’appartement, entre la paperasse administrative de Kingsley, ses dossiers d’étude pour le Ministère, et le chaos étoilé d’Aurora. Un nombre incalculable de fois, Kingsley aux horaires réglés comme une horloge se retrouva attiré vers le sol où Aurora était allongée, télescope fixé vers les hauteurs.

C’était une autre nuit, une nuit plus étrangère que familière. La nuit de Kingsley était sombre et terrible, une Némésis bien connue, la nuit de Kingsley était à abattre. La nuit d’Aurora n’était pas étudié comme par les Gardiens, de façon précise et chirurgicale, mais avec l’amour d’une amante fascinante. C’était un corps de mystères et de vides. Aurora aimait sa nuit.

Et Aurora aimait la nuit de Kingsley, aussi, cette fatale ennemie.

Elle aimait même la nuit plus secrète du jeune homme, cette nuit à porter sur la peau, qu’on lui avait appris à oublier, parce qu’il n’y avait que les Zabini qui portaient leur peau noire avec fierté.

Alors que leur amitié se réchauffait d’années en années, Kingsley finit par réaliser deux belles et tristes vérités (trois mais il faut taire la troisième.)

D’abord, la solitude s’était détachée de lui comme une peau morte. Il ne voulait plus être seul. Il ne le serait plus. Et en rencontrant Albus Dumbledore au Ministère quelques temps après, Kingsley apprendrait l’existence de l’Ordre, et qu’il pouvait y avoir plusieurs Gardiens pour porter le fardeau de la nuit. Il apprendrait aussi, comme il l’avait toujours su, que son temps était venu et que la nuit revenait.

Ensuite, Aurora l’aimait. De nuits en nuits, d’étoiles en étoiles, Aurora l’aimait. Il était son contraire, mais elle l’aimait, et il le vit dans ses jolis yeux sombres lorsqu’elle lui offrit pour son vingt deuxième anniversaire une boucle d’oreille qui ne le quitterait plus. Elle haussa les épaules quand il lui posa la question, la voix curieusement tremblante.

- Bien sûr, dit-elle facilement, et la même tendresse lui était destiné à lui qu’à la nuit qu’il étudiait. Bien sûr, King’, je t’aime.

Aurora avait attendu qu’il le comprenne, attendu qu’il réponde. Elle pensait que leurs nuits pouvaient se compléter.

Kingsley passa beaucoup de nuits d’angoisse, loin du télescope, à comprendre la troisième vérité.

Aurora était… probablement parfaite. Elle était son double. Et il l’aimait. Il l’avait aimé immédiatement. Mais la tendresse de son regard lui était étrangère. Il n’avait jamais compris les relations, il n’avait jamais souhaité la dyade des cœurs. Il comprenait la romance mais de loin, comme un observateur détaché. Aurora l’attirait, c’est vrai. Il n’était pas étranger aux picotements qui envahissaient son ventre à la regarder, à se toucher. Il n'était pas étranger au désir qu’elle lui renvoyait en miroir. Cette chaleur-là lui paraissait naturelle. Ça s’arrêtait là.

Il pensait être englouti par les ténèbres en lui avouant ses étranges sentiments, ce déséquilibre. Il n’avait avant elle jamais mis de mots sur ces troubles. Il avait traversé ces années à Poudlard indifférent aux relations qui s’y construisaient, aux baisers des couples dans la Bibliothèque, et trop concentré sur ses études pour penser aux plaisirs.

Aurora l’aimait, et elle lui promit qu’elle comprenait. Il ne savait pas comment elle pouvait comprendre l’anomalie qu’il était.

- J’aurais dû rester seul, lui souffla t-il doucement, comme une confession.

Elle secoua la tête, ses cheveux voletant dans le mouvement. Et c’était Aurora, sa plus belle nuit, et il aurait douloureusement voulu l’aimer mieux, l’aimer comme elle voulait, l’aimer comme il fallait.

- Non, King’, répondit-elle avec beaucoup de sérieux. Rappelle toi de la voie étrange des étoiles. Il n’y a pas de normalité des amours. Chacun marche sur son petit chemin tordu. Tous nos chemins sont beaux.

Il regarda le sourire de travers de celle qui était devenue sa meilleure amie, et ses lèvres tremblèrent.

- Je n’ai pas besoin d’un amour comme il faut, reprit-elle. Je ne veux pas que tu m’aimes comme je t’aime. Et je n’ai pas besoin d’une relation romantique non plus.

Il la regardait, et il savait qu’il decrocherait sous peu son poste au Ministère et qu’elle partirait à Poudlard après les séminaires d’astronomie dont elle rêvait.

Il savait aussi qu’il ne l’oublierait jamais, cette clarté soudaine au milieu de sa nuit. Il y avait des mots pour ce qu’il était, et peut être la bataille contre la nuit se jouait elle aussi ici, pour lui.

Elle avait guidé ses mains dans une nuit plus étoilée que jamais.

Il n’y a pas d’aube pour ceux qui ne croient qu’à la nuit.

Mais Aurora avait été son aube.

Les chaînes (Dilys Derwent) by Calixto
Author's Notes:

Quatrième prompt :

« Je ne suis pas libre tant que n'importe quelle autre femme est privée de sa liberté, même si ses chaînes sont très différentes des miennes. » Audre Lorde

 

Une main tapote distraitement le bureau de bois sombre. Le chatouillement sur sa nuque n’a pas cessé depuis qu’elle est entrée dans la pièce. Dilys sait que tous les portraits l’observent en silence. Leur murmure frissonnant, inaudible pour l’oreille humaine, n’est qu’une nouvelle chaîne à son cou. Elle inspire, expire. Elle s’assoit dans l’imposant fauteuil. Le silence se fait, brutal. Dilys savoure ce choc sur sa langue, et elle garde le dos droit.

 Elle a gagné ce fauteuil. Aujourd’hui, Dilys Derwent voudrait croire qu’elle a gagné la bataille. Ces années à serrer les dents sous les regards méprisants, Sorciers comme Moldus. Ces années à entendre les piques racistes lancées à la volée, avec une négligence cruelle. La première guérisseuse de Sainte Mangouste noire, quand dans toutes les rues du pays on croisait les siens enchaînés. Seules les familles Shacklebolt et Zabini sont respectées. C’est parce qu’elles ont les coffres pleins d’or. Dilys a grandi dans un orphelinat.

 Ses parents sont morts pendant la traversée de l’Atlantique. Elle n’a aucun souvenir de cette traversée de l’océan, mais parfois, son corps se souvient à sa place, des cris, des pleurs, de l’odeur. Elle aurait du être vendue comme les autres, mais un homme avait eu pitié d’elle. Il l’avait amenée dans cet orphelinat, où la directrice l’avait protégée également.

Des années plus tard, elle avait compris que cette pitié n’était pas tant celle d’un homme pour une enfant innocente mais celle d’un sorcier pour une sorcière. L’homme avait vu les étincelles jaillir de ses mains dans sa terreur. Un sorcier ne peut laisser mourir un autre. C’était la position des rares sorciers abolitionnistes, réaliserait Dilys. Ils ne se déclaraient pas contre l’esclavage du peuple noir. Ils se déclaraient pour la libération de ceux d’entre eux qui étaient des sorciers, tout en respectant le Code International du Secret Magique.

En réalité, le monde sorcier ne s’occupait pas des affaires du monde moldu, de leurs guerres sanglantes à leurs massacres, et maintenant à cette traite d’humains. Mais une partie de l’élite intellectuelle sorcière estimait que malgré la barbarie des moldus, il n’était pas convenable de laisser des sorciers parmi eux capturés et réduits en esclavage. Cela rappelait désagréablement les bûchers. Et personne n’aimait se rappeler les bûchers. Et cela faisait moins de trente ans que le Code avait mis fin aux bûchers, lorsque Dilys, ayant étudié des années par elle-même, chercha un poste à Sainte-Mangouste.

Ses mains se crispent sur les accoudoirs du fauteuil. Elle a triomphé. Elle est maintenant Directrice de Poudlard, vénérable institution magique, malgré tout ce que Brutus Malefoy a pu écrire dans son foutu journal. Dilys a réussi à devenir la guérisseuse la plus respectée de Sainte-Mangouste, et elle portera maintenant le rôle de Directrice avec dignité.

Mais au fond, bien sûr, Dilys sait que tant d’autres batailles s’ouvrent. Elle pense à ceux de la couleur de sa peau, toujours en chaîne.

Elle pense au mépris qu’on lui a témoigné non seulement par sa peau mais en tant que femme, comme si elle ne serait jamais leur égale. Elle pense surtout à toutes ces femmes qu’elle a vu passer à Sainte-Mangouste, celles qu’elle s’est tant battue pour soigner et protéger.

Celles dont le ventre était lourd de bébés jamais voulus. Celles qui avait les bras couverts d’hématomes. Mais aussi cette jeune femme saphique que ses parents avaient renvoyé de la maison avec un maléfice lui déformant le visage. Elle n’était pas la première, et pas la dernière. Elle avait aussi eu une Métamorphomage en larmes, dont la famille exigeait qu’elle choisisse une forme à laquelle se tenir, et un sexe fixe. Et tant d’autres femmes, qui si elles ne partageaient pas la souffrance de sa peau, partageaient la souffrance de son sexe, et une autre souffrance qui leur était propre. Dilys avait entendu ses supérieurs et collègues cracher suffisamment sur les « déviants » qu’il faudrait éradiquer de la race magique.

Et maintenant, Dilys Derwent pense que les choses vont changer. Sa nouvelle position lui offre peut-être le respect et l’honorabilité. Elle est peut-être enfin libre. Mais tant d’autres femmes ne le sont pas, et Dilys connait le poids des chaînes.

Elle ne s’arrêtera pas avant que toutes soient brisées au sol.

 

Cinéma (Hermione Granger, Pansy Parkinson) by Calixto
Author's Notes:

Cinquième prompt : Hermione/Pansy

Celui-là est un peu long, je me suis laissée emporter, oups.

 

 

L’écran tremblait. Hermione était fascinée par ce tremblement. À regarder le bleu se fractionner en nuances de lumières, elle combattait l’envie irrésistible de regarder le projecteur. Elle avait choisi le film au hasard. Un homme hurlait à l’écran. Hermione sentait un frisson courir sur son échine, mais ce n’était pas à cause du film. Soudain, son corps entier était rétréci, avalé par le fauteuil rouge. Ses mains tambourinaient sur les accoudoirs. Sa bouche s’ouvrait à intervalles réguliers.

- Maman, maman, l’écran va me manger !

Un visage se tournait vers elle, et le corps d’Hermione s’étira, grandit pour retrouver sa taille, et elle avait de nouveau 20 ans et ses parents l’avaient oublié. Et elle regardait l’image de sa mère auquel son cerveau s’accrochait, et les larmes trempèrent ses joues.

Ça avait été comme ça depuis un an.

Revenir au cinéma, le souvenir chéri de son enfance. Se souvenir de sa fascination pour l’écran. Rétrécir. Chercher le visage de sa mère.

Se faner.

Elle avait cherché en vain comment inverser le sort. L’ironie était cruelle. Le sort avait été un peu trop bien jeté. Poignardé par sa propre intelligence.

Elle aurait voulu ne jamais grandir. Elle aurait voulu ne jamais faire jaillir d’étincelles. Elle aurait voulu aller à l’école moldue, au lycée, dans le supérieur. Elle aurait voulu gagner la fierté de ses parents par des prix et une grande carrière.

A la place, elle les avait perdus.

Ron n’avait pas su quoi dire. Il avait essuyé ses larmes, et répété sans cesse : Tu es la plus intelligente. Tu peux le défaire.

Hermione ne voulait plus de cette intelligence. Et elle savait qu’elle ne pouvait pas le défaire.

Après des cris et des larmes et des yeux bleus écarquillés d’incompréhension, Ron était parti. Où elle l’avait chassé. Elle ne se souvenait plus.

Harry, lui, s’était tu, ses yeux verts un bain bouillonnant de douleur. Elle avait aimé ce silence. Puis elle avait haï sa pitié.

Elle avait cessé de répondre à ses lettres. Où elle lui avait claqué la porte au nez. Elle ne se souvenait plus.

L’entièreté de sa concentration était dirigée vers le cinéma. Le souvenir allait s’effacer, elle le sentait confusément. Il fallait le préserver à tout prix.

- Granger ?

La voix était incrédule et familière.

Hermione leva lentement les yeux. Avec un bruit d’angoisse pathétique, le visage de sa mère fut remplacé par un visage qu’elle hésita à reconnaître.

Pansy Parkinson avait perdu la rondeur insolente de ses joues, l’air de bonne mine qu’elle arborait, sa moue méchante, le froncement aristocrate et laid de ses sourcils.

Son visage avait été retaillé au couteau. Seule une lame aurait pu découper ainsi la peau, l’effiler sur les pommettes, creuser ses joues et son menton.

- Pansy, balbutia-t-elle.

Les sourcils maigres se levèrent en réponse.

C’est seulement par ce haussement incrédule qu’Hermione, logicienne de toujours, réalisa l’absurdité de la situation.

Un cinéma moldu. Ses larmes. Pansy Parkinson, visage ravagé, se tenant devant elle. C’est probablement pour ça qu’elle ne put se retenir de cracher :

- Qu’est ce que tu fous là ?

Pansy lui retourna un rire rauque et étonné.

- Granger, je pourrais te retourner la question.

Hermione voulut se lever et lui hurler quelque chose de tranchant. C’était Pansy, après tout. La vieille ennemie, celle qui lui avait toujours fait sentir qu’elle était de sang sale, une intrus dans le monde magique. Aussitôt qu’elle tenta de sortir du siège, ses jambes vacillèrent. Oh. Elle n’avait pas mangé. Pas ce matin, pas la veille, pas….                 

   Elle n’eut que le temps d’apercevoir Pansy jurer avant que le monde la précipite au sol en tournant trop vite. Après, le noir.

Ses cils sont collants, poussiéreux, fatigués. Elle les agite avec lassitude, cherche à voir. Le flou se fixe sur un visage. La même lame qui a ciselé le visage de Pansy coupe ses entrailles, les cisaille. Elle déglutit.

Elle ne remarqua pas le verre d’eau jusqu’à ce qu’il se heurte à ses lèvres. Pansy la regarda avec insistance.

- Tu es vraiment toujours une emmerdeuse, Granger, dit Pansy.

Mais tout le venin qui accompagnait généralement chaque mot de Pansy était parti. Il n’y avait que de la fatigue, et un amusement étrange, décalé.

Hermione but. Sa tête lui faisait mal.

Elle croisa le regard de Pansy. Des étincelles y volaient trop vite pour qu’elle puisse les saisir. Finalement, la jeune femme sembla prendre une décision, avec un soupir.

 - Je n’aime pas demander de nouvelles, mais… tu as changé, Granger. Qu’est-ce que tu fous ces temps-ci ?

Hermione la fixa. Elle n’avait pas vraiment entendu les mots, mais sa bouche répondit automatiquement, pâteuse.

- Département de contrôle et de régulation des créatures magiques.

- Tu fais déjà de la paperasse ? Si jeune ?

Pansy grimaçait, mi amusée, mi dégoûtée.

Quelque chose de vaguement fier se réveilla dans Hermione, quelque chose qui voulait mordre.

- J’ai mérité ce poste. Je suis la plus jeune depuis…

Il y avait quelque chose d’autre qu’elle voulait dire. Mais la fierté qu’elle tentait de rassembler redevint de la cendre. Un seul petit mot tremblant agitait sa gorge. Maman.

Elle referma la bouche et se tut. Le froncement de sourcils de Pansy sembla s’approfondir. C’était drôle. On aurait dit qu’elle s’en souciait. Chacun savait que Pansy ne se souciait de personne. Elle avait toujours haï Hermione, et ceux comme elle. Elle devait la haïr encore plus maintenant qu’elle faisait partie des parias de la société sorcière, après les Procès.

Elle avait peut-être dit tout ça à voix haute parce qu’un rire rauque s’échappa de Pansy.

- Je ne te hais pas, Granger. J’ai autre chose à faire, tu sais. Haïr c’est comme crier contre un mur. J’ai eu la bouche si longtemps collée à ce mur que mes lèvres sont froides. De toute façon, tu n’es même pas si haut placée dans ma liste noire.

Les lèvres de l’ancienne Serpentard se tordirent.

- A vrai dire, reprit-elle dans un souffle, je dois dire que ta proposition de nous donner au moins un putain d’avocat pour ces Procès… eh bien, tu as bien été la seule à le vouloir.

Hermione se sentait abasourdie. Etourdie de la douleur habituelle, mais aussi en pleine hallucination. Qui était cette étrangère familière devant elle ?

Une main se posa sur son épaule.

- Allez, Granger, tu dois transplaner chez toi.

C’est alors seulement qu’elle regarda vraiment autour d’elle. Elle était à moitié affalée dans un petit fauteuil vert.  Le salon était plongé dans la pénombre. De lourds rideaux de velours filtraient la lumière. L’air sentait les sorts ménagers, et une odeur aigre qu’elle reconnut après quelques instants. Le Whisky Pur-Feu.

Elle se laissa guider, absente, par la main sur son épaule, une main pourtant si déplacée.

Les yeux noirs de Pansy brillaient comme des obsidiennes lorsqu’elle transplana.

Elle trébucha sur le sol, et soudain, elle était de retour dans son propre appartement, rempli de cartons jamais ouverts.

Elle ne pensait déjà plus aux yeux obsidiennes. Elle pensait que le cinéma ouvrait à 10 heures, le lendemain matin.

Elle avait menti à Pansy.

Elle n'allait plus au travail depuis un mois.

Depuis qu’elle avait fermé le dernier livre, le dernier espoir. Depuis qu’elle avait compris.

Pendant une semaine, elle avait erré autour de la maison de ses parents. Elle avait appris par cœur leurs horaires de sorties, leurs nouvelles habitudes, de ce monde en creux, de ce monde qui n’aurait pas du être plein, de ce monde sans elle. Elle s'était mise sur le chemin de sa mère, l’avait regardée ranger ses courses. Elle était rentrée dans son père, il s’est excusé, il l’a regardée avec une gentillesse vide.

Pas la moindre once de reconnaissance dans son regard.

Elle était partie.

Complètement partie.

Après ça, elle n’était plus revenue.

Elle n'allait plus au travail non plus. Elle ne voulait pas voir les regards apitoyés de ses collègues ou pire, ceux, admiratifs. Elle ne voulait pas croiser Harry au département des Aurors. Bien sûr, elle ne voulait pas revoir Ron.

Ron, son premier amour, perdu dans le précipice dans lequel elle s’était laissée enterrer. Ron qu’elle ne reconnaissait plus.

Par moments, elle se demandait même si elle l’avait vraiment aimé, et elle se détestait d’y penser. Elle se demandait s’il n’était pas le pilier, les épaules rassurantes. Elle repensait à ses yeux bleus.

Curieusement, alors qu’elle était dans le cinéma, alors que les lumières s’éteignaient, et qu’elle pensait au bleu des yeux de Ron, son esprit dériva un peu.

Vers les yeux obsidiennes.

Son esprit dérive entre présent et passé.

Elle n’a pas vu de pitié dans les yeux de Pansy.

Elle voudrait sa colère, pensa-t-elle brièvement.

Après ça, la pensée s’attarde, obsédante, impossible à oublier.

Elle ne sait pas vraiment comment elle a retrouvé le chemin de l’appartement, mais soudain elle est là, titubant dans les escaliers de marbre.

Ses jambes vacillant sous elle. Hermione est devenue si faible, si pathétique, si…

- Granger ? Mais qu’est-ce qui déconne chez toi, bon sang ?

Hermione en pleurerait. C’est tellement bon. Elle en a tellement besoin, de cette voix rauque et sans pitié, elle a besoin de plus, elle a besoin de mépris, d’insultes, de colère.

Parce que c’est la vérité. Elle n’est pas la parfaite Hermione Granger. Elle a échoué, raté, et elle voudrait tellement entendre des centaines de bouche le lui crier, lui renvoyer son échec mille fois dévoyé.

Des mains se sont posées sur ses épaules, la trainent quelque part.

Des mains qui brûlent sur leur passage.

Elle voulait plus de la brûlure.

- Granger, je t’ai connue en meilleur état. Où est passé ton cerveau en or ?

La raillerie coupe plaisamment. Soudain, elle était assise dans le fauteuil de la dernière fois.

Pansy la regardait avec une intense concentration.

- S’il te plait, balbutia-t-elle, et Hermione vit la surprise dans les yeux de son ancienne ennemie. Elle se détesta d’être tombée si bas, de tomber encore plus. S’il te plait, toi, au moins, tu me détestes, hein ?

Pansy haussa les sourcils. Après quelques minutes, elle répondit lentement.

- Tu le voudrais, hein ? Pourquoi tu veux de cette haine, Granger ? Ta conscience n’est pas en paix ? Je peux t’aider ? Le venin est gratuit chez les Serpentards, c’est ça ?

Elle avait l’air en colère. Hermione en ressentit un soulagement malsain. Pansy sembla s’en apercevoir, et aussi vite que la colère était apparue, la colère disparut.

Un long soupir fit vibrer l’air.

- Eh bah, je n’aurais pas pensé devoir m’occuper de toi, Granger. Où sont passé Weasley et Potter ? Trop occupés ?

Hermione ne répondit pas. Son esprit la tirait vers le noir, vers le vrombissement du projecteur, vers sa mère. Mais les coupures des mots de Pansy la ramenaient à la réalité, comme un fil sur lequel tirer, qui écorche les mains.

- Qu’est-ce qui se passe dans ta tête trop remplie ?

Elle regarda les yeux obsidiennes.

Les mots coulèrent hors de sa bouche.

Elle parla pendant peut-être une demi-heure, mais les mots ne se résumèrent qu’à ce gémissement du fond du ventre qui disait

Maman.

Quand sa bouche se referma sur le silence qui la grignotait, elle guetta avidement la colère dans les yeux de Pansy.

C’est de ma faute, n’est-ce pas ? C’est de ma faute.

Elle eut peur d’y trouver de la pitié.

Elle ne trouva ni l’un, ni l’autre.

A la place, la bouche de Pansy s’ouvrit et elle leva ses mains.

Ses mains parsemées de cicatrices presque invisibles.

Pansy parla de ses parents. Des coups, du dégoût, et des derniers mots qui lui avaient été adressés.

Ses parents l’avaient reniée.

Son sourire était une grimace lorsqu’elle admit.

- Mes parents sont vivants, mais ils sont morts. Comme les tiens, Granger.

Et c’était tellement différent. Parce qu’Hermione aimait les siens, et ils l’avaient tellement aimée.

Mais à la fin, c’était la même chose.

Il ne restait que le vide et l’oubli.

Deux étrangères.

Elle ouvrit la bouche, pour dire quelque chose, n’importe quoi.

- Allez, on est pas amies, Granger.

Les mains la poussèrent de nouveau vers la sortie.

La question sortit de sa bouche sans même qu’elle ait y réfléchi.

- Qu’est-ce que tu faisais dans un cinéma moldu ?

Pansy la regarda un instant, puis renifla ironiquement.

- J’occupe mes putains de journée.

Hermione la regarda, attendant.

Les sourcils maigres se tordirent d’agacement, mais Pansy lâcha quand même :

- Là-bas, personne reconnait la Traitresse.

Hermione transplana dans un hoquet. La porte claqua.

 

La semaine suivante se déroula comme d’habitude. Le bleu de l’écran continua de trembler. Jeudi, Hermione poussa la clé dans la serrure de son appartement, et le geste était presque naturel. Aucun murmure d’Alohomora dans son esprit.

Elle jeta à la poubelle toutes les lettres du travail, et les autres. Luna, Ginny, Harry. Elle mit cinq minutes à comprendre qu’il y avait quelqu’un dans son appartement.

- Hey, Mione.

Dans sa frayeur, elle recula aveuglément vers la porte. Ron sembla blessé. De larges cernes creusaient son visage.

- Comment, balbutia-t-elle. Tu ne devrais pas… être ici.

Ron secoua la tête.

- Hermione, est-ce que tu sais à quel point tout le monde s’inquiète ? Tu… tu ne vas pas bien. Tu ne réponds à aucune des lettres. Qu’est-ce que j’étais censé faire ?

Hermione ne répondit pas. Son regard était irrésistiblement attiré par le bleu des yeux de Ron. Elle recula un peu plus.

- Hermione !

Elle avait déjà transplané.

Elle ne reviendrait plus jamais.

Il n’y avait plus qu’une logique folle dans son esprit paniqué. Couper tous les liens magiques.

Alors pourquoi se retrouvait-elle, par magie, dans les escaliers de marbre d’une autre sorcière ?

- Granger ? Tu as le don de te pointer à l’improviste !

Pansy sentait l’alcool. L’appartement entier sentait l’alcool. Mais les yeux obsidiennes étaient clairs et coupants. Une baguette s’agita, et l’odeur écœurante disparut. Une potion plus tard, Pansy était sobre et Hermione laissait les spasmes parcourir son corps, dans le fauteuil du salon.

- Qu’est-ce que tu fiches là ? Mon appartement est pas un asile, tu sais ?

- Pourquoi tu me laisses entrer ?

Pansy haussa les épaules. Elle regardait l’un des murs.

- J’ai personne.

Hermione lui raconta précipitamment que Ron avait trouvé son appartement et qu’elle n’y reviendrait jamais.

Elle attendit avidement la colère. Les : Granger, tu es une égoïste, une lâcheuse, tu ne peux pas faire ça à Weasley et aux autres. Tu t’enfuis ? Tu es hors de toi.

La colère qui sortit de Pansy était délicieuse.

Et elle n’était pas dirigée contre elle.

Après avoir traité Ron de « connard stupide » pendant dix minutes, Pansy posa à nouveau les yeux sur une Hermione atterrée.

 - Tu es une idiote, Granger, mais tu vaux mieux. Même si tu tournes pas rond. Je peux pas dire que je tourne mieux.

Ça n’avait aucun sens.

Mais Pansy lui laissa une chambre de l’immense appartement vide.

La semaine qui s’écoula après, Pansy ne dit rien lorsqu’Hermione s’éclipsa chaque matin pour aller au cinéma maudit.

En revanche, sa fureur fut brutale quand elle comprit qu’Hermione ne mangeait rien.

Apparemment, Tracy, une ancienne amie de Pansy, souffrait d’anorexie.

Pansy avait beau se tuer la santé avec du Whisky Pur-Feu, elle ne supporta pas la maigreur des côtes d’Hermione.

Et soudain, un mois s’était écoulé et elles cohabitaient dans un petit système de travers.

Et un soir, Hermione rentra du cinéma en larmes. Elle était restée trois heures dans le fauteuil après la fin du film, jusqu’à ce qu’on la découvre et qu’on la chasse. Elle n’arrivait plus à se souvenir quel était le surnom affectueux que sa mère lui avait donné. Quand elle avait essayé de lui courir après dans les méandres de la mémoire, elle avait réalisé qu’elle n’arrivait plus non plus à se souvenir de la main de son père dans ses cheveux.

Pansy était étendue de tout son long dans le canapé. Elle tourna son visage délicatement cisaillé vers elle.

- Granger ?

Hermione sentit les larmes se figer sur son visage alors qu’elle fixait les yeux obsidiennes.

Elle voulait saigner.

Elle voulait de la rage.

Elle savait que c’était un mensonge, qu’elle demandait un mensonge, et que Pansy n’était pas celle qui la déchirerait comme elle le voulait.

Mais elle était ivre de chagrin, et

Elle voulait les ongles pointus de Pansy dans son dos.

Elle posa les mains de Pansy sur sa taille.

Pansy se redressa brusquement.

- A quoi tu joues, Granger ?

- Tu sais, répondit-elle très bas, sans y penser.

Pansy essaya de retirer ses mains. Hermione se battit.

- Bordel, Granger, tu délires… tu vas le regretter…

Mais Hermione aussi savait.

Elle avait vu l’intérêt il y a déjà longtemps dans les yeux obsidiennes.

Et elle avait son propre intérêt depuis qu’elle avait regardé un peu trop longtemps Parvati dans leur dortoir commun.

De toute façon, ça n’avait aucune importance.

Elle voulait des brumes de douleur.

Lorsqu’elle se déshabilla, Pansy arrêta de protester.

Hermione voulait que ses mains coupent, griffent, punissent.

Mais les mains de Pansy étaient douces.

- Tu es folle, Granger, chuchota-t-elle, mais le murmure était fatigué, révérencieux.

Hermione recommença à pleurer.

Elle était dans un autre cinéma, et la lumière de Pansy était trop brûlante, trop aveuglante.

- Change de film, Hermione.

Avec un dernier sanglot, Hermione s’effondra dans les bras brillants de sueur. Elle tourna son visage vers Pansy, Pansy qui l’observait déjà. Un sourire paresseux courait sur les lèvres de la jeune femme.

- Tu es un vrai bordel, Hermione.

Le silence avala les mots qui suivaient, flottant dans l’air, implicites, semi-aveu.

Hermione les entendit.

Le Je t’aime bien ne ressemblaient pas aux mots d’amour de Ron, ceux qui parlaient de foi et d’un avenir meilleur. Celui de Pansy était un constat moqueur d’un monde foutu, mais qu’elles allaient continuer ensemble.

La semaine suivante, Hermione ne regarda pas le film que projetait le cinéma.

Elle ferma les yeux pendant que Pansy l’embrassait, leurs mains croisées sur l’accoudoir du fauteuil. Elles furent chassées de la salle, mais ça n’avait aucune importance.

Les yeux obsidiennes voyaient la vérité.

Elle laissa un amour partir pour laisser un autre s’installer.

Le parfum des camélias (Marlène McKinnon) by Calixto
Author's Notes:

Un petit double drabble.

Marlène est pansexuelle ici.

       - Pourquoi tu m’aimes ? demande Sirius, ses yeux éthérés dans les vapeurs acides. Sa longue forme est allongée dans le canapé troué d’étoiles. Le monde est flou et mouvant dans la fumée, mais celle qu’il regarde conserve sa clarté.

Marlène se retourne vers lui, appuyée sur un coude. Elle regarde les yeux gris de Sirius, elle lui sourit. Sa main passe dans les cheveux sombres et emmêlés. C’est comme rassurer un enfant, lui promettre qu’on ne va pas s’envoler.

- Je t’aime pour toi. Je t’aime tout entier. D’ailleurs, tu sais bien que j’aime tout, Siri. Ici et ailleurs.

- Je sais, il marmonne, à moitié perdu, à moitié sur terre. Tu m’as déjà expliqué. Fille, gars, et tous les autres.

Elle hoche vaguement la tête.

- Pourquoi ? dit encore Sirius.

- Parce que pourquoi pas.

Elle entortille ses mèches entre ses doigts, regarde l’ébène trancher avec sa propre peau bronzée.

- Non, pourquoi moi ?

- Parce que pourquoi pas.

Sirius ferme les yeux. Ses cils papillonnent.

- Tu mérites des camélias, il murmure. Une mer de camélias.

- Pourquoi ? demande-t-elle, curieuse.

- C’est l’amour partagé, c’est une mer de flammes. C’est ta mer de flammes.

 

Le cahier vert (Hugo Granger-Weasley) by Calixto
Author's Notes:

Un autre double-drabble pour le septième prompt : Coming in

 

Hugo écrit lentement les mots dans le cahier vert.

Il les a trop longtemps pensés en silence, les a mâchés, recrachés, retaillés, roulés doucement sur des vagues mentales. Pesés, soupesés.

Il déglutit en regardant sa propre écriture déliée, la clarté de l’encre.

Sa gorge est serrée, c’est vrai, mais surtout, quelque chose se défroisse dans son ventre, quelque chose de chaud se libère dans ses veines.

La vérité est tiède.

Il veut la regarder en face et l’embrasser sur la bouche.

Il veut l’aimer tendrement.

Le cahier vert lui a été offert par sa mère. Il a recelé beaucoup de secrets, de confessions, de réflexions. Hugo n’aime à se regarder que dans le reflet de ses mots.

Et c’est un tel soulagement de l’admettre, de l’accepter comme une nouvelle donnée sur lui. C’est terrifiant car il pense déjà au moment où il dira ces mots à haute voix. Mais les murmurer à lui-même est déjà assez. C’est déjà tellement.

Il a su ces mots depuis longtemps, il leur donne naissance maintenant. Ce n’est pas une révélation, juste un lever de soleil.

Malgré les pluies acides qui tomberont peut-être.

Il veut sourire.

J’aime Nathaniel Rosier.

J’aime les garçons.

 

Rivière colère (Tonks) by Calixto
Author's Notes:

Huitième prompt : Coming Out

Sans surprise, je suis en retard... :)

 

Chaque fois qu’Andromeda ouvre la bouche, sa langue siffle.

Les oreilles de son enfant sont pleines de sang.

Son père, son sourire un soleil impuissant, la regarde, désolé.

Ted n’est qu’un amour qui ne sait pas se déchirer.

Chaque fois qu’Andromeda ouvre la bouche, elle déconstruit, détruit, démolit.

Elle fracasse des réalités entières, elle les enterre.

Elle agite les poignets, et toute la maison vit à son rythme. Andromeda aussi est pleine d’amour. Elle s’approche, pose ses mains sur ses épaules, et dit le nom maudit, enroulé dans une odeur écœurante de roses.

- Nymphadora, ma chérie, viens dîner.

Tous ses os se tordent. Ses cheveux sont d’une écarlate constante, maintenant. Ce qui sort de sa bouche est un grondement plus qu’un mot.

- Arrête.

Le sourire d’Andromeda s’effrite, sa douceur se durcit.

- Pardon ?

Maintenant, ses poings sont serrés, et elle est tout en piques et en douleur mêlée de colère.

Elle n’a pas le droit d’avoir mal.

Elle n’a pas le droit d’être en colère.

C’est le dos de son enfant qui convulse, c’est son enfant qu’elle crève d’épines.

Andromeda, qui a toujours voulu trop aimer.

Andromeda n’admettra jamais qu’elle aime de travers.

- Ted ! glapit-elle. Tu entends comme ta fille me parle ?

De nouveau, le grondement, rauque, désespéré.

- Arrête !

Ted s’interpose à moitié, ses mains levées. La peine envahit ses traits. Andromeda recule comme si elle avait été frappée. Elle aime clamer que sa famille est son monde, son bijou, son cœur.

Elle aime clamer qu’elle a tout donné à son enfant.

Et la rengaine recommence.

- Tu ne devrais pas avoir honte de ton prénom, s’exclame-t-elle, c’est le plus beau qu’on ait pu te donner ! Il reflète ce que tu es pour nous ! Un cadeau, Nymphadora ! Le plus beau des cadeaux !

Cette petite symphonie sonne faux.

Ses oreilles continuent de saigner. La rage déborde le grondement.

- C’est un putain de MENSONGE !

L’indignation souffle le visage de sa mère.

Le grondement se brise.

- C’est un mensonge.

-      - Mon amour est un mensonge ?

Deux visages brisés qui refusent de se comprendre. Ted tremble.

- Dora, dit-il.

-       Arrêtez ! Arrêtez ! et c’est une supplique à présent, un balbutiement. Ça m’efface. Ça m’efface.

La vérité est laide.

L’amour efface.

L’amour nie.

L’enfant a glissé au sol. Ce n’est d’ailleurs plus un enfant, le bébé chéri aux joues roses. C’est un adolescent maintenant.

- Ça m’efface. C’est pas moi. C’est pas moi. J’en veux pas. Je t’ai dit un million de fois… je te l’ai tellement demandé.

-       - Ma fille…

- Je suis pas ta fille.

Andromeda halète.

- Je suis pas ta fille, putain ! Pas tout de suite.

Ted attrape la main de sa femme, la presse, lui demande d’écouter.

Trop de douleur explose devant l’incrédulité.

- Qu’est-ce que tu es ? demande-t-il doucement, le plus doucement du monde.

-      - Je suis ton fils. Aujourd’hui, je suis ton fils. Peut être que dans une semaine je me sentirais ta fille à nouveau. Mais ce prénom… c’est pas moi.

La voix d’Andromeda est tranchante, mais les trémolos la trahissent.

–  C’est à cause de ton don, c’est ça ?

Elle a toujours été fière du don de Métamorphomage accordé à sa fille. Maintenant, elle prononce le mot don avec incompréhension.

L’adolescent secoue la tête.

- Non. J’oscille. C’est ce que je suis. C’est ce que je ressens ! Ce prénom… il me nie.

Ce prénom l’enterre, elle et ses réalités, qui sont aussi ils. C’est une fausse vérité qu’on lui colle au fer rouge.

Ted est le premier à briser le silence, son soleil de nouveau déterminé.

- Comment veux-tu qu’on t’appelle, mon cœur ?

Il l’a dit un million et un million de fois, mais si on l’écoute enfin, il va le redire, l’épuisement soulagé perçant sa voix.

- Tonks, lâche-t-il. Tonks.

Andromeda pleure.

- Tonks, dit-elle. Tonks.

Tonks respire enfin.

 

Comme ça (Sirius Black) by Calixto
Author's Notes:

Neuvième prompt : Found family

       - Pourquoi es-tu comme ça ?

Elle a dit, et la question tourne en rond, rond, rond, en cercles d’épines qui t’effarent

Mais oui, Sirius,

Pourquoi, pourquoi, pourquoi ?

C’est la question de la Mère d’abord, l’éternelle haïe, qui a les mêmes sourcils, les mêmes yeux, la même mâchoire arrogante, la même langue vénéneuse, celle qui l’a donné au monde et qui l’assassine, celle qui le déteste, celle qui le méprise, celle qui ne lui a donné que des mots, des exordes, des injures, des réquisitoires sales, des flammes et des malédictions, c’est une question qui n’a pour réponse que celle que la Mère donne :

Fruit pourri de l’arbre, fœtus raté, elle aurait souhaité ne t’avoir jamais enfanté.

C’est la question d’Orion ensuite, qui n’a de père que le titre, mais pas de haine, simplement la plus grande des indifférences, Orion c’est celui qui a la langue de bois et les cils ironiques, il ne regarde jamais ses fils, ils lui sont invisibles, et cette question dans sa bouche c’est une question qui n’a pas de réponse et qui n’en attend pas, une question rhétorique qui ne l’intéresse pas :

C’est la question de Regulus ensuite, celui qu’appeler frère fait trop mal à dire, celui qui a les mêmes sourcils, les mêmes yeux, la même mâchoire tranchante, la même rage grise, celui qui a été le compagnon d’une enfance et des mains qui se trouvent dans la terreur de la Mère, celui qui le déteste, celui qui le méprise, celui qui est devenu l’Etranger. C’est une question déchirante qui ne peut s’empêcher d’avoir un goût salé, un goût absence et un goût trahison, c’est une question qui n’a pas de réponse parce que Sirius n’en trouve pas :

Pas d’autre que le déchirement, la colère, la culpabilité.

Et enfoui, un dégoût incrédule, qui lutte.

C’est la question de Sirius, ensuite, qui se regarde dans le miroir et ne s’y connait pas, qui regarde des bouts de la Mère, des bouts d’Orion, des bouts du frère, et lui le Grand Roi, il ne reconnait qu’un visage de cendre et de terre, de boue et de rouille, de sang et d’ivoire, de la peau tendue sur des os. Il sait qu’il est beau. Il sait aussi qu’il est addict, alcoolique, fumeur invétéré, qu’il en a les poumons troués, la santé bousillée. Il sait aussi ses abîmes, ses terreurs, ses cauchemars, les démons collés à son épiderme comme une couche supplémentaire, de la corne dure et tannée, à l’odeur de saleté. Il sait qu’il est un raté, un putain de dégénéré, incapable, incapable, incapable de changer.

Surtout, il sait que sous le pantalon en cuir, son corps est un brouillon bousillé, une effroyable anomalie.

- Pourquoi es-tu comme ça ?! hurlent-ils tous au monstre du cirque, et Sirius n’a pas de réponse.

La Mère aurait arraché ce sexe en trop, elle aurait dû, elle l’a tant répété.

Il est anormal, déviant, et il devrait avoir honte de ce corps de tordu.

Comme tout ce qui révulse la Mère, fait naitre sa rage, Sirius l’a embrassé.

Il ne laissera jamais la baguette tranchante de la Mère et des médicomages trancher et faire couler son sang, le « réparer ».

Sirius n’a pas de réponse parce qu’il est né comme ça, et qu’au fond, il découvre avec une jouissance interdite qu’il n’en a pas honte.

Il est toujours le Roi.

Une nuit d’orage, Sirius disparait.

Il réapparait haletant, trempé de pluie, devant la lourde porte en chêne familière.

Sa main épuisée tremble sur la sonnette à l’apparence presque moldue.

Et puis, il y a des mains affolées sur ses épaules, et la voix d’Euphemia.

- Fleamont ! Fleamont !

Et puis, il y a une couverture enroulée autour de lui, d’une chaleur tendrement vicieuse, et les mains sont dans ses cheveux, et Euphemia chuchote des mots rassurants. Fleamont promet qu’il pourra rester tant qu’il le voudra.

Et enfin, dévalant l’escalier, les yeux pétillants, l’unique frère se jette sur lui, couvre son corps anormal avec le sien, se prélasse avec un sourire narquois, insulte « les abrutis Sang-Pur », complimente négligemment le « look mouillé » de Sirius, et se réjouit de la nouvelle vie qui s’offre à eux.

Ensemble, répète-t-il, ensemble, ensemble.

Et Sirius sait que pour les Potter, il n’y aura jamais de question à poser, d’angoisse et de tourments.

Sirius est comme ça.

Lové dans le sourire éblouissant de James, Sirius choisit une nouvelle famille.

 

De feu et de silence (Dean Thomas) by Calixto
Author's Notes:

Dixième prompt : Feu de camp

 

Le feu réveille quelque chose en Dean.

Tout avait commencé par un sourire qui crépitait.

Des explosions dans le silence.

Le silence, c’est le silence de Dean.

Il n’a pas toujours été ce garçon à la tête baissée et au sourire réservé.

Il a été un petit garçon accroché aux jambes de son père. Il a ri et rebondi sur ses genoux.

Il a été un petit garçon qui a entendu la porte claquer, et les cris, et les pleurs de sa mère.

Il a été un petit garçon regardant sans comprendre le trou en forme de père dans sa vie, la silhouette découpée dans le noir, la chaise vide tous les soirs.

Sa mère n’a eu que des larmes à offrir en réponse à ses questions.

Elle ne savait pas, elle ne savait rien, il était juste parti, comme ça, un matin.

Dean s’est lové dans le chagrin.

Et puis la porte s’est rouverte sur un inconnu.

Il a ébouriffé ses cheveux, l’a fait sauter sur ses genoux, lui a promis un nouveau père.

Sa mère souriait de nouveau.

Il n’y avait pas plus de réponses, mais il y avait des lumières rallumées, et la maison respirait de nouveau, alors Dean s’est tu.

Il a été un garçon exemplaire, excellent élève de l’école du quartier, il a gardé ses bras serrés autour de sa mère, et il a aimé son beau-père en oubliant le trou béant.

Une petite sœur, puis un petit frère, lui ont offert des rondes endiablées, qui l’ont étourdi jusqu’à ce qu’il ne se souvienne plus du tout d’avant.

Il ne restait que le silence, comme un sceau sur un secret.

La famille Thomas a assisté à tous les matchs de West Ham United, couverts de banderoles et de joie, et Dean a souri très fort, mais il n’a pas crié.

Sa voix ne sait plus s’élever.

Et puis la lettre est arrivée, et le silence s’est abattu dans le salon, des yeux écarquillés et des bouches ouvertes.

Sorcier.

Quand, après des regards incertains, la famille a fini par s’exclamer avec enthousiasme, et que sa petite sœur Mary-Jane a couru vers lui pour brailler sur la magie !  Dean est resté muet.

Il a croisé les yeux de sa mère, a posé la question muette :

Qui ?

Mais il a vu qu’elle ne savait pas. Ce n’était pas elle. Alors, lui ?

Soudain dans ce salon rempli, une brèche, un courant d’air, et un fantôme aux lèvres cousues.

Il ne dira jamais ses secrets.

Si son père était un sorcier, Dean ne le saura jamais.

Le silence et l’impossible s’enlacent.

Dean se détourne à nouveau des questions.

Le train serpente entre les collines, Dean colle son visage à la vitre.

Toutes pensées étouffées.

Toutes paroles mises sous clé.

Jusqu’à ce qu’une main électrique fasse courir des étincelles sur son épaule, jusqu’à ce qu’il se retourne pour découvrir le visage flamboyant de Seamus Finnigan.

Et son sourire qui crépite.

Dean déglutit dans le magma des souvenirs. Le feu de camp rougeoie et sa gorge se serre.

Seamus a laissé de la suie partout sur lui, mais Merlin, il en a été si heureux. Il en est si heureux.

Parce que Seamus est tonitruant, Seamus allume des feux en ouvrant la bouche, Seamus explose le silence.

Il a fait du silence de Dean des feux d’artifice, l’a pulvérisé en confettis.

Il lui a suffi de poser cette main sur son épaule, et de se présenter audacieusement, et Dean rit bruyamment, comme il n’a plus ri depuis qu’il était petit garçon.

Et ce rire s’étend à travers les années et ne s’arrêtera pas.

Seamus a toujours l’air ravi de l’entendre, il en est fier, de tirer ce son de la bouche de son ami timide et mesuré, du sage Dean Thomas.

Dean, lui, en est toujours merveilleusement étonné.

Il a tout partagé avec Seamus, ils ont rêvé de tout.

Pourtant à présent, Dean est totalement seul. La forêt l’entoure d’un silence qu’il n’avait pas connu depuis des années, d’un silence étau.

Le feu remue paresseusement.

La douleur remue aussi dans sa poitrine, alors qu’il sent les mots s’y étouffer.

Seamus n’est pas là pour tout faire exploser.

Seamus est à Poudlard, à des milliers de kilomètres, et Dean est seul, traqué, à courir pour sa vie.

Il court depuis que la question est revenue, celle à laquelle il n’a toujours pas de réponse :

Qu’était mon père ?

Il ne sait pas. Peut-être sorcier, peut-être pas. Le fantôme aux lèvres cousues est de retour, et Dean pourrait payer ce silence de sa vie.

Alors il est parti.

Il a froid, faim, et la terreur ronge ses côtes.

Et il y a un nouveau trou en forme de Seamus dans sa vie.

Devant ce feu qui le réchauffe, le silence des arbres désespère Dean.

Il pense chaque seconde ne jamais revenir vivant.

Il pense ne jamais revoir son meilleur ami, ne jamais lui dire.

Il pense à ce silence entre deux, ce que Seamus ne sait pas.

Seamus a toujours tout su de Dean, et Dean de lui. C’était un accord explosif, de fleurs de chaleur et de confiance ronronnante. Seamus lui avait parlé de sa mère, de sa présence oppressante, de ses idées qui le dérangeaient de plus en plus, qu’elle ne croyait pas en Harry, ni en Dumbledore, qu’elle ne croyait que dans le Ministère, même en Ombrage. Seamus lui avait parlé de sa propre crise de foi, et Dean avait promis de ne rien juger, de tout écouter. L’angoisse apparaissant sur son visage, Seamus avait demandé à Dean un secret en retour. Dean avait évoqué prudemment son expérience étrange et muette du genre. Il ne l’avait jamais pensé à voix haute, mais il ne se considérait pas vraiment garçon, pas non plus femme d’ailleurs, plutôt quelque chose entre les deux, quelque chose de neutre. Juste lui. C’était une idée tue, empoisonnée dans les cordes vocales. Seamus avait écouté, Seamus n’avait pas jugé.

Le feu avait brûlé entre eux plus fort que jamais.

Et puis à la fin de leur sixième année, ils mangeaient dans la Grande Salle, et Seamus, les sourcils froncés, avait marmonné qu’ils partageaient la même plaie, mec. Dean n’avait pas compris de quoi il en retournait, il regardait distraitement son assiette en pensant à sa famille moldue, à Londres, ignorant le danger de cette guerre qui approchait.

Seamus avait insisté, serrant son coude. Il regardait Lavande, qui pleurait sur l’épaule de Parvati, comme d’habitude depuis qu’elle avait eu cette aventure ridicule avec Ron. Dean lui avait jeté un regard perplexe.

Seamus avait soupiré comme une évidence.

- Eh bien, t’as perdu Ginny, et moi, elle n’a d’yeux que pour l’autre, là.

Et comme Dean continuait de le regarder fixement, Seamus avait roulé des yeux, avec son feu habituel.

- Les Weasley, mec, c’est notre problème. Ginny t’a lâché et moi, Lavande aime Ron.

Oh.

Alors, Seamus aimait Lavande. Il avait évoqué plusieurs fois Lavande, c’était vrai, mais c’était toujours des mots en l’air, des flirts désinvoltes, une appréciation lointaine. Quant à Ginny, et bien, c’était embarrassant, parce que Dean n’y pensait même pas.

Il n’avait pas aimé Ginny une seconde.

Il s’était juste laissé emporter dans son tourbillon de cheveux roux, quand elle lui avait expliqué qu’elle tentait d’attirer l’attention de Harry, de le rendre jaloux.

A vrai dire, Dean aussi essayait d’obtenir une réaction de quelqu’un.

Seamus n’avait fait que lui claquer l’épaule en sifflant que Ginny était une belle fille, et c’était tout.

Dean avait laissé le silence engloutir les feux d’artifice de son cœur.

Et maintenant, alors que la Mort souffle dans sa nuque, il faut qu’il le lui dise.

Il sait que quand il retrouvera Seamus, il lui dira, quoi qu’il en coûte.

Seamus lui-même le lui avait appris : les explosions ne s’étouffent pas.

Et puis quelques jours plus tard, devant un autre feu de camp, Dean n’est plus seul, et Ted Tonks passe un bras chaleureux autour de ses épaules.

Il parle de sa famille.

Dean pense à la sienne.

Ted sourit en lui disant :

- Je suis content de te rencontrer, fiston, même dans des circonstances comme ça. Je connaissais ton père, tu sais ? Un homme courageux.

Dean s’étrangle. Un million de questions ressurgissent en lui avec la violence de bombes.

Ted est surpris qu’on ne lui ait jamais dit, qu’on ne lui en ait jamais parlé. Dean déglutit : on ne parle jamais de son père. En quelques phrases hachées, il avoue : le silence, la silhouette découpée, l’absence de réponses.

Et soudain une question plus brûlante que les autres, un espoir fou :

- Est-ce qu’il est… est-ce qu’il est…

Ted comprend. Son visage se plisse de tristesse.

- Non, fiston. Je le connais que de nom, et j’ai du le croiser une fois, mais il est mort. Il est mort quand tu devais avoir… 4 ans, au plus.

- Quand il est parti.

- Il est parti pour vous protéger, fiston. Je suis désolé que tu aies jamais su ça. Ta mère était moldue, elle devait pas savoir. Les Mangemorts avaient essayé de le recruter, il a refusé, et puis il est parti, pour ne pas qu’ils vous trouvent, pour qu’ils le tuent seul.

Le fantôme aux lèvres cousues regarde Dean, le fait rebondir sur ses genoux, il est couvert de sang.

Les joues de Dean se couvrent de larmes.

Le silence tombe en miettes.

Le feu crépite comme un sourire.

Dean parlera.

Dean parlera enfin.

Comète (Remus Lupin, Sirius Black) by Calixto
Author's Notes:

Onzième prompt : Wolfstar (Remus/Sirius)

 

Remus se souvenait de sa chaleur de comète.

Les hanches sinueuses et les pommettes pointues, les cheveux rejetés négligemment en arrière, et ce sourire qui éblouissait tous les couloirs de Poudlard. Pour s’être approché trop près du soleil, Remus savait que cette incandescence était fausse.

Le sourire était un masque, le déhanché une illusion.

Non, Remus avait joué à l’Icare, s’approchant timidement de l’astre, agitant ses ailes.

Il avait été fasciné, mais pas par les manières ravageuses.

En vérité, Sirius avait des yeux brûlants, derrière les cils séducteurs, une fureur boueuse. Des poings serrés, qui explosaient dans ses crises de colère, aussi vives que laides. Son rire-aboiement qui devenait si facilement cruel, lorsqu’il se tenait dans l’œil du cyclone, ses épaules convulsant.

Et sous les cheveux sombres, des marques sillonnant toute la nuque pâle.

Sirius avait dit sèchement qu’il était tombé dans l’escalier.

L’escalier de la maison Black avait laissé des marques sur tout le corps de Sirius.

Remus avait eu la pensée grisante, interdite, que leurs cicatrices devaient former une carte des douleurs.

En vérité, Sirius n’était pas le soleil miroir de James, son inséparable.

James était l’unique véritable soleil des Maraudeurs. Il avait sorti tous les garçons de leur nuit.

Remus, habitué à dormir enfoui dans ses replis, pensait que personne ne l’y retrouverait jamais. C’était avant de croiser les yeux pétillants de James, c’était avant d’être témoin du miracle : ce garçon rayonnant d’une confiance immodérée, un chérubin bien nourri, qui avait été gavé d’amour, qui partait à l’attaque du monde.

James avait saisi sa main et ne l’avait pas lâché. Il l’avait tiré hors de la nuit.

Avec James, tout était facile. James donnait et donnait encore sans compter, répandant l’abondance d’une main qui ne réalisait pas ce qu’elle faisait. L’abondance lui était naturelle.

En jumeau, frère choisi, Sirius irradiait, beauté resplendissante, noblesse aisée.

Sirius était un soleil de ténèbres fondues. Ses pommettes à lui étaient creuses du manque d’amour. Sa négligence était étudiée. Elle se fracturait si souvent dans le dortoir des Maraudeurs.

Non, Sirius était un fêlé. Une bête sauvage, qui se démenait sans cesse, qui montrait les crocs.

Il ne se pavanait que devant le reste du monde.

C’était un acte magnifique.

Sirius aussi avait tendu la main vers Remus, l’avait tiré, mais son don à lui était un don terrible, c’était un don engagé, c’était une main calleuse qui savait ce qu’elle faisait.

Quand Sirius donnait, c’était un serment.

A la mort.

Plus Remus découvrait l’ange taré, plus il découvrait les facettes monstrueuses de son ami, plus sa fascination s’embrasait.

Remus n’avait été avide que de Sirius.

Il était le véritable monstre, après tout.

Lorsque le serment ultime avait été fait entre les 4 garçons, lorsqu’ils l’avaient suivi dans une nuit de pleine lune, Remus, émergeant du cauchemar, avait pleuré devant son corps couvert de son propre sang.

Le gros chien noir avait léché sa main, son visage, et dans un éclair, la main de Sirius était dans ses cheveux.

Le gros chien n’était pas aussi majestueux que le cerf, pas aussi tendre que le petit rat qui savait se faufiler, mais il pouvait bondir sur le loup, et dans les ténèbres, on aurait pu les confondre.

Dans les ténèbres, on aurait pu croire qu’ils jouaient.

Remus avait pu se frotter à la comète. Tant de nuits d’insomnie, alors que James et Peter dormaient en haut, Remus blotti dans le canapé de la salle commune, et Sirius étendu de tout son long contre lui.

Le feu de leurs côtes.

Le sourire épuisé de Sirius, son rire surexcité, cet aboiement écorché, ses yeux étincelants, son air chagriné, ses traits enragés, Remus avait tout vu, tout aimé, tout tu.

Et Sirius, farouche dans son serment, l’avait secoué dans les pires moments,

Tu n’es pas un monstre, Lunard. Je t’interdis de dire ça.

Sirius ne finissait pas ses phrases comme il finissait celles de James, mais il en inventait pour Remus, semblant se délecter du rire impuissant qui lui échappait.

Sirius ne traversait pas les couloirs collé à lui comme il le faisait avec James, si souvent bras dessus bras dessous, mais il se glissait parfois comme une anguille électrique, jetant ses jambes sur celles de Remus dans l’herbe, ou passant un bras heureux sur ses épaules.

Parfois, un feu-follet dans ses prunelles faisait se demander à Remus si Sirius ne l’avait pas rendu fou, et si, peut-être, audace dangereuse, le faux Don Juan ne l’aimait pas un peu.

La carte des douleurs.

Et puis la Nuit de Terreur avait déchiré leurs corps en deux, ouvrant un gouffre entre leurs côtes qui brûlaient.

Il sentait que quelque chose n’allait pas. Le rat faisait des cercles à ses pieds, mais au fond du corps monstrueux, le loup-garou avait senti une odeur différente.

Il y avait quelqu’un.

Pas le cerf, pas le chien, mais une odeur nouvelle dans le passage étroit sous le Saule, une odeur alléchante qui avançait vers lui.

Quelque chose d’immonde remuait dans son ventre, l’excitation de la proie.

L’excitation aussi était nouvelle. Il avait toujours été enfermé, tenu loin des autres, et sa seule compagnie avait été les bêtes. Ceux qu’il pouvait tenter de déchirer sans les blesser.

Mais en cet instant, la terreur submergeait ce qui était Remus au fond du loup.

Parce qu’il pensa, brièvement, qu’il se réveillerait le matin nu et couvert de sang.

Pas le sien.

Ses griffes se tendaient déjà, prêtes au massacre, et un sanglot naissait en Remus, quand le cerf, pupilles écarquillés, avait foncé dans l’ouverture, envoyant valser le loup au passage dans l’un des murs délabrés de la Cabane Hurlante.

Remus avait sangloté des heures en se réveillant, dévoré de spasmes effroyables.

James, le visage entièrement fermé, avait confirmé sa terreur.

Rogue avançait dans l’ouverture du Saule, ignorant qu’il rampait vers sa mort, quand James avait arrêté le drame qui allait se jouer.

Le metteur en scène : Sirius, et sa haine de Rogue, qui avait trouvé amusant l’idée d’envoyer Rogue voir lui-même ce qu’il en était de ses soupçons.

Un amusement cruel, une revanche tordue.

James avait hurlé à s’en casser la voix.

Qu’est-ce que tu pensais faire, putain, Sirius ?!

James ne s’était jamais privé d’amusements cruels, dans sa lumière de justicier, mais c’était allé trop loin.

Sirius avait essayé de s’expliquer, mais James avait eu un mouvement de recul, comme s’il ne le reconnaissait plus.

Les ténèbres, un bref instant, avaient mangé les yeux de Sirius. Il avait refusé de s’expliquer sur son idée, répétant sombrement, un air provocateur sur le visage, que Rogue l’avait bien cherché.

Remus avait regardé la violence danser dans les prunelles de sa comète, avait pensé à la façon dont enfance avait rimé avec souffrance, avait pensé aux marques de l’escalier.

Il avait pensé à la carte des douleurs.

Remus : le meurtrier.

Il se serait réveillé avec du sang le recouvrant, et un cadavre à ses côtés, un cadavre à porter sur ses épaules pour le reste de sa vie. Fardeau inimaginable.

Remus : le monstre.

Il aurait exécuté, aveuglé bestialement, et il se serait réveillé d’un cauchemar ayant tué. Un camarade. Pour la revanche de Sirius.

Remus avait chuchoté à James de s’écarter. Sirius l’avait enfin vu, derrière les rideaux du lit de l’infirmerie. Il avait vu les convulsions, les mains tremblantes. Il avait vu les yeux hantés.

Les genoux de Sirius avaient craqué en le lâchant. Le rictus provocateur s’était évanoui. Sirius avait pleuré.

Remus s’était senti froid.

Sirius avait imploré son pardon.

Remus le lui avait donné.

La blessure était restée, irrémédiable.

La chaleur n’avait pas diminué. La fascination non plus. Mais maintenant, Sirius se croyait le monstre.

Ils étaient deux monstres, à se ne plus savoir se regarder. Leurs insomnies toujours enlacées.

A demi-délirant, une de ces nuits, Sirius avait soufflé :

Je suis le Midas inversé. Je ruine ce que je touche. Je ruine… je ruine…

Un peu après, Sirius s’était soûlé au parfum de miel brûlé de Marlène McKinnon, s’était étouffé dans ses cheveux blonds, s’était grisé de ses yeux trop lucides.

Ils s’étaient touchés. Ils s’étaient ruinés.

Poudlard s’était figé dans le passé, alors qu’ils sortaient dans la guerre, jeunes, prêts à tuer, prêts à mourir.

Ces années-là avaient été des années d’agonie. Les morts, chaque semaine. La peur, aigre. Le deuil, bruyant, déchiré. Les beuglements de Sirius, la nuit du meurtre de la famille McKinnon. L’épuisement. Le soupçon, dégoûtant, fatal.

L’espion ?

(Après, il y avait eu l’indicible. L’abysse. Une bouche sans fond, sans fin, qui avait avalé les années. Remus, désarticulé, s’était laissé couler. Il avait laissé l’eau submerger dans ses poumons, il avait sombré dans un noir sans issue. Les trois meilleurs amis, morts. Le quatrième, leur meurtrier. Le traitre.)

(Son rire fou, quand ils l’avaient emmené. Azkaban.)

(Leurs tombes. Le petit doigt retrouvé dans le lac de sang et de chair.)

Et maintenant, rendu à la vie par une nuit d’adrénaline, de soulagement absolu, par le remède de la vérité,

Remus fixait sa comète.

Sirius était appuyé contre le comptoir de la cuisine du 12, square Grimmaurd.

Le temps avait ralenti sa course frénétique. Ils pouvaient enfin se regarder, se retrouver.

Remus fixait sa comète exténuée.

Les cernes noirs sous les yeux de Sirius, ses habits éculés, sa peau d’une pâleur maladive, les tatouages se dessinant sur les muscles disparus. Les cheveux longs et emmêlés.

Remus savait qu’il ne devait pas avoir l’air beaucoup mieux.

Mais c’était si pathétique, cette brillance goulument avalée par les années.

La carte des douleurs, plus partagée que jamais.

Sirius, cet étranger redevenu familier.

Sirius, Sirius, Sirius. Sa peau cireuse, son visage émacié. Cette lueur folle flottant dans ses prunelles, qui disait survivant.

Quelque chose s’était cassé en Sirius, c’était douloureusement évident.

Sirius lui sourit, une ébauche du sourire éblouissant qu’il avait eu, maintenant tordu, cassé sur les bords.

Le cœur de Remus se brisa un peu plus.

Il l’avait tellement aimé.

Il l’aimait tellement, encore.

Il reconnut le désespoir qui succédait à la folie douce dans les yeux de Sirius.

C’était le désespoir de deux survivants.

Une urgence.

Sans dire un mot, d’un accord tacite, ils surent ce que l’autre pensait. Sirius s’avança un peu, une de ses mains se levant pour prendre en coupe le visage de Remus.

Remus exhala un soupir qu’il ne savait pas avoir retenu.

Il passa les doigts dans les mèches emmêlés, tira.

Sirius fit un son animal.

Leurs lèvres se rencontrèrent.

C’était doux.

Ils s’embrassaient, et il y avait beaucoup de non-dits, beaucoup de tentatives de réparer.

Ils s’embrassaient, et il y avait beaucoup de tendresse, mais il n’y avait rien de vivant.

Remus savait que ce premier serait le dernier.

Il y a des choses qui étaient terminées avant d’avoir commencé.

Nous étions ruinés avant qu’on ne se touche…

 

La mort silencieuse (Eulalie Hicks) by Calixto
Author's Notes:

Douzième prompt : Silence = Mort

Eulalie est un personnage introduit dans Les Animaux Fantastiques :)

Je ne peux que vous inviter à vous renseigner si ça vous intéresse, sur l'histoire du poster à l'origine du prompt, créé en 1987 par le collectif du même nom.

1987.

La vieille femme s’agite dans son fauteuil. Eulalie n’a jamais aimé l’immobilité. Tu es une poupée sur ressorts, disait déjà sa grand-mère avec affection. Elle n’aimait pas la comparaison avec ces choses artificielles aux lèvres trop dessinées, aux yeux morts. Mais les ressorts secouaient bien ses pieds, ses jambes, ses bras, c’était indéniable.

Elle avait sauté par-dessus les murs, sur tous les chemins, baguette bien en main.

C’était parce qu’elle avait été allaitée par Harlem, et son énergie insatiable. Dans les quartiers moldus de son enfance, la vie bouillonnait.

Maintenant, quelque chose fait dérailler la symphonie, les fausses notes blessent son oreille ridée.

Elle a vécu toute sa vie au rythme de New-York, a couru dans son sein, a respiré au tempo de son pouls.

Et maintenant, elle sent la mort dans les rues de sa ville.

Quelque chose d’intrinsèquement faux.

Où est le sang pétillant des boulevards veinés ?

Eulalie a déjà senti cette odeur de déliquescence. C’est une odeur qui réveille des souvenirs et des cicatrices.

A l’époque, c’était l’odeur des attentats de Grindelwald, l’odeur de la guerre.

Eulalie est peut-être trop courbée, trop fatiguée, mais ses 88 ans se souviennent de tout, et surtout des années de combat, des années à enseigner à ses élèves le prix de la lumière.

Toujours faire reculer le noir.

Pourquoi le noir inonde-t-il maintenant tout New-York ?

Le pire est qu’à l’époque de la guerre, les rues étaient remplies de cris. La mort n’était pas si silencieuse.

Elle sent à présent, confusément, que quelque chose tue, et que tout se tait.

Elle s’extirpe de son fauteuil, péniblement, agrippe sa baguette. La partie moldue de la ville est tout autant sa ville que la partie sorcière.

C’est dans la partie moldue qu’elle a choisi de se retirer, dans le même quartier que celui de son enfance avec sa grand-mère.

Elle sort, elle marche. Elle sent.

Pas de doute, c’est bien la mort qui marche sur les trottoirs, qui fauche. Tous ses sens aiguisés, la magie faisant étinceler des visions cachées, Eulalie entend des sanglots étouffés.

Elle voit aussi des gens raser les murs, et des deuils tus. Elle voit des hommes et des femmes mourir seuls.

La colère tremble en elle quand elle s’arrête devant un homme qui hurle à « une sale pédale » de dégager loin de lui, qu’il a pas intérêt à s’approcher, avec sa putain de maladie.

La gorge nouée, la sorcière cherche à comprendre. Elle passe devant des magasins, leurs télévisions allumées projetant des images incompréhensibles. Des intervenants aux voix plates, dont les mots suintent pourtant de peur et de dégoût.

Ils disent tous le même mot, un mot qu’elle n’a jamais entendu :

SIDA.

La mort a un nom.

Le chagrin au bord du cœur, écœurée par la souffrance qui émane de ces rues, comme un appel au secours derrière un bâillon, elle finit par échouer devant un mur.

D’abord, elle voit flou. Sa vue lui fait défaut, avec l’âge. Mais elle n’était pas la meilleure professeure de sortilèges d’Ilvermony pour rien, et bientôt, tout s’éclaircit.

Quand elle voit le poster, le monde s’éclaircit aussi.

Le poster est d’un noir mortifère. Mais au milieu, d’un rose extraordinaire, un triangle tranche le noir.

Elle ne comprend pas tout à fait le symbole, mais elle le devine sans peine.

Lorsque les guerres s’étaient mélangées, Tina, du haut du bureau des Aurors du MACUSA, avait dû rendre des rapports sur les exactions moldues. Eulalie se rappelle des photos de prisonniers rayés, mais elle se rappelle aussi de ce petit triangle rose.

Un triangle de sinistre augure, donc.

Mais sur ce noir, il apparait un miracle, une éclaboussure de vie. Une insolence.

Et en dessous, en lettres capitales,

SILENCE = DEATH.

Silence = Mort.

Les larmes coulent sur ses joues sillonnées par les années. C’est comme un soulagement merveilleux dans la douleur qui baigne sa ville.

On se bat donc contre la mort silencieuse.

On tente donc de crier.

D’un coup de baguette, Eulalie multiplie les posters.

Elle les affichera dans toute la ville.

Ses ressorts ne sont pas si rouillés qu’on ne le croit.

Amour blanchi (Albus Dumbledore, Gellert Grindelwald) by Calixto
Author's Notes:

Treizième prompt : Love in the old age

 

Les boucles blondes devenues blanches.

Il y passe ses doigts comme dans de l’écume, dérive jusqu’à son front. Il y caresse de délicats sillons. Retraçant un visage appris par cœur, il passe par-dessus la peau douce et fanée des yeux, s’arrête brièvement sur les plis de rire à leurs coins.

Une respiration s’accorde à la sienne.

Le sourire étire puis transperce ses lèvres, les détruit. Il rouvre les yeux sur le tableau-mensonge.

Il ne voit que ce qui reste : deux fantômes.

Les boucles sont d’un blond violent, la peau est lisse et brillante.

Son amant est d’une jeunesse bruyante. Le temps n’a pas touché à ce visage d’une beauté déchirante.

Les mains de Gellert passent négligemment sur ses épaules, ses propres épaules d’une pâleur propre.

Ils ont 17 ans à jamais.

Lorsque leurs lèvres s’unissent, se dévorent, Albus détourne les yeux.

Bien sûr, il pleure.

Pour eux, il sera toujours une fontaine, l’éternelle pleureuse d’un deuil inachevé.

Il ne cesse de réécrire, de reconstruire, il y projette toute sa magie, toute son énergie,

Il ne cesse de peindre.

Le fantasme : un matin, deux vieillards sous les draps, une chaleur tiède. Le rire de Gellert, adouci par les années. Son propre amour, intouché.

Ils auraient traversé une vie, leurs mains s’appartiendraient encore.

Nous ne sommes jamais devenus vieux, chuchote-t-il, et

La toile se déforme.

La main douce qui tient la sienne dans le creux de sa paume devient une serre.

Tu mens, siffle-t-il, tu mens.

Nous sommes devenus vieux.

Les yeux bleus fatigués d’Albus Dumbledore croisent son reflet. Il touche d’une main sa peau constellée de tâches, froissée de rides.

Ses poumons troués se rétrécissent lorsque son autre main passe dans ses cheveux argentés. Son roux a été avalé dans le passé.

Il a vieilli seul.

L’épaule blanche s’est dérobée à ses caresses. Il n’y a jamais redessiné les tracés pour s’émerveiller de ses rides.

Des marques du temps.

Il referme les yeux, cherche un visage sous ses cils.

Les yeux pers de Gellert le fixent sans pitié.

Notre amour n’a jamais vieilli, chuchote-t-il.

Tu mens, dit-il, tu mens.

Je suis devenu vieux aussi.

Les traits de l’éphèbe se recomposent.

Des mains décharnées se tendent dans le noir. Des yeux qu’on croirait aveugles. Une carnation cadavérique. Et des rides, partout, des rides, sur des pommettes tranchant une peau plus fine que du papier.

Sur les épaules courbées, des cheveux blancs.

Gellert Grindelwald a vieilli derrière les barreaux.

Albus détourne les yeux.

Bien sûr, il pleure.

Pour eux, il sera toujours une fontaine, l’éternelle pleureuse d’un deuil inachevé.

Il lève une main tremblante, qui s’arrête aux barreaux.

Nous sommes devenus vieux, séparés, sans amour, chuchote-t-il.

La main décharnée saisit la sienne, et elle est aussi lisse que celle de son amant de 17 ans.

La main enfonce des ongles coupants dans la sienne.

Albus en soupirerait de plaisir.

Tu mens, rit-t-il, tu mens.

Le rire bascule dans le sanglot.

Deux vieillards se font face.

Albus rouvre les yeux.

Le peintre cède.

Le sel tâche son chevalet.

Nous sommes devenus vieux, chuchote-t-il. Et je t’aime encore.

 

Soho Drag (Teddy Lupin) by Calixto
Author's Notes:

Quatorzième prompt :

« J'adore les homosexuel·les. » Fanny Ardant imitée par Paloma

 

Victoire est toujours au premier rang pour applaudir.

Dans les coulisses, sa fiancée reçoit toujours les mêmes accolades et bises excitées. Tout le monde connait Victoire Weasley future Lupin. Chacun sait qu’elle attire tous les regards. Ils sont une poignée à savoir que son éclat irrésistible signifie Vélane. C’est parce qu’il y n’a que quelques sorciers dans cette salle moldue.

Au fond, peu importe : Victoire éblouit. Son carré court d’un blond envoûtant, son sourire ivoire.

Mais lorsque le rideau s’ouvre et qu’elle s’enfonce dans son fauteuil avec ravissement, ce n’est plus Victoire qui attire tous les regards.

C’est lui.

Les moldus ne connaissent pas Teddy Lupin, ils connaissent…

Madam Cecil !

L’accent français artificiel fait toujours éclater Victoire de rire.

Les applaudissements explosent. Victoire aime lever les yeux, chaque soir, pour en voir le plafond trembler. Elle applaudit plus fort que tous les autres.

Il entre, perché sur des bottes dorées. Son visage se tourne vers la lumière, penché comme une corolle de fleur. Dès que les projecteurs courent sur la trainée de paillettes qui fait crier ses traits, il n’est plus Teddy Remus Lupin, orphelin de héros, filleul du Survivant, grand jeune homme dégingandé de 24 ans, il est Cecil.

Et Cecil est invincible, Cecil est merveilleuse, Cecil est la star de tous les soirs.

Ses yeux encadrés d’un liner fuchsia qui scintille de mille feux, Cecil se déhanche, Cecil chante, Cecil danse, Cecil est un tourbillon, Cecil est fa-bu-leuse, éblouissante.

Cecil se transcende.

Elle est son rêve, bien sûr, un rêve soigneusement construit, collaboration de longue haleine avec Mme Guipure pour ses tenues, dont chaque détail a été étudié, et jusqu’à chaque parcelle de sa peau fardée : un maquillage méticuleusement réalisé, un vrai tableau. Les lourdes perruques qui inclinent légèrement sa nuque, miroitantes de reflets, sont la touche finale.

Elle n’est pas que son rêve.

Quand Cecil bouge, Andromeda bouge un peu à travers elle.

Cecil est le prénom qu’elle aurait voulu porter.

Un prénom normal, soupirait-elle, faisant sauter Teddy sur ses genoux. Propre, lisse, lumineux, j’aurais été une fille libre. Si loin des prénoms Black, de leurs sonorités rigides, du sang qui les couvre.

Cecil… un nom qui se serait entrelacé avec Ted sans difficulté, sans douleur.

Cecil et Ted, un couple qui aurait encore sa fille.

Cecil est une autre Andromeda, une Andromeda heureuse.

Cecil, soupirait-elle encore, perchant Teddy sur ses épaules déjà fatiguées, lui montrant le quartier. C’était un quartier animé de l’air urbaine londonienne. L’aire urbaine londonienne moldue.

Teddy avait appris l’histoire par fragments : une histoire de déchirement.

Mais avant, il avait grandi en paix, avec sa grand-mère qui débordait, pour lui seulement, plus d’amour que de chagrin. Elle l’avait accompagné dans chaque pas sur le chemin de sa magie, mais elle l’avait aussi tenu à l’écart du bruit du fer et de la gloire qui avaient suivi la Guerre.

La famille envahissait continuellement leur maison, têtes rousses des Weasley et têtes blondes des Weasley-Delacour, et autres familles mélangées, mais tous avaient respecté le souhait d’Andromeda d’élever son petit-fils loin du tumulte.

Le monde moldu était aussi son monde, peut-être plus que le monde magique. Il y avait tout appris avant Poudlard, y avait été heureux, s’y était fait des amis qui étaient toujours à ses côtés aujourd’hui. Il avait initié Victoire et son parrain Harry, et le reste de la famille, aux technologies moldues. Arthur Weasley l’avait déclaré, mi plaisantin mi ému, son digne successeur, dont il était l’élève.

Soho était un quartier à sa mesure, Soho était sa maison : un quartier pétillant, rempli de bars et de salles de concerts et de cinéma. Un quartier profondément vivant, un quartier rock et punk, un quartier où Teddy pouvait laisser éclater toutes ses envies et ses identités.

Cecil était la fille de Soho.

C’était dans un des fameux établissements queer du quartier qu’il avait vu pour la première fois, adolescent, un spectacle de drag.

Il n’y avait pas de véritable communauté queer dans le monde sorcier, qui restait sur de nombreux aspects rétrogrades. Tout y était implicite. Alors même qu’il avait été élevé entouré de modèles d’identités sexuelles et de genres multiples, Teddy avait été élevé par les moldus sur ces sujets plus que par les sorciers.

A ses premières questions sur la façon d’embrasser son don de Métamorphomage, Andromeda lui avait doucement expliqué que sa mère était genderfluid, et Teddy s’était reconnu dans ces mots.

Plus encore, Teddy s’était reconnu dans les queers du quartier, tous ces gens décalés et brillants, et tout avait culminé dans ce bar où les drags avaient défilé devant lui pour la première fois.

Cecil était née dans l’émerveillement et la joie pure et sauvage de devenir quelqu’un d’autre.

Andromeda n’avait pas compris. Son don lui permettait de prendre la forme de n’importe qui. Pourquoi aurait-il besoin de maquillage moldu, de leurs accessoires ?

Mais Teddy était déjà conquis.

C’était une histoire d’œuvre d’art, de peindre un grand tableau, de se vêtir de ces tenues et de remodeler son visage encore plus loin que son don.

C’était quelque chose de plus vibrant encore que son propre visage changeant.

C’était les paillettes et la scène, et la vérité.

C’était le jeu.

Il était né pour être drag.

Andromeda l’avait accompagné à tous les spectacles, tous les soirs, et enfin, elle avait accompagné chaque étape de la création de Cecil.

Elle aussi s’était perdue dans ce rêve.

Un rêve qui tirait la langue.

Andromeda se rappelait de sa jeunesse à mourir de soif. La source unique : la rébellion.

Cecil aussi serait impertinente, Cecil serait modelée par l’énergie de son quartier, comme un riff de guitare électrique.

Et maintenant, Cecil avance sur la scène, se tourne de tous côtés, impériale.

Ils assistent tous à quelque chose de magique, captivés :

Sous quelque angle qu’on la regarde, chaque facette de son visage est différente. Presque comme si la peau se tordait et changeait.

Une déesse aux mille visages.

Elle se penche vers son public, qui hurle de plaisir.

Bientôt, il hurlera de rire.
Cecil a la langue la mieux pendue de tout Londres.

Ses blagues sont bien connues.

Dans le public, James-Sirius Potter hurlera plus fort que tous les autres.

Son humour acide fait hurler James depuis qu’il est un petit garçon.

« J'adore les homosexuel·les. » lâche Cecil sur un ton d’actrice qui minaude.

La salle explose de rire.

Cette phrase est la phrase d’introduction du spectacle depuis quelques semaines, depuis que Teddy et Victoire ont regardé avec Andromeda « Drag Race France », Victoire traduisant, Teddy se réjouissant. La drag queen gagnante, la splendide Paloma, avait prononcé ces mots exacts, lors d’une performance hilarante.

Victoire, qui reconnait la phrase, rit. Son rire, comme un collier de perles, roule jusqu’à Cecil, jusqu’à Teddy.

Il l’accroche fièrement à son cou.

Sur cette scène, il n’a jamais été plus heureux.

 

L'épée et la poupée (Narcissa Black, Molly Prewett) by Calixto
Author's Notes:
Quinzième prompt, enfin : Molly/Narcissa
J'ai un peu bloqué sur celui-là, mais le voilà !
Dans le canon, elles ont 5 ans de différence, mais ici elles en ont 2 tout au plus.

« Une dernière chose : j’ai oublié la commissure de tes lèvres. Elle s’est effacée de ma mémoire. Cette commissure dont la ligne me fait penser à une larme, je ne saurais dire pourquoi. »
Jon Kalman Stefansson, Asta.

Tout s'était effacé si vite. Il avait suffi d'un geste de la main, cette main blanche devenue soudain brusque.


(…)


Elle serre les poings, elle serre les dents, elle serre les cils.
C'est comme ça que Narcissa la voit, la première fois. Une fille aux cheveux roux frisés, irradiant de colère, une épée de bataille.


Une fille aux cheveux blonds raides, d'un blanc rigide, mais ses mains tendues vers elle, une poupée sans failles.
C'est comme ça que Molly la voit, la première fois.


La première fois, Narcissa pense que cette fille plus âgée ressemble à sa sœur, celle qu’elle aime de moins en moins. Une tornade cruelle. Narcissa n’a appris qu’à se faufiler entre ses fureurs. Son autre sœur lui a appris les sourires et les silences.
Quand elle s’approche assez pour comprendre que ce visage potelé n’est pas habité par la colère, elle apprend que le feu ne brûle pas toujours.
La fascination, elle, reste la même.
Elle approche ses mains blanches des flammes.


Plus tard, Molly en pleurerait.
Ne réchauffe pas tes mains de cire, dirait-elle.


Narcissa sait qu’elle ne devrait pas. Cette fille est interdite. Les Prewett sont des Sang-Pur, mais ils ne sont pas fréquentables. Une famille trop ambiguë.
Et les temps qui viennent sont clairs comme une lame.
La vérité dangereuse, c’est que Narcissa se moque des interdits. Elle est petite et mince, pour s’étouffer trop, alors il est facile de se glisser dans les interstices. Elle en a fait sa valse aux pieds nus. Elle écoute partout, elle ouvre les yeux la nuit, elle voit Andromeda s’éclipser, Bellatrix se fanatiser. Narcissa se faufile dans les couloirs de mensonges.
Sournoise poupée, qui cherche des armes à aiguiser.


Elle épie Molly Prewett, écoute son souffle se raccourcir.
Molly a la peau constellée de taches de rousseur. C’est dégoûtant, dirait Druella, qui guette la moindre ombre sur la peau de ses filles. Molly a la peau tannée. C’est immonde, dirait Druella, qui poudre sans fin.
Molly est ronde, de courbes étrangères.
Narcissa est plate, et elle a cherché :
Andromeda comme Bellatrix partagent les mêmes os pointus.
Molly a souvent la tête rejetée, et ses cheveux décoiffés. De lourds cheveux frisés.
C’est écœurant, dirait Druella, en faisant ployer le cou fin de Narcissa sous le poids de l’énorme brosse argentée.
Molly rit, très fort, un son incongru, qui sort librement de sa gorge.
C’est grossier, dirait Druella, qui a appris à ses filles à serrer les lèvres et à rire comme des oiseaux.


La première fois, Molly pense que cette fille ressemble à la poupée que sa mère n’a jamais voulue lui acheter, qui est restée dans cette vitrine brillante. Ses mains la démangent de toucher ces cheveux de soie. Les yeux clairs fixés sur elle lui rappellent les yeux de verre de la poupée.
Quand elle s’approche assez pour voir que ces yeux ne sont pas vides, le rêve n’en brûle pas moins.
Une poupée animée, un rêve marchant dans la réalité.
Molly sait qu’elle ne devrait pas. La poupée était restée à jamais hors de sa portée. Elle l’aurait fêlé en la touchant, cette belle porcelaine. Narcissa Black n’est pas à approcher. Molly connait son aînée. Bellatrix est un buisson d’épines toujours enflammé. Fabian et Gidéon lui ont conseillé sans rire de ne pas la croiser.
Ce sont des mondes qui ne se croisent pas.
Pourtant, des robes aussi belles que celles des Black, Molly en a vu, petites, aux réceptions de ses parents. Mais les réceptions des Prewett ont cessé.
Il y a des gens qu’on n’a plus vus.
En s’approchant, Molly voit bien que Narcissa Black sent la poudre et le parfum de luxe. Molly sent l’herbe et le soleil sec. Elle a couru sans s’arrêter toute son enfance, elle a suivi ses frères partout.
La poupée Black sort de sa vitrine, elle n’a visiblement jamais vu la lumière.
Molly voudrait souffler sur elle, faire disparaitre sa poussière.
Ensuite, Molly comprend la vérité dangereuse.
Narcissa la regarde en retour.


Et Narcissa est seule. Toujours seule, dans les couloirs.
Bellatrix s’enflamme, et on ne voit jamais Andromeda, qui semble disparaitre dans chaque recoin.
Molly aussi est seule. Fabian et Gidéon courent dans tout Poudlard, les rires y explosent, mais ce n’est plus le jardin, où Molly pouvait encore les rattraper.
Ils courent trop loin pour elle.
C’est idiot, c’est insensé, et Narcissa et Molly gravitent l’une vers l’autre.


Personne ne va jamais au fond du parc du château. On s’arrête toujours avant les ronces.
Narcissa relève ses robes jusqu’aux mollets pour passer, Molly déchire les siennes.
Un rire partagé.
Elles se découvrent curieusement.
Deux mondes se croisent.
Elles parlent.
La voix de Narcissa est fluette, comme si elle ne parlait jamais.
Molly parle trop vite, trébuche, comme si on ne l’écoutait jamais.
Narcissa se dresse pour elles. Narcissa se polit, grandit son dos, se perfectionne. La nouvelle reine du secret les dissimule.
Molly et Narcissa mourraient pour leur famille.
Elles se sont mises sur le même piédestal.


C’est Narcissa qui bouge la première. Molly ne l’a jamais vue si résolue.
C’est peut-être parce qu’Arthur Weasley la regarde un peu trop.
Narcissa a les yeux qui tremblent, et ses mains hésitent, comme une poupée qui découvre sa chair.
Les mains de Molly sont calleuses. Elle la touche avec révérence. Elle n’aurait jamais pensé avoir le privilège de poser ses lèvres sur l’ivoire tiède.
Mais elle ne pense plus à Narcissa comme sa vieille poupée.
Narcissa est bien plus vivante.
Et découvrant les veines affleurant sous ses doigts, Molly en pleurerait.
C’est probablement interdit aussi, mais dans leur nouveau monde, dans leur écosystème, dans leur équilibre, c’est vrai.
Ce sera juste un secret de plus.


Un soir, elles ont regardé la lune trop longtemps, et dans les couloirs qui auraient dû être vides, Molly se fige devant Arthur Weasley. Il tord ses mains anxieusement. Il s’inquiétait pour elle, de la voir dehors à cette heure.
Le cœur de Molly s’était presque arrêté. Le concierge, Picott, s’était approché, et Molly avait couru. Il avait eu Arthur.
Elle avait eu les hurlements de la Grosse Dame.
Heureusement, ils en avaient fait une mauvaise déduction.


Mon étoile polaire, chuchote Molly, en découvrant les cheveux de soie qui coulent entre ses doigts.
Narcissa ne dit rien, mais ses yeux tremblent plus fort.
Le temps file comme un papillon.
Les ailes trouées, il agonise déjà.
Molly a fini sa 7e année. Molly va partir.
Leur papillon ne survivra pas au dehors.
Il était si petit, il était à la taille de leurs paumes.
Narcissa le sait.
Elle espère encore.
Avant, elle n’espérait pas.
Personne n’espère au fond d’une vitrine.


Et puis, Narcissa n’espère plus. Elle convulse dans l’étreinte de Molly, Molly paniquée.
Andromeda a fui le manoir Black.
La tempête gronde et dévaste.
Les langues se délient.
Narcissa sera le prix, Narcissa sera l’offrande.


Narcissa le connait, il se pavane dans leur salle commune.
Molly tressaille, Narcissa mord son épaule nue.
Ils la donnent à Lucius Malfoy, pour en faire son épouse.
- Il va me casser, chuchote-t-elle, si bas qu’on ne l’entend presque pas.
Ce sont les seuls mots qu’elle dira.
Molly ferme les yeux, ses cils claquent comme des voiles qui ne se gonfleront jamais.
Le vent, le vent, la liberté.
Elle pense aux mains de Lucius Malfoy, ses mains lourdes d’homme qui vont ceindre la taille mince de Narcissa.
Il va la casser, c’est vrai, il va l’écraser.
Sa fleur brisée.


- Je pourrais faire un filtre d’amour, balbutie-t-elle, et Molly ne balbutie jamais, tête butée. Il ne voudrait plus de toi.
Narcissa la regarde avec une incrédulité blessée.
Les mots qu’elle ne dit pas : Alors, ce serait un autre. Il serait surement pire. Peut-être Rabastan Lestrange, qu’Andromeda a rejeté. Ou Evan Rosier, le fiancé laissé derrière dans sa fuite.


Dans les yeux si vivants de son amoureuse, Molly voit que pour la première fois, elle est la combattante impuissante. Pire, elle est la combattante atroce.
Narcissa lui en veut.
Narcissa la déteste.
Narcissa sent l’amertume dévorer sa langue.
Les mots qu’elle ne dit pas : Tu es libre, toi.


C’est la première fois que cette vérité bat entre elles comme une blessure fraiche.
La main de Narcissa se lève, sépare leurs corps enlacés.
Elle siffle dans l’air, et déchire tout ce qui les liait.
Une main blanche soudain devenue brusque.

Molly tombera dans les bras d’Arthur Weasley, elle oubliera.
Narcissa tombera dans les bras de Lucius Malfoy, elle s’y oubliera.

Protect Trans Kids (Gwenog Jones) by Calixto
Author's Notes:

Seizième prompt : Protect Trans Kids

Ce texte est en retard, parce qu'il est difficile et que je l'avais laissé trainer. Merci Bloo pour tes magnifiques reviews qui viennent de me motiver à le finir, il t'est dédié tout spécialement <3

TW : Evocation d'un suicide d'enfant et transphobie

 

Ils préféreraient leurs enfants morts.

- Gwen ? Gwen ? Gwen !

Des mains courent sur ses épaules, des voix coulent dans ses oreilles, mais Gwenog est un bloc de douleur. Elle n’a que ça dans la peau, cette douleur qui la prend pour tambour.

Elle ne peut penser qu’à Jack, au trou entre ses dents de devant quand il souriait. Il souriait toujours follement grand lorsque Gwenog faisait des démonstrations aux autres enfants.

C’était une de ses premières idées, les démonstrations de vol. Les gamins criaient toujours de plaisir lorsqu’ils regardaient Gwenog enfourcher le balai et s’élever de quelques mètres dans les airs. Parfois, elle faisait même quelques cascades.

Ils applaudissaient. Leurs yeux brillaient de joie.

Ils préféreraient leurs enfants morts, pense-t-elle encore, et le chagrin plonge ses mains dans sa chair, la déchire en deux.

Quand elle avait lancé l’association, les journaux s’étaient étonnés. Au fond, ils étaient déçus. Ils préféraient afficher en une les cheveux bleus décoiffés de Gwenog, ou ses colères légendaires aux entrainements, ou ses acrobaties sur le balai. Bien sûr, ils adoraient aussi décrire en détails la façon dont elle avait battu à mains nues un joueur de l’équipe adverse qui avait insulté leur « équipe de salopes » après avoir perdu le match. Le meilleur restait encore de photographier frénétiquement ses aventures et ses coups d’un soir, féminins et masculins.

Ils s’étaient rapidement décidés, et avaient écrits en long et en large sa « dernière lubie » ou cette « provocation ».

Gwenog avait serré les dents, et s’était accroché.

C’était son nouveau combat, et comme chaque fois qu’elle se battait, elle allait le faire sans se lasser, sans se fatiguer, elle allait s’y bousiller les poings.

Elle allait y jeter son argent, aussi, mais elle était capitaine d’une des meilleures équipes de Quidditch du monde et elle se foutait pas mal de l’argent de toute façon.

Tout ce qui avait compté, à ce moment-là, c’était que les choses allaient mal. Ou plutôt, les choses allaient encore plus mal. La communauté queer sorcière en parlait de plus en plus fort, mais ça aussi restait des murmures.

Le raidissement du Magenmagot. Et les moldus, surtout, les moldus et leurs nouvelles lois.

Ce qui était évident, et ce que personne n’osait dire trop fort, c’était que les trans n’étaient pas les bienvenus. Oh, correction. Ils ne l’avaient jamais été. Même dans la communauté, Gwenog avait dû hurler un nombre de fois conséquent sur des hommes et des femmes qui murmuraient « monstres ».

L’ironie était particulièrement amère.

C’était presque comme le début d’une chasse aux sorcières.

Gwenog était furieuse. Elle avait été furieuse pendant deux ou trois ans, comme ça, regardant les choses empirer. Et puis elle avait décidé d’être encore plus furieuse, et surtout, de faire quelque chose.

Elle avait des amis trans. Merlin, elle avait des enfants trans dans sa famille.

Elle n’allait pas rester plus longtemps sans rien faire en regardant leurs visages se vider de leurs couleurs, et leurs lèvres s’amincir.

Elle avait rapidement débuté les procédures légales, elle avait parlé à ses coéquipières, elle avait parlé aux journaux.

Une cinquantaine de bénévoles l’avaient rejointe, et Belladonna était née.

C’était le nom d’une magnifique fleur vénéneuse, parce que Gwenog ne supportait plus d’entendre comme « les trans empoisonnent notre jeunesse et notre pays ».

Malgré l’argent et les aides, et la popularité de Gwenog, ils s’étaient débattus.

Ils avaient dû se former, d’abord, puis réfléchir aux dispositions légales, puis réfléchir aux dispositifs qu’ils pourraient proposer.

Il y avait eu dix enfants, d’abord, la plupart accompagnés par des parents hésitants. Gwenog les avaient regardé se découvrir, se parler, se sourire, entrelacer leurs doigts et courir jouer.

Elle avait regardé la solitude qui froissait leurs traits trop jeunes se diluer, alors qu’ils se réunissaient.

Elle avait parlé elle-même aux parents, avec les bénévoles. Ils avaient créé des brochures.

Et enfin, évidemment, elle avait sauté sur son balai, et elle avait fait des pirouettes spectaculaires.

Il s’agissait d’apporter de la joie, il s’agissait d’apporter de l’aide, il s’agissait de protéger.

Ils avaient eu des enfants sans leurs parents, aussi. Des adolescents. Des jeunes adultes.

Et même, occasion mémorable, un homme d’une soixantaine d’années, qui voulait débuter une transition.

Sainte Mangouste et plusieurs cliniques privées en Angleterre et au Pays de Galle, sa terre d’enfance, proposaient des traitements à base de potions.

Ils avaient dû créer des réseaux.

Gwenog était furieuse, elle était angoissée, et elle savait que l’association débutait, trébuchait, et elle savait que les choses allaient rester compliquées.

Il y avait les parents qui refusaient d’écouter, ceux dont les joues s’empourpraient, ceux qui partaient violemment. Ceux qui tiraient leurs enfants par le bras.

Il y avait ceux qui se disaient impuissants, ceux qui pleuraient.

Et il y avait les grands yeux des enfants, ceux qui espéraient.

Jack avait été un des premiers enfants.

Il était arrivé avec un sourire immense, comme si le monde s’ouvrait à lui, comme si tout enfin commençait.

Sa mère seule l’avait accompagné.

Il avait fallu au moins une vingtaine de visites pour qu’elle accepte d’arrêter d’appeler son enfant « Mary ». Elle pleurait. Elle disait que son mari n’en ferait pas autant, et que c’était une impasse, et que ce que Gwenog proposait était un mensonge.

Qu’ici, Jack pouvait faire semblant, mais que dehors, il devrait continuer.

Gwenog avait serré les dents. Elle et Maggie, psychomage, avaient insisté, suggéré de contacter l’école du garçon, de demander des aménagements.

Jack les avaient regardé avec ses yeux maintenant graves, et il avait dit que ses amis savaient déjà qu’il était un chevalier.

Sa mère continuait de pleurer derrière, et Jack souriait.

Jack était tellement, tellement courageux.

Gwenog s’était probablement trop attachée. Elle n’était même pas supposée passer autant de temps avec les enfants, elle négligeait son rôle de capitaine de l’équipe, elle ratait des entrainements.

Mais elle voulait rêver avec eux, elle voulait rêver pour eux.

Elle avait écouté Jack parler des chevaliers, et elle l’avait vu débarquer en courant dans les locaux de Belladonna parce que sa mère l’avait laissé se couper les cheveux en cachette.

Maggie lui avait dit, un soir, en privé, que le garçon lui avait confié des choses sur son école. Maggie pensait qu’il mentait. Maggie pensait que ses sourires sonnaient faux.

Gwenog avait parlé à Jack lui-même.

Il ne voulait parler que d’un film moldu qu’il avait vu récemment, et comment le héros avait l’air incroyable dans une veste en cuir.

Elle en aurait pleuré. Elle avait un placard rempli de vestes comme celles-là.

Et maintenant, effondrée, Gwenog écoute des mots qui n’ont pas de sens. C’est la mère qui a appelé, apparemment. Elle les maudissait. Maggie parle, parle, parle, mais aucun mot n’a plus de sens.

Jack était harcelé à l’école, depuis qu’il s’habillait d’habits masculins, depuis qu’il avait les cheveux courts, depuis qu’il parlait des chevaliers.

Les professeurs l’avaient réprimandé.

Jack s’était suicidé.

Gwenog est seule, maintenant, les autres sont partis, et elle pense à l’impossible, elle pense à un garçon de dix ans qui se tue.

Gwenog est seule, maintenant, et elle pense encore, une dernière fois,

Ils préféreraient leurs enfants morts.

Et c’est vrai. Ils préféreraient leur enfant mort à leur enfant trans.

Les larmes rongent ses joues comme du poison.

 

Androgyne (Pandora Lovegood née Selwyn) by Calixto
Author's Notes:

Dix-septième prompt : Rose, mauve et bleu

Après une petite recherche, ce sont les couleurs du drapeau androgyne !

Un petit double-drabble pour ce prompt.

J'ai essayé d'utiliser iel et les accords inclusifs car en plus de son androgynie, Pandora se genre au neutre.

 

Ses paupières vacillent.

Iel agite ses cils.

C’est comme battre la mesure.

C’est comme ouvrir le rideau.

Quand iel regarde Xenophilius, Xenophilius regarde.

Iel boit les étincelles de son regard.

Xenophilius regarde toujours avec une fascination intacte.

Pandora, souffle-t-il, avec adoration, et c’est délicieux.

Un regard de son amant efface tout. Le sifflement gluant de Selwyn.

Et les yeux, les milliers d’yeux accrochés à ses gestes.

Il n’y a plus que les mains à plat sur sa peau, et iel n’est plus cette

Créature.

Xenophilius avait demandé, une fois.

- Qu’est-ce que tu es ?

Le souffle de Pandora s’était coupé pour la millionième fois. Iel avait agité les cils, prêt.e à devoir justifier, encore. Son visage fin et nu, ses cheveux ni longs, ni courts, et ses vêtements mixtes,

(Qu’est-ce que c’est que cette comédie ? A quoi crois-tu jouer ?)

Dire : Je décore mon temple.

Dire : Je suis le temple.

Attendre : les yeux, les milliers d’yeux accrochés à ses gestes. Pandora Lovegood, l’éthéré.e, cinglé.e, qui déguise, qui cache, qui joue et ment.

Mais Xenophilius débordait d’étincelles.

- Tu es si magnifique, murmure-t-il, et

Il ne demande, n’exige pas de réponse. Iel est son mystère d’amour.

 

Le temps de Cupidon (Blaise Zabini, Gabrielle Delacour) by Calixto
Author's Notes:

Dix-huitième prompt : Nouveau prénom

"Ainsi, sans le savoir, Psyché tomba d'elle-même dans l’amour de l’Amour."

                                      Apulée, Métamorphoses, livre V, 23, 3

 

- Tu sais ce que c’est ?

- Une putain de cigarette moldue, Delacour.

 

Gabrielle rit. C’est un rire d’écorchée vive. Elle suce plus avidement la cigarette coincée entre ses lèvres et crachote la fumée en un rond langoureux. Blaise hausse un sourcil. Ses sourcils sont la dernière chose mobile sur son visage de marbre.

La plupart des personnes qui rencontrent Blaise Zabini se demandent toujours s’il n’est pas vraiment une statue.

Blaise se le demande aussi.

Gabrielle continue de rire, secouée, et il hausse un second sourcil.

Gabrielle cesse de rire. Elle sort la cigarette de sa bouche avec un bruit de succion répugnant et lui fait un clin d’œil.

- Tu es drôle, Zabini, elle dit, avec un accent français épouvantable.

Elle le fait exprès. Bien sûr qu’elle le fait exprès. Son aînée détestée parle parfaitement anglais, alors Gabrielle massacre chaque mot allégrement.

Personne n’est dupe.

Surtout pas Blaise.

Il se demande ce qu’il fout avec cette cinglée.

Il sait déjà la réponse.

Trois jours auparavant, sa dernière amante l’a quittée. Il a attendu qu’elle revienne le hanter. Elle n’est pas réapparue.

Il est parti aussi. Il a laissé le manoir trop grand à sa femme. Il ne supporte plus de regarder la blondeur de Daphné. Il n’a jamais aimé Daphné.

Ils sont dans la cage du mariage, dont Venus a jeté la clé.

Il est entré dans un club chic et scandaleux la veille, il a erré parmi le luxe et la saleté, et il a trouvé Gabrielle Delacour appuyée contre un des comptoirs. Un fantôme du passé.

Un fantôme qui a perdu son évanescence pour un rouge à lèvres carmin particulièrement affreux.

Il a accosté Gabrielle, elle ne se souvenait pas de lui, ou alors elle se foutait simplement de sa gueule.

Peut-être aussi qu’il devient méconnaissable. Les années s’allongent comme une longue torture. Il y a quelque chose en lui qui meurt.

Quelque chose qu’on tue.

Il lui a offert un verre, puis deux, et puis elle était bourrée et s’aurait été le stade de coucher ensemble dans un lit stérile, mais il s’est avéré qu’elle ne voulait pas de lui.

Ha !

Amusant.

Ils ont donc continué à se souler, et puis se sont réveillés et ont partagé leur gueule de bois sur fond de plaisanteries idiotes en mangeant du caviar obscènement cher pour le plaisir de tâcher les draps de la chambre d’hôtel.

Il s’est avéré aussi que Gabrielle et Blaise ont les mêmes goûts d’enfants gâtés.

Gabrielle n’a pas posé de questions sur ses airs malades. Blaise ne lui a pas demandé pourquoi elle était seule et bourrée dans un club trop luxueux pour elle.

Elle ne lui a pas posé de questions sur sa tueuse de mère.

Il ne lui a pas demandé pourquoi elle détestait sa sœur.

Tout est donc allé pour le mieux.

Il n’y a pas besoin de demander quand tout le monde sait.

Les gens parlent. Ils savent pourquoi Gabrielle déteste Fleur, ils savent que Vénus a construit sa fortune sur du sang et des cadavres, ils savent que Gabrielle vrille, ils savent que Blaise est un lâche, relaxé par le tribunal de guerre parce qu’il a réussi à corrompre tous les juges.

Ils savent que son mariage est une farce.

Ils savent peut-être même qu’il y a quelque chose qui cloche chez Blaise Zabini.

Ha !

Amusant.

Après le cinquième whisky Pur-Feu du matin, il éructe à propos du poids des secrets. Il regrette.

Gabrielle n’a pas eu l’air d’écouter. Elle fume et elle rit. Sans s’arrêter.

Après le huitième, il dit d’une voix pâteuse qu’il devrait s’arracher le visage, parce que ce visage-là est laid, ce visage est mauvais.

Gabrielle rit de plus belle.

Après le douzième, il marmonne quelque chose qui ressemble à Pourquoi tu n’as pas couché avec moi ?

Gabrielle appelle le service d’étage avec une frénésie jubilatoire, jusqu’à ce qu’une employée accoure, et puis elle l’agrippe et l’embrasse sur la bouche.

Puis elle éclate dans une nouvelle crise de rire, des larmes dévalant ses joues.

Ha !

Amusant.

Les journées se sont beaucoup ressemblées après ça. Il a même fini par goûter aux cigarettes moldues.

Et dans ce rêve délirant aux hardes cauchemardesques, il éclate à son tour d’un rire d’écorché vif.

 

Il n’a quitté l’hôtel que quatre jours plus tard, quand il a reçu le hibou.

La lettre froissée entre ses doigts, tâchée d’écume, parce que Vénus s’était enfin renfoncée dans la mer.

 

     Et aujourd’hui, Psyché est étendue sur le lit.

Gabrielle fume toujours. Elle tient la cigarette d’une main.    L’autre est enfouie dans les cheveux roux de son amante.

- Psyché, susurre-t-elle, un rire comme une perle sur ses lèvres.

La vérité a recouvert d’or la saleté de l’hôtel et du passé.

La vérité leur a offert d’exister.

Quelque chose se passe, quand Gabrielle prononce son nom.

C’est la façon dont il passe ses dents. C’est la douceur de l’inclinaison de son sourire.

Elle dit Psyché avec délice.

Ces derniers mois, ils ont tous appris à prononcer son nom.

Daphné l’a dit avec indifférence, parce que Daphné est étrangère au monde, et parce que Daphné ne l’aime pas, ne l’a jamais aimée.

C’est juste.

Elle ne l’a jamais aimée non plus.

Et puis, tous ces proches et amis de Vénus ont dit son nom aussi, avec dégoût, peur, amusement, mépris.

Elle les a écoutés, a écouté sa colère battre dans ses veines, et l’a savouré.

Si longtemps, elle a tout tu.

Si longtemps, elle a été statue.

La colère réchauffe. La colère ranime.

Mais maintenant,

Elle se souvient que Psyché était un feu.

Elle se souvient que Psyché était les braises qui l’ont fait tenir, toutes ses années, quand elle était un cadavre qui marche.

Elle se souvient que Psyché voulait dire

Rage.

Et surtout

Vengeance.

Mais enfin

Victoire.

Ce prénom était une promesse de victoire.

Parce que Psyché triomphait sur Vénus, à la fin.

A présent qu’elle a triomphé, elle écoute Gabrielle souffler son nom entre deux baisers,

Et son cœur trébuche.

Elle se souvient du choix et de la saveur vénéneuse du prénom.

Et elle pense :

Sera-t-il un trophée toute sa vie ? Le symbole de la vengeance, de la meurtrière enterrée ?

- Ma chérie, rit Gabrielle, et pour une fois, elle ne massacre pas son anglais. Tu t’es encore perdue dans tes pensées.

Psyché la regarde.

Gabrielle a les yeux nuageux, et ses cheveux tombent sur ses épaules nues en vagues ensorceleuses.

Elle la regarde et s’émerveille de la trouver si belle.

Le charme Vélane n’avait jamais fait pétiller son sang, même dans leurs rencontres passées – elle n’avait jamais été un homme – mais Gabrielle fait exploser des feux d’artifice dans ses poumons.

Gabrielle la ranime.

Elle passe ses mains sur son visage, la pierre fond.

Et soudain, Psyché sait.

Gabrielle l’a transpercée de flèches, et c’est merveilleux.

Psyché n’était pas la vengeresse, brandissant sa beauté devant la déesse furieuse.

Psyché a toujours été l’amour de Cupidon.

Elle regarde son Cupidon,

Et elle s’autorise enfin à être papillon.

 

End Notes:

En grec, le premier sens du nom féminin psuchè est "souffle".

Il désigne le souffle de la vie, d’où l’âme, par opposition au corps. Le philosophe Aristote (384-322 avant J.-C.) mentionne qu’il signifie aussi "papillon" (Histoire des animaux, livre V, 17, 5 – 551b). Dans l’art antique, à partir du IVe siècle avant J.-C., le personnage nommé Psyché est une belle jeune fille aux ailes de papillon, souvent associée à Éros, le dieu de l’amour, fils d’Aphrodite, lui-même représenté avec des ailes d’oiseau.

(source : site Odysseum)

Cowboy like me (Demelza Robbins, Tracey Davis) by Calixto
Author's Notes:

Dix-neuvième prompt : Le feu de la colère

Encore une fois, merci Bloo ❤️

TW : acephobie

 

Il a fallu vingt-deux ans à Demelza pour exploser.

Pour qu’elle décide qu’elle n’était pas un vase sans fond, dans lequel l’eau pouvait couler éternellement.

La dernière goutte a déclenché la première tempête.

C’est toujours la même eau qui alimente la rivière, pourtant.

A chaque dîner avec ses parents.

Il faut généralement 13 minutes à sa mère pour poser son verre, sourire, et poser la question.

La question varie de ton et de formulation.

Mais au fond, c’est toujours la même.

- Alors, ma chérie, quand est-ce que tu nous ramènes un garçon ? Ou une fille, hein !

Cet ajout est relativement récent. Plus les années passent, et plus les sourires de sa mère prennent ce pli forcé des lèvres.

Son père ne dit rien. Son père ne dit jamais rien.

Mme Robbins hausse un sourcil, avec un air encourageant, avec un air d’attente. Elle pense probablement qu’elle dit toutes les bonnes choses, qu’elle fait toutes les bonnes choses.

Avant, Demelza souriait, répondait hâtivement, sortait de table.

Il a fallu dix-neuf ans à Demelza pour répondre à cette question, une phrase sèche, mais qui a ravi sa mère, parce que c’était mieux que rien.

- Une fille, maman.

Et puis elle a débarrassé, en faisant semblant de ne pas remarquer comme ses mains tremblaient.

Ensuite, la question s’est ajustée.

Sa mère traque les confidences.

Demelza se réfugie dans des silences embarrassés.

Elle n’amène jamais d’amies à la maison. Sa mère leur sourit toujours un peu trop fort.

Régulièrement, sa mère lui prend les mains, l’attire à part.

Alors ?

C’est comme si le reste ne comptait pas. Sa carrière au Ministère, ses prochaines vacances, tout s’efface.

Ne reste que cet objectif-là.

- Tu peux tout me dire, lui murmure-t-elle, toujours avec ce foutu sourire.

Elle sait que ce n’est pas vrai.

Sa mère n’aimera pas la vérité.

D’ailleurs, ces vérités-là se taisent.

Elles n’amènent que des sourires gênants et des remarques déplacées.

- C’est juste que tu n’as pas rencontré la bonne personne.

- Moi, je changerai ça !

 - On ne peut pas savoir sans essayer !

Demelza ne veut pas essayer. Elle est sûre qu’elle ne voudra jamais.

Mais ils font tous passer cet état de fait pour une résistance, pour une bataille contre la norme, contre la société, contre le plaisir.

Pour une abstinence.

Demelza a pris beaucoup de mains dans les siennes, a senti son cœur pétiller, comme les livres le racontent.

Elle pensait que ça suffirait. Elle pensait que les livres et les films et les chansons disaient la vérité. Qu’au fond, l’amour était ce qui comptait.

Mais ils mentaient tous. La romance n’est pas le plus important, ça ne l’a jamais été.

Beaucoup de filles l’ont quittée.

(Désolé, je peux pas faire ça.)

(Désolé, j’aime trop ça.)

(Personne peut vivre comme ça.)

Trop d’amis ont murmuré dans son dos.

Et puis, elle a rencontré Tracey.

Tracey et son nez qui se fronce quand elle rit. Tracey qui n’a jamais demandé, Tracey bien trop jolie, Tracey aux yeux pers trop lucides, ceux qui s’étaient planté dans les siens, le soir où elle avait trouvé le courage de poser la question qui lui creusait la tête, cet espoir.

Tracey qui avait répondu sans ciller, la tête penchée sur le côté comme une chatte intriguée.

- Oui, je suis asexuelle.

Elle l’avait dit fermement, mais aussi comme si ce n’était pas si grave. Comme si ce n’était qu’un élément de plus qui la composait (Oui, j’ai les cheveux frisés. Oui, j’ai des marques de cellulite sur les cuisses. Oui, j’aime le punk. Oui, j’ai été à Serpentard.)

Quelque chose dans Demelza avait tremblé. Les mains de Tracey s’étaient agitées,

- Robbins ? Robbins, tu pleures ? Demelza ?

Demelza pleurait de honte et de soulagement.

Peut-être que Tracey allait rester.

Tracey ne lui dirait pas, dégoûtée,

(C’est pas une façon de vivre.)

Elles parlèrent, pendant des heures après ça. Du mot, interdit, merveilleux, silencieux. De leur passé. De comment elles avaient compris. De comment elles voulaient vivre, après. Des nuances, des étincelles d’attirance, de ce qui finissait par se développer, parfois, et souvent, jamais. Des fantasmes. Des envies.

Tracey avait des mains tièdes, et un peu calleuses, et elle souriait, et elle disait :

- Je vais pas te lâcher de sitôt, Demelza. On verra ce qui viendra après. Mais c’est pas un manque, ça l’a jamais été ? Tu me combles complètement.

Demelza a amené Tracey chez ses parents. Elle a bu beaucoup de vin pour ignorer les clins d’œil de sa mère, la déglutition de son père.

Elle a tenté de fuir l’aparté, en vain.

Sa mère voulait des détails. Apparemment, les mères ouvertes d’esprit n’ont pas peur du sexe homosexuel.

Alors ?

Et cette fois, Demelza explosait.

Longtemps, elle avait pensé à toute cette eau qui inondait son corps pour le flétrir.

Ce n’était que justice qui ce qui sorte de sa bouche soit du feu.

Le feu de la colère, qui venait enfin purifier.

Lorsque la porte a claqué, Demelza s’est sentie épuisée. Tracey l’attendait sur les marches, dehors, et une vague d’amour a réchauffé la poitrine froide de Demelza.

- Hey, a dit Tracey quand elle s’est assise à côté d’elle.

Souvent, Demelza avait l’impression que la vie n’avait jamais fait peur à cette cowboy maigre, traître des Serpentards pour avoir servi d’indic pendant la guerre, aux allures d’animal sauvage grandi trop vite.

Mais quand elle plonge ses yeux dans les yeux pers de son amoureuse, elle y retrouve, toute au fond, la lueur de l’orpheline.

Tracey s’est frayée un chemin dans la vie à coups de coude. Aujourd’hui, elle tire en avant Demelza en serrant fort sa main.

Peut-être que Demelza aussi est un cowboy.

Ça n’a jamais été une bataille.

Ça a toujours été une vie.

Petit Sombral de bois (Ginny Weasley, Luna Lovegood) by Calixto
Author's Notes:

Vingtième prompt : Petit Sombral de bois

 

Leurs verres claquent l’un contre l’autre dans un tintement.

Machinalement, Ginny garde la tête inclinée, pour que le ruissellement de cheveux dissimule son visage. C’est la posture réflexe d’un corps fatigué. Des doigts doux écartent le rideau, placent les mèches derrière son oreille.

Ginny regarde Luna avec surprise, mais celle-ci lui renvoie un sourire patient.

Il faut quelques minutes à son anxiété pour se calmer et réaliser qu’elles ont choisi un bar moldu et que personne ne leur prête aucune attention.

- Désolé, soupire-t-elle, en évitant les yeux trop bleus de sa plus vieille amie.

Elle déteste ça. Elle déteste se cacher. Elle déteste cette fatigue familière. Ces gestes d’une fluidité automatique lui rappellent ceux d’une fille qui cherchait toujours à disparaitre.

Elle déteste ça.

Elle a laissé cette fille derrière elle il y a très longtemps.

Bien sûr, Luna la regarde comme si elle savait exactement ce à quoi elle pensait.

- Tu es envahie de Joncheruines, souffle Luna, gentiment, en agitant vaguement les mains par-dessus la table.

Ouais. Sans blague. Ça va faire 40 ans qu’elle a des Joncheruines plein la tête.

 

- Désolé, répète-t-elle. Je dois juste me détendre un peu. On n'est pas là pour moi.

- Ah ? fait Luna en haussant un sourcil poli, son sourire toujours aussi brillant.

 

Un bref instant, Ginny se repait de sa vue : de ses cheveux blonds emmêlés entremêlés de mèches grises, de ses vêtements colorés, des rides de sourire et des pattes d’oie. Luna a traversé les années avec une grâce bien à elle.

Et elle a toujours calmé ses angoisses.

Rien n’a pas changé.

Ginny fouille dans son sac pendant que Luna sirote sa boisson, regardant d’un air curieux autour d’elle, probablement les moldus.

- Je voulais t’offrir quelque chose, commence-t-elle.

    - Mais ce n’est pas mon anniversaire, fait remarquer son amie, sourcil toujours haussé.

- Je sais, je sais, mais tu pars avec Rolf pendant deux mois et tu ne seras pas là en février, alors j’ai pris un peu d’avance.

Luna a l’air ravie.

- C’est très gentil, Ginevra.

De temps en temps, Luna l’appelle par son prénom entier. C’est bien la seule personne chez qui Ginny peut le tolérer. Luna le dit délicatement, comme si son prénom était une précieuse porcelaine.

Ginny balaie les remerciements d’un mouvement brusque du poignet, presque gênée. Elle se racle la gorge. Elle ne devrait pas être si nerveuse, mais Merlin, ça fait des années qu’elle cherchait à donner ce cadeau en particulier.

Mais les mots devaient attendre.

- Ça fait quelques années que j’attendais, mais ce n’était pas le bon moment, et puis, c’est tes 40 ans. J’ai pensé que c’était symbolique.

Luna l’écoute avec attention.

Ginny extirpe précautionneusement le cadeau du sac, le lui tend, regarde Luna ouvrir le sac de tissu. Un moment qui semble s’éterniser, Luna fixe juste l’objet qu’elle tient entre les mains.

C’est une petite sculpture de bois qui ressemblerait à un cheval, si un cheval était squelettique et doté d’ailes.

Et, sans prévenir, les yeux globuleux de Luna se remplissent de larmes.

Ginny a l’impression de sauter d’une falaise.

- Je l’ai fait moi-même, dit-elle. Je… enfin, je l’ai sculpté. Je voulais te remercier. Je voulais te remercier pour tout. D’être… tu sais, mon amie. Et aussi… de m’avoir parlé d’elle.

Elle déglutit. Luna la regarde, les prunelles bleues débordant de sel, et Ginny sait qu’elle sait. Mais elle ajoute quand même,

- De ta mère. De Pandora.

Luna avait trouvé Ginny effondrée un soir, dans les vestiaires, après l’entrainement. Des années d’injonctions contradictoires brisant enfin son esprit. Des années de pensées refoulées, d’interdits silencieux. Ginny avait sangloté, longuement, salement.

Essayant d’articuler ce qui n’allait pas, ce qui n’avait pas été depuis très longtemps.

Ce qu’elle avait toujours su. Qu’elle était garçon manqué, parce qu’elle était féminine, peut-être, mais aussi un peu trop audacieuse, un peu trop enthousiasmée, et parfois juste débordant d’une énergie qui n’allait pas, d’une attitude… masculine.

Même en brisant sa coquille renfermée, en décidant de s’en sortir de force, d’attraper sa féminité à pleines mains et de la porter comme une fierté et non comme une honte, pour que Harry la voie enfin, et pour que les autres, avec leurs regards sales derrière son dos, le voient aussi.

En devenant une jeune femme épanouie, quelque chose dérangeait toujours. Au fond, Ginny voulait encore suivre ses frères comme elle l’avait voulu toute son enfance en courant derrière eux dans le jardin, en les imitant en secret. Au fond, Ginny se sentait féminine, mais aussi un peu masculine, et elle n’aurait pas voulu que ces énergies s’affrontent, la déchirent,

Parce qu’une était de trop.

Je sais que je ne devrais pas être comme ça, elle avait gémi.

Luna lui avait pris les mains, et lui avait parlé de Pandora.

Pandora qui ne croyait pas qu’on était enfermé dans la case femme ou la case homme, dans le fond et dans la forme. Pandora androgyne, qui se genrait au neutre.

Et Ginny avait regardé Luna sans rien dire, les yeux écarquillés, comme la première fois où elle avait vu cette fille « bizarre » et où elle avait compris que les gens étaient fondamentalement des imbéciles et qu’elle pouvait se foutre de leurs avis s’ils rejetaient quelqu’un comme Luna.

- Tu as explosé les cases de ma vie, deux fois, tu m’as libérée, deux fois, essaya-t-elle, malgré les tremblements traîtres de sa voix. Sans toi, je n’aurais jamais essayé d’être les deux.

Les larmes roulent librement sur les joues de Luna, mais le sourire est toujours en place, aussi, et Ginny réalise que c’est la première fois qu’elle voit sa plus vieille amie pleurer.

C’est parce que Luna regarde le Sombral en bois, et elle se souvient de sa mère.

Elle se souvient du tourbillon qu’était Pandora, que son père révérait comme une déité. Elle se souvient quand iel lui avait chanté toutes les chansons du monde, elle se souvient d’étreintes dans les herbes. Elle se souvient d’années à grandir dans le bonheur, au milieu de l’harmonie de ses parents.

Elle se souvient d’une explosion.

Et elle se souvient du silence, après, et du visage gris de son père.

Et elle se souvient du jour, un mois après peut-être, où Xenophilius l’avait emmenée avec lui voir un éleveur de créatures magiques, pour un article, et elle était restée seule sur le perron, et elle s’était éloignée comme le font les filles de neuf ans ivres de chagrin.

Elle se souvient s’être retrouvée devant l’enclos.

Elle se souvient avoir levé la main pour toucher le museau frémissant de ce cheval noir et squelettique.

Elle se souvient d’avoir touché la Mort.

Et des yeux écarquillés de son père pour qui elle était invisible.

Elle sent des bras glisser autour d’elle, et Ginny l’étreint, avec cette force farouche qu’elle a toujours eue, en plein milieu du bar, avec les moldus qui les regardent de travers.

Ginny qui chuchote encore Merci et
Presque 31 ans après la mort de sa mère, Luna ne touche plus la mort en pensant à elle.

Elle touche le museau immobile du cheval noir et squelettique.

Elle touche l’amour.

 

Une nuit d'été (Narcissa Malfoy, Molly Weasley) by Calixto
Author's Notes:

21ème prompt : Une nuit d'été

 

« Il s'avère que mon manque de toi dépasse les limites du monde des vivants. En réalité, il les dépasse tellement qu'il engendre une certaine agitation jusque chez les défunts. »

Jon Kalman Stefansson, Asta.

 

Une nuit d’été, Narcissa se tient immobile devant la porte, enveloppée dans les ombres du perron.

Quand elle entre, la lumière lui brûle les yeux. Au cœur du foyer d’Andromeda, toutes les pièces sont éclairées de cette flamme brûlante. Elle s’étend dans tous les recoins comme une flaque acide.

Le premier pas du retour vers l’amour, c’est celui vers Andromeda.

Sa sœur accourt d’une pièce attenante, baguette levée, et se fige.

Les deux femmes se fixent comme deux statues hallucinées.

Narcissa regarde Andromeda, et voit un désespoir inouï ravager les traits de son visage.

Ce désespoir ronge jusqu’au souvenir de sa sœur. Ce n’était pas comme ça que Narcissa avait saisi Andromeda à travers les années, c’était dans ces derniers souvenirs, ce visage jeune et souriant.

Le visage de la traîtresse.

Après, elle n’avait plus vu sa sœur, n’y avait plus pensé.

Aujourd’hui, Andromeda a l’air vieille, bien trop vieille, comme si elle déchirait elle-même un souvenir mensonge.

Andromeda n’était qu’amour, Andromeda n’est plus que larmes.

Narcissa regarde Andromeda, et de vieux restes de colère disparaissent.

Lorsqu’on lui avait demandé de venir identifier le cadavre de Bella, ses entrailles s’étaient déchirées de douleur. Elle s’était détournée dans un mouvement sanglotant.

La vérité, c’est que ce visage blanc et pétrifié était celui d’une étrangère.

Narcissa a tenu à mains nues trop longtemps l’autel de sa famille, elle a fait brûler seule toutes les flammes. Elle a porté le masque.

Cissy, disait Bella, et c’était écœurant.

Cissy, disait Bella, et c’était comme une main serrée autour de son bras, un étau qui faisait éclater des bleus sur sa peau.

Narcissa a déserté cet autel vide. Les statues de ses parents déjà écroulées. La statue de sa sœur, pourrie par les moisissures. Le socle brisé de l’enfuie, trop longtemps piétiné.

Ne reste plus que le seul autel qui a jamais compté, celui qui n’abrite pas une statue, mais un bébé à la peau tiède, qui est devenu un petit garçon au nez plissé, qui est devenu un adolescent aux yeux creusés.

La vérité, c’était que le visage de Bella avait été celui qui avait dit sans hésiter que la vie de son fils valait bien le sacrifice, qu’il devait être donné au Lord.

Narcissa et son visage couvert de morve n’avait pas fait frémir un seul centimètre de Bellatrix.

La vérité, c’était que depuis longtemps déjà, Bellatrix, la seule qui lui restait, la seule à être restée, était aussi une étrangère.

Mais devant le visage de la morte, elle avait tout de même voulu savoir, elle avait tout de même demandé.

Qui ?

Qui avait abattu cette tempête ?

Qui avait fauché la guerrière, cette force implacable, qu’était son aînée ?

La réponse était un coup de couteau.

La réponse était un nom qu’elle avait trop entendu, déformé un milliard de fois dans la bouche de son mari et de son fils, dans la bouche de tant d’autres hôtes de leur manoir.

Molly Weasley.

La réponse est une femme qu’elle a enterré sous l’autel.

Molly Weasley, comme l’affirme le Médicomage, a tué Bellatrix Lestrange, qui menaçait sa fille.

Brusquement, tout en Narcissa titube.

Elle voit, soudainement.

Molly, son épée de bataille, sa bouche tordue de colère,

Face à Bellatrix, Bellatrix ricanante, toujours ensanglantée,

Et sa fille, la fille Weasley, la fille de Molly

Le bras de Molly, levé, abattu.

Narcissa sort précipitamment, s’éloigne du cadavre de sa sœur, trouve en elle un sentiment immonde de paix.

C’était bien
C’était mieux.

Au fond, toutes ces années, le visage de Bellatrix avait été un mensonge comme celui d’Andromeda.

Au fond, toutes ces années, elle avait vu le visage adolescent de Bella, sa grande sœur, ses dents serrées, ses mots protecteurs.

Le mensonge est mort, maintenant, et peut-être qu’elle peut enfin le laisser partir.

Et Molly a tué pour sa fille,

Et Narcissa aurait tué pour son fils.

Depuis qu’elle a marché loin de la morgue, depuis qu’elle a repensé à Molly Weasley, beaucoup de choses mortes ont remués terriblement.

Narcissa a emballé ses robes, ses affaires, a récupéré son argent à Gringotts. Elle a laissé son mari le visage blême, sanglotant, éructant. Elle a passé les Procès la tête haute, sans condamnation, serrant fort la main de son fils, qui a comme elle, été considéré avec des circonstances atténuées, et ils sont partis ensemble en résidence surveillée.

Draco non plus ne voulait pas voir Lucius.

Et enfin, maintenant, Narcissa regarde Andromeda.

Et derrière la laideur du désespoir, Andromeda est toujours sa sœur, est sa sœur plus que jamais.

Andromeda s’apprête à dire quelque chose, le chagrin déformant sa bouche, mais des pleurs l’en empêchent, et Narcissa la regarde courir vers une autre pièce, en revenir avec un bébé dans les bras.

Un bébé aux cheveux verts.

Andromeda la regarde comme pour la défier de dire quelque chose, comme si Narcissa allait reculer, comme si elle était dégoûtée par ce petit être dans ses bras.

Peut-être qu’elle devrait. Elle a entendu Lucius en parler. C’est le fils du loup-garou et de Nymphadora. C’est un des hybrides que les Mangemorts haïssaient.

Elle a entendu Bellatrix en parler, aussi, lui promettre la mort.

Tout comme Bellatrix avait promis la mort à Andromeda et à sa famille, toutes ces années auparavant.

Quand elle était encore dans le couloir, tremblante, le Médicomage était revenu, et il n’y avait aucune pitié sur son visage.

-       Je pensais que vous voudriez peut-être savoir. Selon les analyses sur sa baguette, Mme Lestrange a tué Nymphadora Lupin avant de mourir.

Narcissa s’était tenue là, la gorge sèche, comme une idiote.

La fille d’Andromeda.

Sa fille qu’elle n’avait même jamais pu rencontrer, qu’on disait brillante Auror, la petite Métamorphomage. Sa fille qui s’était mariée au loup-garou et venait d’accoucher.

Elle s’était tenue là et avait écouté quelque chose renaître. La colère. Non, pas la colère, la rage. Cette rage étouffée depuis qu’elle s’était laissée amollir dans l’étreinte de son fiancé, depuis qu’elle avait laissé sa respiration s’arrêter.

Et la rage l’avait envahie, et elle avait pensé qu’elle ne verserait aucune larme sur le visage mort de Bellatrix.

Et à présent, elle offre ses larmes à Andromeda, et elle lui demande pardon, se tenant immobile comme une idiote comme elle l’avait fait dans ce couloir, comme on se tient immobile devant les choses impardonnables.

Andromeda hurle.

Du moins, ses yeux hurlent, parce que le bébé s’est rendormi dans ses bras, maintenant.

Mais Narcissa les entend.

Elle entend les hurlements, et elle les laisse percer ses oreilles, et elle laisse ses oreilles saigner.

Après, Narcissa se retire, et elle sait qu’elle reviendra toutes les semaines, jusqu’à ce qu’elle ait fini de payer l’impayable, jusqu’à ce que sa sœur la chasse à jamais ou accepte de la laisser entrer dans sa maison du malheur.

Le premier pas du retour vers l’amour, c’était celui vers Andromeda.

C’est celui qui lui a donné le courage de se tenir maintenant devant une toute autre porte, le sang en feu.

Et d’entrer dans une autre maison du malheur, celle où on fait le deuil d’un fils.

Comme la maison d’Andromeda, cette maison est remplie de lumière.

Elle s’attend à tout.

Aux insultes, à la colère, peut-être même à quelques maléfices.

Mais quand on lui ouvre la porte et qu’elle la voit enfin, le visage face à elle se remplit de surprise, mais pas de colère, et au milieu du désespoir, alors qu’elle devrait la haïr, Molly Weasley lui sourit.

C’est un pauvre sourire, mais ce sont des braises sur le feu d’un manque qu’elle a nié pendant 32 ans.

Elle ne sait pas que si Molly lui sourit sans colère, c’est parce que pendant 32 ans, elle a vécu la culpabilité au cœur, pour vivre dans l’amour quand Narcissa vivait sans.

Si Molly le lui disait, Narcissa en serait blessée dans ce qui lui reste de fierté, et elle lui rappellerait que c’est l’amour qui l’a faite tenir, l’amour pour les mensonges peut-être, mais surtout l’amour pour son fils, sa seule vérité.

Mais Molly ne le lui dit pas, Molly l’entraine simplement à travers la maison vide, dans le jardin. Il y a des bruits lointains dans l’atelier, signes de la présence d’Arthur Weasley, mais le jardin n’est là que pour elles.

Elles s’assoient sur le banc, et se regardent, cherchant à revivre des années perdues à travers les rides, à deviner le passage du temps.

La main de Molly se lève, répare ce qui les liait.

Elles se reprennent les mains au-dessus de l’oubli.

Et Molly ne regarde plus Narcissa partir vers une cage,

Elle regarde Narcissa en sortir, et redécouvrir le sol sous ses pieds.

La nuit se dissipe.

 

Pride (Tracey Davis, Demelza Robbins) by Calixto
Author's Notes:

Je suis sur une lancée, alors voilà le 22e prompt :

Nous sommes fort·es, nous sommes fièr·es 

Et c'est un drabble pour celui-ci :)

 

Le drapeau est lourd. Les mains étroitement agrippées à son manche blanc, les deux filles le lèvent haut, aussi haut qu’elles peuvent le hisser. Parfois, le vent leur accorde un souffle, et le drapeau se dresse, claque, flotte.

Rien que son poids est une ivresse, et lever les yeux pour le regarder, si haut au-dessus de la foule. Tracey est ivre aussi des joues rougies par le soleil de Demelza, de son sourire, ce grand déséquilibre qui s’ouvre de temps en temps pour révéler un blanc bonheur incrédule.

Noir, gris, blanc, violet. Tous peuvent voir leurs couleurs. Et leur fierté.

 

Queer friendship (Hugo Granger-Weasley, Dominique Weasley-Delacour) by Calixto
Author's Notes:

23e prompt : Queer friendship

 

Après le coming-out d’Hugo, pendant l’été de ses quinze ans, plusieurs choses s’étaient passées à sa rentrée à Poudlard. D’abord, tout le monde savait. Il n’était pas vraiment sûr de comment, mais ils savaient, tous. Ils parlaient et ils regardaient. Ça n’aurait pas du autant le déranger, supposait-il, parce qu’il ne voulait pas faire comme s’il en avait honte, comme s’il voulait se cacher. Il n’en avait pas honte. Mais il ne pensait pas non plus que le mot se serait répandu aussi vite, et que sa sortie du placard le mènerait à une place remplie de monde, à une foule qui savait.

Ensuite, son meilleur ami, Edward, avait soudainement beaucoup d’autres amis à côté de qui s’assoir, à qui parler. Ses autres amis lui souriaient avec une distance polie, quelque chose d’embarrassé tremblant aux commissures. Bien sûr, certains faisaient aussi comme si rien n’avait changé. Comme s’il n’y avait pas les regards, et les paroles. Leur air joyeux était un masque étudié, une farce figée. Parce que quelque chose avait changé, et que l’attitude soit la fuite ou les faux semblants, Hugo se retrouvait coincé des deux côtés du néant.

Les regards et les paroles avaient aussi atteint sa sœur. Rose, déjà très occupée, entourée de son groupe d’amis ou noyée dans les livres, était invisible à l’horizon. Lorsque Hugo l’atteignit enfin, après un cours de Métamorphose, et lui demanda si elle l’évitait, elle le gratifia d’un regard sévère :

- Ne sois pas ridicule !

Après cela, devant ses yeux embués, Rose redevenue l’aînée redressa le dos et lui fit promettre, les lèvres sérieuses, de lui dire si « quelque chose n’allait pas ».

Rose n’avait pas vraiment changé. Son soutien était dur et inconditionnel, il l’avait toujours été. Mais Rose ne comprenait pas. Et Rose ne comprendrait jamais.

Ce n’était pas Rose qui avait dû ressasser pendant des années les mots à dire, les ravaler dans sa bouche jusqu’à s’effrayer de s’étouffer avec. Ce n’était pas Rose qui était descendue de sa chambre le ventre noué, la gorge sèche, les mains tremblantes. Ce n’était pas Rose qui avait craint, pendant un moment très réel, que la honte, le chagrin ou la colère s’affiche sur les visages de ses parents, ne bâtissent un mur entre eux. Ce n’était pas Rose qui avait dû dire les mots à voix haute, se remettant au jugement, se présentant nu et prêt à la blessure. Ce n’était pas Rose qui devait à présent garder ces mots lâchés dans l’air, ces mots impossibles à reprendre, ces mots gravés partout sur sa peau, devenus une part de son identité impossible à ignorer.

Rose n’avait jamais eu à porter les mots « Je suis hétérosexuelle » comme une brûlure, parce que personne ne l’attendait. Parce que Rose était comme tout le monde, parce que Rose était normale, parce que son chemin ne s’était pas écarté, parce que Rose l’était, juste.

Et qu’elle ne comprendrait jamais autre chose.

Bien sûr, Rose avait affirmé que rien ne changerait jamais, les sourcils froncés, comme si c’était une évidence, comme si sa peur à lui, aigre, persistante, était impossible à croire.

Et maintenant, les regards, les paroles. Et ses amis qui se découvraient soudain sur d’autres orbites. Qui ne savaient plus comment agir.

- Désolé, mais c’est difficile, tu sais ! De nous mettre face à ça, de nous obliger à réagir ! Pourquoi tu devais nous le coller sous les yeux ?

Edward avait dit ces mots précipitamment, mais le ton était ferme.

Hugo avait écouté les bruits du couloir jusqu’à ce qu’il n’entende plus rien.

Et puis, au cœur de l’ouragan, là où seul subsiste le souhait du silence,

Il y avait eu Dominique.

Dominique avait marché vers lui à grandes enjambées, son amitié intacte et farouche. Dominique, plus âgée que lui, qui avait toujours été piquante et rieuse, parce qu’elle aimait associer les contraires. Dominique, qui avait toujours laissé Hugo se cacher sous les tables et ne pas en informer le reste des cousins, ceux qui voulaient à tout prix le faire jouer avec eux.

Dominique, un prénom que Hugo avait vu voler de bouches en bouches tant de fois, alors qu’il était sous les tables et que les adultes parlaient. Ils ne faisaient pas honneur à ce prénom, en le disant avec ces voix désolées. Dominique, la catastrophe, Dominique, la féroce, Dominique, la rebelle, Dominique, l’insensée.

Hugo n’avait jamais compris, jusqu’au moment où il avait vu Dominique embrasser cette fille, un été au Terrier.

Dominique qui ne savait probablement pas qu’elle avait été sa force.

Hugo savait bien que Rose détestait leur cousine. Elle l’avait toujours considéré comme une rivale, elle qui s’était proclamée la protectrice d’Hugo, sa meilleure amie.

Mais Dominique comprenait.

Et maintenant plus que jamais, quand elle s’assoit à côté de lui et lui ébouriffe les cheveux. Son uniforme est de travers, taché, et ses cheveux mal coiffés. Pourtant, comme toujours, Dominique ne pourrait pas être plus magnifique, parce que Dominique est un feu d’enfer.

Elle avance en brûlant, et elle ne s’est jamais cachée, et elle est fière. Tout le monde sait que Dominique est lesbienne.

Les adultes le savaient déjà, quand Hugo écoutait sous les tables.

Poudlard l’a vite appris, et Dominique aussi a eu les regards et les paroles.

Mais Dominique embrasse toujours ses conquêtes dans les couloirs, à la vue de tous, comme un énorme doigt d’honneur.

- Comment tu as fait ? Comment tu fais ? demande-t-il, et il déteste avoir laissé échapper cette question, avoir l’air si pathétique.

Comme s’il était incapable de gérer sa propre décision de dire qui il est.

Dominique sourit, mais ses yeux flamboient, comme si elle était furieuse.

- Tu m’en veux ? demande-t-il, encore, la voix serrée. Je fais pas ça aussi bien que toi. Je suis pas…

- Arrête, le coupe-t-elle. Ce n’est pas facile, et ça n’a jamais été facile. Merlin sait que ça ne l’a jamais été. Il n’y a pas de bonnes façons de faire, on a tous trébuché sur ce chemin qu’ils nous obligent à marcher, comme pour nous faire payer notre courage. Tu es ce que tu es, tu l’as dit, ils n’aiment pas savoir. Eh, ce sont des Trolls. Des putains de Trolls, Hugo.

       - Mais, dit-il, incapable de s’en empêcher, toi tu le portes tellement bien. Tu es toujours si fière.

- Pourquoi te comparer à moi ? On fait ce qu’on peut. On le fait tout. Et je suis pas sûre d’avoir fait les choses de la meilleure des façons. J’ai juste décidé, comme toi, que je pouvais avoir la tête haute. Mais tu sais pas le nombre de Maléfices cuisants que j’ai dû envoyer ! Et le nombre de fois où j’ai regretté d’être sortie du placard. Et pourtant je haïssais ce placard.

- Mes amis, balbutie-t-il, et il s’arrête. Je pensais… je ne sais pas ce que je pensais, mais je ne pensais pas ça.

Dominique soupire.

- Tu ne maitrises pas assez bien le Maléfice cuisant ?

Ça lui arrache un rire bref et un peu rauque.

Dominique renverse la tête en arrière, et soupire, comme si elle était fatiguée.

Peut-être que c’est le prix, la fatigue.

Mais c’était déjà fatiguant, avant.

- T’es pas là pour les autres, mon Hugo. T’es là pour toi. Et moi aussi. Moi aussi, je suis là pour toi.

Ils s’enlacent, et Hugo sait que cette amitié-là est un rempart, et une oasis.

Rose sera toujours sa meilleure amie.

Mais Dominique comprend.

C’est plus qu’un trésor.

 

Le cri des enragé.es (Dominique Weasley-Delacour) by Calixto
Author's Notes:

24e prompt : Le cri des enragé.es

 

Les mots, les coups, la tombe. C’est le chemin que vous nous avez tracé.

Elle serre si fort sa baguette que ses jointures sont blanchies. Le Sonorus porte sa voix comme une vague qui traverse la foule, silencieuse, à l’écoute.

Ils se balancent au son de sa colère.

Vous nous regardez, poursuit-elle, et vous attendez qu’on meure.

Ce n’est jamais que des mots. Ce sont des pas. Ce sont les premiers pas, ceux qui vous autorisent à nous regarder avec cette brillance dans les yeux, qui dit

Oh, si je m’emportais… ça se passerait autrement…

Ce ne sont jamais que des mots, ce sont toujours des coups de couteaux, des crachats, la violence impunie, celle qui se croit invincible, celle qui bondit dans l’air.

Ce ne sont jamais que des mots, ce sont les pas vers les coups.

Les coups, c’est parce qu’on vous a regardé, ou parce que vous nous avez vues. On s’embrassait, on se tenait la main, ou on avait juste un habit qui faisait pas assez femme, ou on avait les cheveux pas comme il faut. Bref, c’étaient les signes extérieurs, ceux qui permettent de nous repérer, comme si on était des bêtes à traquer, ou des nuisibles à éliminer.

C’était dégoûtant, de nous voir, parce qu’on existait sous vos yeux, alors il suffit de quelques pas pour exprimer

Les mots

Le désir de nous effacer.

On connait vos insultes par cœur, sourit Dominique, et en écho les sourires tordus de la foule lui répondent, et leurs pancartes se dressent un peu plus haut.

On les connait tellement qu’on les entend même dans le silence. On les connait tellement qu’on a tissé nos drapeaux de ces cicatrices, nos slogans, nos fiertés.

Elle s’interrompt pour montrer en souriant sa veste marquée fièrement du mot « gouine ». La foule l’inonde de joie.

La jeune femme avale le jus de Citrouille posé à côté d’elle, et lève les yeux vers le ciel, vers la chaleur étouffante. Même le soleil semble leur rappeler de retourner se cacher.

On a bien compris, l’espace public et le dehors, c’est pas pour nous. Ça vous enrage de nous y voir, on devrait même pas marcher dans la rue. Au travail non plus, à l’école non plus. Et puis, même dans nos maisons, portes et volets fermés, vous êtes toujours prêts à frapper à la porte, voisins dérangés, que ce soit l’insulte à la bouche ou la main levée.

Et il faudrait le souffrir en silence, ou il faudrait partir.

C’est pas qu’on vous met trop ce qu’on est sous les yeux, non, c’est juste qu’on existe, et que vous voudriez

Les mots, les coups, la tombe, ce chemin qu’on devrait marcher.

Chaque jour est un calendrier couvert d’entailles, et les jours où il ne se passe rien, on marche la peur au ventre.

Au mieux, on sera tout juste le sujet de vos fantasmes secrets, les filles qui s’embrassent pour votre plaisir. Au pire, on sera vos nouvelles sorcières, vous avez déjà rallumé les bûchers.

C’est le moment où elle sort la liste de noms du rapport dressé par les associations cette année, les agressions verbales et physiques, et l’odeur de mort qui plane par-dessus. Tellement de noms, tellement de faits différents, la même violence.

Jane était juste sortie de chez elle, elle marchait dans la rue, elle avait les cheveux trop courts.

Vivian tenait la main de sa petite amie.

La demande de logement de Jo a été refusée.

Susan a été outée au travail,

Daisy a écouté sa mère la menacer d’un Doloris.

La liste est interminable.

Les mots, les coups, la tombe.

Dominique laisse un silence suivre le dernier nom.

On a tellement serré les dents, s’exclame-t-elle enfin, tellement éraflé notre ivoire. Quitte à ce que nos bouches soient pleines de sang, autant que ce soit du vôtre. On est capables de mordre.

Après elle, d’autres viendront témoigner, parler de leur expérience, d’autres liront les textes théoriques en vogue, d’autres harangueront les manifestant.es en appelant à la réaction pacifique, à la dénonciation systématique à la police.

Mais pour l’instant, Dominique a les joues rougies, et la foule gronde, maintenant, l’eau est noire, comme un tsunami prêt à déborder.

C’est toujours comme ça quand Dominique parle, chaque année, à la marche anti lesbophobie, c’est le même effet, c’est cette fille dégingandée à la langue enflammée,

Celle qui dit le cri des enragé.es.

 

Euphorie (Dean Thomas, Gwenog Jones) by Calixto
Author's Notes:

25e prompt : Euphorie de genre

 

- Comment vas-tu, Dean ?

Gwenog sourit. Elle est heureuse de le revoir. La dernière fois qu’elle a vu le jeune homme dans son bureau, c’était un an auparavant.

Un an avant la guerre.

Belladonna avait plongé dans la clandestinité pendant ces années de terreur muette. Elle n’avait pas su le sort de la plupart de ses patients. Reconnaissant un nom, parfois, dans la sinistre énumération qui passait sur Potterveille. C’est ainsi qu’elle avait appris, un soir, que Dean Thomas fuyait pour sa vie.

En janvier 1996, Dean avait seize ans, tordait ses mains nerveusement, avait déjà parlé avec une des psychomages de Belladonna et voulait parler à Gwenog. Gwenog avait accepté. C’était bien pour ça qu’elle était au siège de l’association la moitié du temps : pour voir, pour parler, pour aider. Elle recevait ceux qui venaient pour la première fois.

Elle regarde Dean Thomas, assis dans le fauteuil en face d’elle, et elle se souvient du jeune homme aux yeux las, à la bouche résignée, qui lui avait demandé timidement un autographe pour son meilleur ami.

Dean avait l’air d’une lampe vacillante, à l’époque, gondolée de ténèbres.

Et maintenant, elle lui a demandé s’il voulait employer des pronoms en particulier, elle lui a assuré qu’il pouvait la tutoyer, et Dean a répondu à chaque fois d’une voix lumineuse, comme si mille petits soleils y flottaient.

- Je vais bien, dit Dean, et il lui offre un sourire en retour, un sourire chaud et sincère qui fait gonfler le cœur de Gwenog.

Merlin, elle vieillit.

Dean se renverse un peu dans son siège avant de rajouter :

- Je vais très bien même. Je voulais… je voulais te remercier. Je ne me suis jamais senti aussi heureux que ces jours-ci. Je me sens….

Il agite vaguement ses mains dans l’air, comme pour y capter une vérité indicible. Et puis ses yeux brillent quand il regarde Gwenog droit dans les yeux.

- Je me sens tellement plein, reprend-t-il, avec une vibration incrédule dans la voix, comme s’il découvrait chaque seconde autre chose. Je me sens aussi… aligné. Ma famille, même mes plus petits frères et sœurs, sont avec moi. Mes amis et amies m’ont tous écouté, ils font attention, ils me reconnaissent… c’est comme être regardé et vu pour la première fois. Et Seamus… Seamus aussi, Seamus plus que tous les autres. Il m’écoute toujours. Je me sens juste… compris. Il est beaucoup à l’hôpital ces jours-ci, avec Lavande, évidemment.

Oh, oui, Lavande Brown. Gwenog avait vu ce nom dans le dossier de Dean établi par la psychomage. L’amoureuse de Seamus Finnigan. Et puis bien sûr, maintenant, son histoire avait fait le tour de la presse sorcière. Les cicatrices ravageant son visage. La dernière victime de Greyback. Son séjour d’une durée indéterminée à Sainte Mangouste.

Mais le sourire de Dean ne faiblit pas.

- Mais ça va, vraiment. Je lui rends visite aussi, et on essaye d’amener le plus possible d’anciens élèves et d’amis avec nous. Et je suis en paix avec leur histoire. L’important, c’est que Seamus sait, et qu’il m’a promis que rien ne changerait, et qu’il est toujours mon meilleur ami, plus que jamais.

Gwenog hoche la tête. Les confessions d’amour ne se finissent pas toujours aussi bien. Mais elle voit bien, le poids du secret retiré des épaules de Dean, son dos plus solide, l’assurance de sa nuque dressée.

- Je peux être juste Dean, conclut-il, enfin, et ça fait… c’est la chose la plus merveilleuse du monde, vraiment. Je n’aurais jamais osé marcher ce chemin sans vous, ici, à Belladonna, sans votre travail, votre soutien, vos mots.

Merlin, ce gamin va la faire pleurer. C’est la plus belle des récompenses, de tous ces papillons fragiles, de voir certains voler de plus en plus haut.

Malgré tous les papillons aux ailes cassées, malgré ceux qui ne voleront jamais, il y en a, au bout du compte, qui trouvent un coin de ciel bleu dans un paysage cruel.

- C’est toi qui as tout fait, assure-t-elle, la voix un peu épaisse, passant une main dans ses cheveux bleus piquants, comme pour reprendre sa contenance. C’est ton chemin, et maintenant, tu peux savourer ton euphorie. Elle t’appartient.

Dean lui sourit encore, et

Oui.

Dean va bien.

Dean ira bien.

 

Des éclats dans la pluie (Lavande Brown, Pansy Parkinson) by Calixto
Author's Notes:
26e prompt : Lavande/Pansy

Je me souviens de la poussière sur tes chaussures.
Je crois que tu ne m’as pas reconnue. Ça ne m’a pas étonné. Mais j’ai quand même attendu de voir ton dos se retourner. Je voulais surtout revoir tes yeux.
Mes yeux dans tes yeux, c’était pire que mes pieds dans le feu.
Tu ne t’es pas retournée. Eh bien. Je suppose que tu ne te souviens pas de moi. Nous avons duré seulement deux semaines, après tout.
Et tu me l’avais dit toi-même un soir : Tu effaces les mauvais souvenirs. Les uns après les autres.
Que puis-je être d’autre qu’un mauvais souvenir ?

***
J’ai croisé quelqu’un dans la pluie qui te ressemblait. Je n’ai pas ralenti le pas pour être sûre, je ne voulais pas voir son visage.
Tu comprends, ça aurait pu être toi.
Je suis rentrée, je me suis assise sur mon lit, et j’ai pensé que j’avais faim, puis aussitôt après, que tu me manquais. Tu vois comme les choses sont stupides ? Les pensées ne devraient pas s’enchainer comme ça.
De toute façon, c’était surement pas toi. Pas après trois ans, pas soudainement dans la rue, pas la veille de mon rendez-vous.
24 heures avant que je ne t’efface, définitivement.


***

Tes chaussures étaient poussiéreuses et ça m’a dégoûté. Je me souviens du dégoût pour ces bouts de cuir saupoudrés de gris avant même de me souvenir rencontrer tes yeux, rencontrer ton visage.
Rencontrer ce tas sanglant.
-C’est dégoûtant, j’ai dit, machinalement, mais je ne pensais qu’à ces stupides chaussures.
Tu as baissé les yeux, haussé les épaules. J’ai senti le froid s’infiltrer dans mon ventre.
La honte venait souvent s’y loger, mais cette fois, elle me possédait au creux de sa main, parce que j’étais paralysée.
Il a suffi que tu dises :
-Je sais, Parkinson. Je me fous pas mal de l’état de mes godasses,
Pour que je sois amoureuse.
Tu étais une petite princesse dévastée à la langue rugueuse.
Je ne serais tombée amoureuse de personne d’autre que d’un si parfait miroir.


***

J’ai les photos éparpillées sur la table à manger, celles qu’ils vont utiliser pour te retirer, minutieusement, de tous les endroits où tu t’es établie dans ma tête.
Ce service particulier de Sainte Mangouste est réservé aux traumatisés, mais ce n’est pas comme s’ils pouvaient me refuser ça. Je suis leur patiente depuis un peu plus de dix ans, maintenant. Ils ont accepté toutes ces opérations avant. Ils ont retiré les griffes de mon esprit, d’abord, cette nuit de terreur. Ensuite, les crises ininterrompues pendant des mois. Ils ont enlevé d’autres choses. Je n’arrive pas à me souvenir quoi exactement, évidemment, mais il y a des trous dans la trame de ma famille, des souvenirs blanchis. C’est ceux avec mes parents.
Chaque souvenir qu’ils enlèvent me rend plus légère. Je sais qu’ils les ont mis dans des fioles dans une de leurs armoires, si un jour je veux m’y replonger, en reprendre possession. Je ne veux pas. Tous ces trous ont beau m’indiquer que ma légèreté a un poids que j’ai porté, qui m’a courbé le dos, je les regarde avec amour, je sais qu’ils ne sont plus là pour mon bien.
Toi aussi, demain, tu ne seras plus là.


***

Il n’y a pas vraiment eu de résistance, il n’y a pas eu de combats.
Nous avions toutes deux des ongles trop longs, de vrais ongles acérés, mais il n’y a pas eu de sang dans les bras.
Pas cette nuit-là, pas celles d’après.
Tout a été étonnamment facile.
Tes lèvres se sont vite assouplies sous les miennes. Je pense que nous étions surprises de nous trouver tant de désir. A un moment, tes yeux indifférents se sont même illuminés. Comme si quelqu’un avait rallumé la lumière, fait irruption dans toutes les pièces.
Et c’était nous, à faire irruption dans les chambres de l’autre, à nous fixer, hallucinés, figées.
Nos corps amers se ranimant.
C’était surréaliste.


***

Je me suis levée ce matin. C’est une phrase toute simple, mais elle me fait tenir depuis dix ans.
Les gens disent que je me suis écroulée, et que je ne me suis jamais relevée.
Ce n’est pas vrai. Tu le savais. On m’a écroulée. Et je me suis relevée.
Depuis, je marche simplement un peu de travers.
Je pense à toi. C’est une phrase toute simple, mais elle n’aura bientôt plus de sens.
Ce n’est pas grave. Je me laisse regretter. C’est le dernier moment. Je sais que tu m’en voudras. Si nous nous recroisons, et que tu vois le vide que j’ai creusé au fond de mes yeux, au fond de ta vie. Mais tu avanceras, toi aussi.
Je dois avancer.
Je ne peux plus rester dans ces souvenirs absurdes. Deux semaines, un fil brun et sale qui me retient encore en arrière. Nous n’étions pas faites pour être ensemble, et tu m’as apporté beaucoup de chagrin.
Je dois avancer. Ma tête m’appartient encore.
Le transplanage écœurant. Pousser la porte du service. Les infirmières, caressantes, mais qui ne me regardent pas en face. Je m’assois dans le fauteuil, la baguette caresse ma tempe.
Bientôt, ça aussi, je ne m’en souviendrais pas.


***

Je n’arrive pas à ne plus penser au dos tourné que j’ai vu. Je veux voir tes yeux, je veux voir tes yeux, cette pensée me ravage.
Je n’arrive pas à ne plus penser à cette idée.
Moi, le mauvais souvenir.
Je n’y avais jamais vraiment pensé. Pas sérieusement.
Nous sommes séparées depuis deux mois, et ce n’était que deux semaines.
J’adore me le répéter, c’est comme croquer dans de l’acide.
Deux semaines de trois ans.
C’est la plus mauvaise blague du monde.
Je n’arrive pas à ne plus penser. Est-ce que tu vas vraiment m’effacer ?
Je sais que nous avons beaucoup crié. Je sais que nous avons beaucoup pleuré.
Mais entre les deux, nous nous sommes beaucoup embrassées, et je t’ai aimée, je t’ai tellement aimée.
Connasse, Merlin, tu ne peux pas me faire ça.
Tu ne peux pas m’effacer comme tu as effacé tes parents pleurant devant tes cicatrices, comme tu as effacé Greyback.
Je ne peux pas devenir une de tes ombres.
Je sais que tu travailles toujours au même endroit, aux horaires de nuit.
La journée passe comme une aiguille affolée sur l’horloge hyperactive et ce soir, je prends mon manteau, je sors te voir.
Je dois savoir.


***

J’ai bien dormi. Je me suis réveillée dans mon lit, plus tard que d’habitude, aux environs de midi. C’était inespéré, je suis toujours réveillée vers six heures, que ce soit pour un rendez-vous à Sainte Mangouste ou pas.
Je me suis levée, et cette phrase toute simple me fait tenir depuis dix ans. Aujourd’hui, elle a presque un autre sens. Le ciel avait l’air plus bleu. Je me sentais démesurément légère, comme si le monde m’invitait à danser.
Je connais cette sensation, maintenant décuplée.
Je pense que j’ai effacé quelque chose de gros, quelque chose d’énorme, et je suis heureuse de l’avoir fait. Quoi que ce soit, ça n’en valait pas la peine, si je me sens si bien maintenant.
J’ai toute la journée devant moi avant d’aller travailler. J’ai même envie de peindre, de ressortir mon chevalet.
Quand je sortirai, ce soir, je ne me soucierai même pas des rares regards, lorsque mon visage sort un tant soi peu de l’obscurité nocturne.
Les cicatrices peuvent bien s’effacer, aujourd’hui.


***

Tu l’as fait.
Putain, je n’arrive pas à croire que tu l’as fait.
Tu l’as fait, pouffiasse égoïste, espèce de débile, imbécile, stupide, affreuse folle.
Je me suis approchée le cœur sautant d’entre mes côtes.
J’ai reconnu tes cheveux blonds dans la faible lumière.
-Lavande ?
Tu t’es retournée avec un air surpris. Tes yeux brûlants ont passé sur mon visage, et tu as fait un sourire poli.
Même pas un de tes sourires grincheux destinés aux inconnus.
Un de ces sourires polis que tu fais quand tu es de bonne humeur.
-Oui ?
Je suis restée sans mots, sans voix, sans souffle, sans cœur.
A fixer le vide au fond de tes prunelles.
Maintenant, ta bonne humeur s’évaporait. Tu détestes être dérangée surtout quand c’est par des gens qui te fixent stupidement. Tu as probablement pensé que j’étais une de ces dérangées qui aiment regarder tes cicatrices.
Tu t’es détournée, et tu es repartie travailler.
Je suis restée là. J’aurais voulu qu’on m’y enterre.
Tu es la chose qui a le plus de sens dans ma vie, et je n’ai plus aucun sens dans la tienne.
Oh, Merlin, qu’est-ce que j’ai pu te faire pour que tu me fasses ça ?
Tu es tellement injuste. On s’est tellement aimées.
Après le désespoir, après les bouteilles de Whiskey Pur-Feu, je savais ce qu’il me restait à faire.


***

J’ai croisé une fille bizarre, l’autre soir. Un court instant, elle m’a brièvement rappelé quelqu’un, et je me suis demandée si elle n’avait pas été à Poudlard aussi.
C’était difficile d’essayer de se rappeler. Poudlard parait si loin. Poudlard est plein de trous.
La fille avait ces grands yeux ronds caractéristiques de ceux qui sont venus pour regarder le monstre, le tableau sanglant, la poupée défigurée.
Ça m’a énervée. Ça n’aurait pas dû me toucher, pas aujourd’hui, alors que j’étais de si bonne humeur, mais Merlin, ça a quand même réveillé la rage familière, celle de l’animal de foire.
Je ne l’ai pas insultée, je ne lui ai lancé aucun maléfice, je me suis détournée.
C’est quand même fou que ces détraqués soient encore au rendez-vous, dix ans après la mutilation de Lavande Brown.
Le spectacle dure…
Heureusement, Parvati m’a appelée, après. Elle avait encore reçu une de ces cartes destinées aux proches, qui expliquent quel souvenir effacé ne plus jamais mentionner. Elle avait l’air particulièrement choquée, cette fois, mais bien sûr elle ne pouvait rien dire, donc je n’ai eu que son choc qui n’avait aucun sens pour moi, à l’autre bout du téléphone.
Mais j’étais contente d’entendre sa voix. Ces machins moldus enchantés par Granger et mis sur le marché il y a deux ans, qui eut cru que ça marcherait si bien.
C’est mieux qu’un hibou, entendre sa voix.
Après, j’ai feuilleté quelques journaux qui trainaient, et surprise ! Il y avait la photo de cette fille, quelque part dans la rubrique mondaine. Apparemment, sa mère est morte. Sous la photo : Pansy Parkinson. Le nom a fait une petite étincelle électrique. En plissant fort les yeux, j’ai reconnu ce visage, et je l’ai associé à un souvenir si lointain, caché au milieu des trous. Une gamine méchante, une Serpentard, une fille qui trainait avec Malefoy. L’article l’appelait « la traitresse ». Parvati m’a dit que c’était parce qu’elle avait voulu vendre Harry, pendant la Bataille.
Comment ai-je pu oublier ça ? Cette affreuse Pansy Parkinson.
Pourquoi est-t-elle venue me voir, l’autre soir ? Peut-être un pari des odieux serpents entre eux. Du fond de leur nid venimeux de vaincus, peut-être qu’ils se moquent encore des vainqueurs.
Merlin, les Procès auraient dû leur apprendre. J’espère qu’elle a honte en marchant dans la rue.


***

Ils ont accepté plus vite que ce que je pensais.
Bien sûr, ils m’ont reconnue immédiatement. D’abord, j’ai cru que le regard dans leurs yeux était le regard habituel, de dégoût et de pitié. La Traitresse, Pansy Parkinson.
Mais ça fait quand même dix ans. C’est alors que j’ai compris. C’est parce qu’ils m’ont effacée de sa tête, il y a quelques jours.
Et ils savent probablement que je suis là pour en faire de même.
Je n’ai même pas eu à faire un scandale ou à les corrompre. Apparemment, mon traitement avec les psychomages depuis la Bataille a suffi pour établir que je rentre dans la catégorie des « traumatisées » et que je suis éligible à ce service.
Génial.
Ils m’assoient dans le fauteuil, et j’écoute ma rage se colorer de terreur.
Ils vont t’enlever.
Ils vont enlever ta bouche, tes cheveux, les mots doux, tes yeux brûlants, ton corps nu entre les draps.
Ils vont t’enlever comme si ça allait me réparer, je pense, et malgré l’amertume de la vengeance que j’ai envie de t’infliger, t’effacer, toi aussi,
Et la baguette se pose sur ma tempe, au moment où la potion calmante qu’ils m’ont donnée fait son effet.
C’est alors que ton souvenir commence à hurler.
C’est alors que ton souvenir se débat.
Et soudain je ne suis plus dans la salle, je suis dans les couloirs de mon esprit, à te regarder, souriante,
Et je pleure.
Et puis, tu n’es plus là.


***

Il y a quelque chose qui gratte dans le fond de mon esprit. C’est à propos d’une rue, j’ai l’impression, mais c’est flou. Et il pleuvait.
J’ai vu quelque chose, quelque chose d’important. Je ne m’en rappelle pas, mais ça tire, ça démange.
Je déteste cette sensation. D’habitude, les trous ne m’offrent qu’une contemplation béate, me laissent savourer cette nouvelle liberté.
Mais, passé le sentiment heureux de l’autre jour, je ne me sens pas très bien. J’ai l’impression que ça a un rapport avec cette irruption bizarre de Parkinson à mon travail.
Il me faut un moment pour mettre le doigt sur ce qui gratte.
-Lavande, elle a dit, avant que je me retourne.
Pourquoi m’appellerait-elle par mon prénom ? Une autre part d’une blague vicieuse ? Et pourquoi ces yeux ronds ? Parkinson devrait avoir des yeux dégoûtés. Ça n’a pas de sens, et je n’aime pas ça.
Je déteste l’idée d’être encore au centre des rires, des rires des Serpentards, en plus.
Je pense à nouveau à la rue, à la pluie.


***

Je me suis levée. Mon appartement n’avait pas l’air aussi laid que ces derniers temps. Pourquoi avait-il l’air laid, d’ailleurs ? Je n’arrive pas à m’en souvenir. Cette idée semble idiote à la lumière du jour.
Mon appartement avait l’air bien, et j’ai mangé à la table du salon. Bizarrement, j’avais l’impression de ne pas y avoir mangé depuis longtemps. Là encore, c’est idiot. Cette table est ravissante, et la banquette derrière est veloutée, une sensation délicieuse pour mon dos fatigué.
Même pas. Mon dos se sent léger, le reste de moi aussi, d’ailleurs. Ça faisait longtemps que je ne m’étais pas sentie Pansy, la traitresse, celle qui ne peut pas sortir sans entendre des insultes fuser.
J’ai même envie d’aller arpenter les rues de la ville, maintenant, de me balader.
Au moment où j’y ai pensé, il a commencé de pleuvoir.
Ça n’a aucune importance. Même la pluie sourit, aujourd’hui.


***

Je ne me suis pas vraiment souciée de ce que j’ai mis pour sortir. J’ai attrapé une paire de chaussures cabossées qui trainaient, un manteau, et je me suis jetée dans la rue.
J’ai marché un petit moment sans but, sans vraiment regarder où j’allais. C’est surement pour ça que je ne l’ai pas vue.
Quand mes épaules ont heurté d’autres épaules, la colère s’est répandue dans mes veines. Et puis, j’ai vu le visage de la fille.
Un visage penché sur mes chaussures, les yeux ronds.
Elle ne regardait même pas mon visage, seulement mon visage, avec une moue de dégoût, celle généralement destinée à mes cicatrices.
-C’est dégoûtant, elle a dit.
Tous les mots vicieux que je destinais à Parkinson et son comportement bizarre se sont évanouis.
Elle me regardait directement, maintenant, les yeux toujours ronds de surprise, et il y avait quelque chose de honteux, comme si elle réalisait qu’elle aurait pu parler de la bouillie de mon visage.
J’ai baissé les yeux sur mes chaussures. Ouais, c’est vrai, maculées de poussière. Je n’avais pas remarqué. Et puis, l’agacement est revenu.
-Je sais, Parkinson. Je me fous pas mal de l’état de mes godasses.

***

End Notes:

Librement inspiré du merveilleux film Eternal Sunshine of the Spotless Mind :)

Ruban de brume (Hugo Granger-Weasley, Nathaniel Rosier) by Calixto
Author's Notes:

27e prompt : Ruban de brume

 

Et toi mon cœur pourquoi bats-tu

Comme un guetteur mélancolique

J’observe la nuit et la mort

 Apollinaire, Le guetteur mélancolique, épigraphe

La fatigue s’enroule autour de ses épaules comme de la brume. Caressante et inodore. Remontant le long de ses narines, jusqu’à ce que tout se tâche de gris.

Il expire.

- Hugo ?

La voix se glisse dans ses oreilles comme une anguille, l’électrocute.

- Hugo, répète la voix. Qu’est-ce que tu fous là ?

Oh. Ce n’est pas si souvent qu’on entend un langage si familier sortir de la bouche de Nathaniel Rosier.

En comparaison, c’est quand même plus souvent qu’on retrouve Hugo Granger-Weasley sur les toits, lorsqu’il doit être à une réception.

D’une certaine manière, la surprise vulgaire de Nathaniel se glisse entre ses côtes comme une lame.

Nathaniel ne devrait pas être surpris. Nathaniel le connait.

Et bien, peut-être que cette affirmation devrait être mise au passé.

- Hugo.

Il se retourne machinalement. Les yeux de Nathaniel sont remplis d’une irritation vainement retenue.

Hugo lutte contre l’envie de fuir qui déborde jusqu’à ses lèvres. Une main se pose sur son épaule et il ne peut retenir le sursaut convulsif qui l’agite. Il croise les yeux de Nathaniel, les regarde se remplir de déception, avec une fascination amère.

Déception.

Hugo ne tremblait jamais sous sa main, avant.

Nathaniel se lève d’un mouvement si brusque qu’Hugo sent une vague de surprise le renverser. C’est ridicule. Le plus simple geste de la main de Nathaniel Rosier est un ouragan qui suffit à le renverser.

Il bat brièvement des cils, s’imagine face contre terre, la boue se craquelant contre ses dents.

- Hugo, s’il te plait…

Leurs yeux se croisent encore. Il doit y avoir quelque chose dans les yeux de Hugo, parce que la colère déçue disparait du visage de Nathaniel, comme la vague se retire pour dévoiler le sable lisse.

Son ami soupire.

- C’est bon, Hugo. Je m’en vais. 

Hugo regarde son dos trembler, puis être avalé par le craquement du transplanage.

Hugo bat des cils, tend sa langue pour goûter la boue, respire la brume empoisonnée.

Il faudra qu’on en parle, Hugo, tu sais ?

Hugo sait. Il veut juste l’oublier.

Il pose sa tête contre les tuiles froides du toit.

En contrebas, la ville et la nuit font l’amour.

(…)

Est-il possible de se noyer dans du champagne ? Ou au moins, d’être vraiment, vraiment ivre ?

Hugo a beau avaler coupe sur coupe depuis une heure, il ne ressent toujours rien, aucune chaleur. Il aperçoit au loin sa mère entourée d’une foule, comme toujours, et il caresse secrètement l’envie de marcher vers elle, de briser l’étau de ces étrangers, et de lui dire que la boisson moldue qu’elle a fait venir dans les soirées du Ministère craint.

Maman, cette foutue boisson est dégueulasse. Pourquoi tu pouvais pas mettre du Whisky Pur-Feu à disposition.

Sa mère rirait probablement, avec cette étincelle dans les yeux dont elle a le secret. Et puis elle lui dirait, un peu plus sérieusement, avec cet air imperceptible que son visage a pris depuis qu’elle est Ministre, le pays sur le dos, que de toute façon, mon chéri, tu détestes ça.

Et elle aurait raison.

Comme d’habitude.

Mais bon, là tout de suite, l’alcool, magique ou non, est la seule porte de sortie, la seule évasion, parce que ses mots et ses songes lui font défaut, s’évanouissent sur sa langue.

Tout ça juste parce qu’à l’autre bout de la pièce, dans un costume luxueux, il y a Nathaniel Rosier. Et à son bras, une magnifique fille qui n’arrête pas de rejeter ses cheveux en arrière.

Evidemment que les Rosiers seraient invités à ce genre d’évènements. Ironiquement, c’est sa propre mère qui a dirigé le programme de réintégration des anciens Mangemorts et de leurs enfants dans la société.

Les deux sont de dos. Aucun n’a vu Hugo, pas dans une si grande réception, pas lorsque la foule est si compacte, pas lorsqu’il se cache dans un coin.

Bien sûr, c’est au moment même où il y pense que le dos de Nathaniel pivote. La fille aussi.

Il se sent curieusement soulagé en reconnaissant cette moue caractéristique.

C’est Ludmilla Rosier, c’est sa sœur.

C’est seulement Ludmilla.

Nathaniel parcourt la foule du regard d’un air distrait. Hugo pose brusquement sa coupe, et tente de se renfoncer dans l’ombre. Il lève lentement les yeux. Seulement pour croiser ceux, blasés, de son ami.

Oh.

Merlin, il doit être maudit.

Il déglutit, inspire. La brume grise tord de nouveau l’horizon.

Mais Nathaniel ne s’avance pas, Nathaniel ne vient pas. Nathaniel le regarde juste, ses yeux perçant ne le quittant pas.

Hugo fend la foule, se sentant comme toujours cette grande brindille trop vite grandie, aux formes inégales.

Être près de Nathaniel revient à caresser une morsure enflammée. Il essaye d’esquisser un sourire mais à l’expression de Nathaniel, il devine qu’il n’a réussi qu’à étirer ses lèvres en une grimace.

- On va dehors ? lance le jeune homme sans avoir l’air de demander une réponse, parce qu’il lui prend doucement l’épaule et quelques minutes après, ils sont sur le balcon.

 Hugo respire à pleins poumons l’air froid qui pique sa peau. La brume, quelques instants, ne tapisse plus ses poumons.

Il ne peut s’empêcher d’adresser un coup d’œil reconnaissant à son ami.

 Les commissures de celui-ci se retroussent en un mince sourire.

Ils restent comme ça, sans parler, pendant quelques instants, et c’est presque comme avant.

Quand tout n’était pas recouvert de cette brume d’angoisse.

Quand tout Poudlard ne savait pas.

Quand Nathaniel ne savait pas.

Quand les couloirs ne bruissaient pas de milles papillons noirs, un secret qui aurait dû être bleu comme l’azur, un secret qui aurait dû sortir de sa bouche à lui, pas de la leur.

Hugo aurait voulu pouvoir lui dire.

 

- Est-ce qu’on va enfin en parler ?

- Pour quoi faire ?

 

Nathaniel semble surpris d’entendre sa voix, et à vrai dire, Hugo aussi. Il pensait qu’à forcer d’avaler ses mots, sa gorge serait sèche comme du papier de verre.

Nathaniel fronce les sourcils.

- Je ne l’ai jamais entendu de ta bouche.

Il a l’air presque hésitant maintenant, embarrassé. Ça brise tellement de choses en Hugo qu’il ne peut même pas les compter.

- Tu, reprends Nathaniel, la voix prudente, tu m’aimes ?

Hugo voudrait éclater d’un rire incrédule mais rien ne sort. A la place, il s’entend répondre, sans même le regarder :

- Oui.

Et le dire n’aurait pas dû avoir ce goût immonde.

Hugo, peu importe la réaction de son ami, aurait voulu dire les mots comme des bijoux dorés. Les lancer délicatement en l’air, comme on lance des lanternes dans la nuit, parce que tout s’illumine.

Bien sûr, le silence. La brume s’épaissit. Hugo la respire, la laisse entrer dans sa gorge, savoure son venin.

Il y a quelque chose de mystifié dans les yeux de Nathaniel, maintenant, et Hugo ne veut plus regarder, plus jamais.

Finalement, il y a des œuvres d’arts qui devraient être brûlées. Ou juste rangées, loin, loin, loin, là où personne ne pourra les trouver.

- Hugo…

La douceur de cette voix est cruelle. Il a envie de tousser. La brume flotte dans sa bouche, amère.

- Hugo, dit encore Nathaniel, je voulais juste l’entendre de ta bouche. Pas de la leur. Je ne voulais pas que ce soit juste une cruauté de plus, une rumeur vide, et puis tu as fui, et tu m’as évité toute la fin de l’année.

Evité ? Oh, ce n’est pas vraiment le mot. Hugo a rampé dans le moindre coin sombre qu’il pouvait trouver, s’y est racorni pour pouvoir se coller aux murs, se fondre aux tapisseries.

Il ne dit rien. Il n’y a pas grand-chose à dire. (Il y a trop. Toujours.) Les lèvres de Nathaniel se pincent, comme s’il était déterminé.

Hugo se prépare au coup qui va inévitablement suivre.

(Je ne veux plus te revoir. Je ne t’aime pas. Désolé).

Mais il l’attend depuis si longtemps que ce sera peut-être un soulagement.

La main qui entoure la sienne est une décharge électrique.

- Hugo, je suis désolé que ça se soit passé comme ça. J'aurais du te le dire tout de suite, mais je voulais juste... je voulais juste faire les choses correctement. Je t’aime aussi.

Hugo tousse, mais pas parce qu’il s’étouffe, parce qu’une bourrasque chasse la brume, la dissipe complètement, l’évapore.

Nathaniel sourit.

Hugo, papillon qu’on n’attrape jamais, a très envie de se dégager et de s’envoler, loin dans l’azur qui l’a toujours protégé. Mais le sourire de Nathaniel fait fondre la douleur.

Et puis, il y a des lèvres contre les siennes.

Et puis, il y a un murmure.

- Je te promets que je t’aime. J’ai toujours eu envie d’être avec toi. J’ai toujours cherché à te comprendre. Peut-être qu’on peut essayer ?

Hugo laisse le sanglot qui le dévore devenir un sourire.

 

Chez Mme Guipure (Psyché Zabini) by Calixto
Author's Notes:

28e prompt : Soldes chez Mme Guipure : -40% sur les binders 

 

Psyché n’aurait jamais pensé pouvoir franchir cette porte, avant. Pas vraiment, pas comme ça. Mme Zabini ne l’avait jamais amenée dans cette boutique, trop populaire à son goût.

Psyché avait regardé à regret à travers la vitre, puis son corps avait glissé avec dégoût sous le tissu noir de sa robe pour sorcier faite sur commande.

Loin des froufrous, de la soie délicieuse, de la tulle colorée, du satin, que Mme Guipure adorait conseiller aux jeunes filles.

C’est d’autant plus surréaliste qu’elle entre, maintenant, plus grande que jamais. Que les assistants de la vieille commerçante se précipitent pour prendre sa commande. Elle regarde, muette, les longs rayonnages recouverts de tissus chatoyants, laisse ses doigts caresser la jupe lavande la plus proche. Et puis, ses yeux sont attirés vers un des rayonnages récents, depuis qu’une nouvelle législation inclusive est passée au Magenmagot sous la pression d’une équipe de juristes saisis par plusieurs associations. Un petit écriteau y annonce, en lettres scintillantes, des soldes sur les binders. Psyché regarde la jupe dans ses mains, les robes qu’on lui apporte, et le panneau, et ses yeux se remplissent de larmes qui l’étonnent.

Le monde s’ouvre pour elle, pour les autres aussi. Vraie magie.

 

Diva (Célestina Moldubec) by Calixto
Author's Notes:

29e prompt : "Les hommes ne vieillissent pas mieux que les femmes, ils ont seulement l'autorisation de vieillir." Carrie Fisher

 

La potion dégage une odeur infecte.

Pourtant, Célestina l’applique sagement, en recouvre ses boucles.

Les boucles disparaissent.

Elle a 5 ans.

Mais elle chante, déjà, mais c’est déjà la poupée de maman, mais c’est déjà une diva.

La potion dégage une odeur infecte.

Les mains tirent sur ses cheveux, inclinant brutalement sa tête en arrière, et étalent le liquide froid, sans se soucier qu’il coule dans sa nuque.

Après, les mains la font tourner de tous les côtés, la pressent dans une robe trop serrée, poudrent son visage jusqu’à ce qu’elle ne se reconnaisse pas dans le miroir.

Mais ses parents s’extasient, et la foule d’assistants aussi, ils disent :

Oh, tu es tellement jolie !

Elle a 8 ans. Elle chante tous les soirs dans des concours différents, même s’il faut sillonner le pays toute la journée pour ça, même si son ventre se retourne de trop de Portoloins.

Mais les foules crient, les jurys s’attendrissent, et les flashs l’illuminent.

C’est une diva.

Elle regarde les autres enfants par les fenêtres. Elle a passé des jours infinis à les envier, à vouloir se rouler dans la poussière, mais maintenant, elle ne proteste plus.

Elle s’entraine, encore et encore.

Elle chante, elle danse.

Elle regarde les autres enfants par la fenêtre, et son petit cœur se gonfle d’orgueil, parce qu’ils sont tous pareils, et qu’elle est spéciale.

Tu es une diva, Célestina.

Ses parents sont mécontents quand elle reçoit la lettre de Poudlard, le jour de ses 11 ans.

Son père semble vouloir dire quelque chose. Après tout, c’était lui le sorcier.

Mais bientôt, ils sifflent tous deux en chœur que :

- Ton vrai don, c’est ta voix, Célestina.

C’est vrai.

Sa voix est un cadeau.

Il faut s’y sacrifier.

Il faut le mériter.

Comme elle est déjà une enfant star, on lui obtient des passe-droits. Elle ne fera que 6 mois de l’année là-bas.

Et on lui créera un club de théâtre, de danse, et une chorale.

Célestina brillera.

Le château est immense et rempli de rires, et presque personne ne la regarde.

Les regards lui manquent. La foule lui manque.

C’est ce qu’on lui a appris.

Elle préfère la musique à la magie.

Le rouge et l’or lui vont mal au teint.

Elle s’étend, elle pousse sa voix, elle défile dans des robes scintillantes, jusqu’à ce que tous les regards s’accrochent.

Tu es une diva, Célestina.

Les divas vivent dans la lumière.

Elle chante, elle chante, elle chante.

La potion a une odeur infecte. Elle repousse les mains qui l’appliquent.

- Je vais le faire moi-même, lâche-t-elle, et d’un geste tourbillonnant du poignet, les assistants sont congédiés, même ceux qui s’affairent autour de chaque ornement de son visage, de ses pieds, de ses bras, de ses mains.

Elle en a enfin le droit.

Elle a 21 ans, et c’est une diva.

Les divas jouent de leur pouvoir pour croire qu’elles se possèdent.

Ses parents ne disent rien. Ils sourient aux journalistes. Son manager crie dans la pièce à côté. Il n’est pas satisfait de la dernière chanson qu’elle a écrite.

Célestina s’en fiche. Il n’y a que la foule. C’est pour eux qu’elle monte sur la scène, c’est pour eux qu’elle brille.

Sa voix est un don à partager.

Sa mère le lui a dit, les larmes aux yeux, des trémolos dans la voix.

- Tu es une star, ma chérie. Celle que je n’ai jamais pu être.

Mme Moldubec aime à pleurer sur son destin raté. Une actrice qui aurait dû éblouir, mais qui n’a jamais commencé à briller.

Après, les années s’enchainent et se ressemblent.

Les journées : l’aube, préparer la poupée, le midi, répéter jusqu’au soir, et composer, le soir, performer.

Sa voix coule dans toutes les radios. On se pâme devant elle.

Mais la potion continue de couler dans sa nuque, et ses cheveux lissés brillent un peu trop fort sous les bougies.

Des heures et des heures durant elle a répété les mêmes chorégraphies, les mêmes chansons, elle s’est laissée disparaitre sous les sortilèges et les potions de beauté.

A chaque année qui passe, la poupée devient plus difficile à garder en bon état.

Elle prend du poids, qu’on regarde d’un air critique. Ses joues s’affaissent un peu. Ses cils tombent. Ses cheveux ont l’air terne.

Pourtant, partout, Célestina rayonne, et chante l’amour.

Ses trois maris se ressemblaient. Ils sont chacun partis avec leur part du divorce, leur part de son trésor.

On lui applique le même rouge sur les pommettes que quand elle avait quatre ans.

Elle en a quarante-quatre.

Sa voix a gardé toute sa pureté, sinon elle aurait déjà été jetée.

Les journaux aiment la grignoter, ses fans aussi.

C’est dommage, elle était si belle.

Oh, mais elle a encore l’aura, bien sûr.

A chaque émission où on l’invite pour qu’elle chante ses tubes, on lui montre inlassablement des images de ses 20 ans.

Les sourires : Est-ce que vous êtes nostalgique, Célestina ? Qu’est-ce que c’est de vieillir ? Comment essayez-vous de garder la forme ? Vous connectez-vous à cette magnifique jeune femme que vous avez été ?

Sa beauté est au passé.

Ses trois maris ont son âge, mais on ne leur pose des questions que sur leurs nouvelles femmes.

Mon cher, vous avez l’air délicieux ! Le poivre et sel est tellement à la mode. Oh, et quelle maturité ! Ces sourcils blancs vous donnent une autorité fa-bu-leuse.

Tu es une star, Célestina, une diva. Apparemment, les stars ne vieillissent pas.

Apparemment, les stars vieillissent mal.

C’est dommage, disent les foules. On l’aimait tellement. Elle a tellement changé. Elle était si magnifique !

Ils disent tellement

On t’aime.

Célestina sait que ce n’est pas vrai. Ils disent : On t’aime, et elle se regarde dans le miroir, et elle voit un autre visage.

Elle voit celui du passé.

Ils aiment un fantôme projeté sur sa carcasse.

Elle se tait en regardant les assistants essayer de camoufler les nouveaux sillons de son visage.

La potion infecte goutte doucement sur ses épaules.

Elle se regarde, elle se trouve laide.

Tu es une star, Célestina, une diva.

Ta voix est un don.

Le reste a fané.

La potion a une odeur infecte. Célestina la jette par la fenêtre.

Ses boucles se déploient timidement, comme des fleurs après la pluie.

Célestina a 58 ans.

Elle garde sa porte fermée, même quand les assistants tambourinent.

Elle touche sa peau, caresse.

Elle se trouve belle.

Elle veut se découvrir vieillir.

 

Les journaux n’auront pas ses dernières années.

Les foules ne la feront pas vivre comme une morte.

Maintenant, Célestina chante à sa fenêtre, regarde la mer.

Les enfants jouent dans les rues du village.

Une main tapote son épaule. Elle se retourne pour trouver un sourire brillant.

Il se trouve que toutes ces années, il y a bien quelqu’un qui l’aimait elle, sa voix et tout le reste. Il y a bien quelqu’un qui la trouve toujours belle.

- Bonjour, diva, susurre sa fiancée, et

Elles seront deux à vieillir.

Célestina ne s’est jamais trouvée plus rayonnante que dans les yeux pleins d’amour de Sheila.

Leurs sillons partagent et dessinent la carte de leur amour.

 

Les cendres froides (Salazar Serpentard, Godric Gryffondor) by Calixto
Author's Notes:

30e prompt : Les cendres froides

Et enfin le dernier prompt de son recueil ! ❤️

 

Salazar a les mains cendrées.

Lorsqu’il creuse la nuit de maléfices, le corps raide et sans sommeil, il peut voir au clair de lune les flocons gris flotter sur sa peau, paresseusement.

Lorsqu’il se tient au sommet des collines, regardant les restes du village moldu s’affaisser sous la braise, le nuage de ruines dégage un parfum familier.

Il en est fâché, troublé.

Il continue sa veille. Salazar ne dort jamais. Quand il dort, il rêve inlassablement de veines bleutées.

A la place, les pieds nus dans l’herbe, il écoute les chuintements, une symphonie qui lui est dédiée. Il ferme les yeux, penche la tête, savoure le frisson glacé du sang qui bat dans sa poitrine.

Un souffle désagréable caresse ses côtes, descend chatouiller ses orteils.

Les cils pointus du mage se relèvent comme une haie d’épines.

Il fixe ses pieds enfouis dans la cendre.

Va-t’en, pense-t-il. Va-t’en, va-t’en, va-t’en.

La chaleur crue dans sa paume blesse. Il réalise qu’il tient une main, une main qui resserre son étau sur la sienne.

La nuit n’engloutit pas le corps noirci qui s’est assis à côté de lui, qui a avalé tous les bruits. Salazar ne s’excuse pas, Salazar ne regrette jamais rien. Il laisse ses poumons se remplir de fumée âcre.

Les yeux brillants et le corps luisant, les sifflements prennent corps, se pressent à ses côtés, attendent.

Ainsi tout alentour baigne dans le bleu.

Ainsi tout alentour subit l’hémorragie froide.

Finalement, la statue s’épuise.

Un matin de nuit blanche, Salazar regarde ses mains grises avec écœurement, et souhaite les couper.

Il suffirait d’un claquement brutal de sa magie.

Il lâche la main calcinée. Il cherche les yeux du feu qu’il a éteint, prononce le nom de son amant, et soudain, il est de retour dans le gouffre béant où il l’a laissé, ce jour où il est parti.

Godric est de flammes crépitantes, le visage rouge d’émotion, les yeux de suie. Irrésistiblement, le regard de Salazar est attiré par ses bras, tannés et musclés, déchirés d’entrelacs bleus.

C’est lui qui a bleui ces veines, c’est lui qui a fait disparaitre l’écarlate violent. A chacune de leurs étreintes, il a senti la vie brûlante sous ses doigts, palpiter, s’effacer. Il a emporté ce feu avec lui. Il l’a piétiné.

- Va-t’en, répète-t-il, résolu, le dos plus rigide que jamais.

Et alors, contre toute attente, Godric sourit. Le coin de ses lèvres se relève dans une torsion moqueuse,

Et tout le sang de Salazar reflue.

Et l’épouvante le saisit à la gorge, plus brutalement que tous les cris de Godric, que toutes ses suppliques.

Ce sourire, c’est le sien.

Et le visage de son amant s’effondre, et il se regarde.

Et la main calcinée, celle qui se désagrège, c’est sa main.

Ce sont ses cendres.

Il a vampirisé Godric, l’a laissé bleu et froid, les lèvres craquelées.

Mais il n’a pas échappé aux flammes.

A chacune de leurs étreintes, le feu a coulé dans ses veines, l’a brûlé,

Il est de braises brisées,

Il est celui qui se consume.

 

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