Summary:
© Fillette assise, Berthe Morisot (1889)À Poudlard, les secrets ne le restaient jamais bien longtemps des Hiboux. Tout le monde savait ainsi que Rhian Beddoe aimait les filles, qu'Isabella Ollivander avait fait chuter Eryx Fawley de son balai suite à une remarque misogyne, que Scorpius Malefoy était amoureux à se damner de Rose Granger-Weasley, que Brooke Finnigan n'avait embrassé Tristan Sheridan que pour remplir un pari et que la lueur dans les yeux de James Sirius Potter n'était plus celle de ses jeunes années.
Pourtant, alors qu'elle entrait en sixième année à Gryffondor, le secret de Mabel était, lui, précieusement gardé.Pour Cachou ♥
Categories: Romance (Het),
Romance (Slash),
"19 ans plus tard" Characters: Famille Weasley, James S. Potter, Personnage original (OC), Rose Granger-Weasley
Genres: Amitié, Romance/Amour, Tragédie/Drame
Langue: Français
Warnings: Discrimination, Violence physique
Challenges: Aucun
Series: Aucun
Chapters: 6
Completed: Non
Word count: 41973
Read: 3026
Published: 19/07/2023
Updated: 31/08/2024
Story Notes:
Les personnages appartiennent, pour partie, à l'autrice de Harry Potter, d'autres sont des personnages inventés.
1. Le port by Bloo
2. La rentrée by Bloo
3. Le goûter by Bloo
4. La révélation by Bloo
5. Le match by Bloo
6. Le lac by Bloo
Author's Notes:
Il était une fois, il y a très, très longtemps, une jeune et innocente autrice qui avait le projet d'écrire, après Le secret d'Effy, encore Le mystère d'Effy, Le grand amour d'Effy et Le bonheur d'Effy.
La vérité, c'est que je ne terminerai jamais Le mystère d'Effy, ni n'écrirai les deux parties suivantes. Parce que j'ai créé Effy à une époque où je n'avais de plus grande crainte que d'écrire des Mary-Sue, des filles qui, dans leur force ou dans leur héroïsme, ne soient pas crédibles, alors j'ai fait d'Effy et à dessein l'être le plus insignifiant possible au point qu'elle m'indiffère moi-même.
Je n'ai pas assumé, ni ce que je voulais être, ni ce que je souhaitais à toutes les filles, à toutes les femmes, d'être : des femmes qui ne font que ce qu'elles veulent.
Et, comme si ça n'était pas suffisant, j'ai embarqué Effy et James dans une romance profondément malsaine, qui nécessitait bien plus que de simples corrections pour devenir une vraie, belle romance comme je souhaite aujourd'hui en proposer : alors, je choisis une réécriture pure et simple.
Je vous présente aujourd'hui : Le secret de Mabel.
Je vous présente Mabel, James, et bientôt Rose, Louis, Hugo, Dominique, je vous présente mes personnages à moi, Rhian, Okah, Charlotte, Lucya, Michelle, Achilles, Brooke, Saket, Arthur, Nina, Charles, Kolya, Eryx et Hamza.
Je vous les présente(rai), et avant de vous souhaiter une excellente lecture, je les dédie toutes et tous et plus particulièrement, Mabel et James, à la formidable CacheCoeur ♥♥
Belle lecture !
Mabel avait frissonné. Et c’était un frisson, qu’accentuait certes le froid, parce que l’été 2020 n’avait à Gloucester d’estival que son nom mais c’était aussi, c’était surtout le frisson qui la saisissait, à chaque fois qu’elle se trouvait à la portée de – à la portée de ceux, qui donnaient les coups et à la place de celle, qui s’apprêtait à les recevoir.
Et puis, après, elle avait fait le tour du comptoir pour approcher la table que son patron venait de lui attribuer, et il lui avait suffi d’apercevoir, de dos, la très épaisse et courte et indisciplinée chevelure bouclée de Rhian Beddoe, pour deviner l’identité du second convive.
Parce que Rhian Beddoe et James Potter étaient, à les entendre, les meilleurs amis de tout l’univers entier et cela, depuis qu’ils étaient en âge de fouler la terre de leur démarche assurée.
Rhian était une fière galloise, dont la famille habitait Cardiff et ses alentours, et James, lui, vivait dans les collines diaprées par les fleurs des champs d’un parc national dont Mabel n’avait jamais retenu le nom. Elle supposait toutefois qu’il s’agissait du parc des Bannau Brycheiniog dont les sommets surplombaient la plaine de Cardiff. Et qu’ainsi, peut-être par magie, Rhian crapahutant et James l’aventurier, ils s’étaient rencontrés à l’âge des premières explorations et avaient façonné une amitié aux racines aussi profondes que les chênes torsadés qui habillaient le parc, suffisamment éloignés des ruelles pavées du vieux Gloucester.
À la vérité, la maison de James était nichée dans les Cotswolds, et Rhian et lui avaient fait connaissance à la célèbre course au fromage de Gloucester qui, évidemment, avait fasciné les deux garnements, mais Mabel ne le savait pas encore – sa seule certitude était qu’il lui fallait déguerpir, et de préférence, au plus vite.
Elle courut, vola presque jusqu’au comptoir, y défit non sans peine son tablier sous le regard estomaqué de sa collègue ordinairement nonchalante, et lui lança pour seule explication :
— Dis à Peterson que je m’en vais.
— Tu t’en vas où ça ?
— Je m’en vais, c’est tout, il n’a pas besoin de savoir où.
— Mais t’es consciente que tu vas être virée ? Et ta paye, tu crois la récupérer ?
— C’est pas comme s’il nous déclarait de toute façon, maugréa Mabel.
Elle fit toutefois mine de se tourner, évoquant une tâche à l’arrière de son pantalon, et elle en profita pour agripper sa baguette et marmonner un sortilège de confusion à l’intention de sa collègue, qui fila aussitôt en cuisine. Mabel ouvrit alors la caisse, fourra les billets que lui devait le chef dans son sac à bandoulière qui n’avait pas de fond – un sortilège d’extension cette fois-ci – et enfin, elle fila vers la porte automatique qui ouvrait sur les docks, et les terrasses de ses restaurants.
Elle n’avait fait que quelques pas lorsqu’une voix la héla :
— Mabel, eh ! Mabel Poulton !
C’était évidemment James Potter, et elle choisit résolument de l’ignorer, empruntant d’un pas vif le pont qui menait à la chapelle des marins. Mais lorsqu’elle atteignit l’autre côté, James lui attrapa le poignet, et elle fut bien forcée de se retourner.
Mabel n’avait rien contre James – rien de concret, tout du moins. S’il l’avait surtout agacée les premières années où ils s’étaient côtoyés, dans la salle commune et les cours de Gryffondor, elle s’était prise à l’apprécier quelque part au milieu de la quatrième année. James avait été un garçon exubérant dont les farces ravissaient nombre de ses camarades mais, aux yeux de Mabel, celles-ci avaient trop souvent flirté avec de la cruauté. Pourtant, James avait des qualités et elles étaient aisées à remarquer : c’était quelqu’un de juste, qui veillait à ce que les élèves soient traités équitablement et cela même, lorsque c’était à son propre détriment, parce que son nom de famille et son sourire angélique lui valaient les bonnes grâces de certains professeurs et des élèves plus âgés. C’était surtout quelqu’un d’extrêmement loyal, à ses amis bien sûr, au premier rang desquels Rhian Beddoe, Charles Kilduff et Kolya Rozhdestvensky, à Gryffondor, ainsi qu’Ophelia Bell-Nott à Serpentard, Brooke Finnigan à Poufsouffle et surtout, ses innombrables cousins et cousines. Mabel les avait tous connus, de prénom au moins, à l’exception de Roxanne, la petite dernière qui n’entrerait à Poudlard que pour leur septième année, à James et elle. Et elle avait vu James déployer des trésors d’imagination pour faire de chaque anniversaire à l’école une surprise inoubliable, elle l’avait vu les aider à réviser à la bibliothèque et les protéger, du monde, de tout, du condisciple menaçant aux journalistes qui s’aventuraient à Pré-au-Lard les jours de sortie, et qu’il attirait invariablement d’une plaisanterie bien sentie laissant aux autres le champ libre.
Et puis, en grandissant, James s’était assagi, laissant derrière lui les mauvaises blagues pour ne plus se contenter que de stratagèmes visant exclusivement la défense de celles et ceux qui lui étaient chers. Mabel et lui avaient fait connaissance, pour de vrai, et il l’avait touchée plus qu’elle ne l’aurait cru possible, les premières années. Elle qui, autrefois, le pensait trop inconscient et gâté pour son propre bien, avait aperçu une tout autre facette de sa personnalité, et à la vérité, elle l’avait souvent trouvé triste. James était juste, James était impulsif, James était loyal et James était sans peur, mais surtout James était mélancolique. Il ne parlait plus vraiment d’avenir, balayait les questions personnelles d’une blague et sur un ton rieur dont se satisfaisait le plus grand monde, et il ne déjeunait plus ni avec Albus, chez les Poufsouffle, ni avec Lily chez les Serpentard. Et il était devenu Préfet, il organisait toujours les trois-quarts des fêtes dans la salle commune des Gryffondor et s’avérait un redoutable Poursuiveur, il réussissait haut la main et année après année ses examens, ses camarades lui mangeaient dans la main et il le leur rendait bien mais, lorsque Mabel l’avait juste pour elle, elle lui trouvait une tristesse qui tranchait avec sa jovialité affichée.
Mabel avait souvent eu James juste pour elle. Elle aimait courir aux aurores, dans l’herbe du parc gorgée par la rosée, lui aussi, ils étaient tombés l’un sur l’autre un jour, deux jours, et s’étaient retrouvés à dessein tous les jours d’après. Et lorsqu’elle éprouvait le besoin de s’isoler dans quelque recoin secret du château, il paraissait toujours la retrouver, les mains dans les poches et le sourire aux lèvres qu’il ne réservait qu’à ses plus proches amis, un sourire doux et à demi qui ne dévoilait qu’à peine sa fossette à la joue gauche. Mabel s’était surprise à éprouver le besoin de s’isoler à deux, de s’isoler avec James, et c’était peut-être cela qui, l’été dernier, l’avait lancée à la suite du jeune garçon dans les étages du manoir de Lucya Wajs, qui fêtait cette nuit-là son quinzième anniversaire.
Cette nuit, là, maladroite, presque gênante par moment et dont elle ne se rappelait pourtant que la tendresse, et surtout la confiance : elle ne s’était plus jamais sentie aussi confiante qu’à cet instant où, nue, les joues très roses et le corps frissonnant, le corps bouillonnant, James l’avait contemplée, vraiment contemplée, et où elle avait hoché la tête avant d’écraser ses lèvres contre son sourire.
— Je croyais que tu habitais à Londres ! lança James en desserrant sa prise sur le poignet de Mabel.
La jeune fille en profita pour se dégager et faire un grand pas en arrière avant de réaliser, les yeux plantés dans ceux de James qui la dévisageait maintenant, penaud, qu’elle n’était pas capable de lui mentir encore une fois, quitte à ne lui servir qu’une demi-vérité.
— Précisément : je ne suis pas censée être à Gloucester.
— D’accord, d’accord, mais tu te rends compte que tu t’es littéralement, enfuie comme une voleuse de ce restaurant ? s’étonna James.
— C’est à cause de Rhian, rétorqua Mabel. Je sais que c’est elle qui écrit Les Hiboux de Poudlard et, sans vouloir te vexer, tu es vraiment tout sauf discret alors je ne pouvais pas risquer que tu me voies et, par extension, qu’elle me voie aussi.
Et, en même temps qu’elle parlait, Mabel jeta plus d’un coup d’œil par-dessus l’épaule de James, sans toutefois distinguer le visage fier de sa camarade de dortoir dans la foule qui se pressait sur les docks. Elle réalisa alors que James s’était figé, les lèvres entrouvertes et les sourcils froncés, et l’expression de franche sidération qu’il affichait la ramena tout droit au matin qui avait suivi la nuit, au jour où elle lui avait dit qu’elle ne voulait pas être en couple avec lui.
C’était un mensonge, un odieux mensonge qu’elle lui avait servi, et si la vérité lui avait échappé elle aurait plutôt confié qu’elle voulait être avec lui mais ne le pouvait pas. Et Rhian, qu’elle avait surprise au matin, un exemplaire des Hiboux de Poudlard qui n’était pas encore paru à la main, le lui avait rappelé avec peine. James avait un nom qui faisait fréquemment la une des journaux, pas seulement de Poudlard mais du monde sorcier dans son entièreté, et Mabel, elle, Mabel avait un secret, un grand secret qu’elle n’avait jamais partagé à personne et qu’elle craignait par-dessus tout de voir lui échapper.
Alors, elle avait menti à James, et il lui en avait voulu bien sûr, mais elle s’était efforcée de rester son amie et la fin de leur cinquième année les avait laissés, sinon proches, au moins réconciliés. Aussi se sentit-elle affreusement vexée lorsqu’il éclata de rire, comme ça, juste sous son nez, sans paraître se soucier une seconde de son air outragé.
— Je ne vois pas ce qu’il y a de drôle, et puis, je ne l’ai même pas dénoncée, moi, ta Rhian !
— Tu aurais eu du mal : ce n’est absolument pas elle qui est derrière Les Hiboux, articula James entre deux soubresauts.
— Je sais ce que j’ai vu, siffla Mabel.
Et, agacée, elle se détourna dans un geste brusque avant de prendre la direction du parking à ciel ouvert. Mais James la rattrapa encore. Cette fois, il glissa sa main dans la sienne avec douceur, et attendit qu’elle le regarde pour lui désigner le port d’un mouvement de tête. Ils sautèrent alors par-dessus les jardinières dont les fleurs, généreusement arrosées cet été, étaient éclatantes, et s’aventurèrent du ponton de bois jusqu’à l’un des embarcadères dont le voilier n’était pas à quai. Là, James se laissa choir, retirant ses chaussures pour plonger les jambes dans l’eau qui devait être glacée, et Mabel considéra une dernière fois la fuite. Mais le cri d’un grand cormoran, qui s’ébrouait sur l’embarcadère d’en face, l’ancra au port à son tour et elle fit glisser ses pieds nus dans l’eau de la Severn. Le ciel s’était couvert d’épais nuages foncés, entortillés les uns sur les autres, et offrait un camaïeu de bleu et gris qu’ils contemplèrent en silence, James et Mabel, avant que le premier ne reprenne la parole.
— Rhian cherchait qui rédigeait Les Hiboux depuis la troisième année, depuis que, tu sais, cette image d’elle embrassant Isabella Ollivander avait été diffusée en première page.
— Mais je croyais que c’était elle qui avait voulu l’annoncer officiellement.
— Ça, c’est ce qu’elle a dit pour garder la face, et parce qu’elle est courageuse. Mais personne n’était au courant, ni ses amis, ni sa famille, et je peux te dire qu’elle en a sacrément bavé.
— Je me souviens des remarques homophobes, dit Mabel en boutonnant son épais gilet blanc. Tu ne lui dis pas, hein, mais avec les autres filles du dortoir, on a même retrouvé ses affaires saccagées, une fois. Heureusement, on a réussi à tout remettre en ordre avant qu’elle n’arrive.
— Depuis ce temps-là, Rhian n’a fait que chercher qui était le vrai responsable. Et, pour tout te dire, c’est avec lui que nous avions rendez-vous ce soir, pour le dîner.
Mabel se tendit aussitôt, rabattit ses longs cheveux roux sur son visage et se tassa sur elle-même, mais James posa sa main sur la sienne, à nouveau, et elle sentit son pouls pulser à travers sa paume dans une mécanique rassurante.
— Il est à l’intérieur avec elle. On a des miroirs à double-sens, Rhian et moi, s’il était sorti, elle m’aurait déjà prévenu.
— Et alors, c’est qui ? souffla Mabel.
— Il faut que je te demande quelque chose d’abord.
— Je te promets que je ne dirai rien, que je vous laisserai gérer, Rhian et toi, je vous fais bien confiance pour ça.
— Ce n’est pas ça.
— Dis-moi.
— Tu ne vas pas aimer.
— James, dis-moi.
— Est-ce que, tu vois, est-ce que je pourrais dire à Rhian, de lui dire à lui, que, et bien, s’il sortait, et s’il s’aventurait sur les quais, il nous trouverait tous les deux et pourrait, peut-être, par exemple, nous photographier ?
Le vent s’était levé, faisant décoller le cormoran qui s’était mis en quête, peut-être, d’un endroit plus abrité pour faire sécher ses longues plumes noires. Et les mouettes rieuses, qui arboraient leur sombre plumage d’été, les mouettes rieuses et les goélands marins, argentés et bruns, les laridés, ils tournoyaient au-dessus des têtes estomaquée et extrêmement gênée de Mabel et James.
— Dis-moi qu’il y a une explication, une vraie bonne et même excellente explication à cette demande, parce qu’autrement, je m’en vais, et tu n’as pas intérêt à ne serait-ce qu’envisager de me rattraper cette fois.
— Il y en a une, affirma James.
Et les traits de son visage se durcirent tandis que ses mains, ses mains se contractaient si bien que Mabel retira la sienne de la paume qui avait été douce, par réflexe, avant de la poser, hésitante, sur l’épaule de James.
— C’est Saket Chakraborty qui écrit Les Hiboux de Poudlard.
— Saket, le Préfet de Serdaigle ?
C’était un élève discret, et serviable qui, d’après Dominique Weasley, élève de septième année à Serdaigle elle aussi, fournissait volontiers ses notes aux autres étudiants et nourrissait le projet d’intégrer La Gazette du sorcier, à sa sortie de Poudlard. Le quotidien, qui avait longtemps bénéficié d’un quasi-monopole dans la société sorcière, avait souffert d’une très mauvaise réputation après-guerre, tandis que les ventes du Chicaneur, sous l’impulsion de Luna Lovegood, puis de Sorcière-Hebdo lorsque Lavande Brown en avait pris la direction politique, ne cessaient de croître. La fin du conflit avait également vu naître de sérieux concurrents pour La Gazette, dont Le Sorcier libre, devenu le plus connu. En parallèle, et dans la foulée des multiples procès qui avaient suivi la chute de Voldemort, une presse à scandale s’était développée pour la première fois au Royaume-Uni sorcier. Elle s’était intéressée dans un premier temps, et avec un voyeurisme revanchard, aux familles déchues de Sang-Pur, avant, sous la pression de ses lecteurs, de constituer un unique Magic Star, focalisé sur les héros, les héroïnes du conflit et un jour, leurs enfants.
La Gazette du sorcier, forte toutefois de ses décennies de domination et d’un affolant carnet d’adresses, s’était lancée depuis quelques années dans le journalisme d’investigation, réduisant le nombre de ses articles au profit de papiers plus fouillés sur les réformes politiques qui étaient à l’œuvre depuis le premier mandat de Kingsley Shacklebolt. Le journal avait ainsi regagné, peu à peu, une crédibilité aux yeux des sorciers britanniques, et talonnait régulièrement Le Sorcier libre au classement des meilleurs ventes quotidiennes. Il n’avait plus rien à voir avec La Gazette outrancière et subjective de l’entre-deux guerres et Mabel n’aurait pas parié un Gallion sur Saket Chakraborty à la tête des Hiboux de Poudlard dont la ligne éditoriale n’avait, à son sens, rien à envier à celle de Magic Star.
— Tu es sûre de ça ? murmura la jeune fille.
— J’en suis certain : il me fait chanter depuis le début de l’été.
— Excuse-moi ?
— Il dit qu’il a mal agi, vis-à-vis de Rhian. Qu’il a compris que la société sorcière était loin d’être aussi ouverte, d’un point de vue sociétal, que le monde des Moldus, et qu’il regrette sincèrement de l’avoir confrontée à ça – cela dit, j’espère quand même qu’elle lui cassera les dents.
— C’est vrai que, depuis Rhian, Les Hiboux n’ont jamais rien dit, tu sais, des couples de filles ou de garçons à Poudlard, et Merlin sait qu’il y en aurait – Okah, déjà.
— Je ne suis pas d’accord avec toi. Il a relayé les rumeurs concernant Eryx Fawley et Nicholas Balfour.
— Peut-être parce qu’Eryx est connu pour ses remarques insultantes à l’intention, notamment, de Rhian ?
— Et alors ? Ça donne le droit à Saket de l’exposer à la violence, au moins verbale, voire pire pour ce qu’on sait de sa famille ? Et depuis quand est-ce que Saket est le juge suprême de Poudlard qui décide de qui mérite ou non d’être sanctionné ?
— Tu as raison, reconnut Mabel.
Ses mots ne parurent pas apaiser James, qui s’était mis à s’arracher les ongles, un par un, sans même paraître le remarquer. Et ses jambes, qui battaient de plus en plus frénétiquement dans l’eau, créèrent quelques vaguelettes qui vinrent perturber le repos d’une famille de canards colvert dont la cane, plus épaisse et pâle que son mâle, fit froncer les sourcils à Mabel – elle ressemblait plutôt à un arlequin gallois qu’à un colvert et, et –
— Mais comment ça, Saket te fait chanter ? s’exclama-t-elle enfin.
James enfouit alors sa tête entre ses deux mains, aux doigts desquelles perlaient des gouttes de sang, et Mabel sentit son estomac se nouer en même temps qu’il laissait échapper un sanglot étouffé.
— James, parle-moi, murmura-t-elle en enroulant ses jambes aux siennes dans les eaux sombres et glacées.
Et elle passa un bras autour de ses épaules, et il se laissa choir dans le creux de son cou, le corps animé de soubresauts mais au moins l’eau n’était plus trouble et ses doigts étaient en paix qu’effleuraient les boucles rousses de Mabel, ses doigts, qui s’accrochaient à elle comme à une ancre.
— Il nous a vus, énonça-t-il les yeux fermés. Il nous a vus, avec Kolya, nous embrasser.
— Je ne savais pas, souffla Mabel.
— Personne ne savait.
— Non, je veux dire, je ne savais pas que tu aimais aussi les garçons.
— Oui, ça s’appelle la bisexualité, si tu connais ?
Mabel retint un rire, mais elle se contenta d’un sourire timide en embrassant avec tendresse la chevelure de James, qui bien qu’étant plus au fait du monde Moldu que la plupart des sorciers de Sang-Mêlé ou Pur, n’avait pas grandi avec les mêmes représentations qu’elle.
— Je suis Née-Moldue, James, et au vingt-et-unième siècle en plus de cela, bien sûr que je connais la bisexualité. Et Saket n’a vraiment, mais alors vraiment pas intérêt à l’utiliser contre toi, parce que tu n’as rien fait de mal.
Elle s’étonna d’ailleurs de n’avoir pas encore entendu les sirènes d’une ambulance, parce qu’à la place de Rhian, elle aurait assurément réglé son compte à Saket Chakraborty, et l’impulsivité était pourtant loin d’être la première des qualités l’ayant menée à Gryffondor.
— Il dit qu’il ne veut pas me forcer, comme il l’a fait avec Rhian, mais il entre en dernière année, et il n’a pas eu d’excellents résultats à ses BUSE et il voudrait professionnaliser Les Hiboux cette année pour en faire, comme son dossier un peu, tu vois ? Et, il semblerait que le sujet qui lui tienne à cœur, c’est le tabou de la sexualité dans le monde sorcier.
— Il ne veut pas te forcer mais il le fait quand même, en résumé.
— Ce qu’il m’a dit, c’est qu’à défaut de pouvoir utiliser notre histoire à Kolya et moi, il aurait au moins un scoop si, si par exemple, si… si toi, et moi…
— Et Kolya ? Il ne va pas t’en vouloir ?
— Il s’est affiché tout l’été avec Caragh Gallagher, et évidemment, il n’a répondu à aucun de mes hiboux.
— James, je suis désolée.
Mabel, les paupières closes, se remémora la journée d’été passée, qui avait été chaude, très chaude, bien plus qu’à cet été 2020, et dont elle se souvenait pourtant le froid : le froid qu’elle avait jeté, entre James et elle, le froid qui l’avait saisie, lorsqu’elle avait regagné son foyer, et compris qu’il était vraiment parti, qu’elle l’avait abandonné à – à quoi ?
À un secret, dont elle souffrait tant qu’il la précipitait, chaque jour, par tout temps, sur les routes goudronnées du Londres Moldu et dans les allées arborées du parc de Poudlard, à courir, courir, courir, à courir jusqu’à s’en ouvrir les orteils, à courir, jusqu’à savoir par cœur les sorts et potions pour soigner les maux qu’elle s’infligeait ?
À un secret, son secret à Mabel et son secret, à lui, à elle, un secret qui s’épaississait et la liait dans le noir, désespoir.
Mabel avait abandonné James à un secret, et à courir, et à vomir, et à fuir.
Sa situation n’avait pas changé, elle s’était même empirée. Mabel avait passé l’été sur la route, fraudant les trains Moldus, postulant dans les bars où l’on ne se souciait pas de ses papiers, amassant l’argent qu’il fallait pour manger mais rarement assez pour se loger. Et elle avait dormi à la belle étoile, se désillusionnant sans parvenir pourtant à trouver le sommeil, persuadée qu’alors, son sortilège s’estomperait et la dévoilerait au monde, qui ne lui avait jamais paru si menaçant. Elle n’était pas restée plus de trois jours au même endroit, s’était exercée aux sortilèges de métamorphose pour modifier, à défaut d’encore ses traits, au moins la couleur de ses yeux, de ses cheveux, et comme à son habitude elle avait étudié. Étudié entre chaque service, étudié dans les trains surchargés, dans les bus bondés Mabel avait englouti la totalité du programme de sixième année et appris, avec reconnaissance, que la Trace avait été levée pour les sorciers mineurs au sortir de la guerre avec l’appui de Harry Potter en personne, à la fois pour ses approximations récurrentes et, surtout, parce qu’elle avait privé de se défendre nombre de jeunes sorciers et sorcières nés de Moldus et mineurs au moment du conflit.
Mais si la Trace n’existait plus, les effectifs de la brigade de police magique avaient été triplés, ceux du service des usages abusifs de la magie renforcés, et des liens avaient été établis entre les polices Moldues et sorcières, en s’appuyant sur les Moldus qui connaissaient le secret magique de par leur descendance. Mabel était donc bien consciente que l’usage de sa baguette devait rester limité, et ainsi, elle avait appris à s’effacer. À se faufiler, à se glisser dans les recoins sombres et à se faire oublier, à s’isoler assez pour ne pas risquer d’être touchée et même, regardée.
Et puis, il y avait le suivi qui avait été mis en place pour les enfants nés de Moldus, comme elle, un vrai suivi cette fois-ci, assuré par les enseignants de Poudlard qui, chaque été, rendaient visite aux familles Moldues de leurs apprentis sorciers, pour les accompagner au mieux dans la découverte et l’appréhension du monde magique. Cet été, et pour la première fois, Mabel avait écrit à Neville Londubat pour l’informer que sa famille ne serait pas en capacité de le recevoir, suite à l’hospitalisation de son père pour un grave accident de la route. Il avait convenu de reporter leur entretien à l’automne et croyait sa jeune étudiante quelque part entre sa maison et l’hôpital Moldu le plus proche, certainement pas seule à Gloucester, encore moins en la compagnie de James Potter.
C’était ce qu’elle aurait dû dire à James : que c’était trop dangereux, qu’elle y risquait bien plus que sa réputation et qu’elle ferait tout ce qu’il voudrait pour se venger de Saket Chakraborty, tout, sauf s’exposer avec lui au monde, et son secret avec elle. C’était ce qu’elle aurait dû lui dire, c’était ce qu’elle voulait dire, qu’elle l’avait rejeté une fois et, désormais qu’elle avait un petit ami et que James avait visiblement des sentiments pour un garçon, elle n’allait certainement pas prendre le risque d’affronter sa plus grande peur.
Et, peut-être précisément parce qu’elle l’avait déjà rejeté une fois, parce qu’elle l’avait fait souffrir et que Mabel était faible, face à la tristesse de James, elle glissa soudain la main dans la veste de James et en sortit le miroir à double-face qu’elle brandit devant son visage fermé :
— Rhian, dis à Chakraborty de sortir maintenant, mais à une seule condition : il nous situe à Londres, ou il m’affronte en duel. Et rappelle-lui que, contrairement à lui, moi j’ai eu un Optimal à mon BUSE de Défense contre les forces du mal.
Elle rendit son miroir à James, qui s’était redressé et lui faisait face, désormais, les yeux rougis et à la fois, son sourire bien à lui aux lèvres.
— C’est vraiment important pour toi que personne ne sache pour Gloucester ?
— Plus que tu ne peux l’imaginer.
— Mabel, merci. Tu n’étais pas obligée. Je me rendais compte, au fur et à mesure que je t’exposais cette… cette idée grotesque, à quel point ça n’est pas juste, pour toi.
— Mais ça n’est pas juste pour toi non plus, et je t’ai dit que je voulais être ton amie : quel genre d’amie je ferais, si je n’étais pas là pour toi dans un moment pareil ?
Et elle tendit la main vers son visage, vint effacer de son pouce les sillons qu’avaient laissés les larmes sur le visage pâle et alors, James sourit encore. Mabel pensa que Saket était peut-être déjà là. Elle pensa que Rhian devait l’avoir suivi à la trace. Elle pensa à Achilles Fawley, qui l’avait invitée à la dernière sortie de l’année à Pré-au-Lard et qu’elle appelait depuis son petit ami. Elle pensa à Charlotte St Clair, Lucya Wajs, Okah Baba et Brooke Finnigan-Brown, ses amies, qui n’avaient jamais compris ce qui les avait séparés, James et elle. Et elle pensa, encore, elle pensa à – à la nuit qu’elle venait de passer, transie, sur l’île d’Alney, et à la meilleure façon de rejoindre Bristol aux aurores, et à la douceur qu’avait la paume de James contre la sienne.
Il ferma les paupières, et elle aussi, et ni Mabel ni James n’aurait su dire lequel des deux s’était penché le premier, mais ils se penchèrent. Et ils s’embrassèrent. Ils s’embrassèrent en même temps qu’un rayon de soleil perçait à travers les nuages ternes et que le cormoran revenait s’ébrouer sur les quais et que les premières notes de Kings and queens s’échappaient du bar auquel ils tournaient le dos.
— J’imagine que ça fera la une des Hiboux de Poudlard, chuchota Mabel en mettant fin à leur baiser.
Elle garda,
toutefois
son front appuyé contre celui de James.
— Et c’est bien sûr à ce seul dessein que tu m’as embrassé.
— Non. Je t’ai embrassé, parce que j’en avais envie. Et je ne suis pas désolée.
— Je ne le suis pas non plus.
Ils rirent, enfin, ils rirent les mains liées et à gorges déployées James, Mabel, rirent plus fort encore que les oiseaux marins qui les scrutaient depuis les eaux apaisées.
Puis :
— James, moi aussi, il faut que je te demande un service.
— Dis-moi, pour qui est-ce que je dois poser ?
Mabel lui mit un coup dans l’épaule, pour la forme, mais très vite, elle ramena ses bras contre elle et baissa le regard, et James perdit aussitôt son sourire. Il posa une main sur sa cuisse, se tut, attendit qu’elle balbutie :
— Est-ce que je peux dormir dans ta chambre ce soir ?
— Dans ma chambre ?
— Ou, ou ailleurs, je m’en fiche, je, j’ai juste besoin d’un endroit où dormir, sans que tes parents soient au courant.
À la mention de ses parents, James eut un sourire en coin qui n’échappa point au regard soudain vif de Mabel. Et c’était à dire vrai, un sourire en coin à l’idée d’inviter une amie à leur nez et à leur barbe mais Mabel, elle, y lut autre chose et sentit son visage s’empourprer si bien que James, une nouvelle fois, afficha une mine soucieuse.
— Écoute, si, si tu veux qu’on, enfin, comme, comme il y a, il y a un an tu vois, si tu veux je, je comprendrais que si tu m’héberges il faille que, et je…
— Mabel.
— James, ne rend pas les choses plus compliquées, tu as très bien compris ce que je voulais dire.
— Ce que je n’ai pas compris c’est : est-ce que tu en as envie ?
— Non, non, bien sûr que non mais, c’est juste…
— C’est juste quoi ? Que je ne peux pas t’héberger sans vouloir coucher avec toi ? Que je vais échanger une nuit dans ma chambre contre, contre quoi mais enfin Mabel, tu sais que ce serait du chantage ? Tu sais comment on appellerait ça ? Tu crois que, que j’ai envie de ça ?
Il se mordit les lèvres, leva les yeux au ciel et souffla, souffla souffla et puis, voulut attraper Mabel par les épaules et la secouer jusqu’à ce qu’elle lui dise d’où lui était venue cette folie, mais tout le reste lui revint en tête – sa fuite précipitée, ce qui semblait être son travail et qu’elle avait lâché juste pour les éviter, Rhian et lui, son insistance à ne pas être reconnue dans Gloucester.
Et, tout, le, reste, les pauvres excuses qu’elle avait articulées l’été dernier, mêlant sa célébrité et la presse à scandale au besoin d’étudier et de se concentrer et de se recentrer dans un écheveau dont elle semblait peiner à s’extirper, ses excuses et à la fois, son incapacité à lui dire la seule chose qui importait vraiment : qu’elle n’avait pas de sentiments amoureux pour lui.
Il savait, depuis, qu’elle fréquentait Achilles Fawley, et lui-même était tombé amoureux de l’un de ses meilleurs amis, mais même un an après, il ne croyait toujours pas que Mabel l’avait repoussé parce qu’elle ne voulait pas être avec lui. Et il le croyait encore moins, désormais qu’au bord des larmes elle fuyait son regard et se redressait, prête à s’en aller, prête à s’évanouir dans les épais nuages qui l’entouraient à l’effacer.
— Mabel, attends !
Et ses doigts entremêlés aux siens James se jura de ne pas les lâcher avant de l’avoir installée dans sa chambre.
— Bien sûr, que je vais t’héberger cette nuit, mais Mabel, dis-moi : comment est-ce que tu vas, toi ?
Mille scénarios lui vinrent, et mille bourrasques gelées firent voleter mille mèches de ses cheveux emmêlés, mille, mille passants, passèrent, mille mouettes, tournoyèrent et mille possibles : lui dire, ne pas lui dire, lui dire son secret et taire, le reste, lui dire le reste, lui dire son secret et le reste et mentir, mentir et courir, mentir et s’enfuir et le reste, rester.
Mais Mabel fit un choix :
— On ne peut mieux.
Et James le respecta. Parce qu’il taisait, lui aussi, ses pensées les plus intimes. Parce qu’il avait pensé, parfois, de plus en plus souvent, à s’enfuir. Et parce qu’il pensait convaincre Mabel, d’ici au matin, de se décharger d’un peu du poids qui l’obérait ou, à défaut, d’accepter une invitation officielle à rester chez lui jusqu’à la rentrée.
James, comme Mabel avant lui, imagina mille façons de dire à ses parents, sans leur dire, sur le chemin de la maison et tandis que Mabel s’accrochait à lui sur sa mobylette. Il imagina, alors qu’il lui faisait faire le tour de sa demeure colorée, alors qu’il refermait la porte de sa chambre et réfléchissait au meilleur sortilège pour faire monter la jeune fille au premier étage avant de réaliser, ébahi, qu’elle avait grimpé les murs en pierre à la seule force de ses bras, et alors, il imagina encore, il imagina toute la nuit à n’en pas fermer l’œil si bien que, lorsqu’il s’assoupit enfin, le sommeil qui le cueillit fut si profond qu’il n’entendit pas Mabel refermer derrière elle la fenêtre de sa chambre.
Et Mabel battit la campagne, à l’heure où celle-ci rosissait sous les écharpes pourprées du ciel matinal, à l’heure où la rosée perlait encore aux herbes folles qui recouvraient les bas-côtés. Mabel marcha, elle marcha près d’une heure le pouce en l’air avant qu’une automobiliste ne la recueille et la conduise en banlieue de Bristol. Là, elle hésita, s’aventura jusqu’au centre-ville où elle fixa les devantures de quelques restaurants, avant de se souvenir qu’Arthur Higgins, de Poufsouffle, était le fils d’une restauratrice à Bristol, et alors elle courut attraper le premier car pour Bath. Les cheveux courts, blonds, les yeux marrons, Mabel s’y fit embaucher dans un salon de thé dont elle vola la moitié des crumpets avant d’atterrir, pour une nuit seulement, à la périphérie de Swindon, sur la route d’Oxford, sa dernière étape avant la rentrée, sa dernière étape avant Londres, et la voie 9 ¾.
End Notes:
Merci d'avoir lu ♥
À ce stade et part un vague plan en quatorze chapitres, je n'ai pas de date régulière et/ou précise de publication à avancer, mais cette fois, j'ai beaucoup de choses à raconter.
Et je serai absolument ravie d'échanger avec vous par review pour savoir ce que vous avez pensé de ce premier chapitre et quelles sont vos attentes pour la suite ♥♥
Author's Notes:
Et bienvenue dans le deuxième des quatorze chapitres de cette histoire : on l'y rentre à Poudlard avec un mois d'avance sur le vrai calendrier :D
Un grand merci à Zandry et Pinkgras pour leur review sur le chapitre précédent ♥♥
Et bonne lecture !
Les volutes de fumée qui s’échappaient de l’éclatante locomotive rouge laissèrent à Mabel le temps de se décider, entre Achilles Fawley qui, comme à son habitude, était le premier installé au compartiment des Préfets, et Charlotte et Okah, qu’elle avait aperçues riant aux éclats contre l’un des murs en briques qui habillaient la voie 9 ¾ avec, entre les mains noires et couvertes de bijoux argentés d’Okah, ce qui semblait bien être un journal.
Mabel se fraya alors un chemin à travers la brume, délaissant, pour un temps, ses meilleures amies. Elle croisa les doigts pour ne pas tomber sur Lucya, qui l’aurait alpaguée sans plus de cérémonie et sommée de lui narrer son été, journée après journée, avant d’éventuellement envisager de la laisser filer. Heureusement, la seule personne dont Mabel accrocha le regard en montant dans l’un des wagons fut Lucy Weasley qui, à ses grands airs habituels, fit mine de ne pas l’avoir remarquée. Mabel remonta la locomotive jusqu’au wagon de tête, apercevant, dans les compartiments, quelques élèves déjà bien installés parmi lesquels, Ophelia Bell-Nott, de son année à Serpentard, Tristan Sheridan, lui aussi en sixième année mais à Gryffondor et, juste avant le compartiment des Préfets, Rose et Hugo Granger-Weasley, respectivement en quatrième année à Serdaigle et deuxième année à Gryffondor.
Si deux personnes devaient déjà être au courant, Mabel pensa qu’il s’agissait nécessairement de Rose et Hugo, qui montaient parmi les premiers dans le Poudlard Express depuis que leur mère avait été élue Ministre de la Magie et évitait le pic d’affluence du 1er septembre. Et, bien que ni l’un ni l’autre ne soit, à sa connaissance, un lecteur avide des Hiboux de Poudlard, ils se tenaient, comme le reste de leurs cousins et cousines, informés de la présence de leur famille entre la dizaine de pages du mensuel non-officiel de l’école. Il était déjà arrivé que des brèves à leur sujet fuitent ensuite jusqu’à Magic Star et ravivent l’intérêt de la presse à scandale pour l’entièreté de leur famille. Si les lois magiques évoluaient elles aussi et qu’Hermione Granger-Weasley avait, lorsqu’elle n’était encore que la cheffe du département de la Justice magique, instauré un délit d’atteinte à la vie privée et en particulier celle des sorciers mineurs, qui faisait cruellement défaut quand elle étudiait elle-même à Poudlard, certains magazines faisaient de tels bénéfices lorsqu’ils tiraient sur les Potter, les Weasley et leurs enfants qu’ils pouvaient bien se permettre quelques procès. Mabel songea ainsi que le frère et la sœur devaient déjà les avoir vus s’embrasser, James et elle, à la une des Hiboux, et qu’il lui fallait vraiment retrouver Achilles au plus vite, mais elle ne s’imaginait pas traverser le couloir en prétendant ne pas les voir.
— Rose, Hugo, lança-t-elle en ouvrant la porte de leur compartiment.
Elle garda ses deux mains appuyées, l’une, dans l’embrasure de la porte, l’autre sur la poignée, espérant en contrôler les tremblements de la sorte et ne rien laisser paraître de son anxiété.
— Mabel ! s’exclama Rose.
La jeune fille bondit aussitôt sur ses deux pieds pour se jeter dans les bras de Mabel, manquant de la faire tomber, tandis qu’Hugo, lui, se contentait d’un grand sourire et d’un clin d’œil. Le frère et la sœur étaient très différents dans leur caractère : l’une était excessive dans ses démonstrations d’affection, timide, passionnée, très anxieuse et particulièrement studieuse, l’autre était taquin, entourée d’une flopée d’amis au château et semblait n’éprouver ni peur ni même conscience particulière du danger. Mais la personne que Rose aimait le plus au monde, c’était Hugo, et celle qu’il chérissait le plus sur terre, c’était sa sœur. Et ils mettaient un point d’honneur à faire la première partie du trajet pour Poudlard ensemble avant de rejoindre les camarades de leur maison respective.
— Ça me fait plaisir de te voir, poursuivit Rose en gardant ses mains sur les épaules de Mabel. Tu as changé, je trouve, on dirait que tu as maigri, tu as encore fait des prouesses sportives ? C’est à se demander où tu trouves toute cette force !
Mabel adorait Rose : sa timidité et son sérieux en faisait une amie très calme, avec laquelle il était aisé d’étudier, et c’était ainsi qu’elles s’étaient liées d’abord, entre les rayonnages de la bibliothèque. Rose avait gagné en confiance à force de la fréquenter et n’hésitait plus, désormais, à la saluer dans les couloirs, à l’enlacer et parfois même, à s’asseoir à ses côtés à la table des Gryffondor. Elle manquait toutefois de tact, disait souvent ce qui lui passait par la tête sans paraître toujours saisir ce que ses propos avaient de blessants ou déplacés, et alors Hugo intervenait pour dissoudre les quiproquos – c’était un juste retour des choses puisque Rose, elle, le sauvait des mille situations rocambolesques dans lesquelles son impulsivité le précipitait.
— Ce que Rose veut dire, c’est qu’elle ne s’est toujours pas remise de la façon dont tu as battu Dominique à la course, le dernier jour de l’année scolaire, et d’ailleurs, Dominique ne s’en est pas remise non plus, glissa le frère un grand sourire aux lèvres.
— Oh, Dominique est meilleure que moi en duel et dans la totalité des exercices physiques auxquels elle nous astreint à l’entraînement, alors n’emporter qu’une course, ce n’est pas grand-chose, répondit Mabel avec entrain.
Elle était ravie que la conversation ait dévié aussi vite, parce qu’à la vérité, elle ne pouvait pas reprocher à Rose d’avoir noté son amaigrissement ; elle-même en était bien consciente, tout comme elle savait que son amie n’avait pas pensé à mal en le lui disant, mais elle ne pouvait décemment pas lui expliquer qu’elle avait passé son été sur la route sans toujours avoir la possibilité de manger à sa faim, même si ses capacités à chaparder avaient notablement progressé entre juillet et août.
— Je suis contente de vous revoir, moi aussi, ajouta-t-elle. Je dois rejoindre Achilles avant que le reste des Préfets ne débarquent, mais il faudra que vous me racontiez votre été, après.
— On a notre goûter de rentrée avec Hagrid, tu sais, ce samedi, et il adore qu’on lui ramène nos amis. Hugo viendra avec Mykolas et Kitto, Lily sera avec Adeline, bien sûr, moi j’ai proposé à Scorpius de nous rejoindre et Rhian n’a manqué aucune de ces rencontres, même pas la première. Tu devrais venir aussi !
— Je suis sûr que ça fera très plaisir à Hagrid, et pas seulement à lui, appuya Hugo.
Mabel se sentit rougir aussitôt, et elle chercha la trace d’un journal dans le compartiment mais sans rien trouver qui dépasse des valises et des capes, à l’exception notable de Titania et Puck, leurs chats, dont ils avaient préféré la compagnie aux hiboux et au grand désespoir, semblait-il feint, de leur père. Elle offrit une caresse à Puck, dans un geste qu’elle espérait naturel, et sans demander son reste, elle referma derrière elle la porte du compartiment non sans avoir adressé à Rose et à Hugo un signe de la main.
Achilles était dans le compartiment d’à côté, son corps long et fin nonchalamment appuyé contre la vitre, qui découvrait un quai de plus en plus animé duquel hurlaient les amis réunis tandis que les hiboux retenus dans leur cage hululaient outragés. Il lui sourit aussitôt qu’il la vit, et la laissa venir s’écraser à ses côtés avant de poser ses lèvres sur les siennes avec douceur.
Mabel mit fin à leur baiser la première et se perdit dans la contemplation de son petit ami, des traits de son visage au nez aquilin en passant par ses épais cheveux bruns, qui étaient le seul aspect de son physique le différenciant d’Eryx Fawley, son frère jumeau, réparti lui à Serpentard et à la blondeur des blés. Et puis, baissant légèrement le regard, Mabel perçut enfin l’insigne qui avait changé depuis la première fois qu’elle l’avait frôlé, dans ce même train, deux mois auparavant.
— Tu ne m’avais pas dit que tu étais nommé Préfet-en-Chef ! s’exclama-t-elle.
— Je préférais te l’annoncer en vrai que par écrit, rétorqua-t-il aussitôt avec un immense sourire aux lèvres.
Mabel songea qu’il avait dû en coûter à Achilles que de garder le secret : son frère briguait le précieux insigne depuis son entrée à Poudlard et, parce qu’il savait s’attirer les faveurs des professeurs comme Achilles rechignait à le faire, ce dernier avait toujours pensé que son jumeau obtiendrait effectivement le poste de Préfet-en-Chef. Mais Achilles était, à Serdaigle, l’un des meilleurs élèves de sa promotion, il supervisait les cours de soutien scolaire dispensés aux étudiants des quatre maisons et il ne manquait pas de confiance en lui. Il ne devait donc pas avoir le sentiment d’avoir volé quoi que ce soit à son frère et, au contraire, était probablement très fier de ce qu’il avait accompli.
— Et qui est la Préfète-en-Cheffe ? s’enquit Mabel.
— Tu ne devines pas ?
— Isabella Ollivander !
— Évidemment. Elle était faite pour ça, plus que moi, plus qu’Eryx, et plus que n’importe qui. Tu sais qu’elle a assisté son père tout l’été à la boutique ?
— Elle n’a jamais caché qu’elle voulait reprendre la fabrication des baguettes à sa suite, pourquoi est-ce que c’est si surprenant ?
— Aucune femme n’a jamais fabriqué les baguettes Ollivander. C’est une magie qui s’est toujours transmise exclusivement de père en fils et au point que certains de ses cousins ont déjà fait savoir à Georges Ollivander qu’ils étaient prêts à prendre la relève.
— Et ça n’est jamais arrivé en près de deux millénaires qu’un Ollivander n’ait qu’une fille ?
— Georges avait aussi un fils ; il a été assassiné pendant la guerre alors qu’il recherchait son grand-père, et les coupables n’ont jamais été identifiés formellement. Isabella est l’unique enfant qu’il a eu avec sa seconde femme.
— Et toi ? Qu’est-ce que tu en penses, de tout ça ?
La question de Mabel était plus intéressée qu’elle n’y paraissait. Lorsqu’elle était en première année, Isabella Ollivander avait fait la une de la première édition des Hiboux de Poudlard. Il lui était reproché par Eryx Fawley lui-même de l’avoir fait tomber de son balai à dessein, et alors que les Serpentard étaient en plein match contre les Poufsouffle. Non seulement, la farouche jeune fille de deuxième année n’avait pas nié l’histoire, mais même elle l’avait complétée : Eryx lui avait reproché de ne pas assez faire la passe avant de lui demander quel genre de relation elle entretenait avec le capitaine pour avoir obtenu une place de Poursuiveuse dans l’équipe. Isabella avait plaidé elle-même sa cause dans le bureau de Daphné Greengrass, sa directrice de maison et professeuse de Métamorphose, et si elle avait écopé d’un mois entier de retenue, elle n’avait pas été renvoyée comme le réclamait les Fawley – et Eryx avait dû honorer une semaine de retenue, lui aussi, pour « misogynie décomplexée » selon les propres mots de Daphné Greengrass.
Mabel savait Achilles différent de son frère. Il affirmait toutefois que ce dernier avait un bon fond, et qu’il était en réalité terrifié, terrifié de ne pas répondre aux très fortes exigences de leurs parents, terrifié à l’idée d’échouer, que ce soit à ses examens ou dans le choix de sa carrière ou dans le choix de sa vie. Et si Mabel le comprenait d’autant plus qu’elle avait appris, par James, que Saket Chakraborty détenait des informations quant aux fréquentations d’Eryx, elle refusait de tolérer les remarques lesbophobes qu’il avait adressées à Rhian et Okah, et cela même si la dernière remontait à plusieurs mois – parce qu’il n’avait jamais présenté la moindre excuse pour celles d’avant.
C’était un sujet de discorde entre Mabel et Achilles, et la jeune fille songea qu’il n’était pas opportun de le remettre sur la table au vu de ce qu’elle avait à annoncer, mais il lui semblait que sa relation avec Achilles dépendait trop de sa réponse pour qu’elle n’esquisse le sujet.
— Je pense qu’Isabella fera une excellente Préfète-en-Cheffe. Et qu’elle fait bien de s’imposer dès à présent si elle entend en effet prendre la suite de son père à la boutique.
— Quand même, ça n’a pas été trop dur, pour Eryx, entre ta nomination et celle d’Isabella ?
— Si, mais pas pour les raisons que tu crois. Eryx a eu un été difficile et il ne va pas bien, Mabel, vraiment.
— Je suis désolée, balbutia Mabel en sentant Achilles se tendre à ses côtés. Est-ce que tu veux en parler ?
— Non. Pour dire vrai, je suis plutôt soulagé d’enfin retrouver Poudlard.
Et Mabel ne put qu’approuver ces paroles. Elle passa son bras autour des épaules d’Achilles et l’attira contre elle, un bref instant, mais il se dégagea très vite et lui offrit un sourire qu’elle savait n’être que de circonstance. Il était mal à l’aise avec les démonstrations publiques d’affection et craignait certainement que l’un des Préfets ne débarque soudainement ou qu’un élève les aperçoive depuis le quai où la vapeur semblait s’être estompée pour un court moment.
— Comment s’est passé ton été, à toi ? s’enquit finalement Achilles.
— Pour dire vrai, je suis plutôt soulagée d’enfin retrouver Poudlard.
Achilles était discret, et secret, disait avoir été élevé par deux parents plus en retrait encore et riait souvent du fait qu’à son sens, ni lui ni son frère n’en dévieraient jamais vraiment. Ça avait causé des ruptures, qu’elles soient amicales ou amoureuses et pour l’un comme pour l’autre, mais Mabel appréciait ce trait de caractère parce qu’Achilles n’exigeait, en retour, rien des pensées ou des secrets qu’elle rechignait à lui confier.
Elle croisa ses mains, pourtant, les serrant entre elles à en faire blanchir les jointures et se mordit la lèvre inférieure, plusieurs fois, parce qu’elle savait bien que cette fois il convenait qu’elle fasse un pas : après tout, elle n’aurait pas aimé elle non plus le voir embrasser une autre personne qu’elle à la une des Hiboux, sans qu’il ne lui en ait touché le moindre mot au préalable.
— Il faut que je te parle des Hiboux de Poudlard, lâcha Mabel.
— Ah ? Tu as vu qu’aucun numéro ne nous attendait, pour cette rentrée ? Je ne te croyais pas une lectrice avide de ce genre de… papier.
— Non, non, absolument pas, je ne l’ai jamais lu ou en tout cas, jamais en entier enfin, tu sais, enfin, seulement les bribes qui ont pu concerner mes amis, débita-t-elle en sentant le rouge lui monter aux joues.
Mabel avait gardé nombre de secrets depuis qu’elle était en âge de s’exprimer : il y avait eu, d’abord, celui de ses pouvoirs magiques, qui l’effrayaient tant qu’elle n’osait en parler aux adultes l’entourant et puis, il y avait eu le reste, tout le reste. Pourtant, et quand il était question des gens, de leurs sentiments et des siens, elle était incapable de mentir correctement. Elle fabulait sans sourciller sur ses étés, sa famille, son passé, et avait de toute façon la réputation d’une fille discrète et effacée qui la préservait des curiosités mais il fallait toujours que son visage, que ses membres, que ses yeux qui luisaient qui larmoyaient qui fuyaient, il fallait toujours que son visage et ses membres et son regard trahissent la moindre de ses émotions.
— Alors qu’est-ce qui te met dans cet état ? s’étonna Achilles.
— Je sais déjà que, dans le numéro qui paraîtra, il y aura quelque chose à propos de moi. Quelque chose, qui n’est pas vrai, et il faut que tu me croies.
— Et si tu me disais ce qu’il en est ?
— Tu ne vas vraiment, vraiment pas apprécier.
Et sans surprise, Achilles se tendit, quoi qu’il garda le visage impassible et à la manière des Fawley, à la manière, Mabel l’avait remarqué également, d’Isabella Ollivander, de Hamza Shafiq et de Daphné Greengrass, leur professeuse de Métamorphose.
Pour Mabel, qui était née de Moldus et ne connaissait rien des traditions sorcières avant qu’on ne lui découvre un univers entier l’année de ses onze ans, les cours de maintien et d’étiquette avaient longtemps été une bizarrerie archaïque réservée aux seules familles royales – elle avait été très surprise d’en découvrir l’équivalent et à une grande échelle dans une société qui se prétendait plus avancée, et plus surprise encore la première fois qu’Achilles lui avait expliqué que ces préceptes étaient bien fades comparés à ceux que ses parents avaient dû intégrer.
— Le mieux à faire, Mabel, c’est que tu me dises maintenant ce qu’il en est parce qu’autrement, mon imagination va faire le reste et je crois bien que ce sera encore pire, énonça Achilles avec un calme remarquable.
— Ce n’est rien de si catastrophique, s’empressa de rétorquer Mabel. Il est, seulement, comment dire, il est possible que dans le prochain numéro, il soit question d’une, tu vois, d’une… d’une romance. Entre moi. Et… et James, James Potter.
— D’une romance ? Entre toi, et James Potter ?
Cette fois même Achilles ne parvint à préserver son apparente neutralité et il se dégagea des bras de Mabel pour croiser les siens contre sa poitrine.
— C’est absolument faux ! s’exclama Mabel. C’est absolument, totalement et définitivement faux, il ne s’est rien passé entre James et moi, mais c’est un mensonge dont on a convenu tous les deux.
— Et pour quelle espèce de raison avez-vous convenu de feindre une relation ?
— James est victime de chantage, répondit Mabel en sentant se durcir les traits de son visage. Et, je ne peux pas te dire ce qu’il en est précisément parce que c’est un secret qui ne m’appartient pas, mais j’ai fait ça pour le protéger. C’est tout, ce sera tout et il n’y aura rien de plus, il n’est pas question de feindre cette prétendue idylle et on, on pourra raconter qu’elle remontait à avant cet été, à avant, avant toi et moi parce que… parce que la seule personne avec laquelle je veux être, c’est toi, Achilles.
Elle tenta de prendre ses mains dans les siennes mais Achilles les garda si serrées, quasiment sous ses aisselles, que Mabel ne parvint pas à les attraper. Alors, elle se contenta de lui jeter un regard larmoyant, et d’articuler silencieusement mille excuses parce que c’était vrai, elle s’était attachée à Achilles.
Il n’était pas la première personne qu’elle avait aimée, et si Mabel devait être parfaitement honnête envers elle-même, elle éprouvait toujours des sentiments à l’égard de James – peut-être parce que la seule pensée du jeune garçon lui laissait un désagréable parfum d’inachevé. Mais Achilles l’avait vraiment charmée et elle s’était surprise à l’apprécier, lui aussi, et bien plus qu’elle ne l’aurait pensé de primes abords. Ils avaient souvent travaillé ensemble à la bibliothèque, la première fois autour d’une étude de runes qui faisait s’arracher ses longs cheveux roux à Mabel, et toutes les fois d’après, parce qu’ils appréciaient la compagnie l’un de l’autre.
Et puis Achilles l’avait invitée à déjeuner dans le parc, il avait rencontré ses amies et les avait conquis avec une facilité déconcertante, il lui avait enfin demandé de l’accompagner à Pré-au-Lard et l’avait embrassée pour la première fois, avec douceur et après le lui avoir demandé, dans les allées florissantes du village de pierres. Ils vivaient ensemble la romance dont Mabel s’était longtemps languie dans ses lectures victoriennes et elle n’avait pas envie d’y renoncer ; elle aimait Achilles, et surtout elle sentait qu’elle pouvait l’aimer encore plus fort, si leur histoire devait durer.
— Achilles, je te promets, il n’y a rien entre James et moi. Je ne t’ai jamais menti quand je t’ai dit que je t’appréciais. Et la seule raison pour laquelle j’ai menti cet été, c’est que James était dans une position réellement délicate, j’aurais d’ailleurs fait exactement la même chose pour n’importe lequel de mes amis qui me l’aurait demandé. Je suis sûre que tu l’aurais fait aussi.
— Il ne s’agira bien que d’une seule rumeur ?
— Je te le promets.
— Et elle ne sera étayée d’aucun élément concret qui viendrait lui donner du crédit ?
Mabel songea au baiser qu’ils avaient partagé, avec James, sur la jetée veillée par les oiseaux marins et sous l’œil vigilant d’un grand cormoran, et vraisemblablement de Saket Chakraborty. Elle était absolument certaine qu’il les avait photographiés mais ne l’avait-il pas affirmé à Rhian et James ? Il entendait donner une autre dimension aux Hiboux de Poudlard afin d’en faire son dossier de candidature à La Gazette du sorcier, qui se distinguait depuis de longues années déjà du voyeurisme de Magic Star et de ses quelques concurrents. Et alors, certainement, il lui faudrait produire un exemplaire qui soit plus distingué que celui qu’ils craignaient, avec James, il lui faudrait plus exemplaire qu’un titre racoleur les surplombant tous les deux, s’embrassant.
Aussi Mabel s’entendit-elle répondre à Achilles :
— Non, il n’y aura rien, rien du tout parce que la seule chose qui soit vraie, c’est toi et c’est moi.
Et tandis qu’il l’embrassait avec plus de passion qu’il n’y mettait d’ordinaire, ses mains plaquées sur les joues roses et presque rouges de sa petite amie, Mabel sentit quelque chose d’aussi familier que désagréable lui tordre les entrailles. C’était la culpabilité, la même qu’elle avait éprouvée un an auparavant, quand elle avait abandonné James, la même qu’elle avait éprouvée en servant un mensonge à son Directeur de maison, la même qu’elle avait éprouvée en glissant le long de la maison de James et en le laissant derrière elle, une nouvelle fois, la même, qui l’éreintait si bien chaque jour qu’elle ne savait plus qu’en faire.
C’était la culpabilité, qu’elle éprouvait désormais qu’elle servait un mensonge éhonté à Achilles, et qui la titillait d’autant plus qu’elle savait exactement ce qu’elle ressentirait toutes les prochaines journées qui s’étireraient avant la parution des Hiboux de Poudlard. Elle savait qu’elle guetterait, au petit-déjeuner, l’apparition des papiers sur les quatre tables de la Grande salle, qu’elle tendrait l’oreille, à chaque fois qu’elle entendrait son nom ou celui de James dans les mille conversations qui ricochaient entre les murs de Poudlard, elle savait le pic d’adrénaline, qu’elle ressentirait tant de fois qu’il deviendrait, peut-être, de la panique.
Mabel savait, mais elle savait aussi sa plus grande peur : alors elle se tut et se pressa contre les lèvres d’Achilles parce qu’il pourrait lui en vouloir demain mais demain pourrait aussi ne jamais exister et ce qui importait, c’était qu’il soit présent, maintenant. C’était de l’avoir, là, entre ses bras, et sa bouche contre sa nuque qui frôlait tout à la fois ses boucles et ses poils hérissés. Mabel se tut et répondit aux mille baisers que lui offrit Achilles avant qu’il ne soit l’heure pour les Préfets de se réunir et pour Mabel de s’en aller à la rencontre de ses amies.
Elle n’arpenta pas moins de cinq wagons avant de les retrouver et eut ainsi le loisir de saluer :
Dominique Weasley, l’autre Préfète des septième année de Serdaigle, qui lui jeta un regard si envoûtant qu’elle se stoppa net avant de hocher la tête et de lever les yeux au ciel cependant que la meilleure duelliste de Poudlard éclatait d’un rire sonore.
Hugo, à nouveau, qui avait rejoint Mykolas Bell-Nott, le demi-frère et cadet d’Ophelia, réparti lui à Gryffondor comme sa mère et Kitto Robins, dont la famille habitait les Cornouailles, à Tinworth, et fréquentait ainsi depuis des années Bill et Fleur et leurs enfants et, au fur et à mesure, tout le joli clan Weasley.
Michelle Doherty, dont elle partageait le dortoir depuis six ans et qui était la Préfète de son année à Gryffondor, avec Kolya, qu’elle traînait derrière elle sans manquer d’adresser des signes enjoués à la totalité des personnes qu’elle croisait.
Marigold Vaughn, emmitouflée dans son écharpe jaune, qui tenait entre ses mains une pile de livres si haute qu’elle lui mangeait le visage – elle demanda à Mabel, évidemment, si elle n’avait pas aperçu Louis.
Brooke Finnigan-Brown, fière Poufsouffle elle aussi, qui la serra longtemps, très longtemps dans ses bras avant que Nina Shacklebolt ne passe sa tête dans l’embrasure et lui annonce qu’Hamza avait une histoire phé-no-mé-nale à leur narrer, Brooke promit de la conter à son tour à Mabel.
Elle croisa Saket Chakraborty, qu’elle ignora avec superbe, infligeant le même traitement à Harry Trescothick et Madison Todd, qui partageaient son compartiment.
Et enfin elle ouvrit une porte qui les découvrit :
Okah Baba, sa meilleure et première amie, qui l’avait prise sous son aile dès leur premier trajet pour Poudlard en lui chantant les milles légendes dont ses parents, des sorciers eux aussi, l’avaient abreuvée depuis l’enfance. Elle était en particulier fascinée par les créatures magiques et c’était à elle que Mabel devait le choix de cette option. Okah avait deux sœurs cadettes, des jumelles, Titilayo et Olabisi qu’elle couvait avec une dévotion sans faille et si bien que ses amies s’étaient surprises à le faire elles aussi, un beau jour. Mabel les aimait toutes les trois, mais Okah, qui portait toujours comme une couronne ses longs cheveux tressés, Okah qui récitait les poésies qu’elle avait elle-même écrites et inventait les meilleures plaisanteries, Okah était assurément sa favorite.
Il y avait ensuite Lucya Wajs, dont les arrière-grands-parents maternels, des sorciers, avaient fui la Pologne à cause de Grindenwald et les arrière-grands-parents paternels, des Moldus, à cause du sinistre conflit qui rasa leur pays. Ils n’y revinrent jamais et un jour se rencontrèrent leurs descendants : de cette union naquit Lucya, enfant unique et choyée, qui avait les cheveux longs et blonds comme les blés et les yeux de l’azur qui en veillait les champs au début de l’été. Fière, intrépide et courageuse, elle se battait aussi bien sa baguette à la main qu’à la Moldue, et effectuait des prouesses sur un balai. Ses parents habitaient un manoir qui accueillait la quasi-totalité des fêtes de leur promotion, l’été, mais ce que Lucya y préférait, c’était la roseraie qu’elle mettait un point d’honneur à n’entretenir qu’au naturel. Et elle avait créé une rose pour chacune de ses amies – celle de Mabel était d’un rose pâle à l’odeur boisée.
Et, contre la fenêtre derrière Okah et Lucya, était appuyée Charlotte St Clair, assurément la plus discrète des quatre amies même si, au contraire de Mabel, elle n’était pas timide pour une Mornille : elle n’avait pas peur de s’exprimer devant un public et rêvait même de devenir comédienne, mais elle éprouvait fréquemment le besoin de s’isoler loin du bruit qui agitait les couloirs les plus fréquentés de Poudlard et leur salle commune. Elle leur préférait, de loin, la lisière de la forêt, et c’était à cet endroit qu’avec Mabel, elle avait noué ses premiers liens. Charlotte connaissait Michelle depuis l’enfance et l’avait longtemps suivie sans chercher à connaître les autres filles de son dortoir, mais les liens très exclusifs qu’avaient noués Michelle avec Rhian l’avait peu à peu isolée. Elle s’était trouvée de nouvelles amies en Mabel, Okah et Lucya, qui appréciaient son imagination et sa douceur, jusque dans les traits de son visage ovale qu’encadraient des cheveux châtains et si lisses qu’ils paraissaient l’être par magie.
À leur vue à toutes, Mabel sentit son cœur se gonfler et se gonfler cette fois de quelque chose de grand de quelque chose, d’exaltant : et c’était tout l’amour qu’elle ressentait pour chacune de ces trois filles.
— J’en connais une qui est passée voir son Achilles, s’exclama Lucya la première et la bouche en cœur.
— Et je tiens d’ailleurs à dire que je suis indignée, véritablement indignée, que tu le privilégies à tes amies, renchérit une Okah survoltée.
— Mais si tu y réfléchis bien, c’est nous qui sommes privilégiées, puisque nous allons passer les trois quarts du trajet avec elle, objecta Charlotte.
— Et heureusement ! Les copines avant les garçons, les filles, n’oubliez jamais ça : les copines avant les garçons.
— Et avec les filles, c’est comment, est-ce que les copines passent avant aussi ? s’enquit Mabel en s’installant à côté de Charlotte, qui n’occupait toujours qu’un pauvre coin de la banquette et semblait vouloir se fondre dans la fenêtre, et les paysages verdoyants qu’elle découvrait désormais.
— Oui, ne crois pas non plus qu’on ne t’a pas vue tourner autour de Rhian, à cette soirée chez moi, rebondit Lucya. Rhian, Okah, sérieusement ? Tu passes ton temps à dire que tu la trouves hautaine !
— Je passe aussi mon temps à dire que je la trouve jolie ! s’indigna Okah. Et c’était une fille que j’avais envie d’embrasser ce soir-là, pas un garçon.
Ces quelques mots suffirent à replonger Mabel dans le souvenir du baiser qu’ils avaient échangé, avec James, et à lui rappeler surtout la chaleur qu’elle avait ressentie alors. Mais James avait ses propres histoires, ses secrets, elle l’avait d’ailleurs aperçu avec Kolya dans un couloir et elle avait bien noté les cernes profonds qu’il avait sous les yeux. Elle, elle avait Achilles, elle avait Okah et Lucya et Charlotte, elle avait Brooke, elle avait Rose et Hugo et c’était un équilibre qui lui paraissait si fragile, déjà, qu’elle craignait à en cauchemarder de le voir s’effondrer. Mabel avait ses deux dernières années d’étude à Poudlard devant elle et la seule chose qu’elle en attendait était un ancrage, enfin, c’était de solidifier ses liens et de construire quelque chose, peut-être, qui ressemble à une vie.
Une vie, en vrai, une vie de grande une vie pour elle, et une vie avec.
Le joyeux babillage de ses amies la berça jusqu’à la gare de Pré-au-Lard, où elles se laissèrent conduire par les carioles qu’Okah et Mabel savaient conduites par les Sombrals, elles l’avaient appris avec Hagrid. Depuis Mabel se prenait à tendre sa main dans le vide jusqu’à sentir la croupe de ces créatures sans toutefois les apercevoir : et elle aimait à penser que c’était une preuve comme un heureux présage. Elle les contempla longtemps, mélancolique, avant que Lucya ne la somme pour la énième fois de lui narrer son été, vraiment, n’avait-elle rencontré personne, n’avait-elle pas voyagé, et elle lui servit une histoire plus édulcorée encore que celle improvisée pour Neville Londubat : son père avait été malade, ils n’avaient pas pu partir et elle l’avait surtout veillé, elle était heureuse, si heureuse de retrouver Poudlard et avait hâte des mille aventures qu’elles vivraient certainement toutes les quatre, cette année.
La répartition leur parut bien longue, et surtout à Charlotte qui salivait à la pensée du dîner depuis qu’elle avait englouti la dernière des Chocogrenouilles de la dame au chariot. Fait notable, aucun des cousins et cousines et de James n’était réparti ce soir-là, alors que l’année passée avait vu toute l’assemblée retenir son souffle à la répartition de Lily Potter et Hugo Granger-Weasley. Mabel, Okah, Lucya, Charlotte, Michelle, Rhian, James, Charles, Tristan et Kolya, ils firent l’effort d’applaudir Thalia Deauclaire, la première des répartis à Gryffondor, tandis qu’un certain Alasdair Jordan, réparti à Serdaigle, s’asseyait immédiatement aux côtés de Kitto, l’ami de Hugo. Le banquet s’avéra à l’ordinaire, supérieur à toutes leurs plus grandes attentes après deux mois passés en-dehors des murs de Poudlard, et les filles mirent un temps infini à se coucher, dans leur tour qui surplombait le parc obscurci et son lac scintillant, trop excitées à la pensée de découvrir leurs emplois du temps qu’on leur avait promis allégés, la cinquième année et ses BUSE passés.
Et cependant au matin, lorsque Neville Londubat distribua à chacun de ses élèves de Gryffondor le précieux parchemin, Mabel ne prit même pas la peine de le parcourir. Son professeur et, entre autres choses, Directeur de maison, lui désigna le bout de la tablée d’un signe de la tête qui se voulait certainement discret – mais il n’échappa ni à Okah, ni à Lucya et Charlotte, ni à dire vrai, à aucun des élèves qui les entouraient et au premier rang desquels, James.
Mabel pensa qu’elle devait lui parler. Elle pensa qu’elle voulait lui parler, le remercier de l’avoir hébergée, pour une nuit cet été, et lui demander s’il avait pu arranger les choses, avec Saket et avec Kolya. Elle pensa qu’il serait vraiment plus sage de dire toute la vérité à Achilles. Elle pensa qu’elle serait certainement arrêtée si elle inventait un maléfice privant à tout jamais Saket Chakraborty de la parole et l’écriture. Elle pensa à l’invitation de Rose et Hugo et à la déception qu’éprouverait Hagrid lorsqu’il apprendrait que Charlotte avait abandonné le cours de soins aux créatures magiques et elle pensa, songea mille choses à la fois encore, sans que ça n’empêche Neville Londubat de l’attirer à l’écart et son propre corps de le suivre, machinalement, pour s’entendre dire enfin :
— Comment va votre père, Mabel ?
Et alors les mille pensées s’entrechoquèrent, conférant à son visage une expression qui dut servir de réponse à Neville puisqu’il se contenta d’une main maladroite sur son épaule droite et d’une phrase, une seule, qui s’était voulue rassurante :
— Ne vous en faites pas, nous pourrons nous retrouver chez vous à l’hiver, les congés commencent quelques jours avant Noël.
Mabel sourit, puisant au plus profond de ses entrailles la force nécessaire à cet exercice, simple, celui que de faire bouger les muscles de son visage tout en figeant ceux qui lui entouraient les yeux, et elle en oublia de cligner des paupières, elle en oublia de hocher la tête, elle en oublia même de noter que Neville Londubat s’était éloigné parce qu’à la pensée de retourner chez elle, le reste de ses forces l’avait abandonnée. Et il lui fallut croiser le regard songeur, pire, le regard interrogateur de James pour reprendre pied avec la réalité, pour balbutier aux filles qu’elle avait un courrier à envoyer à son père avant la première classe et qu’il était inutile de l’accompagner à la volière et qu’elle les retrouverait au cours de Sortilèges et pour, prendre, la direction, des, toilettes, au, deuxième étage, se, dé-com-po-ser, avant de s’afficher, impassible, au premier cours de l’année.
End Notes:
Merci d'avoir lu ♥♥
N'oubliez pas de me donner votre avis dans une review, elles sont une réelle motivation pour avancer dans l'écriture d'une histoire longue ♥
Author's Notes:
Hello hello, un nouveau chapitre aujourd'hui ♥
Il vient plus tard que je l'espérais, mais j'ai repris le travail sans être encore en grande forme physiquement et il m'a fallu un petit temps d'ajustement.
Je dois avouer aussi que l'absence totale de retour (à part le message de Cachou ♥) sur le chapitre précédent ne m'a pas spécialement motivée.
Mais ça va maintenant o/
Bonne lecture !
Les trois premiers jours de cours filèrent à une vitesse folle pour Mabel et ses amies. Lucya les passait à trépigner à la pensée de retrouver le terrain de Quidditch, chaque soir, qui lorsque les sélections n’avaient pas encore eu lieu était en accès libre pour les élèves des quatre maisons qui souhaitaient s’y entraîner et, dans son cas à elle, se délester d’un trop-plein d’énergie permanent. Okah et Charlotte profitaient de leurs heures de creux pour s’entraîner, la première, à devenir un Animagus et la seconde, au chant, avec la chorale de Poudlard. Mabel, elle, ne constatait pas de vraie différence entre sa cinquième et sa sixième année : elle avait conservé la totalité de ses matières à l’exception de l’Histoire de la magie, mais elle ne l’avait abandonnée que par ennui du Professeur Binns. Elle passait donc les heures autrefois allouées au fantôme à la bibliothèque, le plus souvent en la compagnie d’Achilles ou de Rose, à suivre par elle-même le programme avancé. Mais il ne se passa pas une seconde sans qu’elle ne songe à la meilleure façon d’aborder James et, surtout, à ce qu’elle lui déclarerait alors. Elle avait déclamé plusieurs tirades devant le miroir de la salle de bain, qui, à la troisième reprise, l’avait supplié de se taire et d’agir lorsque, enfin, l’occasion se présenta.
C’était le samedi matin, il était à peine huit heures, et dans le dortoir de Mabel, toutes les filles dormaient à poings fermées, sauf elle. Mabel avait le sommeil agité, très haché, et veillait rarement passée l’aurore. Aussi glissa-t-elle hors de son lit, avec la force de l’habitude ou de la résignation ou peut-être des deux à la fois, et elle fila à la Grande salle où elle espérait retrouver Brooke Finnigan-Brown, son amie de Poufsouffle, qu’elle savait matinale elle aussi. Et Mabel s’était à peine installée sur le banc des jaunes et noir, côté porte comme Brooke aimait à le faire, qu’elle eut la surprise de voir James investir la rangée juste en face d’elle.
— Poulton, lâcha-t-il avec un sourire espiègle.
— James, balbutia Mabel. James, qu’est-ce que tu fais là ?
— La même chose que toi.
— Tu prends ton petit-déjeuner ? À la table des Poufsouffle ?
— Je voulais voir Brooke. Mais je voulais te voir aussi, alors je dirais que ma journée commence bien.
Mabel haussa un sourcil tandis qu’il attrapait une tartine et la badigeonnait de confiture à la mûre – c’était son parfum préféré, à Mabel, mais James n’eut pas même besoin de lever les yeux pour la voir loucher sur son met, qu’il la lui tendit machinalement, avant d’en préparer une autre pour lui.
— J’ai remarqué que tu n’en prenais jamais d’autre, dit-il la tête toujours baissée et alors, Mabel oublia tous les grands discours qu’elle avait récités à son miroir récalcitrant.
Elle se leva, attrapa l’unique pichet de jus de pomme de la tablée entre les mille carafes remplies de jus de citrouille, en servit un grand verre qu’elle poussa jusqu’à James, une fois rassise devant le jeune garçon.
— Et moi je sais que c’est ton préféré, prononça-t-elle en cherchant à attraper son regard.
James mit encore quelques secondes à se redresser, et à planter ses yeux bruns, très foncés, dans le bleu azuré de Mabel. Il avait les joues un peu roses, son demi-sourire aux lèvres, mais sans se détourner cette fois, il rétorqua :
— Je pensais t’en servir un verre de nos propres pommiers, cet été, tu sais, quand je t’ai hébergée.
Et alors, Mabel sourit parce que : parce qu’il n’y avait rien de plus James, de plus terriblement James que ces quelques mots sarcastiques lancés avec un sourire enjôleur et à la fois cette lueur, d’inquiétude, de sollicitude dans le regard. Mabel sourit, parce qu’elle aimait les joutes verbales elle aussi, et qu’à eux deux ils en avaient composé de splendides comme elle n’y parvenait pas avec Charlotte, trop douce, avec Okah, trop susceptible, et comme elle ne s’y risquait pas avec Lucya dont l’insouciante exubérance et la voix forte braquaient trop de paires d’yeux sur ses interlocutrices. C’était un fait, ses amies, Mabel les adorait. C’était un autre fait, elle jouait, et pas seulement avec elles : Mabel portait un masque en permanence qui contenait son grand cri au bord des lèvres. Elle était si terrifiée à la perspective de n’être pas aimée qu’elle réfléchissait la moindre de ses interactions avec ses proches dans l’objectif de ne pas les décevoir, dans l’objectif, qu’ils continuent à l’apprécier.
Et puis, il y avait eu James, dont elle s’était tant méfiée et agacée les premières années à Poudlard qu’elle ne s’était guère souciée de ce qu’il penserait d’elle, les fois où ils ne s’étaient retrouvés que tous les deux – et parce qu’elle ne s’en était pas souciée elle l’avait laissé entrevoir sa personnalité comme personne ne l’avait jamais fait, son sarcasme, son espièglerie, ses opinions tranchées et sa passion, sa vulnérabilité, aussi.
Il n’y avait rien de plus James que sa prévenance, il n’y avait rien de plus vrai que ce qu’il voyait en elle, et il n’y avait rien de plus Mabel que de s’y accrocher, presque avec désespoir.
— J’ai voulu t’épargner d’avoir à présenter une conquête à l’apparence débraillée et tout ça, au petit-déjeuner après avoir manqué la case dîner.
— Oh, c’était donc un acte de pure générosité de ta part.
— Je dirais même, de courage, puisque j’ai risqué mon intégrité physique à m’esquiver depuis ta fenêtre.
— Une fière Gryffondor si je n’en ai jamais vue.
Mabel aurait pu enchérir, ou s’en tenir à cette réplique satisfaisante et leur servir de nouvelles tartines. Elle aurait pu attendre Brooke et les écouter, James et elle, lui raconter ce qui avait été une soirée estivale dans la lande irlandaise avec des envolées lyriques pour l’une et sarcastiques pour l’autre qui l’aurait fait se demander s’ils décrivaient bien le même évènement. Mabel aurait pu s’arrêter, se contenter de ces échanges et avec la certitude tranquille que James n’insisterait pas parce qu’elle le savait, il n’était pas comme ça, mais alors : alors elle n’aurait pas été une fière Gryffondor.
Alors, elle n’aurait surtout pas été une fière amie.
— Mais James, quand même, je te dois des excuses, murmura-t-elle en croisant ses bras sur l’épaisse table en bois.
— Tu ne me dois rien du tout, Mabel.
— Je ne peux pas te donner une explication satisfaisante. Mais je sais l’impression que j’ai dû te donner, je sais que tu as dû t’inquiéter que je disparaisse ensuite jusqu’à la rentrée, et pour ça, je peux te présenter mes excuses.
— Je m’inquiète pour toi, avoua James.
— Je comprends.
— Tu ne vas pas me dire que je ne devrais pas ?
— Je sais l’impression que j’ai dû te donner cet été, répéta Mabel en enfonçant ses ongles dans ses avant-bras.
James la vit faire, bien sûr, parce qu’il avait noté plus d’une fois toutes ces manies qu’elle avait, ces manières, de se ronger les ongles à sang et de se pincer les poignets et de s’arracher la peau des lèvres. Il vit Mabel, et il voulut prendre ses mains dans les siennes, mais tout ce qui lui avait paru naturel et spontané à Gloucester avait soudain un autre parfum, entre les murs de Poudlard. Ils pourraient être scrutés, ils pourraient être commentés, ils pourraient alimenter la rumeur qui leur pendait au nez et Mabel avait été claire, elle ne voulait pas de l’exposition à laquelle James s’était résigné.
Il vit Mabel, il ne glissa pas ses doigts entre ses mains crispées pour les dégager de ses coudes, il ne fit pas valdinguer la vaisselle et les mets pour l’attirer dans une étreinte mais il lui dit :
— Écoute, je sais que j’ai dit que tu ne me devais rien du tout, mais à l’inverse s’il te plaît, ne pense pas que ça ne m’intéresse pas : si tu as besoin de parler, si tu as besoin de me dire, quoi que ce soit, tu n’hésites pas. Tu le sais, ça ?
— Je sais, James, murmura Mabel.
Et sans plus se soucier des quelques regards curieux qui les entouraient – il n’était plus rare de voir les élèves des quatre maisons se mélanger dans la Grande salle mais James attisait la curiosité et Mabel n’était pas connue comme l’une de ses amis – elle étendit son bras droit devant elle, le posa bien à plat sur la table en bois et entrouvrit ses doigts que James s’empressa de saisir. Il les saisit avec presque, une frénésie, et en tout cas sans lâcher Mabel des yeux. Elle apprécia de sentir la chaleur de sa paume contre la sienne mais, surtout, elle se sentit rassénée. Parce que James la couvait avec une tendresse qui lui donna la sensation, pour quelques longues secondes, de flotter dans du coton.
Pourtant elle ne lui dit rien.
Et parce que James n’entendait pas souffler mot non plus, parce qu’il n’était pas prêt à se confier, se confier pour de vrai, il respecta le silence de Mabel.
Mabel, qui avait tant couru cet été qu’elle s’était perdue, sur quelque route oubliée. Mabel, qui d’aussi loin qu’elle s’en souvenait, courait, et luttait, luttait pour ce besoin des plus élémentaires : celui de respirer. Mabel, qui avait des amies, et qui leur disait tout de ses passions, de ses rêves, mais qui taisait ce qu’elle était au plus profond d’elle-même parce qu’elle n’était mue que par la peur, et par la douleur. Mabel, qui parfois, aimait ce qu’elle voyait dans le regard d’Okah, de Lucya, de Charlotte et de Brooke et de Rose, Mabel qui ce jour-là, aimait plus qu’elle ne l’avait jamais fait ce reflet qu’elle croyait percevoir dans les pupilles de James. Et Mabel qui, le reste du temps, haïssait cette image faussée qu’elle renvoyait, la haïssait si bien qu’elle confondait désormais la haine et l’estime d’elle-même.
Mabel n’avoua rien à James, rien qu’elle n’avait pas déjà tu aux filles, rien qu’elle n’avait pas déjà tu au Professeur Londubat et au reste du corps enseignant, rien qu’elle n’avait pas tu, toujours, aux rares adultes qui lui avaient tendu – trop tard – une main hésitante.
Mais elle posa son autre main, la main gauche, sur leurs deux mains droites entremêlées à James et elle. Et sur leurs visages s’esquissèrent deux sourires francs qui firent naître, chez l’un ses fossettes, chez l’autre, ce qui ressemblait à des paillettes dans ses iris pâles.
— Et ce goûter chez Hagrid, au fait ? s’enquit Mabel après ce qui aurait aussi bien pu être une seconde, une heure, une éternité dans les yeux foncés foncés foncés et, qui pétillaient.
Elle replia ses deux bras contre elle-même en même temps qu’elle s’exprimait, avant de glisser ses mains sous ses cuisses et de se pencher légèrement en avant, en se mordillant la lèvre inférieure. James, lui, en profita pour attraper et engloutir aussitôt une part de brioche, avant de lui répondre, les yeux ronds :
— Tu n’es pas au courant ?
— Au courant de quoi ?
— Pour Hagrid.
— J’ai eu cours avec Hagrid hier après-midi, tout était bien, il m’a lancé le « à demain » le plus tonitruant possible et maintenant c’est le matin. S’il s’est passé quelque chose entre-temps, évidemment que je ne suis pas au courant, tout le monde ne passe pas ses nuits à rôder dans les couloirs et à écouter aux portes !
— Je ne confirmerai ni n’infirmerai ces dernières paroles, mais pour ta gouverne, j’ai passé la nuit dernière dans mon lit, s’offusqua James en plaquant ses deux mains contre sa poitrine dans une théâtralité exagérée.
Mabel attrapa alors une autre tartine qu’elle lui lança au visage, donnant à James un air outré et surtout, l’envie de répliquer aussitôt, mais il n’eut pas le temps d’engager une véritable bataille.
Brooke, emmitouflée dans son écharpe jaune, s’était soudain laissée tomber sur le banc à côté de Mabel, et elle attira aussitôt son amie à elle dans une étreinte chaleureuse. Elle prit ensuite son visage fin entre ses deux mains, l’examina soigneusement, à la recherche du moindre changement ayant pu survenir depuis deux mois, et puis elle claqua finalement deux baisers très sonores sur les joues devenues roses de Mabel.
— Je suis tellement contente de te revoir ! s’exclama Brooke.
— Mais tu m’as vue dans le train, mardi, et hier pendant le cours de Soins aux créatures magiques.
— Ce n’est pas du tout pareil, affirma Brooke en ponctuant chacun de ces mots d’un mouvement de ses mains. Je voulais dire que ça me fait plaisir de te voir enfin seule à seule et pas au beau milieu d’une assemblée.
Mabel dut réprimer un rire en entendant un toussotement à peine subtil depuis le banc qui leur faisait face, mais Brooke poursuivit, impitoyable :
— Tu es au courant pour Hagrid ?
— Eh ! J’allais lui dire pour Hagrid ! s’indigna aussitôt James.
Brooke pouffa de rire tandis que Mabel, l’âme présentement plus charitable, serrait fort les bras contre sa poitrine pour rester la plus impassible possible.
Elle aimait beaucoup James, elle aimait beaucoup Brooke, et elle adorait la dynamique entre ces deux-là. Si Rhian était hautaine, de primes abords, et extrêmement protectrice envers James, Brooke semblait, elle, avoir été bâtie comme son opposée. Elle était joviale, très accueillante et une amie des plus loyales en parfaite Poufsouffle, mais elle traitait James comme un petit frère : avec bienveillance et beaucoup, beaucoup de taquineries.
Et de fait, ils avaient grandi très près l’un de l’autre, Brooke et James : elle était née en novembre 2003, lui à l’été 2004, et leurs parents habitaient alors ensemble, avec d’autres de leurs amis, dans la grande maison de Dean Thomas. Puis, Harry et Ginny Potter avaient acquis et reconstruit leur propre demeure, Lavande et Seamus Finnigan-Brown les avait d’abord imités avant de retrouver Dean, et Katie Bell, et Hannah Abbott, et Theodore Nott et d’autres encore à la naissance de leurs jumeaux, Connor et Ciara. Il y avait eu ensuite, Saoirse, nommée après la liberté et l’installation des Finnigan-Brown en Irlande au milieu des bruyères et enfin, le 2 octobre 2017, alors que Brooke était déjà en troisième année à Poudlard, Oonagh était née, la petite dernière. Et pendant tout ce temps, Lavande et Seamus n’avaient jamais cessé de voir Harry et Ginny, et Dean, et Parvati Patil, et Ron et Hermione Granger-Weasley, leur génération, génération sacrifiée, génération endeuillée, génération fêlée qui s’était épaulée, pour panser les blessures. Les pères de James et de Brooke travaillaient ensemble au bureau des Aurors, Lavande était devenue très proche de Hermione dont elle avait dirigé la campagne pour le poste de Ministre de la Magie, en 2013 et alors enceinte de Saoirse et les enfants, les enfants de la génération retrouvée, ils avaient grandi les uns avec les autres.
C’était de Brooke, dont James se sentait le plus proche, même s’il s’entendait aussi très bien avec la grande fratrie Robins : le rusé Penrose, le passionnant Kitto, la flamboyante Rosenwyn et le petit Lowen, cinq ans, dont il était même le parrain, et qui étaient les enfants de Demelza Robins, l’une des meilleures amies de sa mère.
Mabel leur enviait beaucoup leur enfance, à Brooke et James, elle leur enviait ces longs regards de connivence qu’ils échangeaient à la vue de la moitié des élèves, des professeurs et de n’importe quel sorcier ou sorcière. Elle leur enviait les tableaux d’un bonheur insouciant qu’elle s’était peints mentalement à force de se les entendre narrer, au point de n’avoir pas toujours conscience que la narration, au fil des ans, était principalement devenue celle de Brooke – James, en fidèle camarade, ne disait certes que du bien de ses amis, mais il esquivait les conversations qui flirtaient avec la famille et avait trouvé, en cela, l’interlocutrice idéale en Mabel.
— Allez, reprit cette dernière, dites-moi ce qui est arrivé à Hagrid, tous les deux, avant que je commence à m’inquiéter pour de vrai.
— C’est son Crabe de feu ! s’écrièrent Brooke et James de concert.
— Tu sais, celui qu’il a recueilli à la fin de l’année scolaire, poursuivit Brooke.
— Et qu’il appelé John-John, précisa James.
— Le nom parfaitement adéquat pour un Crabe de feu, marmonna Mabel.
Le cours de Soins aux créatures magiques faisait partie de ses favoris, et il ne ressemblait guère aux souvenirs de sa mère et son père qu’avait parfois confiés Brooke. Mabel le suivait avec passion et, née de Moldus, n’avait guère d’autres occasions d’admirer des créatures magiques, mais même à elle, la capacité qu’avait Hagrid à traiter des animaux potentiellement dangereux – qui savaient par exemple cracher du feu – comme s’ils avaient été d’adorables hamsters faisait parfois lever les yeux au ciel.
— Et bien, le souci, c’est que John-John a priori, est plutôt…
— Johanna-Johanna ? lâcha James avec le sourire jusqu’aux oreilles.
— …
…
— Comment ça ?
— C’est une femelle, expliqua Brooke.
— Qui a couvé cet été.
— Et ses œufs ont justement éclos cette nuit !
— Alors, pour que les bébés Johanna-Johanna puissent manger, nous, notre goûter est annulé, déclara James la main sur le cœur.
Mabel contempla ses amis, incrédule, sans savoir s’il convenait de les croire ou pas, avant de se rappeler que cette histoire était parfaitement réaliste et que, de toutes celles qui lui avaient été contées au sujet de Hagrid et de son amour des créatures magiques les plus farfelues, celle de John-John ou Johanna-Johanna, peu importait, n’était assurément pas la pire.
Et puis, Brooke n’éclata pas d’un rire brusque, tandis que James, lui, paraissait sincèrement peiné à l’idée d’être privé de goûter. Mabel comprit alors qu’ils ne lui mentaient pas et ce fut elle, qui se mit à rire aux éclats. Brooke la rejoignit très vite dans son hilarité. James se contenta de maugréer mais il avait le sourire beaucoup trop large pour que les filles considèrent sérieusement son indignation.
Ils achevèrent leur petit-déjeuner tous les trois, et puis Brooke proposa à James d’aller voler avant que le terrain ne soit trop occupé. Elle ne faisait pas partie de l’équipe de Quidditch de sa maison, elle se disait de nature trop anxieuse pour supporter la pression des matchs et même des entraînements, mais elle aimait voler pour le plaisir lorsque les équipes ne s’accaparaient pas le terrain. James formait quant à lui un redoutable trio de Poursuiveurs avec Lucya et Alfred Nolan, d’une année leur cadet. Lorsqu’il était en deuxième année, James avait postulé pour devenir l’Attrapeur des Gryffondor, mais la capitaine l’avait jugé plus adapté au poste de Poursuiveur du fait notamment de ses prouesses acrobatiques. Mabel se souvenait qu’il avait hésité, et longuement sollicité l’avis de ses cousines Victoire et Dominique, avant d’accepter la proposition. Il n’était toutefois devenu véritablement à l’aise dans l’équipe qu’au début de la quatrième année, lorsque les élèves plus âgés l’avaient quittée et que Lucya avait été sélectionnée – ils s’étaient accordés très rapidement et devinaient les intentions l’un de l’autre sans avoir besoin de s’exprimer. Alfred avait intégré leur ballet un an après et les Gryffondor avaient alors emporté la coupe de Quidditch et James, le trophée du meilleur joueur, pour avoir marqué à lui seul plus de la moitié des points de la finale qui avait opposé sa maison à Poufsouffle.
Mabel, sujette au vertige, s’était contentée des cours de vol obligatoires de la première année avant d’intégrer le club de duel, dirigé par Dominique Weasley, qui était considérée comme le meilleur espoir de sa génération. Mabel aimait beaucoup l’entraînement auquel Dominique les astreignait : il était certes exigeant magiquement mais, surtout, il l’était physiquement, et en-dehors du Quidditch, Poudlard ne proposait aucune autre activité sportive. Charlotte avait plus d’une fois déploré qu’il ne soit proposé aux étudiants d’autres options sportives, peut-être en lien avec le cours d’étude des Moldus, mais elle avait déjà fondé le club de théâtre de l’école et chantait en plus au sein de la chorale – son emploi de temps surchargé ne laissait guère le temps à une activité extrascolaire supplémentaire.
Alors Brooke et James filèrent au terrain de Quidditch, et Lucya les y rejoignit une heure après ainsi que Nina Shacklebolt, et Mabel investit la bibliothèque où Rose vint vite la retrouver. La jeune Serdaigle jeta à Mabel des regards fréquents, bafouilla quelques mots, plusieurs fois, mais se reprit sans cesse pour poser à la place une question sur un devoir de Sortilèges, qu’enseignaient une Miraphora Lima particulièrement exigeante depuis le départ à la retraite de Filius Flitwick. Mabel n’insista pas ; elle ne le faisait jamais, et peut-être était-ce pour cette raison, mais ses amis aimaient se confier à elle en particulier. Elle savait que Rose finirait par le faire si elle en éprouvait réellement le besoin.
Mabel passa ensuite l’après-midi à flâner dans le parc avec Achilles, qui prenait très à cœur son nouveau rôle de Préfet-en-Chef et offrit à un groupe de première année une leçon sur les créatures magiques qui peuplaient le lac et la forêt, que Mabel enrichit de quelques anecdotes tirées de son cours avec Hagrid. Elle rejoignit ensuite Okah, Charlotte et Lucya pour le dîner et les quatre filles improvisèrent une soirée dansante dans leur dortoir, profitant de l’absence de Rhian et Michelle qui veillaient souvent tard dans la salle commune.
La semaine d’après, les filles profitèrent que les jours soient encore beaux et suffisamment longs pour arpenter le parc et se prélasser dans les prairies colorées aux cosmos, dont la floraison était tardive. Et puis, le rythme de la sixième année leur parut d’abord calme, après les interminables préparations aux BUSE de l’année passée. Elles en profitaient pour se consacrer à leurs autres activités et pour passer du temps avec leurs amis : Mabel fut ainsi invitée un vendredi soir dans le dortoir des Poufsouffle, par Brooke, et Charlotte passa beaucoup de temps avec Tristan Sheridan, ce que ne manquèrent pas de souligner ses trois amies.
Le goûter chez Hagrid avait été reporté d’une semaine, et il fut encore annulé après qu’Hugo ait écopé de deux retenues les samedi et dimanche, pour avoir fait exploser son chaudron pendant le cours de Potions. Le professeur Borage l’aurait peut-être compris, si Hugo n’avait pas jeté dans sa mixture l’ingrédient auquel il leur avait expressément interdit de toucher du fait de son explosivité. Mais Hugo, évidemment curieux et totalement inconscient, avait voulu éprouver le degré d’explosivité de la chose, et s’en était sorti avec une nuit à l’infirmerie et surtout une punition exemplaire dont même Rose avait jugé qu’elle était méritée.
La date était donc celle du samedi 19 septembre lorsque les enfants de Harry et Ginny Potter et de Ron et Hermione Granger-Weasley furent conviés, avec leurs amis, dans la cabane de Hagrid. Mabel, qui appréciait son Professeur mais n’avait jamais été invitée en sa demeure, arriva bonne première, ravie à la perspective de ce goûter. Elle décida d’attendre que les autres arrivent avant de toquer et ne patienta que quelques minutes pour que, à sa grande surprise, la silhouette de Rhian se découpe à l’horizon, seule. La jeune fille était souvent charriée par James pour ses retards réguliers, et Mabel avait pensé qu’elle viendrait avec ce dernier depuis le lac où elle les avait aperçus plus tôt. Mais c’était bien Rhian qui venait à sa rencontre, et elle marcha d’un pas pressé jusqu’à se planter juste devant Mabel, qui comprit alors que sa camarade de dortoir devait vouloir lui parler à elle, spécifiquement.
— Mabel, parfait, j’espérais t’attraper avant les autres.
Il fallait reconnaître à Rhian une honnêteté absolue : elle disait tout ce qu’elle pensait et ne cachait jamais rien de ses intentions envers les autres.
— Je voulais te remercier pour James, exposa Rhian avec une douceur qui ne lui était pas habituelle.
— Il l’a déjà fait.
— Je ne te parle pas en son nom à lui, mais au mien. J’apprécie ce que tu as fait pour lui cet été, et j’ai une idée de ce qu’il a pu t’en coûter, étant données les raisons pour lesquelles tu l’as repoussé il y a un an.
Et soudain Mabel n’était plus tout à fait certaine que l’honnêteté de Rhian soit une qualité, du moins qu’elle ne s’apparente pas, parfois, à une certaine rudesse voire de l’impolitesse, mais elle devait aussi reconnaître qu’elle n’énonçait que du factuel.
— Je suis désolée de l’avoir fait souffrir, tu sais, confia alors Mabel en croisant ses bras contre sa poitrine. Mais ce que j’ai fait cet été, ce n’était pas parce que je me sentais coupable. Je veux dire, en partie, mais c’est surtout parce que je pensais que c’était la bonne chose à faire. Saket n’aurait jamais, jamais dû le faire chanter.
À l’évocation du rédacteur des Hiboux de Poudlard, le visage de Rhian se durcit furieusement, et elle croisa elle aussi les bras contre sa poitrine tout en battant du pied sur le sol.
— Et je suis désolée qu’il t’ait exposée de la sorte, toi aussi, acheva Mabel dans un souffle.
Mabel songea que, si n’importe laquelle de ses amies s’était tenue de la sorte devant elle, elle l’aurait aussitôt enlacée. Mais Rhian avait les traits serrés, les épaules crispées et Mabel avait noté plus d’une fois qu’elle était très peu démonstrative et ne paraissait pas apprécier le contact physique. Elle se retint, mais ne sachant comment assurer la jeune fille de son soutien, elle se mit à jouer avec une mèche de ses cheveux tout en articulant :
— Comment va James ? Par, par rapport à… à Kolya. Il, il ne m’en a pas beaucoup parlé, et j’ai tout à fait conscience que ça ne me regarde pas, de toute façon, mais j’imagine que je voudrais juste, être sûre, tu saisis, qu’il ne va pas trop mal.
— Je n’ai jamais entendu quelqu’un relancer une conversation avec moins de subtilité, rétorqua aussitôt Rhian.
Et toutefois ses muscles parurent se décontracter, si bien que Mabel retint la réplique qui lui brûlait les lèvres parce que sur le visage de Rhian, naquit un sourire.
— James est la personne la plus courageuse que je connaisse, reprit Rhian. Mais il est le contraire de toi, tu sais : il n’est pas aussi fort qu’il veut bien le faire croire.
Soufflée par ces mots, Mabel ne perçut pas tout de suite les éclats de voix de Hugo, de Lily, de Mykolas Bell-Nott, Kitto Robins et de Adeline Zabini, qui débarquèrent en trombe à leurs côtés. Elle bredouilla de vagues salutations qui firent hausser un sourcil narquois à Adeline avant d’être sauvée par l’arrivée de Rose, Albus et Louis et enfin, James. Rhian le rejoignit aussitôt pour s’asseoir à côté de lui dans la cabane de Hagrid et Mabel suivit Rose, qui l’avait prise par la main, jusque dans le choix de son thé, qu’elle choisit à la violette comme son amie. Et elle fut reconnaissante à Hagrid de se lancer dans un émouvant discours sur les raisons-mêmes de ce goûter qui lui évita d’abord d’avoir à converser.
(Pas aussi fort qu’il veut bien le faire croire. Le contraire de toi. Tu es plus forte que tu ne veux le faire croire ? Ou tu n’es pas aussi faible ? C’est ça qu’elle pense, Rhian ? Que j’ai l’air faible ? Que je suis forte ? Faible, faible, faible, ou, forte ?)
Hagrid avait pris sous son aile le jeune Teddy Lupin, dès son entrée à Poudlard, ému par le sort du petit orphelin qui lui rappelait évidemment Harry, et la nuit désormais lointaine où il l’avait cueilli parmi les ruines de Godric’s Hollow. Et, naturellement, il en avait fait de même avec Victoire, Molly, Dominique, Lucy, Louis et Fred qui l’avaient suivi. Mais lorsque James avait effectué sa rentrée à son tour, Harry Potter lui avait écrit directement, à Hagrid, pour lui offrir d’inviter son aîné le samedi de la rentrée.
— Et il m’a même glissé, de faire attention à ce qu’il ne finisse pas par une escapade dans la Forêt interdite ! Et j’ai tenu ma promesse, bien sûr, cette fois-là en tout cas, même si je sais bien que depuis, tu t’y es aventuré plus d’une fois, qu’est-ce que tu crois ? Au moins, toi, tu ne fais pas prendre ! Ton père, et votre mère à tous les deux, narra Hagrid en désignant Rose et Hugo, avec Neville – enfin, le Professeur Londubat – ils ont fait perdre cent cinquante points à leur maison pour s’être trouvés dans la forêt, en pleine nuit, et en première année ! Tout ça parce qu’ils m’avaient si gentiment aidé à faire s’envoler Norbert…
Ron Granger-Weasley, qui avait évidemment tout su par son meilleur ami de l’amitié nouée entre son filleul et Hagrid, avait invité ce dernier à dîner, l’été d’après – et Harry et Ginny et leurs enfants avaient bien sûr été de la partie. L’hydromel, qu’Hagrid faisait maison, avait très vite délié les langues et Harry, Ron et Hermione, émus, avaient écouté leur ami le plus loyal narrer leurs premières aventures, avant de le faire fondre en larmes en le remerciant de leur avoir sauvé la vie, à toutes et tous et plus d’une fois. Il avait été décrété que leurs enfants honoreraient cette amitié en partageant à chaque rentrée un repas avec Hagrid et le repas était rapidement devenu un goûter, qui était – encore plus rapidement – devenu mensuel voire parfois hebdomadaire plutôt qu’annuel. Mais le goûter de rentrée était le seul, avant la saison de Quidditch, auquel James, Rose, Albus, Lily et Hugo s’efforçaient de venir ensemble et en amenant des camarades.
Très vite, la conversation dériva sur les vacances de chacun, mais Mabel n’eut pas le temps d’être embarassée : Rhian et James détournèrent habilement le sujet à la seconde où les yeux de Hagrid se posèrent sur elle, et elle leur en fut si reconnaissante qu’elle oublia pour un instant la remarque de Rhian. Hagrid évoqua ensuite son cours, et cette fois, Mabel fut naturellement amenée à participer :
— J’espère que tu continueras à étudier les créatures magiques, Mabel, tu es mon élève la plus brillante de la sixième année, déclara Hagrid.
— J’ai bien l’intention de présenter mon ASPIC dans la matière, l’assura Mabel tout en s’efforçant de faire abstraction du fait qu’il avait également qualifié Okah comme sa « meilleure étudiante » pas plus tard que vendredi.
— Et puis, Mabel est douée dans absolument toutes les matières, tu sais, rebondit James en offrant un clin d’œil à son amie embarassée.
— Elle est tout le temps fourrée à la bibliothèque avec Rose, confirma Hugo.
— Et comment est-ce que tu saurais ça, toi, pour le peu de temps que tu y passes ? le nargua Kitto.
— Hugo a promis d’y passer au moins une après-midi par semaine, cette année, s’empressa de répondre Rose, qui était toujours prompte à défendre son frère.
— Nous voilà rassurés, ricanèrent James et Mykolas de concert, qui avaient passé le vendredi dernier à commenter les exploits de Hugo en Potions.
— Moi, cette année, les coupa alors Lily, c’est le contraire : je vais passer moins de temps dans le château, et a priori, beaucoup plus sur le terrain de Quidditch.
— Tu passes les Sélections, finalement ? s’enquit Albus.
— Pour le poste d’Attrapeuse, oui, clama Lily le sourire aux lèvres.
— Et elle va être brillante, c’est certain ! se réjouit Adeline.
— Je me suis entraînée tout l’été avec ma mère, poursuivit Lily, elle m’a dit que j’avais un très gros potentiel et que c’était rare, à mon âge, surtout pour ce poste.
— Alors je ne me fais aucun souci pour toi : j’ai vu ta mère faire des exploits sur un balai, je lui fais confiance les yeux fermés, professa Hagrid.
Et les yeux, fermés, James les avait également, depuis l’instant où Lily avait évoqué son grand projet et peut-être même, à dire vrai, depuis que les vacances avaient été abordées. Mabel le remarqua aussitôt, elle sut que Rhian aussi puisque sa main glissa dans celle de James, sous la très lourde table. Et Louis, qui accompagnait Albus et n’avait pas dit un mot mais leur offrait à toutes et tous des regards curieux un sourire, qui semblait heureux, Louis fronça les sourcils lui aussi et prit la parole pour la première fois, posant à Hagrid une question au sujet des dragons, qui relança immédiatement la conversation sur les créatures magiques.
À la fin de l’après-midi, quand les rayons du soleil percèrent à travers les carreaux, à l’ouest, les invités de Hagrid repartirent un à un et Mabel voulut d’abord attraper James et lui retourner la question qu’il lui avait adressée, un samedi d’il y a deux semaines, au petit-déjeuner : si tu as besoin de parler, si tu as besoin de me dire, quoi que ce soit, tu n’hésites pas. Tu le sais, ça ?
(Sauf que
Mabel
elle n’avait pas su
lui parler lui dire
à James
quoi que ce soit,
n’est-ce pas ?)
Elle le laissa s’en aller, franchir les allées qui débordaient des dernières capucines de l’année et disparaître avec Rhian, elle laissa filer Hugo et ses amis, Lily et Adeline, Albus et Louis, soudain accaparés par un devoir de Sortilèges. Et il ne resta qu’elles : Mabel, et Rose.
Mabel réalisa alors que Rose n’avait pas eu d’autre invité qu’elle, si tant est qu’elle n’était que l’invitée de Rose, et pas celle de Hugo, et pas celle de James. Rose, dont elle s’était surprise à associer le visage rond, timide, à celui de Scorpius Malefoy, qui avait été réparti avec elle à Serdaigle. Ils s’étaient gentiment ignorés les premiers mois, et Rose passait le plus clair de son temps avec Albus et Louis, à Poufsouffle, ou avec Deirdre Brennan, une camarade de dortoir. Mais ils étaient sérieux, Rose et Scorpius, ils avaient à cœur de réussir et avaient vite emprunté les mêmes livres à la bibliothèque, fréquenté les mêmes allées, buté sur les mêmes pages. Ils avaient noué une amitié silencieuse autour de la lecture qui, avec douceur et au fil des ans, était devenue une amitié tout court qui faisait parfois la une des Hiboux de Poudlard – les rumeurs quant à la nature de leur relation étaient nombreuses et Saket s’en était fait le relai, jusqu’à ce qu’elles parviennent à Magic Star qui avait titré, au printemps dernier et en toute sobriété : Fille de héros, fils de Mangemort.
(Le procès que leur avait intenté les Malefoy et les Granger-Weasley avait été si coûteux pour le magasine qu’il avait dû renoncer à ses parutions estivales.)
Rose n’avait pas cessé, avant les vacances scolaires, de s’asseoir à côté de Scorpius. Ni de déjeuner avec lui, ni de l’accompagner dans le parc, ni de nouer son bras au sien pour arpenter les couloirs de Poudlard. Mais cette après-midi, Rose était seule, elle était seule sans Scorpius et l’avait été depuis le début de l’année : Mabel avait beau fouiller sa mémoire, elle ne se rappelait pas les avoir vus tous les deux, une seule fois.
Elle se rappelait seulement de Rose qui – Rose qui avait voulu lui parler, Rose qui bafouillait, essayait, renonçait, Rose, qui avait ses yeux très sombres plantés dans les siens désormais les yeux bleus de Mabel, Rose, dont les iris, brillaient.
— Rose, murmura Mabel.
Mais Rose ne répondit pas. Rose ne hocha pas la tête, elle n’entrouvrit pas même les lèvres au contraire, les mordilla, et les coins de ses paupières, ils s’affaissèrent. Et Mabel ouvrit ses bras en grand, l’attira à elle, désemparée : c’était la première fois qu’elle voyait Rose pleurer.
End Notes:
Merci beaucoup d'avoir lu ♥♥
Et surtout si vous avez aimé votre lecture, prenez le temps de me laisser même un tout petit mot, je serais ravie d'échanger avec vous :)
Author's Notes:
Une très, très belle lecture à vous toustes ♥
(et des cœurs sur Cachou ♥♥)
L’été mourut avec les premières feuilles dorées ; elles jonchèrent, jour après jour, la pelouse écossaise qui revêtait ses habits d’automne. Lucya, dont c’était la saison favorite, se montra particulièrement en joie, et Mabel l’accompagna souvent écraser les feuilles mortes ou les faire tourbillonner autour d’elles en posant sous l’objectif, une citrouille savamment chapardée à Hagrid entre les mains. Les entraînements de Quidditch avaient débuté, Lucya avait évidemment conservé son poste de Poursuiveuse, et elle accompagnait Mabel pour le petit-déjeuner tandis qu’Okah et Charlotte dormaient encore. Et, à peine Mabel l’abandonnait-elle au terrain qu’elle se précipitait à la bibliothèque, pour y retrouver Rose.
Rose, que Mabel n’avait jamais vu pleurer, avait sangloté près d’une demi-heure dans sa nuque, les mains agrippées dans le dos de Mabel comme si elle avait craint de se noyer, si toutefois elle devait la lâcher. Mais elle n’avait lâché ni Mabel ni les mots que son amie redoutait : Scorpius et elle ne se parlaient plus, c’était vrai, mais ils n’étaient pas fâchés, et elle ne lui en voulait pas, et oui, elle espérait qu’ils redeviennent amis, mais certainement, elle ne savait pas l’exprimer d’une façon satisfaisante, c’était ça et ce devait être ça. Mabel ne lui arracha rien de plus, mais dans les jours qui suivirent, elle couva Rose du regard, s’assurant qu’elle avait Deirdre ou Hugo ou Albus ou Louis à ses côtés et, lorsque ça n’était pas le cas, l’invitant à la rejoindre avec ses amies. Charlotte et Rose s’entendirent à merveille et la première convainquit même sa cadette de passer les auditions pour la pièce que jouerait le club de théâtre cette année. Les étudiantes, étudiants, avaient choisi d’interpréter Cyrano de Bergerac après que Charlotte, inspirée, ait déclamé la tirade du nez et provoqué les sifflets enthousiastes de ses condisciples, dont celles et ceux issus de parents sorciers avaient affirmé qu’il n’existait aucun équivalent satisfaisant dans les très rares pièces de théâtre sorcières. Rose s’était prise de passion pour le personnage de Roxane – et correspondait depuis régulièrement avec sa cousine du même nom – si bien que Mabel, amusée, avait commencé à lui faire réciter ses répliques, dans le parc et tant que le jour l’emportait encore sur la nuit à la sortie des cours.
Et Mabel ainsi, ne vit pas le temps qui lui filait entre les doigts, s’affola même un matin de constater qu’un mois et demi les séparait déjà de la rentrée. Elle s’affola, puis dû courir à la table des Serdaigle après s’être aperçue que Rose était seule, avant de courir, encore, à la serre où, distraite, elle se fit percer un tympan en trébuchant sur les jonquilles klaxonnantes du Professeur Londubat. Lucya l’accompagna à l’infirmerie, d’où elle ressortit survoltée d’avoir manqué le cours d’après, avant de s’y précipiter de nouveau le soir : Okah, qui avait obtenu de la Directrice McGonagall qu’elle l’entraîne à devenir un Animagus, avait perdu connaissance au cours d’une séance. Minerva McGonagall et Madame Pomfresh insistèrent pour qu’elle reste trois nuits alitée, et Mabel se chargea, chaque matin, de lui amener le travail de la veille pour qu’Okah puisse rattraper ses leçons.
Et c’était justement le matin, une matinée d’octobre dont Mabel se souviendrait toute sa vie durant, la percevant comme le début, le début de – de la fin mais aussi, de tout le reste, tout le reste de sa vie.
— Je n’en peux plus ! s’exclama Okah à la seconde où Mabel apparut dans son champ de vision.
La jeune fille n’avait pas dormi de la nuit, trop excitée à la perspective d’enfin quitter l’infirmerie dans la journée. Il lui semblait que l’immense pendule qui habillait un pan de la pièce refusait d’avancer ses aiguilles, pire, qu’elle les reculait même. Okah adorait certes se prélasser dans son lit, les samedi et dimanche, elle remerciait chaque mardi matin Morgane d’avoir échoué à sa BUSE de Potions et d’avoir ainsi grapillé de précieuses heures de sommeil supplémentaires, mais il y avait une chose qu’elle ne supportait pas et c’était le calme : elle était l’aînée de trois sœurs, la famille Baba concurrençait sérieusement les Weasley en nombre de cousins et cousines, et sa mère et elle partageaient un tel amour des créatures magiques qu’elles avaient bâti à leur magie une volière pour leurs mille hiboux, et des cabanes pour leurs Niffleurs, sans compter les Boursouflets multicolores qui bondissaient dans chacun des coins de leur maison.
Être coincée à l’infirmerie où Madame Pomfresh avait érigé le silence au rang de discipline artistique n’était l’ultime ambition de personne, mais il s’agissait assurément du pire cauchemar d’Okah.
— Tu sais à quelle heure elle va te libérer ? s’enquit Mabel en déposant, sur la table de chevet, les cours de la veille qu’elle avait recopiées de son écriture tout en boucles.
— Je dois passer un dernier examen ce matin pour espérer sortir à l’heure du déjeuner, grommela Okah.
— Je sais que c’est terrible, mais ce n’est plus que quelques heures. Et puis, Charlotte termine à onze heures, elle passera te voir.
— J’ai peur que McGonagall ne veuille plus que j’étudie avec elle, après ça, confessa Okah d’une voix très douce.
Mabel avait attendu le moment où Okah lui avouerait ses craintes. Elle aurait détesté elle aussi être clouée à l’infirmerie, même si ça n’était pas pour les mêmes raisons que son amie, mais pour qu’Okah souffre d’insomnies, il fallait assurément plus qu’un court séjour entre les grands murs d’un blanc immaculé. C’était elle, l’optimiste de la bande, elle, qui offrait une main réconfortante et ses yeux pétillants aux camarades angoissés par les examens, elle, qui professait retournements avantageux des pires situations et fins heureuses, c’était Okah, la lumière qui scintillait si fort qu’elle dorait le cœur de ses amies.
Okah n’était pas sans peur, ils en avaient toutes et tous, mais il était très rare qu’elle évoque les siennes et sans réfléchir plus d’une seconde, Mabel grimpa sur son lit et vint se pelotonner contre elle, pour la prendre entre ses bras frêles.
— Ma chérie, tu sais bien, McGonagall est quelqu’un de profondément juste et elle considère avec le plus grand sérieux le potentiel de ses étudiants. Elle ne t’aurait pas accordée de t’entraîner si elle ne t’en avait pas jugé capable, et maintenant qu’elle l’a fait, elle n’y renoncera pas, parce qu’elle ne peut pas se tromper, tu ne crois pas ?
Et elle baisa avec tendresse la chevelure tressée de son amie. Elle la serra contre elle, encore un peu plus fort, sa Okah si fière, si téméraire, si courageuse et généreuse, sa Okah, qui avait besoin d’elle et dont elle avait besoin. Mabel chérit Okah, et du bout de ses doigts, distraitement, traça des étoiles sur sa peau noire – elles étaient la troisième passion d’Okah, après les créatures magiques et après, bien après ses amies.
— Je sais que McGonagall est une femme de parole, chuchota alors Okah. Mais je crois que j’avais besoin de t’entendre me le dire, toi.
— Alors je te le redis : tu vas continuer à travailler avec elle, et tu échoueras encore, et elle te montrera comment t’y prendre, encore, et tu deviendras la première Animagus de notre promotion et même, à ma connaissance, de notre école toutes les classes confondues.
— Tu le penses vraiment ?
— Je le sais, Okah. La seule chose que je ne sais pas, c’est la forme que tu prendras, et crois-moi quand je te dis que je te hanterai jusqu’à la fin de ta vie et par-delà, pour le découvrir. Alors, tu n’as plutôt pas intérêt à me contredire, hein !
— Pour toi, c’est facile à imaginer, tu serais un guépard ou quelque chose comme ça, à trouver le moyen de toujours courir plus vite et peu importe les circonstances.
— Je te remercie pour le compliment, mais je crois que c’est surtout le caractère qui entre en jeu, et les guépards, ça vit solitaire et mystérieux.
— Solitaire et mystérieux, oui, voilà bien deux adjectifs qui ne te correspondent pas du tout, dit Okah en roulant des yeux.
— Tu me fais passer pour beaucoup plus dramatique que je ne suis le vraiment.
— C’est moi, qui suis dramatique et dramatise, tu sais bien.
— Je sais surtout ce que tu essayes de faire : de l’esprit plutôt que d’accepter mes compliments. Chère Okah ! s’exclama Mabel avec théâtralité.
— Je déteste que tu me connaisses si bien alors que moi, parfois, j’ai l’impression de ne rien savoir de toi, marmonna Okah sans pourtant se dégager des bras de son amie, qui l’étreignait contre son cœur, encore un peu plus fort.
— Tu sais ce qui est vraiment important, chuchota Mabel en coinçant des mèches de cheveux frisés derrière les oreilles de son amie, dégageant les oiseaux enchantés qui tournoyaient sur ses lobes en guise de boucles.
— Alors tu veux bien répondre à une question pour moi ?
— Dis-moi.
— Tu n’as vraiment plus aucun sentiment pour James ?
Mabel, les lèvres toujours égarées dans l’épaisse chevelure d’Okah, se figea une seconde, une hésitation que personne n’aurait jamais notée si ce n’était Okah, qui captura cet instant et la main de son amie dans la sienne. Elle y traça des cercles, des arabesques et puis des étoiles à son tour, et elle laissa à Mabel le temps de se recomposer parce qu’elle aussi, elle la connaissait, même si elle aimait prétendre le contraire pour souligner la tendance qu’avait Mabel à courir, et à vrai dire à fuir.
Okah connaissait Mabel, elle la savait discrète, extrêmement pudique et réservée, et suffisamment sociable, sarcastique et passionnée pour se glisser dans d’autres peaux que la sienne si tant est que l’envie la prenait. Et suffisamment sociable, sarcastique et passionnée pour que ses camarades de six années croient la connaître intimement quand ils ne savaient pas même le prénom de ses parents et l’emplacement de sa maison. Mabel était secrète, elle aimait les longues discussions politiques, culturelles et même philosophiques mais rechignait à dévoiler le moindre pan de ses sentiments et cependant, elle était aussi honnête. Elle l’était tout du moins envers Okah, s’efforçait de l’être à la hauteur de son amie.
— Si, bien sûr que si, je l’aime encore. Je crois que ça se voit, non ? souffla Mabel. Mais tout ce que ça implique d’être avec lui, l’attention de la presse, de toute cette, cette société sorcière que j’apprends encore à connaître parce que je n’y suis pas née, c’est trop pour moi, je ne veux pas de ça. L’idée d’être avec James a quelque chose d’effrayant. Alors qu’Achilles, Achilles, lui, est la personne la plus rassurante que je connaisse.
— Tu m’as déjà dit tout ça, mais quand même, Mabel, parfois j’ai envie de te rappeler : tu n’as que seize ans. Tu n’es pas obligée d’avoir une vie qui soit parfaitement rangée aujourd’hui. Tu peux vivre et essayer d’autres relations que celles que tu crois pouvoir t’autoriser ou t’interdire.
— Mais, mais mes parents…
— Je sais. Je sais que tes parents ne sont pas heureux, je sais que tu ne l’es pas non plus et que tu as ce rêve de créer ta propre famille. Mais tout ce que je veux dire c’est que, peut-être, tu n’es pas obligée de la choisir dès maintenant, cette famille. Je veux juste te dire que les choix que tu fais à seize ans ne conditionneront pas tout le reste de ta vie, et heureusement.
— N’empêche, je n’arrive pas à croire que j’entends tout ça parce que toi, tu n’as pas voulu te contenter d’accepter mes compliments sur ton intelligence et ta persévérance !
Et enfin elles rirent, Mabel et Okah, elles rirent dans l’infirmerie où s’entrechoquaient leurs pires angoisses à l’une et l’autre parce que Mabel y était aussi présente pour Okah qu’elle aurait souhaité que son amie le soit pour elle, si leurs situations avaient été inversées. Elles se ressemblaient en tout point sur cet aspect : elles ne supportaient pas d’être interrompues, l’une, dans son planning des plus exigeants, l’autre, dans son éternelle et illusoire fuite en avant.
Elles rirent, s’embrassèrent une dernière fois, et puis Mabel bondit sur ses deux pieds pour rejoindre au pas de course la classe de Sortilèges, l’heure étant désormais trop avancée pour petit-déjeuner. Toute à sa précipitation, elle n’eut pas le loisir de s’attarder sur les yeux écarquillés, les chuchotements, les conversations teintées de ravissement ou de moquerie ou des deux à la fois de ses camarades. Elle atteignit la salle de Miraphora Lima, n’eut d’autre choix que de se laisser choir aux côtés d’Arthur Higgins, un ami de Brooke, parce que Charlotte et Lucya s’étaient déjà attablées au premier rang, juste devant Brooke et Nina Shacklebolt. Et enfin, son manuel sur la table, sa baguette à la main et son regard à l’horizon, Mabel constata que son monde ne tournait plus droit.
Charlotte, Lucya et Brooke la dévisageaient, se tordant le cou pour lui faire face dès que leur Professeuse avait le dos tourné, et ni leurs yeux écarquillés, ni leurs lèvres pincées ne présageaient d’une bonne nouvelle. James, à l’inverse, fuyait ostensiblement son regard, trop occupé à fixer Kolya qui l’ignorait en retour, et il avait les joues roses, très roses, trop roses. Quant aux autres, toutes et tous les autres, ils les contemplaient avec plus ou moins de discrétion, James et elle, et plutôt plus que moins à l’exception notable de Rhian, dont le regard noir, et dur, jetait comme des éclairs à toutes celles et ceux qui avaient le malheur de ricaner.
— Dis-moi, Arthur, est-ce qu’un horrible furoncle m’aurait poussé sur le nez ? chuchota Mabel à son voisin, s’efforçant de lui sourire, de ne rien laisser paraître de la peur sourde qui venait de s’emparer d’elle.
Parce que, dans le fond, Mabel savait parfaitement bien qu’Arthur Higgins allait lui répondre :
— Non. Non, je ne crois pas que ce soit ça. Tu… tu devrais lire le dernier numéro des Hiboux de Poudlard, répondit le jeune garçon sans oser croiser son regard.
— Et tu aurais ce dernier numéro, à tout hasard ?
— Je ne lis pas les Hiboux, marmonna Arthur avec trop d’empressement pour que Mabel le prenne au sérieux.
Et la vérité, elle la connaissait bien, elle l’avait vécue cet été. Mabel n’avait pas besoin de lire le dernier-né des titres explosifs de Saket Chakraborty pour en imaginer la teneur. Leur baiser, à James et elle, devait assurément l’illustrer, et le pire était que Mabel aurait pu l’éviter : pas parce qu’elle aurait abandonné James à un chantage affreux, mais parce que James ne lui avait jamais rien demandé d’autre que de s’afficher avec lui. C’était elle la première qui avait fermé les paupières et glissé ses pouces sur ses joues douces et enfin scellé leurs lèvres dans une danse passionnée. Il lui avait alors semblé naturel d’agir de la sorte, parce que James avait cet effet-là, sur elle : elle lui faisait une absolue confiance, et parce qu’elle lui faisait une absolue confiance, elle le désirait.
C’était différent avec Achilles. Il était objectivement beau, et il avait toujours fait montre d’une extrême courtoisie à son égard, mais Mabel ne s’abandonnait pas à lui. Elle ne s’abandonnait à personne, jamais, à peine à Okah et à James, et c’était ainsi qu’était venue l’envie, ainsi qu’était venue la nuit dans le manoir de Lucya. Mabel avait désiré James, qui l’avait vue dans tout ce qu’elle était, dans ses faiblesses et ses failles, et parce qu’en dépit de tout, il n’était pas parti. Achilles l’appréciait, Achilles la respectait et elle entretenait assurément des sentiments pour lui, mais il appréciait et respectait l’ombre qu’elle traînait derrière elle. Achilles ne l’avait jamais vue pleurer, ne saisissait pas son anxiété extrême, ne voyait rien d’anormal à sa pratique de la course, il n’avait aucune conscience de sa fragilité. Et pour Mabel, le désir ne s’était manifesté qu’une seule fois, une fois la connexion établie suffisamment profonde avec James. Embrasser Achilles, l’enlacer, c’était logique, c’était machinal, il était son petit ami alors c’était normal, mais pour Mabel qui s’efforçait en permanence d’être de raison, l’attrait de la passion dans le port de Gloucester avait été irrésistible.
Mais l’instant était passé, les chouettes avaient remplacé les cormorans et leurs plumes devaient déjà s’être envolées jusqu’aux oreilles de Achilles et ce que Mabel voulait, ce qu’elle voulait vraiment, plus encore que la passion c’était : la normalité.
Mabel voulait être normale.
Elle voulait la vie rangée, la vie organisée, la vie préparée qui ne la ferait jamais souffrir des déchirures de l’inconnu. Mabel voulait une vie que ses amies, à l’aube de leur majorité, n’avaient jamais bien compris. Mabel voulait une vie que James, voulait aussi, mais qu’il ne pourrait jamais, jamais lui offrir. Alors Mabel voulait :
Être la majore de sa promotion, une nouvelle fois.
Prendre la présidence du club de duel, l’année prochaine, au départ de Dominique Weasley.
Décrocher suffisamment d’ASPIC pour faire le choix d’un métier sérieux, cadré, et conséquemment rémunéré.
Mabel voulait se marier, avoir des enfants, une maison, peut-être un Fléreur et en tout cas un jardin avec une mare où s’ébroueraient les canards et pousseraient les nénuphars et elle voulait que cette vie lui offre, enfin, la version la plus aboutie de Mabel Poulton, et la seule qu’elle pourrait jamais assumer.
James, malgré toute sa volonté, malgré sa gentillesse et son écoute et surtout tout son amour, ne lui permettrait pas d’effacer la Mabel Poulton qui devait disparaître, la Mabel Poulton qui devait s’estomper à chaque nouvelle case qu’elle cocherait sur sa liste de vie.
Achilles pouvait le lui permettre. Achilles avait le pouvoir de lui offrir ce qui n’était pour l’heure qu’un mirage derrière lequel elle courait si bien qu’elle se déshydratait. Mabel ne pouvait pas le perdre – elle n’était pas même certaine d’y survivre, de survivre à l’abandon, de survivre à sa peur la plus profonde de toutes. C’était vrai, elle aimait James, elle ressentait pour lui un désir, une connexion même physique qu’elle n’éprouvait pas avec Achilles, mais Mabel ne voulait pas la vie en grand, la vie fantastique, la vie sur un fil. Elle voulait la vie carrée que rien ni personne ne viendrait lui arracher.
Aussi la Professeuse Lima n’eut-elle pas l’occasion de la féliciter pour son dernier devoir particulièrement abouti : Mabel avait bondi hors de sa classe à peine l’heure terminée, dans une précipitation qui lui était si inhabituelle qu’elle laissa Brooke, Charlotte, Lucya et Miraphora Lima bouche bée. Mais les camarades, celles et ceux qui avaient glissé les feuilles des Hiboux de Poudlard entre leurs épais manuels, pressentirent ce qui se tramait. Ils furent, elles furent nombreuses à suivre Mabel dans les couloirs qui menaient à la Grande salle. Là, elles eurent le ravissement d’apercevoir non seulement Mabel, les joues très roses, mais surtout Achilles, qui s’en revenait des serres où le Professeur Londubat leur avait fait rempoter des plants de Snargalouf.
— Il faut que je te parle en privé, débita Mabel en laissant ses longs cheveux roux lui couvrir le visage.
— Il me semblait que nous nous étions tout dit.
Achilles, à sa prestance naturelle, avait une main dans la poche de sa cape et l’autre par-dessus son épaule, qui maintenait en suspension le chapeau dont il ne se séparait jamais à l’automne et sa bruine infernale. Lui, contrairement à Mabel, avait les yeux rivés sur sa petite amie, et son visage aussi pâle qu’inexpressif ne laissait pas deviner la moindre de ses émotions. Son regard s’attarda toutefois sur les élèves qui les entouraient, les élèves qui murmuraient sans même se soucier d’être discrets. Il les toisa, fit se détourner quelques visages gênés, et entraîna finalement Mabel vers le parc où aucun des élèves amassés dans le hall ne s’avisa de les suivre.
(À l’exception de Charlotte, ses manuels serrés contre sa poitrine et les traits aussi tirés que son amie, de Lucya et Brooke, qui s’arrêtèrent sur un banc de pierres offrant Mabel et Achilles à leur champ de vision, et bien sûr, de James. Il n’avait pas quitté Mabel des yeux pendant tout le temps qu’avait duré le cours de Sortilèges. Il ne le faisait jamais vraiment.)
Mais toutes et James, ils les laissèrent s’exprimer sans s’efforcer de les entendre, conscients de ce qui se jouait et bien plus que Mabel ne l’aurait pensé. Ils avaient vu comme la présence de Achilles faisait à leur amie l’effet d’un baume apaisant. Ils l’avaient vue s’ouvrir, sourire, comme elle se l’était trop rarement permis depuis qu’ils la fréquentaient. Charlotte, Lucya et Brooke savaient, Merlin même James savait, combien Mabel avait aimé ce dernier et l’aimait certainement encore, mais ils savaient pareillement tous les espoirs qu’elle avait placés dans sa relation avec Achilles.
— Je suis désolée, murmura Mabel en contemplant ses chaussures, à moitié enfoncées dans la boue, si usées qu’un énième sortilège les aurait désagrégées.
— Tu peux l’être. Je crois t’avoir demandé précisément si les rumeurs vous concernant Potter et toi étaient susceptibles d’être étayées par ce torchon.
— Je suis désolée, Achilles, répéta Mabel.
— Moi aussi je le suis. Je pensais que, toi et moi, nous partagions quelque chose de spécial. Mais, tu vois, tu ne peux même pas me regarder.
Au prix de ce qui parut alors à Mabel le plus grand effort de toute sa vie, elle planta ses grands yeux bleus, clairs, rougis, dans le regard du premier garçon qu’elle avait appelé son petit ami. Et il fut surpris de ce qu’il y vit.
Achilles avait réalisé, après que son frère lui ait fourré de force le dernier exemplaire des Hiboux entre les mains, les lèvres pincées, qu’il n’était pas réellement étonné du baiser de Mabel et James. Il y avait une infinie douceur, dans les traits de l’une comme de l’autre, à chaque fois que Achilles les avait aperçus ensemble. C’était comme si leur seule présence était chaleur, comme s’il suffisait à Mabel James pour approcher la candeur, à James Mabel pour oublier sa douleur, c’était comme si Achilles, lui, n’avait courtisé qu’un leurre. Mabel ne le contemplait pas comme elle contemplait, comme elle s’abandonnait à James. Il n’était pas étonné de leur baiser – il était ébahi en revanche des émotions qui déferlaient en lui depuis que l’image s’était imprimée sur sa rétine.
Mabel n’avait jamais prétendu aimer Achilles en grand, mais elle l’avait aimé en vrai. Elle avait rougi au contact de sa main dans la sienne, la première fois qu’ils avaient arpenté les ruelles biscornues de Pré-au-Lard, elle avait porté son maillot même lors des matchs qui opposait les Serdaigle aux Gryffondor, elle lui avait écrit tout l’été, narrant les petits rien d’un quotidien qu’il devinait bien morne avec un tel lyrisme et, parfois, un tel humour, qu’elle avait coloré ses propres journées mornes. Surtout Mabel l’avait écouté, embrassé, encouragé, enlacé, Mabel avait été une amie fidèle et fière dont il réalisait, enfin, que les sentiments n’avaient pas été plus feints que les siens.
Mabel n’avait jamais prétendu aimer Achilles en grand, et lui non plus. Mais, désormais qu’elle le dévisageait, les joues striées de larmes et la bouche qui tremblait, désormais que Mabel articulait :
— Je, je savais que, si je te le disais, je te perdrais. Et j’avais tellement, tellement, tellement peur de te perdre.
– désormais Achilles savait : qu’elle l’aimait, à sa façon, que lui l’aimait à la sienne, qu’il lui briserait le cœur et fêlerait le sien dans un ricochet cruel s’il se détournait des yeux bleus d’amour.
Il le fit, pourtant, il lui dit :
— Je crois que nous avons perdu quand même.
Et il se détourna, enfonça avec une lenteur exagérée ses pieds dans les petites traces qu’avait laissées Mabel et – et Mabel enfouit son visage blanchi entre ses mains qui tremblaient, et Brooke retint Lucya de sauter à la gorge d’Achilles et Charlotte, Charlotte fit un pas en avant puis un pas en arrière elle, qui connaissait si bien Mabel elle, qui pleurait la peine de son amie et James, James songea – à Mabel, à Kolya, à l’été dernier et un été passé, à son propre cœur brisé dont il doutait parfois qu’il battait et découvrait, ce jour, qu’il en restait d’assez gros morceaux pour casser encore à la vue de Mabel s’enfuyant de l’autre côté du lac.
Ni Charlotte, ni Lucya n’essayèrent de la suivre, et James retint Brooke de le faire. Ainsi était Mabel :
Une sorcière
(solitaire qui détestait la solitude)
qui fit léviter ses baskets de la plus haute tour des Gryffondor aux berges les plus reculées, les chaussa, fit un chignon grossier avec sa plume et enfonça son genou gauche dans les herbes hautes, les orteils de son pied droit dans la terre au doux parfum de pétrichor, se dressa, s’élança –
Une coureuse
(déserteuse et courageuse toutefois)
qui fit sept fois le tour du lac et s’en revint : et tout était bien.
Tout était bien, ou tel était le message que Mabel s’évertua à faire passer dans les jours qui suivirent la publication des Hiboux de Poudlard, et surtout la fin de sa relation avec Achilles. Elle dîna dans la Grande salle le soir même, entourée par ses amies dont les visages furibonds trahissaient, seuls, l’incongruité de la situation. Parce qu’à observer Mabel, qui souriait poliment derrière ses longs cheveux et sa frange rideau, qui répondait enthousiaste aux questions de ses professeurs et professeuses, qui revêtait ses plus belles tenues automnales dans un défilé chaque jour plus flamboyant – à observer Mabel avenante souriante riante vivante, personne n’aurait soupçonné les palpitations, les nuits entières éveillées, les larmes, à la nuit tombée et dans la confidentialité des toilettes du deuxième étage.
Okah, Lucya et Charlotte savaient toute la douleur de Mabel, et combien il était vain que de la faire parler sans qu’elle ne s’y soit résolue. Mabel était comme une vague, impétueuse, qui ronronnait au loin, qui apaisait, qui frôlait et qui soudain se dérobait lorsqu’on croyait la saisir. Elle ne parlait pas de ses parents, de ses sentiments ou de son enfance, à peine de ses rêves et ses projets, mais elle recueillait avec douceur et sérieux les confidences de camarades qui, au fil des années, s’étaient contentés puis même satisfaits de cette entente. Elle était pourtant déséquilibrée, parce que Mabel ne se plaignait jamais, ne demandait jamais de l’aide, ne montrait jamais le moindre signe de faiblesse, et qu’à la fin de la journée, elle était celle qui épaulait, celle qui consolait, celle qui encourageait et écoutait et très – trop – rarement l’inverse.
Okah, Lucya et Charlotte savaient, Brooke avait vite deviné, Rose ne comprenait pas mais Hugo et James la retenaient, et Mabel put s’enfoncer un peu plus dans ce portrait qu’elle avait érigé jusqu’à s’y perdre, celui d’une vie rangée aux contours si parfaitement tracés qu’ils brillaient.
Il y eut pourtant des moments, des taches sur sa jolie peinture qui trahirent quelques fêlures, parce qu’évidemment, l’histoire de leur baiser à James et elle fut la plus commentée de tout l’automne. James était populaire, quant à Mabel, sa timidité la rendait très intrigante aux yeux des élèves qui ne la fréquentaient pas en classe ou dans sa salle commune. Ils furent épiés pendant des jours, des semaines, et si James avait l’habitude des rumeurs et leur opposait toujours une plaisanterie bien sentie, Mabel, elle, se languissait de son anonymat. Elle perdit ses moyens, bafouilla, estomaquée par l’audace des étudiants dont elle ne connaissait pas même le prénom qui lui demandaient la bouche en cœur si elle avait vraiment trompé Achilles Fawley avec James Potter. Heureusement, ses amies veillèrent : elles ne savaient peut-être pas faire parler Mabel, mais elles savaient la défendre. Et à trois, à quatre, à cinq, elles ramenèrent Mabel à sa bulle de normalité à chaque fois qu’elle parut sur le point d’éclater.
Mais à James, elle n’en laissa pas l’occasion : ni de percer la bulle, ni de la pénétrer. Elle commença par l’éviter, prétendant ne pas l’avoir aperçu lorsqu’il traversait la Grande salle, les couloirs, et jusqu’à leur tour des Gryffondor. Elle lui répondit quelques fois, quand il lui demanda de ses nouvelles, mais en gardant les yeux rivés au sol et en dansant d’un pied sur l’autre si bien que James, blessé, finit par l’éviter à son tour. Et Mabel n’essaya pas de le rattraper, de s’excuser, de panser la peine qu’elle provoquait et pour la deuxième fois. Il sembla à James qu’ils en étaient revenus au même point qu’en cinquième année, à la différence que lui n’en était plus au même point : il avait perdu non seulement Mabel mais Kolya Rozhdestvensky qui, avant d’être son petit ami secret, avait surtout été son meilleur ami. Il restait bien Tristan Sheridan et Charles Kilduff, mais le froid entre James et Kolya était si perceptible et à la fois si incompréhensible aux yeux des deux garçons qu’ils avaient pris l’habitude, depuis la rentrée, de faire bande à part, se refusant à choisir entre leurs amis dont ils ne soupçonnaient pas l’histoire. Rhian veillait, elle veillait toujours, et Brooke aussi qui le cueillait au saut du lit des biscuits entre les mains pour l’emmener petit-déjeuner à la volière, mais Mabel, Kolya, Tristan, Charles, et Lily et Albus et, et – c’était trop.
Et un matin, c’était le 31 octobre, James lorgnait sur la confiture de mûres en s’efforçant de ne pas dévisager Mabel, qui dessinait quelque chose au poignet d’Okah à trois rangées de lui, ni Kolya, qui s’était laissé tomber aux côtés de Brooke et Hamza Shafiq pour la deuxième fois d’affilée cette semaine. Il ne regardait même pas Rhian, qui oscillait entre inquiétude et agacement à alimenter seule leur conversation, quand Saket Chakraborty se prit les pieds dans sa cape de sorcier et s’attira l’attention et les rires des élèves attablés.
Mu alors par quelque chose qui n’était plus l’indifférence, la résignation ou l’effacement mais bien quelque chose, enfin, de vivant, James se redressa si vivement que ses genoux cognèrent la table et firent se renverser deux pichets de jus de citrouille. Il ne prit pas la peine d’effacer les traces de son méfait et fila dans le hall, ignorant les éclats de voix indignés de Rhian, pour fondre sur Saket qui manqua de s’affaler une deuxième fois lorsque James le tira par sa cape pour lui faire face.
— J’ai quelque chose à te dire, Chakraborty, asséna James.
— Et tu veux vraiment que nous en parlions ici ? répliqua Saket en désignant les sorcières et les sorciers qui affluaient pour le petit-déjeuner et jetaient, pour certains, des regards interrogateurs au duo inhabituel que formaient les deux garçons.
— Pourquoi pas ? Je commence à penser que je n’ai plus grand-chose à perdre. Beaucoup moins que toi, en tout cas.
Saket parut interloqué, et James s’en serait presque contenté si le grand Serdaigle ne l’avait pas séparé de Kolya puis de Mabel, les premières personnes qu’il avait aimées, et il lui semblait parfois, les dernières personnes qu’il aimerait jamais. James se souvenait avec une précision chirurgicale de l’avant-dernier jour de sa cinquième année, du jour où Saket était venu le trouver, et :
du regard de Kolya, qu’il avait espéré rassurant mais s’était avéré plus paniqué qu’il ne l’était lui-même
de la façon dont les boucles blondes du garçon, son ami, son petit ami, lui étaient tombées dans les yeux quand il avait baissé la tête pour dissimuler ses larmes
de la façon, surtout, dont il avait repoussé sa main la main de James, pour ne plus jamais la reprendre dans la sienne et c’était quatre mois, quatre mois d’agonie quatre mois de perdus, déjà
du regard de Mabel, qui s’était fait de plus en plus flou jusqu’à s’évaporer, parce qu’elle avait lâché ses mains offertes elle aussi :
et tout avait commencé avec Saket Chakraborty.
Il dut percevoir tout le ressentiment, et tous les sentiments que James contenait à s’en étouffer depuis la rentrée. Peut-être Saket perçut-il même la colère. Elle grondait, sourde et féroce, logée dans les entrailles de James avec la rigidité d’une toile d’araignée dont il ne parvenait plus à se dépêtrer. Saket en avait tissé le dernier fil, le plus épais, mais il ne reliait jamais qu’un millier d’autres fils formant un écheveau de douleur. Et cet assemblage noir perlait aux yeux de James sous la forme de larmes dont Saket n’auraient su dire si elles avaient le goût de la tristesse ou de la rage ou de ces deux sensations et de toutes les autres à la fois.
— Viens, souffla-t-il à James en désignant les cachots d’un signe de la tête.
Ils marchèrent dans un silence pesant, et Saket comme James en sentirent tout le poids sur leurs épaules, couplé à la culpabilité pour le premier, à l’anxiété pour le second. Au moins leur excursion fut-elle des plus brèves : c’était un samedi, un jour de sortie à Pré-au-Lard, personne n’aurait songé à déambuler dans les couloirs sous le lac passé le petit-déjeuner. Saket s’arrêta à l’angle d’un mur, dans la direction opposée à celle du dortoir des Serpentard, et il décida de s’enquérir sans plus attendre :
— Qu’est-ce que tu attends de moi ?
— T’as pas une idée ? fit James en croisant ses bras contre sa poitrine.
— On avait un accord.
— Non, tu m’as imposé un accord.
— Vous m’en avez imposé un aussi, Mabel et toi. Je l’ai respecté, je n’ai rien dit pour Gloucester. Et crois-moi quand je te dis que j’aurais pu en faire un magasine entier.
— Qu’est-ce que tu veux dire ?
— Tu n’as pas trouvé ça bizarre, toi, que de toutes les demandes qu’aurait pu faire Mabel, elle ait choisi précisément celle-là ? Qu’elle t’ait embrassé, malgré Achilles Fawley et sachant parfaitement ce qui arriverait quoi qu’elle puisse en dire maintenant, mais qu’elle ait absolument tenu à ce que je ne dise rien de sa présence à Gloucester ? Pourquoi était-ce si incongru, d’ailleurs ? Elle habite où, Mabel Poulton ? Elle est censée habiter où, tu le sais, ça, Potter ?
— Change de ton, Chakraborty. Tu parles avec un peu trop d’assurance pour un mec qui s’arroge le droit de jeter les autres aux gobelins et de les empêcher de s’en plaindre en plus de ça.
C’était toutefois le ton de James, qui avait changé, marquant un léger fléchissement dans lequel Saket s’engouffra aussitôt :
— Personne ne sait où habite Mabel. Enfin, si, quand j’ai demandé à Brooke Finnigan-Brown elle m’a parlé de Londres, mais elle était tout à fait incapable de situer plus précisément. Alors j’ai cherché, à la Moldue, j’ai feuilleté tous les annuaires possibles et appelé plusieurs dizaines de Poulton sans jamais tomber sur Mabel ou sa famille. C’était curieux, mais pas incompréhensible : ils n’avaient peut-être pas le téléphone, ou habitaient en banlieue londonienne. Mais quand même, ça m’a titillé alors, j’ai été cherché ailleurs. Mabel est née le 8 avril 2004, c’est bien ça ?
Pour son dernier anniversaire, que quelques jours seulement avaient séparé de Pâques, ses amies avaient métamorphosé leurs verres à pied en lapins qui avaient provoqué un incident diplomatique en mangeant les copies du Professeur Borage. Ça avait été la première fois, pour Mabel, que son nom s’étalait à la une des Hiboux de Poudlard, et elle avait alors assuré que ce serait la dernière. James visualisait la scène comme si elle avait eu lieu hier. Et avec une infinie lenteur, il hocha la tête, suspendu aux lèvres de Saket dont il devinait que la dernière réplique le précipiterait encore dans quelque chose de beaucoup, beaucoup plus grand que lui :
— Sauf qu’il n’existe aucune Mabel Poulton née le 8 avril 2004 à l’état civil Moldu. Aucune, ni le 8 avril 2004, ni à une autre date en 2004, en 2003, en 2005, jamais. La seule Mabel Poulton dont j’ai retrouvé la trace était une actrice de cinéma muet qui est morte en 1994, sans descendance. Je ne sais pas qui est ta Mabel Poulton, mais légalement, elle n’existe pas.
End Notes:
Merci d'avoir lu ♥
Et n'hésitez vraiment pas à me faire part de votre ressenti quant à ce chapitre ou cette histoire dans une review, ce serait grande source de motivation dans l'écriture de cette histoire longue. ♥
Author's Notes:
Un très très grand merci à Maariie, Strix, mecurus et ma Cachou pour leur review sur le chapitre précédent ♥
(J'y réponds dans la foulée, sachez qu'elles m'ont très très très grandement encouragée dans l'écriture de ce nouveau chapitre.)
Et je vous souhaite une très belle lecture !
Halloween passée, des trombes d’eau s’abattirent sur le château, dans la forêt interdite dévorée par la brume et le long des chemins qui striaient le parc de Poudlard. Les hautes herbes devinrent impraticables, gorgées à faire glisser les téméraires qui se risquaient à emprunter un raccourci, et même les sentiers délimités précipitèrent quelques élèves à l’infirmerie avec une cheville foulée et de la boue plein les pieds.
Mabel prit alors l’habitude de courir au terrain de Quidditch, dont la piste extérieure était ensorcelée pour faire s’évaporer l’humidité. Lucya, la fois où Mabel le lui avait apporté, s’était indignée que le même traitement ne soit pas appliqué prioritairement aux chemins qu’arpentaient chaque jour la totalité des jeunes sorcières et sorciers pour se rendre aux serres. La Directrice McGonagall l’avait informée que le conseil d’administration de l’école avait toujours œuvré pour la préservation du patrimoine et de ses traditions, et Lucya avait rétorqué ne pas comprendre que la pluie, bien qu’écossaise, puisse être qualifiée d’une tradition à conserver pour les étudiants et pas pour les sportives. Charlotte lui avait soufflé, plus tard, que le Quidditch et ses joueurs avaient toujours bénéficié d’une espèce d’aura leur conférant des passe-droits en tout genre. Et Mabel, qui se levait aux aurores les samedi et dimanche pour profiter du terrain avant qu’il ne soit accaparé toute la journée par les quatre équipes, ne pouvait qu’approuver.
Elle achevait justement sa course dominicale avant que les Serpentard ne commencent leur entraînement lorsqu’elle aperçut Isabella Ollivander, juchée sur des talons hauts qui devaient au moins être enchantés pour ne pas s’enfoncer dans la boue. La Préfète-en-Cheffe fondit sur elle, les mains dans les poches de sa cape, le regard droit, et pas une mèche de son carré bouclé ne lui entravant le visage. Mabel se vit comme dans un miroir à travers les yeux marron d’Isabella, sa peau diaphane, sa beauté froide, mais un miroir inversé : elle, elle était cramoisie, essoufflée, dégoulinante de transpiration et noyée dans un pull de sport deux fois trop large pour elle, et ce constat la fit rougir plus fort encore.
— Poulton, commença Isabella. Il ne t’arrive jamais de dormir le matin ?
— Dominique veut que l’on soit en forme pour le duel, balbutia Mabel en détachant ses longs cheveux – elle avait espéré s’arranger ainsi mais ils vinrent se coller à ses joues luisantes et elle baissa les yeux, gênée.
— Et hier ? Et mercredi matin ? Et lundi soir et, et les à peu près quatre à cinq fois par semaine où tu foules ce terrain au point t’y avoir certainement ancré la forme de tes pieds ?
— Qu’est-ce que tu veux ? J’ai, comme tu sembles en être si bien renseignée, mon dernier entraînement de la semaine à finir avant que les joueurs n’arrivent, et…
— Je veux savoir si, tout cet entraînement, c’est à cause de ce qui a été publié dans Les Hiboux de Poudlard à l’automne. Je t’ai souvent vue ici depuis que je suis Préfète mais j’ai l’impression que ça prend une autre proportion.
— J’ai simplement plus de temps libre qu’avant, maintenant que les BUSE sont passés.
— Mais tu continues à suivre toutes les matières à l’exception de l’Histoire de la magie.
— Tu me suis ou quoi ? Qu’est-ce que tu me veux, exactement ?
— Mauvaise entrée en matière, lâcha Isabella d’un ton très adouci.
Son visage trahit enfin autre chose que son apparente et résolue maîtrise d’elle-même, et pour quelques secondes inhabituelles, Isabella Ollivander chercha ses mots, la bouche légèrement entrouverte. Mabel profita de cet interlude pour passer sa main dans ses cheveux et les lisser, les ramenant à deux mèches d’un volume égal de chaque côté de sa tête.
— Écoute, reprit Isabella, je n’essaie pas de te prendre au piège. Et, je te comprends, toi et moi, nous ne sommes pas amies, je ne suis pas quelqu’un d’ordinaire très extraverti et toi, tu n’as pas l’air de l’être non plus. Mais je sais ce que ça fait. Je sais ce que c’est, quand ils chuchotent tous derrière ton dos en ayant l’outrecuidance de se croire discrets, parce qu’un ou une imbécile s’est arrogé le droit de dévoiler ta vie privée.
— C’est gentil de t’en préoccuper, mais je vais bien, assura Mabel avec un peu trop d’empressement.
— Ça, ce n’est pas l’impression que j’ai, mais tu as l’air d’être bien entourée alors je n’insisterai pas.
La gestuelle d’Isabella n’était pourtant pas celle de l’acceptation. C’était léger, à peine perceptible pour un œil non-avisé, mais Mabel avait fréquenté les Fawley et appris à distinguer un sourire vrai d’un sourire qui se fige une seconde de trop. La seule esquisse d’Achilles fit toutefois filer loin, bien loin les pensées de Mabel – elle s’était employée si fort à prétendre digérer leur rupture qu’aucune de ses amies n’osait plus aborder le sujet, et cette feinte l’avait, sans surprise aucune, accablée d’une solitude qu’elle ne comblait vraiment que dans la pratique de la course.
Mabel savait que son isolement était de son fait, et réversible en plus de ça, mais elle savait aussi qu’ouvrir la moindre brèche risquait d’abattre toute entière la forteresse qu’elle avait érigée et qui était, à ses yeux de fille de seize ans, sa meilleure et unique protection face au reste du monde. Les Fawley, les Ollivander, les Shafiq et les Malefoy et les Shacklebolt ils, elles étaient peut-être nées les meilleures armes entre leurs mains de privilégiées, des mains dans lesquelles mangeaient les garçons, les filles de rien comme Mabel. Sauf que Mabel avait forgé ses armes sous la seule force plus puissante que la naissance : celle de la contrainte. Elle n’avait pas la maîtrise, le naturel, le charisme d’Isabella, mais d’elles deux, elle ne serait certainement pas la première à parler.
— Pour tout te dire, je ne voulais pas seulement avoir de tes nouvelles, avoua Isabella.
Face au visage, aux lèvres résolument closes de Mabel, elle poursuivit :
— Je cherche depuis longtemps qui est l’auteur des Hiboux de Poudlard. Je me doute bien que tu n’en sais pas plus que moi, certainement moins, même, puisque j’ai longuement étudié ses gribouillages pour arrêter une liste de suspects.
Les joues encore très rouges d’avoir couru, Mabel bénit Merlin, Morgane et la providence de quelque origine qu’elle soit d’avoir choisi cet instant précis pour lui envoyer Isabella, lui fournissant la parfaite excuse pour dissimuler sa gêne.
— J’ai réalisé que je ne poursuivais pas le bon objectif. Mon problème n’est pas tant l’identité de ce couard que de l’empêcher de déverser encore plus de fiel. Les Hiboux n’existent que parce que les élèves de cette école le lui permettent.
— Tu veux dire, en le lisant ? s’enquit Mabel d’une voix un peu aiguë.
— En le lisant, en colportant les rumeurs qui y sont racontées, et en les faisant circuler encore embellies en facéties jusqu’à notre auteur anonyme. C’est un cercle vicieux.
— Mais tu n’empêcheras jamais personne de le lire.
— Tu crois ça ? Tes amies, elles le lisent ?
— Non, mais…
— James Potter, Rose Granger-Weasley, toute la parfaite petite famille ?
— Tu sais bien que non, répondit Mabel en omettant la fois où James lui avait confié avoir surpris sa cousine Lucy envoyer une lettre À l’attention du rédacteur des Hiboux de Poudlard, dont il était persuadé qu’elle contenait la folle rumeur concernant les supposées tricheries de sa sœur aînée, une fumisterie qui avait mortifié Molly si travailleuse, si honnête, si notablement brouillée avec sa cadette.
— Et Rhian Beddoe ?
— Rhian ? Elle préfèrerait encore s’étouffer avec que d’en lire une seule ligne, tu es quand même bien placée pour le savoir.
— Je suis parfaitement placée, déclara Isabella en rabattant une mèche de ses cheveux derrière son oreille striée de perles nacrées.
La ressemblance entre Isabella et Rhian n’avait jamais paru si flagrante à Mabel qu’à cet instant. Si Isabella était l’incarnation même de l’élégance, toujours sertie de quelques pierres précieuses, ses boucles noires rondes et dessinées jusqu’aux oreilles qui encadraient un visage pâle et savamment maquillé, quand le long carré de Rhian était constamment emmêlé et ses vêtements trop grands pour elle, les deux filles semblaient partager un même caractère : une même confiance et une même détermination.
(Il avait été rapporté aux Hiboux, pendant la quatrième année de Mabel, que les disputes entre Rhian et Isabella faisaient si bien trembler les murs de Poudlard que les tableaux s’étaient réjouis de leur séparation.)
— Rhian, tes amies, Potter et les Weasley, ce ne sont jamais que les gens que tu connais. Imagine combien d’autres encore rêvent d’assister à la chute des Hiboux. J’entends bien la précipiter mais j’aurais besoin d’autres voix que la mienne pour ça.
— Et pourquoi ma voix à moi ? Je suis sûre que, que Rhian, et même que n’importe qui en fait, n’importe qui ferait une meilleure porte-parole que moi, balbutia Mabel.
— Rhian veut détruire, pas construire. Elle frapperait le rédacteur des Hiboux si elle le pouvait, moi je veux frapper les consciences. Tu es une bonne élève, respectée, une duelliste reconnue et intégrée qui a des amis dans au moins trois des maisons. Ta voix aurait du poids. Je ferai en sorte qu’elle en ait, et d’autres avec nous, si tu acceptes de travailler avec moi.
— Je ne sais pas quoi dire.
— Tu pourrais dire oui. Mais écoute, prends le temps d’y réfléchir. Je vais devoir te laisser et toi, t’en aller, parce que mon entraînement va commencer.
Dans sa sublime robe en cachemire, cintrée à la taille et réhaussée d’une ceinture si lisse que Mabel l’aurait cru neuve si elle ne l’avait pas déjà aperçue, Isabella faisait un contraste saisissant avec ses condisciples, qui arrivèrent emmitouflés dans d’épais uniformes aux couleurs verte et argentée.
— Penses-y, d’accord ? répéta Isabella.
Et elle tourna les talons, ne laissant pas à Mabel le temps d’articuler la moindre réplique ni même ses pensées. Il lui fallut quelques secondes encore pour assimiler vraiment ce qu’Isabella venait de lui proposer. Alors elle remarqua qu’Eryx Fawley, déjà vêtu de sa tenue de Quidditch, fonçait dans sa direction les sourcils froncés, et s’il ne l’appréciait pas beaucoup lorsqu’elle fréquentait son frère, il la détestait carrément depuis qu’elle était accusée de l’avoir trompé. Il l’avait invectivée à plusieurs reprises dans la Grande salle, et la dernière fois dans le couloir qui menait à la salle de Métamorphose. Il n’avait pas distingué la Professeuse Greengrass parmi le flot d’élèves et avait fait perdre dix points à sa maison, noircissant encore un peu plus le regard qu’il posait sur Mabel.
Mabel, qui se savait impulsive et parfois téméraire à faire pâlir un fier Gryffondor, Mabel qui avait couru le pays entier et survécu à sa seule force plutôt qu’à celles réunies de ses amies, Mabel avait aussi ses moments de faiblesse : et cette matinée que s’était accaparée Isabella en s’insinuant dans sa tête obstinée à ignorer Les Hiboux et tout le reste et tout, tout tout le reste, cette matinée avait épuisé ses capacités journalières voire hebdomadaires à affronter les conversations difficiles. Aussi Mabel n’attendit pas qu’Eryx arrive à sa hauteur pour lui adresser un sourire narquois et détaler, mettant toute sa puissance, toute son impétuosité dans une foulée qu’elle le savait incapable d’égaler. Elle l’entendit pester derrière elle alors qu’elle quittait le terrain sous les yeux amusés d’Isabella et elle se sentit un regain d’énergie qui la porta jusqu’à la cour d’entrée du château.
Quelques rares élèves y flânaient, mais les premières gelées de la saison en dissuadaient la majorité de s’aventurer par-delà les armures qui veillaient la lourde porte en chêne. Mabel ralentit, puis s’arrêta tout à fait à l’angle du cloître et se laissa choir le long d’un des piliers. Elle remonta alors son collant de course jusqu’aux genoux, dégaina sa baguette et appliqua sur ses tibias le sortilège qui contenait l’inflammation dont elle souffrait depuis plusieurs mois. Madame Pomfresh le lui avait appliqué une première fois au mois de mai dernier, lorsque Mabel était venue se plaindre d’une douleur persistante même au repos, et l’étudiante s’était soigneusement entraînée à le reproduire elle-même. Il lui faisait d’abord l’effet d’un bain glacé, une sensation vite balayée par une vague de chaleur qui effaçait toutes les douleurs accumulées. Mabel prit trois grandes inspirations, poussa trois grandes expirations, et elle se lança d’un pas vif à l’assaut des centaines de marches qui la séparaient de son dortoir.
Rien ne la surprit une fois parvenue à la chambrée que Okah, Lucya, Charlotte, Michelle et Rhian partageaient avec elle depuis six années :
ni les cris stridents qui leur parvenaient depuis la salle de bains où Michelle s’évertuait à chanter faux malgré les fois, nombreuses, où une Charlotte excédée lui avait proposé des exercices de vocalise pour améliorer son timbre de voix
ni les vêtements qui volaient à travers la pièce depuis la penderie où Rhian essayait toutes ses tenues Moldues les samedi et dimanche avant d’invariablement opter pour le même jean flare et son éternel hoodie à carreaux
ni les ronflements de Lucya que les rideaux grands ouverts et les piétinements et les cris et le bruit que faisait Charlotte à taper contre la porte de la salle d’eau et tout le reste les rires et les invectives réunis ne pouvaient arracher à la toute quiétude de son sommeil
et ni l’odeur des bougies que Okah allumait avec cérémonie pour démarrer son weekend par une séance de méditation entre ses draps fleuris – séance souvent ternie par Rhian qui pestait après le parfum de la rose qu’elle disait ne plus supporter passée la mille cent soixante-dix-huitième fois.
Rien ne la surprit mais tout la ravit, Mabel, qui s’enivrait de chaque seconde et d’autant plus fort que cette vie qu’elle touchait là du doigt lui avait encore filé entre les mains à l’été, et lors de sa rencontre fortuite avec James, et à la dernière publication des Hiboux, et à chaque fois que Achilles l’avait ignorée, et à chaque fois que Eryx et la grosse dizaine d’élèves qui s’étaient senti pousser des ailes dans son sillage vengeur l’avaient à l’inverse alpaguée. Mabel aurait sacrifié tout ce qu’elle avait en échange d’une certitude : celle d’ouvrir les yeux tous les matins de sa vie sur le tableau que lui offraient ses amies.
Elle ignora alors, comme elle savait si bien le faire, et les mots d’Isabella et les mots de Eryx, et même le regard un peu trop insistant que Rhian lui réservait souvent depuis la rentrée. Mabel fit mine de ne pas l’avoir vue et vint s’asseoir en face de Okah, prit ses mains entre les siennes et la rejoignit dans sa convocation d’un paysage merveilleux où le ciel rosé se confondait avec les paillettes dorées d’une plage au coucher du soleil. Puis elle alla trouver Rose, à l’heure du déjeuner, pour célébrer le rôle de Roxane qu’elle avait décroché dans la pièce de l’année en la compagnie de son frère cadet et d’une Deirdre Brennan qui paraissait plus fière encore que son amie. Et après, Okah encore, à la bibliothèque, pour avancer le devoir de Défense contre les forces du mal et – surtout – pour espionner Charlotte qui se croyait plus discrète qu’elle ne l’était vraiment dans l’alcôve où Tristan Sheridan l’avait invitée à réviser. Et après Lucya, qui avait obtenu le mot de passe de la salle de bains des Préfets et aimait s’y prélasser l’entraînement de Quidditch passé, c’était d’ailleurs elle qui avait appris à Mabel les rudiments de la brasse. (Mabel et ses jambes endolories ne rechignaient jamais à pratiquer quelques longueurs pour s’abandonner ensuite à la torpeur des eaux chaleureuses.)
Et après vint Charlotte, et Lucya encore, et Okah encore et Brooke, et vint dimanche, d’autres rires, un entraînement de duel et le sourire rare et apprécié de Dominique Weasley, l’accolade de Nina Shacklebolt dont les sortilèges informulés devenaient redoutables, un déjeuner animé par une explosion du côté de Hugo Granger-Weasley et les hululements indignés des quelques hiboux qui apportaient le courrier à cette heure, et, et, et vint lundi, mardi, mercredi, et Mabel avait soigneusement ignoré Isabella jusque dans ses pensées lorsque Charlotte, attablée à ses côtés dans la Grande salle, lui lança :
— Mabel, ne panique pas, mais il y a Isabella Ollivander qui te dévisage.
Si sa remarque visait aussi à interrompre l’interrogatoire que lui faisaient subir Lucya et Okah au sujet de Tristan, et de leur relation qu’elle s’obstinait à qualifier d’amicale, il n’en restait pas moins que c’était vrai : Isabella dévisageait Mabel avec au moins autant de discrétion que Lucya et Okah dans leurs questions.
— Elle t’en veut ou quoi ? s’enquit Lucya. On dirait la tête de mon père quand je laisse tomber le Souafle dans ses parterres.
— Et pourquoi elle lui en voudrait ? Ce n’est même pas comme si vous vous étiez déjà parlées, hein, Mabel ? réagit Okah.
Charlotte fut la première à comprendre, qui à force de performer savait déceler un silence serein d’un silence gêné, mais Okah fit preuve de la plus grande théâtralité en portant ses mains à sa bouche et en écarquillant si grand les yeux que Mabel se sentit écrasée sous son regard.
— Ne me dis qu’il s’est passé quelque chose entre toi et Isabella, articula Okah en s’efforçant de ne pas hausser la voix.
— C’est ça, comme s’il n’y avait pas plus désespérément hétérosexuelle que Mabel ! rebondit Lucya en attrapant une grosse poignée de frites de patate douce. Enfin si, tu me diras, il y a Charlotte, ajouta-t-elle dans une dernière réflexion avant d’engouffrer son met.
— Je ne vois pas ce qui vous fait dire que je suis désespérément hétéro alors que je n’ai pas de petit ami, marmonna Charlotte.
— Tes crush récurrents sur le dernier joueur de Quidditch à s’être illustré lors d’un match, peut-être ? Et, quand ce n’est un pas un sportif, alors le dernier chanteur à la mode ? Comme je disais, c’est désespérément prévisible.
— Tristan n’est ni dans l’équipe ni un chanteur à ce que je sache, il, il est…
Aux larges, très larges, trop larges sourires de ses amies, Charlotte comprit qu’elle en avait beaucoup trop dit et se mit à dévisager son assiette vide, les joues rouges et enfoncées dans ses poings.
— Tu as un crush sur Tristaaan, s’amusa Okah en mimant un slow.
— Et qui c’est qui avait parié être la première à la faire parler ? se gargarisa Lucya.
— Toi, ô grande prêtresse Wajs de la vérité, s’inclina Okah. Et, en ce cas, peut-être que tu pourrais aussi faire parler Mabel, qu’elle nous explique au moins pourquoi Isabella Ollivander n’a pas lâché notre table du regard une seule seconde depuis le début du dîner.
Charlotte releva la tête, et Lucya braqua son regard aiguisé dans les yeux aussi bleus de Mabel, qui pinça les lèvres et donna un léger coup dans le tibia de Okah.
— Il ne se passe absolument rien entre Isabella et moi, argua Mabel, je ne sais même pas où est-ce que tu vas chercher ça, tu sais bien que… que je, qu’enfin, vous savez qu’il ne se passe rien !
— Rien de romantique, c’est évident et il n’y a que Okah pour s’imaginer autre chose, mais le fait est qu’elle te regarde comme elle seule sait faire quand elle a quelque chose dans la tête, rétorqua Lucya.
— Mais je n’y suis pas dans sa tête, moi.
— Elle ne te veut pas de mal au moins ? demanda alors Charlotte avec douceur. Tu sais, par rapport à, à toute cette histoire, elle ne t’a rien dit de méchant ?
Il y avait une telle sollicitude, surtout un tel amour dans la façon hésitante qu’avait Charlotte de prononcer ses mots, dans les traits soudain sérieux de Lucya et dans la chaleur de la main de Okah, qui vint recouvrir la sienne et calmer les tremblements dont son index était agité – tellement, tellement d’amour qu’il gonfla le cœur de Mabel et lui fit oublier pour une fois de fuir – lui fit oublier son réflexe premier – lui fit oublier l’envie, le besoin primaire et impérieux de courir, de courir plutôt que de crier et plutôt même, que de parler.
— Elle est venue me voir samedi dernier quand je courais le matin avant que vous ne vous réveilliez, déballa Mabel. Elle voulait me parler, vous savez à quel sujet bien sûr, et –
(Elle failli être interrompue par Lucya, qui avait ouvert la bouche et lâché une espèce d’onomatopée, mais Okah la fit taire d’un signe de la main tandis que Charlotte lui faisait mine de continuer, son éternel et bienveillant sourire aux lèvres.)
— Et elle, elle m’a dit qu’elle avait cherché pendant longtemps qui était derrière Les Hiboux et qu’elle ne savait toujours pas de qui il s’agissait mais qu’elle voulait faire quelque chose parce qu’elle a compris que le vrai sujet, ce n’est même pas de savoir, c’est de reprendre le pouvoir, je vous le fais en gros, hein.
— Mais c’est-à-dire ? Qu’est-ce qu’elle veut faire exactement ? interrogea Charlotte.
— Et qu’est-ce qu’elle attend de toi ? renchérit Lucya.
— Elle veut détruire Les Hiboux, c’est ce qu’elle m’a dit, et qu’elle allait avoir besoin de voix pour ça et que la mienne aurait du poids, même si je ne comprends pas du tout pourquoi.
— Moi je ne trouve pas ça idiot, réagit Okah.
La jeune fille s’était exprimée avec une grande douceur, les yeux dans le vide et les lèvres légèrement entrouvertes qui lui donnaient l’air pensive, et Mabel en fut aussi surprise que Lucya et Charlotte.
Les quatre amies aimaient se dire complémentaires, solidaires surtout, et parfois même similaires en tous points. Il leur semblait qu’une amitié en grand prenait nécessairement ses racines dans un même terreau, certes formé de mille matières mais qui devait sa fertilité à son unité. Et Mabel, Okah, Lucya et Charlotte étudiaient dans le Poudlard de l’après-guerre : plus de vingt années avaient passé, qui avaient fissuré les croyances les plus ancrées au château et dans la société sorcière toute entière. Aux filles, à leurs camarades et condisciples, il avait été rabâché que l’appartenance à l’école primait sur la maison, et que la répartition dans ladite maison ne condamnait pas à se fondre dans un unique archétype. Mabel pouvait être travailleuse, et Okah ambitieuse, Lucya pouvait s’entraîner avec les joueurs et les joueuses de Poufsouffle parmi lesquelles, sa cousine Elżbieta, et Charlotte pouvait s’essayer chaque année à une nouvelle activité sans jamais assouvir sa curiosité, elles n’en étaient ni plus, ni moins des Gryffondor, ni plus ni moins des filles particulières, et similaires.
Mabel était timide, mais si sociable et passionnée qu’elle n’aspirait qu’à la communauté. Lucya était fougueuse et extravertie et la plus anxieuse des quatre amies. Charlotte pouvait enchaîner les représentations théâtrales et artistiques puis se satisfaire d’un dimanche en solitaire à la lisière de la Forêt interdite. Et Okah, Okah était d’un enthousiasme qui confinait à l’exagération et à la fois capable d’analyses sociales et politiques si poussées qu’elle pouvait laisser sans voix un auditoire. Mabel, Lucya, Charlotte et Okah avaient leurs défauts, leurs qualités, elles avaient leur histoire et leur personnalité, et elles avaient nourri une amitié épanouie en se soutenant les unes et les autres. Il était rare que l’une d’entre elles se distingue significativement des autres dans une discussion.
— Je ne comprends peut-être pas ce qu’Isabella veut vraiment faire, mais s’il est question de prendre la parole, de former un groupe, de rédiger je ne sais quoi, je ne trouve pas ça idiot du tout de faire appel à toi, Mabel, affirma Okah en plantant finalement ses yeux dans ceux de son amie.
— Mais ça voudrait dire s’exposer à nouveau à tous les commentaires de l’école, lui opposa Lucya. Je ne dis pas que Mabel n’en est pas capable, bien sûr qu’elle l’est, mais ce n’est pas parce qu’on est capable de faire quelque chose qu’on doit le faire si le prix est trop fort à payer.
— Ça a déjà été un début d’année très difficile, et si l’idée est bien de faire tomber Les Hiboux, il faut se préparer à ce que ça n’arrive pas sans d’autres dommages, ajouta Charlotte.
— On ne parle pas d’un « début d’année », on parle d’années au pluriel, des années de commérages qui ont souvent viré au harcèlement, des années de… de vous savez bien, vous vous rappelez quand il a fallu réparer toutes les affaires de Rhian avant qu’elle n’arrive dans son dortoir, vous n’avez pas oublié, hein ?
— Bien sûr qu’on se rappelle, et plus récemment, on se rappelle aussi de tous les racontars dont Mabel a fait les frais. Pourquoi est-ce qu’elle devrait encore s’exposer alors que c’est à peine terminé ? rétorqua Lucya en durcissant le ton.
— Et pourquoi pas Mabel ? Elle écrit super bien, elle adore les débats, et puis ce n’est pas une petite chose fragile. On parle de la majore de notre promotion, de la meilleure duelliste de ce château après Dominique Weasley ! Moi je comprends très bien ce qu’Isabella peut voir en elle, et si vous étiez ses amies, vous devriez le voir aussi.
— Non mais stop ! Stop ! s’exclama Mabel en frappant ses deux mains sur la table. Je déteste ça, que vous parliez de moi comme si je n’étais pas là, comme si je n’étais pas capable de réfléchir et de décider par moi-même. Ça fait des semaines que je suis le sujet de la conversation sans être invitée à y participer et j’en ai assez.
Le brouhaha dans la Grande salle avait couvert son éclat de voix, mais lorsque Mabel se dressa brusquement en brisant son verre à pied, elle s’attira les regards curieux des élèves attablés autour d’elle. Il n’y avait vraiment dans leur regard que de la surprise, car Mabel ne les avait guère habitués à ce genre de démonstration, et la plupart reprirent leur propre conversation, ou leur repas, ou les deux à la fois sans s’attarder sur elle plus d’une seconde. Ils reprirent discussions et rires et mastications et Mabel, elle, s’enfonça encore un peu plus dans son abîme de douleur.
(Il lui avait semblé
cet été
en toucher le fond –
Et elle s’était trompée.)
(Il lui avait semblé – tant de choses – et, et qu’un regard curieux était duplicité – cachait complicité – et comment, comment distinguer l’intérêt presqu’amical d’un condisciple de l’intérêt intéressé de la volonté d’humilier et, et s’ils lui voulaient du mal, s’ils lui voulaient du mal comme – comme Mabel s’était trompée.)
— Je ne veux plus en entendre parler. Je ne veux plus jamais en entendre parler, et encore moins qu’on se dispute à ce sujet, maugréa-t-elle en évitant avec le plus grand soin d’observer une seule de ses trois amies.
Elle affronta en revanche, et alors qu’elle jetait son sac par-dessus son épaule et faisait une première enjambée vers la lourde porte sculptée qui ouvrait sur le grand escalier, le regard d’Isabella. Mabel lui fit face, sans ciller, sans chercher non plus à contenir les larmes qui perlaient à ses paupières – au contraire. Et après quelques secondes de ce duel silencieux la Préfète-en-Cheffe baissa enfin les yeux. (Elle pensait toujours avoir raison. Merlin, elle n’avait tort que tout au plus deux fois par an, et elle s’était déjà trompée le mois dernier en donnant la mauvaise réponse au Professeur McMillan alors ça n’était pas elle, non, ça n’était pas Isabella qui surestimait Mabel, c’était assurément Mabel qui se sous-estimait.)
Mais toutes les douleurs et les peines de Mabel paraissaient rejaillir à ses yeux qui brillaient à ses mains qui tremblaient et à ses jambes qui couraient qui couraient qui couraient, et Isabella ne se risqua pas à la rattraper. Même ses amies ne s’y risquèrent pas, même Brooke, même James, même Rose qui s’embarrassait peu à l’ordinaire qu’une amie soit réfractaire à se confier lorsqu’elle désirait connaître la vérité. Il, elles laissèrent Mabel à son tableau coloré, craquelé, parce qu’au fond elles en craignaient autant qu’elle les fissures : elles craignaient de la voir s’effondrer en vrai, en grand, définitivement, et d’en subir les éclaboussures. Elles craignaient de ne pas avoir les bons mots, les bons gestes, d’infliger par leur propre idée de la guérison des maux plus noirs encore que ceux qu’elles prétendaient soigner. Et même Isabella Ollivander n’aurait su dire ce qu’il convenait de faire, et comment agir. Les sorciers, les sorcières qui avaient vécu deux guerres atroces sur deux générations à peine, qui portaient dans leur chair cicatrisée et dans leur tête malade de n’avoir jamais été soignée les stigmates d’un conflit qu’elles transmettaient sans le dire à la génération qui suivait, avaient inventé mille sortilèges, mille potions pour guérir les blessures infligées à la magie noire : ils s’étaient à peine penchés sur les blessures dont les traces n’étaient pas visibles.
Ni professeur ni professeuse ne s’était enquis de la santé de Mabel.
(Et il n’était venu ni à l’esprit de Mabel, ni à celui d’Okah, Lucya ou même de la raisonnable Charlotte d’alerter un adulte après le saccage des affaires de Rhian, en troisième année.)
Ni professeur ni professeuse pour quérir Isabella, James, Rhian, Mabel et tous les autres, toutes les autres, la génération d’après la leur, la leur qui – qui avait contemplé sans rien y faire un pays tout entier harceler une fille de quatorze ans, un garçon de quinze ans.
Et parce qu’elles ne savaient ni quoi dire, ni quoi faire, Okah, Lucya et Charlotte obéirent à l’injonction de Mabel et ne mentionnèrent plus Isabella du reste de la semaine. Elles s’efforcèrent même de ne pas paraître agacées, ou vexées, bien que Mabel puisse lire toute sa susceptibilité dans le menton dressé de Okah et ses lèvres pincées. Elles tinrent parole, étudièrent ensemble, mais il subsista comme un froid entre elles, une gêne qui ne leur était pas habituelle et les enjoignit, chacune, à chercher une exceptionnelle autre compagnie. Charlotte dîna tous les soirs avec Tristan, Lucya papillonna d’un groupe à l’autre et joignit même Rhian et Michelle dans leur veillée nocturne le vendredi soir, tandis que Okah aidait ses petites sœurs et leurs camarades avec elles à pratiquer la Métamorphose.
Mabel, quant à elle, dîna le premier soir avec Rose, mais son amie croyant certainement bien faire la dévisagea tout le repas, s’adressa à elle comme s’il lui avait été diagnostiqué une maladie incurable, et Mabel pouvait presqu’apercevoir les questions danser dans ses iris noires. Elle s’assura que Rose était bien accompagnée de Deirdre Brennan le lendemain soir et s’installa à la table des Poufsouffle, entre Brooke et Hamza Shafiq qui lui posa mille questions saugrenues sur la salle commune des Gryffondor et sur ses condisciples. Brooke agrémenta ses réponses d’anecdotes sur James, mais aussi sur Charles, Tristan et Kolya, qu’elle connaissait par le biais de son ami sans paraître savoir que ce dernier avait été – et était peut-être encore – bien plus qu’un camarade pour James.
Et vint samedi, le premier match de la saison pour les Gryffondor qui devaient affronter les Serdaigle. Ils n’avaient pas, aux dires de Lucya, l’équipe la plus forte du château cette année-là, mais Lucy Weasley et Leo Finch-Fletchley composaient un duo de batteurs redoutablement efficace dont elle appréhendait les combinaisons. Par égard pour leur amie, Mabel, Okah et Charlotte mirent de côté toute la tension qui s’était accumulée ces derniers jours. Elles ne lâchèrent pas Lucya d’une semelle de leur dortoir jusqu’à la Grande salle, la forcèrent à ingurgiter suffisamment de protéines et de sucres lents, et elles se peinturlurèrent le visage à son nom. Enfin, elles improvisèrent une danse excessivement mal exécutée lorsque James et Alfred vinrent la chercher, se ridiculisant en conscience pour atténuer un peu l’anxiété de Lucya.
Les élèves de Poudlard prirent, peu après les joueurs et les joueuses de Gryffondor et Serdaigle, le sentier sinueux et surtout boueux qui menait au terrain de Quidditch. Il ne pleuvait pas, mais le ciel était strié d’épais nuages noirs et un vent glacial soufflait entre les gradins, qui fit perler quelques larmes aux coins des yeux de Mabel et Charlotte, qu’elles avaient clairs et sensibles. Et, alors qu’elle ramassait un pan de son écharpe qui traînait sur le banc pour s’essuyer le visage, Mabel aperçut une silhouette qui lui était devenue familière descendre seule des gradins où la quasi-totalité de Poudlard s’était installée avec ferveur.
— Je reviens, lança-t-elle à Charlotte et Okah.
— Dépêche-toi, Lucya veut tenter sa feinte de Porskove ou quelque chose comme ça avec James, elle va te tuer si tu rates ça.
Mabel promit du bout des lèvres de revenir à temps, mais à cet instant, elle ne pensait plus à Lucya, à Okah et Charlotte, à Rose qui avait toujours porté le maillot de Scorpius pendant les matchs des Serdaigle jusqu’à cette année, Mabel ne pensait plus à personne d’autre qu’à James et surtout, à la personne qu’elle poursuivait désormais pour lui dans les escaliers :
— Kolya ! Kolya, attends ! s’écria-t-elle en agitant sa main devant elle.
Il l’entendit, parce qu’il lui jeta un regard par-dessus son épaule et ralentit un bref instant, mais il reprit sa descente sans rien piper. Mabel, toutefois, ne l’entendait pas de cette oreille : elle enjamba la rambarde, avisa la volée de marches en contrebas et sauta. Kolya fut si surpris qu’elle atterrisse sur ses deux pieds qu’il se stoppa net et ne songea pas une seconde à remonter vers les gradins.
— Il faut que je te parle, articula Mabel.
(La voix un peu blanche, elle était aussi surprise que Kolya, pas par son saut en lui-même, qui n’était qu’une énième manifestation de l’impulsivité qui l’avait poussée sur les routes de l’Angleterre tout l’été – elle était si surprise de ne pas être tombée qu’elle en négligea la vive douleur à ses tibias.)
— Je ne vois pas ce que tu veux dire, lui répondit Kolya.
— Parce que je n’ai encore rien dit, mais je vais le faire : je suis au courant.
Kolya ne lui fit pas l’affront de demander ce qu’elle savait. Il balaya plutôt les escaliers des yeux, allant jusqu’à taper contre la lourde toile qui entourait la tribune comme si quelque source anonyme des Hiboux de Poudlard avait pu s’y tapir. Et Mabel se sentit rosir alors qu’elle le regardait faire.
Rozhdestvensky, Kolya avait été réparti à Gryffondor à peine le Choixpeau avait-il effleuré sa jolie tête. Et les années l’avaient embelli chacune à leur tour. Il avait de superbes boucles blondes qui lui tombaient jusqu’à la mâchoire et encadraient un visage en cœur dont les différents profils ravissaient aussi bien la gent féminine que masculine. Ses yeux verts, très clairs, paraissaient toujours briller, et ses lèvres charnues dégageaient deux fossettes lorsqu’il souriait. Kolya plaisait, il le savait, et il en jouait. C’était un gentil garçon, drôle et généreux, mais si Mabel comme les autres lui reconnaissait une très grande beauté, elle n’appréciait pas sa façon de se comporter avec les filles : il les enlaçait à longueur de temps, les flattait, flirtait avec la séduction dans une ambiguïté qui suscitait toujours l’espoir d’une fille emmourachée sans qu’il ne concrétise jamais les relations fantasmées.
Il ne lui était pas connu la moindre relation avec une fille, et Mabel était probablement la seule avec Rhian à savoir pour James. Kolya inspecta encore les environs de longues secondes avant de réagir à voix basse :
— James m’avait promis de n’en parler à personne.
— Il n’a pas vraiment eu le choix !
— Moi non plus, je ne l’ai pas eu, pourtant je ne l’ai pas balancé.
— Balancé ? s’indigna Mabel. Mais qu’est-ce que tu crois qu’on a fabriqué, cet été ? Pourquoi est-ce que tu t’imagines qu’on a fait la une des Hiboux ? Hein ?
— Parce qu’il y a quelque chose entre vous ? offrit Kolya les traits de son visage contractés.
— Parce qu’il y avait quelque chose entre vous ! Il était terrifié, il était déprimé, ça le rendait malade que tu ne lui parles plus à cause de cette photo. Il pensait que tu ne lui parlais plus à cause de ça ! Alors il m’a demandé de l’aider, et j’ai accepté, et, et qu’est-ce que tu croyais franchement ? Que j’étais le genre de fille que ça amuse de tromper son petit ami ? Qu’il était le genre de garçon à tromper la personne qu’il aime ? On a posé, pour Les Hiboux, on l’a envoyé nous-mêmes cette photo, tout ça pour détourner l’attention de vous, de toi ! Et tu refuses toujours de lui parler ?
— Je n’ai pas l’impression d’être le seul dans ce cas-là, rétorqua Kolya.
Mais il avait flanché, il avait voulu reculer et buté contre les marches aussi sombres que son regard, que ses pensées. Kolya avait les yeux qui brillaient, toujours : mais pour la première fois depuis que Mabel le connaissait, ce qui luisait entre ses paupières parfaitement dessinées, c’était des larmes.
— J’ai risqué beaucoup de choses pour sauver ta peau et celle de James, reprit Mabel avec douceur en nommant enfin le jeune garçon. Je ne vais pas prétendre que je l’aurais fait juste pour toi, parce que tu ne me croirais pas et je ne me convaincrais pas, même si j’aimerais être quelqu’un qui n’abandonne jamais les autres à l’injustice. Mais j’ai risqué gros, et je risque encore plus gros. J’ai perdu Achilles, j’ai été humiliée publiquement, le sujet de toutes les conversations depuis des semaines et ça, ça reste le meilleur scénario, celui où cette histoire s’arrête aux murs de Poudlard. Fréquenter James maintenant, c’est encore renforcer tout ça, c’est encore, prendre plus de risques. Et, et moi, moi je crois que, que je ne suis pas assez forte, pour aller au bout du truc, tu vois.
Et à ses paupières aussi elles perlèrent, les larmes qu’elle cachait à ses amies et à la terre entière et à elle-même. Mabel, qui se préférait de mille fois sa version aboutie, sa version composée que les camarades ne connaissaient que souriante et soutenante, Mabel avait si bien puisé dans ses réserves de force pour toute la vie qu’elle laissait entrevoir à Kolya un peu du réalisme derrière sa peinture romantique.
— Mais toi, tu ne risques plus rien, acheva-t-elle d’une voix étranglée. Tu ne risques plus rien à être au moins l’ami de James. Et James, il a vraiment, vraiment besoin d’un ami en ce moment. Il a besoin de son meilleur ami, et peut-être un peu à cause de moi aussi, oui, mais j’ai été forte pour toi et moi jusqu’à présent, je crois que tu peux bien me rendre la pareille un peu et être à la hauteur de James.
— Mabel…
Ils avaient oublié tous les deux qu’ils se tenaient sous les tribunes du terrain de Quidditch. Ils avaient oublié tous les deux Serdaigle, Gryffondor, James et Lucya et Alfred les Poursuiveurs et Poursuiveuse, ils avaient oublié si bien qu’ils n’entendaient ni la clameur, ni le commentateur enthousiaste et les coups de sifflet de Katie Bell, leur professeuse de vol. Kolya et Mabel étaient présents et en-dehors. Ils avaient sauté enfin à pieds joints dans la réalité qu’ils avaient espérée alternative jusqu’à s’y perdre, jusqu’à surtout risquer d’y perdre James.
— Mabel, tu permets, est-ce que je peux te prendre dans mes bras ? s’enquit alors Kolya.
Peut-être parce qu’elle n’avait permis à personne, depuis la rentrée, peut-être parce que Kolya n’était pas son petit ami ni même son ami, peut-être parce qu’il ne l’avait pas lâchée du regard en le lui demandant, Mabel accepta son étreinte et l’agrippa avec une force qui le surprit encore. (Sa force surprenait toujours. Elle surprenait même Mabel.)
Et tandis que Lucya et James exécutaient au-dessus de leur tête et à la lumière du jour une feinte de Porskoff parfaitement réussie qui suscita les acclamations des gradins à en faire trembler la structure de bois : Kolya pleurait, le visage enfoui dans l’épaule de Mabel, Kolya pleurait gémissait hoquetait et Mabel, Mabel retint ses sanglots, mais elle laissa voir à Kolya les sillons qu’avaient creusé des larmes silencieuses sur ses joues blanches avant qu’ils ne reprennent le chemin des gradins, de la foule, du monde coloré et joyeux où James feignait la félicité peut-être plus fort encore qu’eux deux réunis.
End Notes:
Merci d'avoir lu ♥
Dans le prochain chapitre, nous irons faire un petit tour du côté du lac, c'est Charlotte qui va pouvoir se moquer d'un crush de Okah, et Achilles fera son retour parmi les personnages principaux !
Mais en attendant, n'hésitez pas à me faire part de votre avis dans une petite (ou même une grande hihi) review ♥ et je vous souhaite à toustes un très bel été !
Author's Notes:
Hello hello !
J'ai achevé ce chapitre la semaine passée sous le soleil de l'Italie méridionale ♥ , mais j'ai hésité à le poster parce que c'est un peu difficile pour moi de savoir si cette histoire a vraiment d'autres destinateurs-trices que la personne à qui elle est dédiée, sans retour dessus ?
Et puis Strix m'a remotivée ce matin avec son adorable review ♥
Alors une belle lecture !
Ni Charlotte ni Okah ne pipèrent mot quant à l’absence de Mabel pendant la première partie du match de Quidditch où Lucya avait réalisé le plus d’exploits. Elles ne lui dirent rien, d’abord pour ne pas ruiner la joie de cette dernière, si communicative qu’elle paraissait colorer l’atmosphère partout où Lucya se trouvait, ensuite et surtout, parce que Mabel opéra un spectaculaire changement de comportement après son entrevue avec Kolya : elle présenta ses excuses à ses amies le lendemain, une fois passées les célébrations de la première victoire des Gryffondor pour la saison, et puis elle leur confia et le manque d’Achilles, et la peur de s’afficher avec James, et même les insomnies qui la cueillaient de plus en plus souvent à la nuit tombée. Elle retint ses larmes, tut les cauchemars, ses crises dans les toilettes du deuxième étage et les douleurs croissantes dans ses tibias, elle détourna la conversation, aussi, dès que les filles essayèrent de l’approfondir. Mais elle avait confié un peu, un tout petit peu enfin du poids qui l’obérait, et si Okah, Charlotte et Lucya devinaient Mabel plus tiraillée encore qu’elle ne le prétendait, elles acceptèrent ses rares confidences pour ce qu’elles étaient : la marque d’une amitié sincère et profonde qui colorait même les journées les plus sombres.
Et Okah, Charlotte, Lucya, les filles n’insistèrent pas, se contentèrent d’accueillir la parole de Mabel sans la braquer, sans formuler les questions qui leur brûlaient les lèvres. Mabel, en retour, cessa de prétendre aller bien lorsqu’elles croisaient Achilles dans les couloirs ou, pire, son frère jumeau, elle accepta le bras de Okah autour de ses épaules quand quelque élève cruel l’alpaguait dans les couloirs et laissa même Lucya délivrer un violent crochet du droit en son nom, ramenant à elle une attention qui n’était pas toujours négative :
Brooke lui fabriqua une couronne enchantée dont les fleurs évoluaient avec les saisons (et lorsque la clématite de Noël devint un superbe jasmin d’hiver Okah, n’y tenant plus, invita Brooke dans leur dortoir et la somma de lui enseigner ses sortilèges fleuris, ce qui suscita l’étonnant intérêt de Rhian)
Rose lança un sortilège de Chauve-Furie à Rachel Osborne, de quatrième année à Serdaigle, qui avait insulté Mabel à quelques pas de Achilles en s’imaginant peut-être l’intéresser de la sorte (et le Chauve-Furie fut désigné, à l’unanimité des Weasley qui étudiaient à Poudlard, la plus belle exécution de l’année du sortilège préféré de Ginny Weasley, ce que Dominique et Hugo décidèrent de célébrer en arrosant la Grande salle de confettis un matin de semaine)
Et James recommença à lui sourire. Surtout, James recommença à lui sourire, et Mabel à lui répondre en silence, une lueur apaisée dans ses iris bleu pâle. Elle ne remarqua pas, en revanche, qu’il avait aussi repris l’habitude de la suivre du regard, de la chercher quand il ne l’avait pas aperçue plusieurs heures d’affilée. Et parce qu’un dimanche matin qui découvrait le parc de Poudlard maquillé d’une couche de givre étincelante, James vit Mabel quitter la salle commune à la faveur des premières lueurs timides, depuis le canapé où il s’était endormi avec Rhian à refaire le monde des sorciers et sorcières, il réalisa que c’était la deuxième matinée d’affilée et décida de la suivre, intrigué.
Si Mabel avait parlé, si elle avait accepté certaines des mains tendues par ses amies, elle continuait en revanche à ignorer Isabella, même lorsque Okah glissait son nom dans la conversation sans grande subtilité, et elle poursuivait un entraînement si intense que Dominique Weasley en personne l’avait sommée de s’accorder quelques jours de repos. Mabel ne l’avait pas écouté : elle avait alterné sessions de duel et courses de plus en plus effrénées dans le parc de Poudlard, si bien qu’il ne s’était pas passé une journée des dernières semaines d’automne sans au moins une séance de sport. Et le premier dimanche blanc de la saison n’y fit pas exception : Mabel, réveillée avant l’aube, attendit que le soleil se lève et fila aussitôt trottiner dans le parc, jusqu’au lac d’où se dégageaient des volutes de fumée translucide. Elle accéléra alors le rythme, allongea sa foulée, ses bras et bientôt, sprinta dans les virages, de plus en plus vite et les mains de plus en plus ouvertes. Elle alterna pics de vitesse et course un peu au-delà de sa cadence naturelle, imprimant la marque de ses pieds dans l’herbe givrée, inspirant de l’air glacé qui lui brûlait la gorge.
Et puis, alors qu’elle entamait le dernier tour de sa piste improvisée, une vive douleur à la jambe droite lui fit l’effet d’un coup de poignard. Mabel se crispa, et elle était lancée si vite qu’elle perdit son équilibre, glissa, et chuta dans l’eau glaciale.
Sa première pensée fut qu’elle n’avait jamais nagé ailleurs que dans la salle de bain des Préfets. Sa seconde pensée fut pour Lucya, qui n’avait pas ri une seule fois de ses difficultés à se maintenir la tête hors de l’eau, Lucya qui lui avait appris la brasse et même une fois montré le crawl. Mabel se mit alors à battre des pieds, fit une première traction avec ses bras, quand la troisième et dernière pensée cohérente à lui venir la frappa de plein fouet : quelque chose l’avait frôlé, et la rationalité voulait qu’il ne s’agisse que de végétation aquatique à une si faible distance de la berge, mais la panique l’emporta sur la rationalité. Mabel se crut cernée de sirènes malintentionnées, elle s’imagina sur le point d’être dévorée par le calmar géant ou transpercée par la lance d’un triton, elle ouvrit la bouche, avala ce qui lui sembla des litres d’eau, s’étouffa, et oublia comment et dans quel sens il convenait d’agiter les bras, les jambes, tout, Mabel oublia tout comment nager, comment remonter, comment survivre.
Mais lorsque la chose la frôla encore, elle atteignit sa main et la serra fort et Mabel comprit qu’il s’agissait d’une autre main, qu’elle avait cinq doigts comme la sienne, à peine plus longs que les siens, cinq doigts qui appartenaient à un être humain. Elle s’y agrippa de toutes ses forces, se laissa attraper par l’épaule et enfin, enfin, son visage jaillit à la surface du lac et ses lèvres crachèrent un litre d’eau avant de s’ouvrir en grand, lui permettant de prendre la plus grande inspiration de sa vie.
— Je te tiens, Mabel je te tiens !
Elle reconnut la voix de James, et elle réalisa qu’il n’y en avait aucune autre, à cet instant, qu’elle avait plus envie d’entendre au monde. Elle se laissa porter, pesant certainement de tout son poids entre les bras de James, et elle ne parvint pas à amorcer le moindre mouvement pour revenir au rivage. James s’y hissa à la force d’un seul bras, gardant Mabel contre lui de l’autre, et lorsque les herbes blanches s’écrasèrent sous le dos de Mabel et le ventre de James, ni l’un ni l’autre n’eut d’abord l’énergie de dégager ses jambes de l’eau. Elles flottèrent de longues secondes, et avec elle les pensées de Mabel, désarticulées, Mabel qui fixait le ciel gris percé d’un unique rayon de soleil et se sentait si vide, après la peur panique qui l’avait habitée, qu’elle crut avoir perdu à tout jamais la capacité de ressentir.
— Mabel, l’appela James en se redressant les coudes enfoncés dans le sol.
Elle ne lui répondit pas tout de suite, perdue à sa contemplation des cieux, et dans un dernier sursaut d’énergie il s’arracha définitivement aux eaux noires et en tira Mabel avec lui, la traînant à un bon mètre de la zone riparienne où roseaux et massettes s’agitaient sous les effets d’un vent glacial. James se pencha alors sur le visage de Mabel, et la vision de ses deux yeux marron la précipita dans le manoir des Wajs, dans la nuit qui avait peut-être été la plus vulnérable et à la fois la plus émouvante de toute sa vie, et cette image bien réelle l’ancra enfin à la matérialité de son existence, de celle de James, et à l’évidence du lien qui les unissait l’un à l’autre.
— Est-ce que tu vas bien ? Tu respires ? Je veux dire, je vois que tu respires, mais je préfèrerais que ce soit toi qui me le dises. Tu as froid ? Je jetterais bien un Incendio, mais pour tout te dire, j’ai les mains qui tremblent et j’ai peur de ne pas bien doser. Mais tu as froid ? Très froid, je veux dire ?
— Je ne veux pas rentrer chez moi pour les fêtes de fin d’année, murmura Mabel.
Il parut d’abord de ne pas l’entendre et poursuivit son babillage, faisant de grands gestes avec ses mains qui envoyèrent à chaque fois une pluie de gouttelettes sur le visage de Mabel, qui n’avait pas encore retrouvé la moindre de ses couleurs. Et puis, tout à coup, elle captura l’une de ses mains dans la sienne, et d’une voix enrouée mais néanmoins plus assurée, répéta telle une supplique :
— James, s’il te plaît, je ne veux pas rentrer chez moi pour les fêtes de fin d’année.
C’était la première fois qu’elle articulait à haute voix la pensée qui l’obnubilait depuis des mois, la pensée qu’elle ne s’était pas même imaginé confier à Charlotte, à Lucya, à Okah, la pensée qui, aux premiers jours du mois de décembre, était devenue une obsession telle qu’elle l’avait précipitée chaque jour et par tout temps sur des itinéraires improvisés et toujours plus étendus de course à pied.
Mabel était toujours rentrée chez elle pour les vacances de Noël. Il était devenu extrêmement rare, pour les élèves de Poudlard, de rester au château à cette période, et les quelques-uns à faire ce choix avaient notoirement des situations familiales compliquées. Mabel n’en avait encore jamais fait partie, même si ses amies savaient au moins que ses parents ne s’aimaient pas, et que leur désunion était source de telles tensions que Mabel ne s’attardait jamais chez eux – et ne disait jamais chez elle – plus que de raison. Lucya l’avait souvent accueillie autour de la nouvelle année, puisque Okah visitait sa famille au Nigéria et que la famille St Clair préférait aux fêtes en Angleterre les célébrations sur la côte méditerranéenne.
Mais Mabel avait toujours célébré le réveillon avec sa famille : ses amies s’y attendaient, le Professeur Londubat s’y attendait plus encore qui croyait son père à peine remis d’une très longue hospitalisation, et James, James aurait dû s’y attendre lui aussi, mais si ses traits trahissaient nombre d’émotions au premier rang desquelles, l’inquiétude, la surprise n’en était pas une.
— Je ne peux pas rentrer. Je ne peux pas rentrer James, je te promets, je ne peux pas, reprit Mabel à une vitesse d’élocution grandissante. Je t’en supplie, je ferais tout ce que tu voudras, je, je me cacherais dans ton placard s’il le faut ou, ou je ne sais pas au fond du jardin n’importe où, mais s’il te plaît s’il te plaît, est-ce que je peux venir chez toi ?
— Mabel…
— Non non non attends, attends, ne me dis pas non tout de suite ne me réponds pas tout de suite attends, parce que, tu ne comprends pas. Je n’ai pas été chez moi de tout l’été. J’ai, j’ai dû partir, et j’ai menti au Professeur Londubat, parce que je ne voulais pas devoir retourner là-bas, même, même pas le temps d’une visite. J’ai menti, je lui ai dit que mon père était malade, qu’il était très malade, mais ce n’était pas vrai, et je suis partie, et c’est pour ça que je ne voulais pas que tu me voies à Gloucester, c’est pour ça que je ne voulais pas que qui que ce soit me voit à Gloucester.
— Je suis…
— Non non non, répéta Mabel. Non, attends, déjà, je te promets, je suis désolée. Je suis désolée, je suis désolée James, je n’aurais jamais dû arrêter de te parler, je n’aurais jamais dû t’ignorer, je, j’ai été lâche et Kolya avait raison je n’ai aucune leçon à donner à personne et sûrement pas à toi et je devrais encore moins venir te demander quelque chose comme ça après tout ce que je t’ai fait, ou plutôt, tout ce que je ne t’ai pas fait, mais j’avais tellement, tellement peur, que quelqu’un, que le Professeur que, que quelqu’un fasse le lien, à cause de Gloucester, j’avais tellement peur et maintenant j’ai… j’ai tellement peur aussi, je… James ! Je… je ne, comprends pas, je… je n’arrive pas à… il fait, respirer, j’ai plus d’air !
— Tu fais une crise de panique.
— Non, non, je… je n’ai, non, je… je, James.
C’était à son tour à Mabel d’agiter les mains au-dessus de sa tête, avec une frénésie qui la fit heurter James, et dans une tentative désespérée de faire parvenir à ses narines ou ses lèvres et même mieux les deux l’air qui lui manquait soudain. Mais l’air manquait toujours, et autour d’elle les contours de James, des nuages dans le ciel et de toute autre chose au monde se flouaient. Une violente nausée lui remonta dans la gorge, d’épaisses gouttes de transpiration roulèrent sur son front et il sembla à Mabel que sa tête était prisonnière d’un étau et le seul mot, le seul nom qu’elle parvenait encore à articuler était le sien, c’était le nom de James –
James qui, âgé d’à peine sept ans, avait assisté impuissant aux premières attaques de panique de son frère cadet, et les avait alors aggravées en ayant le réflexe de vouloir le serrer contre lui. Et puis il avait grandi, Albus aussi, ils avaient tâtonné, leurs parents et James avaient cherché jusqu’à trouver les moyens de les apaiser ensemble et Albus, s’il était encore et serait toujours un garçon anxieux, avait depuis appris à les maîtriser seul. Il s’était surtout si bien épanoui entre les murs de Poudlard que sa dernière crise remontait à plusieurs années. Mais James était, et serait toujours un grand frère : un grand frère qui savait quoi faire, qui voulait bien faire, et qui le voulait d’autant plus que les yeux qui le fixaient désormais, le visage suppliant qu’il effleurait du bout de son nez rougi, ce visage était celui de Mabel.
Alors il se redressa, il s’assit juste derrière Mabel et posa avec le plus de délicatesse possible sa tête sur ses genoux, gardant une main dans ses longs cheveux roux, une autre dans sa main, celle qu’elle avait saisie pour le couper, pour se confier enfin, et s’il s’éloigna assez de sa figure tremblante pour la laisser respirer, James garda ses yeux plantés dans les siens.
— C’est une crise de panique, lui souffla-t-il avec toute la douceur du monde. Et ce n’est pas grave. Tu vas commencer par prendre de grandes inspirations. Tu crois que tu peux faire ça ?
Mabel hocha la tête, et si ses jambes continuèrent à trembler sur le sol, sa respiration se fit un peu moins erratique à mesure qu’elle inspirait, expirait, inspirait et expirait encore.
— Garde les yeux ouverts, reprit James. Est-ce que tu peux me dire ce que tu vois ?
— …
— Je… je ne sais pas.
— Il est de quelle couleur le ciel ?
— …
— Gris.
— Il y a des nuages ?
— …
— Oui.
— Tu en vois un qui a une drôle de forme ?
— Il y a… oui.
— À quoi est-ce qu’il ressemble ?
— …
— C’est… on dirait, tu sais, cette créature qui… il n’a qu’un seul pied… et son corps, c’est comme si c’était… comme si c’était de la fumée.
— Un Pitiponk ?
— Si le spécialiste de la Défense le dit, articula Mabel et enfin, enfin, ses lèvres esquissèrent autre chose qu’une grimace un quelque chose, qui ressemblait à un sourire.
— Le spécialiste de la Défense ne te défierait en duel pour rien au monde, réagit James en souriant à son tour.
— Je vois autre chose.
— Si c’est une lanterne, ne la suis surtout pas, c’est le Pitiponk qui essaie de te jouer un tour.
— Non, non c’est toi James, c’est toi. Je te vois. Et je suis tellement contente de te voir.
Et ça n’était plus seulement ses lèvres, leurs lèvres, c’était les yeux de Mabel et de James qui paraissaient sourire, briller d’une lueur qui ne les habitait qu’à de trop rares occasions, et peut-être pour cette raison, peut-être pour toutes les autres, James se pencha en même temps que Mabel se redressait et ils s’embrassèrent. Ils s’embrassèrent avec la même passion, et la même certitude tranquille qui les avait enveloppées au port de Gloucester, et dans la chambre mansardée du manoir de Lucya. Et Mabel fut encore la première à mettre fin à leur baiser.
(James garda
toutefois
son front appuyé contre le sien.)
— Je suis désolée, James, chuchota-t-elle les paupières closes. Je te le redis, pas seulement parce que je panique, mais parce que je te devais ces excuses.
— Tu ne me dois rien du tout.
— Mais si. Je te devais au moins mon amitié, et une amie t’aurait dit pourquoi je faisais, ce que je faisais.
Elle s’éloigna de James, rompant tout contact physique le temps de se redresser à son tour et de lui faire face. Ils se dévisagèrent, de leurs cheveux dégoulinants à leurs joues pâles et maculées de terre, et ils éclatèrent en même temps d’un rire tonitruant qui fit croasser quelques-unes des corneilles indignées les environnant. Ils rirent, hoquetèrent, et puis James reprit les mains de Mabel dans les siennes et elle laissa faire, elle le laissa lui narrer :
— Kolya est venu me parler, tu sais. Il s’est excusé lui aussi, et ça prendra du temps mais lui et moi, on va redevenir des amis, les meilleurs j’espère. J’ai compris que je te devais ça. Même quand tu t’éloignes, tu n’arrêtes jamais de veiller sur moi, c’est ce que tu as fait cet été et je crois que je comprends enfin ce qu’il t’en a vraiment coûté.
— Je ne suis toujours pas prête à ce que ça se sache, James. Je ne suis toujours pas prête à te donner, à te proposer ce que tu mériterais vraiment. J’ai, j’ai trop peur, et je ne t’entraînerai pas dans un mensonge. Tu mérites quelqu’un qui assume t’aimer parce que tu mérites d’être aimé bien, James.
— Tu le mérites aussi. Et moi, je t’attendrai. J’ai compris quand on a parlé avec Kolya que je n’avais pas été vraiment au bout de cette histoire, et j’ai compris à t’écouter tout à l’heure que j’avais moi aussi certaines, certaines choses à outrepasser. Avant, et bien tu sais, avant, si tu veux bien m’attendre toi aussi, avant de…
— Oui. Oui, bien sûr, évidemment que je t’attendrai. Je t’attendrai toujours, mais j’ai peur que toi, tu doives le faire beaucoup plus longtemps que moi.
— Justement. J’ai entendu ce que tu as dit, ce que tu m’as demandé, et… et je ne vais pas te demander de m’en dire plus maintenant, si tu ne t’en sens pas encore capable. Je ne vais pas non plus te forcer à parler au Professeur Londubat, ou à quelqu’un d’autre, parce que tu ne retourneras pas chez toi pour Noël et ça, je peux te le promettre. Mais Mabel, tu comprends… tu comprends que je ne pourrai pas garder ça secret sans rien dire ni rien faire éternellement ?
Elle ne répondit pas, et détourna son regard. Mais elle ne s’arracha pas non plus à l’étreinte de James et il la serra encore un peu plus fort, il la serra encore un peu plus fort et enchérit :
— Ce que tu m’as dit, c’est grave. Je ne sais pas ce qui s’est passé, mais il n’y a absolument aucune situation normale dans laquelle tu aurais dû te retrouver livrée à toi-même un été entier. Je suis vraiment, vraiment désolé que tu n’aies pas eu d’autre alternative, mais ça ne peut pas se répéter. Tu as seize ans, Mabel, et tu mérites toi aussi d’être aimée bien, et je ne parle pas seulement romantiquement, je parle d’amour tout court, je parle d’amour fraternel, amical, je parle d’amour familial. Je ne dirai rien maintenant, et je vais faire le nécessaire pour les fêtes, mais je ne te laisserai pas repartir l’été prochain sans qu’on ait trouvé une solution plus durable à ce que tu vis, parce que peu importe ce que tu vis : il y a forcément une autre solution que la fuite.
— Je n’y retournerai pas.
— Je n’ai pas dit que c’était la solution non plus. Je te dis en revanche que partir seule n’en est pas une. Mabel, insista-t-il en l’attirant vers lui, sa main droite sur sa joue de côté, sur son visage fuyant, et son cœur au bord des lèvres. Mabel, s’il te plaît, toi aussi tu dois me promettre quelque chose : promets-moi que tu ne t’enfuiras plus nulle part sans être venu m’en parler d’abord, ou en parler à Okah, ou à Brooke, ou à quelqu’un de confiance. Promets-moi. Et moi je te promets de toujours, toujours être là, même si on ne peut pas être ensemble, même si à ce moment-là, toi et moi, on n’a pas parlé depuis des mois. Je m’en fiche. Juste, promets-moi, parle-moi, et moi, je serai là.
— Tu, tu ne peux pas promettre ça, James.
— Si je peux. Et toi aussi tu peux. Je te le promets.
Elle le contempla, le dévisagea plutôt et ses lèvres surtout, qu’il avait gardées légèrement entrouvertes et d’où s’échappait une très, très mince buée à chaque respiration qu’il prenait. Mabel voulut l’embrasser encore. Elle voulut l’embrasser, l’embrasser comme elle n’avait jamais embrassé Achilles malgré tous les sentiments qu’il lui inspirait, elle voulut l’embrasser comme elle ne savait embrasser que d’amour, mais elle songea que ça n’était pas juste pas James. Et ça n’était pas juste pour elle non plus, qui s’interdisait la seule relation amoureuse qui lui avait toujours paru une évidence, mais surtout ça n’était pas juste pour James qui quoi qu’il puisse en dire, quoi qu’il puisse en penser à s’en persuader, était infiniment, infiniment plus prêt qu’elle à assumer leur lien et tous leurs liens.
(Toutefois Mabel le pensait-elle mais commettait là une erreur qui était celle de l’amour et celle, aussi, d’une âme si accablée par sa propre anxiété qu’elle en ignorait une partie des signes, chez James.)
— D’accord, murmura-t-elle enfin en fixant ses grands yeux bruns, c’est d’accord. Je te promets. Je te le promets, James.
Il la raccompagna jusqu’à leur salle commune, après. Il prit soin d’effacer de leur visage les traces les plus flagrantes d’une incursion dans le lac, et rendit à sa cape et aux vêtements de Mabel une apparence étincelante qui devait leur permettre de se fondre dans la masse des élèves convergeant, à cette heure, vers la Grande salle, la bibliothèque ou le terrain de Quidditch. Et s’ils s’attirèrent malgré tout quelque regard intrigué par leur soudaine proximité, James et Mabel qui n’étaient pas apparus ensemble depuis la dernière parution des Hiboux de Poudlard, ils choisirent de les ignorer. Mabel garda son bras ancré à celui de James, et James, quand ils pénétrèrent la tour des Gryffondor, fit éclater deux Feuxfous Fuseboum en forme de chauve-souris qui permirent à Mabel de filer dans son dortoir et de s’y glisser dans la salle de bain avant que l’une de ses amies ne remarque son état.
Ils ne suscitèrent pas de regain d’attention, car les jours qui suivirent ne les virent pas se rapprocher ni même s’adresser la parole autrement qu’en classe, et la rumeur d’une possible relation dégonfla avant même de faire l’objet d’un nouvel article des Hiboux. James reprit l’habitude de déjeuner avec Rhian, Michelle et Kolya et Charles – seul Tristan se présentait plus sporadiquement car accaparé par une certaine Charlotte St Clair – et Mabel continua à se partager entre Brooke, Charlotte, Lucya, Rose et Okah, à tresser les cheveux de Okah, à donner la réplique à Charlotte et Rose réunies, et même à nager avec Lucya le samedi en fin de matinée et d’entraînement de Quidditch, sans rien lui souffler de sa presque noyage dans le lac de Poudlard.
Ni James ni Mabel ne suscitèrent de regain d’attention, mais James tint sa promesse : le dernier vendredi avant les vacances, alors qu’elle rejoignait Rose à la bibliothèque, Mabel lui trouva un si large sourire qu’elle l’interrogea aussitôt quant à son origine :
— James m’a dit que ton père était malade et ne pourrait pas quitter l’hôpital pour les fêtes de fin d’année et que toi, tu envisageais de rester à Poudlard. Alors c’est arrangé : mes parents sont d’accord pour t’héberger !
— Moi ? Chez toi ? Mais comment ça ? s’enquit Mabel estomaquée.
— Ah oui, James m’a dit de te dire qu’il était désolé de ne pas pouvoir t’accueillir lui-même, mais c’est compliqué chez les Potter, tu sais.
— Compliqué ?
— Hugo m’a dit que je ne devais pas en parler, éluda Rose du ton de celle à qui il coûtait grandement que de se retenir d’en dire plus. L’important, c’est que tout est arrangé ! Et mes parents ont même prévenu Neville, je veux dire, le Professeur Londubat, que tu serais avec nous pour Noël. Il paraît qu’il devait venir te voir ? Pour tout te dire il m’a chargé de te dire d’aller le voir, à la fin de mon cours de Botanique tout à l’heure. Je voulais te le dire avant que tu le croises. Mais je voulais surtout te dire que je suis super contente ! Même si je suis bien sûr terriblement désolée pour ton père, ajouta-t-elle en rougissant soudain et en plaquant ses mains contre sa bouche.
Elle paraissait véritablement horrifiée de ce qu’elle avait laissé échapper, mais Mabel ne lui en tint pas rigueur, habituée aux manières très littérales de Rose et connaissant son désir sincère de bien faire. Elle était plus préoccupée par les mentions de James et du Professeur Londubat :
James, qui n’avait jamais mentionné une relation familiale compliquée et pas même lorsqu’il l’avait hébergée cet été, mais (mais c’était vrai, elle ne l’apercevait jamais plus avec Albus) (Lily lui jetait parfois de drôles de regard) (il les avait évités tous les deux lors du goûter chez Hagrid) (avait paru si touché par la volonté de Lily de postuler comme Attrapeuse que Rhian lui avait serré la main sous la table) (et finalement de James, ou elle, lequel parlait vraiment le moins de sa famille ?)
Le Professeur Londubat, qui l’envoyait quérir sans que Mabel ne sache exactement ce qui lui avait été rapporté par l’intermédiaire de James, et Mabel savait faire beaucoup de choses, mais mentir n’en faisait pas partie.
Et puisque mentir n’en faisait pas partie, Mabel voulut trouver James, voulut savoir, voulut aussi que Rose, elle, ne sache pas, et hésita si bien entre courir à la rencontre de James et jouer la sérénité face à son amie attablée qu’elle perdit le fil de la réalité – et avec lui le fil de la conversation. Elle ne revint à elle que pour manquer s’évanouir à nouveau : à ses côtés, sur une place laissée libre au banc des Serdaigle, s’était installé Achilles Fawley qui, en parfait Préfet témoin de l’absence d’une condisciple, s’enquérait soudain de sa santé, sa main beaucoup trop proche de celle de Mabel.
— Est-ce que tu vas bien ? Mabel ? demanda-t-il.
(À ses sourcils froncés, et surtout à la mine catastrophée de Rose, Mabel reprit pied et comprit qu’il ne devait pas lui poser la question pour la première fois.)
— C’est de ma faute ! s’exclama une Rose mortifiée. C’est de ma faute, j’ai dit n’importe quoi, pourquoi est-ce qu’il faut toujours que je dise n’importe quoi !
— Ce n’est pas du tout de ta faute, Rose, lui opposa aussitôt Mabel. Tu ne pouvais pas savoir, je n’avais dit à personne que mon père, qu’il, et bien, tu sais.
S’efforçant d’ignorer le regard de Achilles braqué sur elle, et la proximité de ses doigts, de son souffle, de son parfum subtil mélange de vanille et de lavande dont elle avait oublié la douceur, Mabel poursuivit en se penchant vers son amie :
— Excuse-moi, Rose. Moi aussi je suis très, très contente à l’idée de passer les fêtes de fin d’année avec toi. Je suis juste un peu surprise, parce que je n’ai encore jamais rencontré ta famille et je ne voudrais surtout pas m’imposer, pas à cette période de l’année.
— Les Weasley ont une très importante tradition d’accueil et les fêtes n’y font pas exception, rebondit Rose. Tu n’es pas la première et tu ne seras pas la seule : Dominique a aussi invité son amie Asma.
— Asma Zahir ? intervint Achilles. Je croyais qu’elle resterait à Poudlard, c’était la seule élève de Serdaigle à m’avoir fait part de ce souhait.
Asma était l’une des rares élèves, dans l’histoire de Poudlard, à n’avoir pas fait sa rentrée en première année. Soudanaise, née de parents Moldus, elle avait été vivement incitée par ces derniers à fuir leur pays ravagé par la guerre pour le Royaume-Uni, dont ils maîtrisaient la langue, et sa candidature avait été acceptée à Poudlard pour sa cinquième année. Elle avait alors multiplié les démarches auprès du Ministère de la Magie pour obtenir les papiers qui auraient permis à ses parents de la rejoindre, en vain : le Ministère avait longtemps argué que les seuls Moldus ne relevaient pas de sa compétence mais de celle du Gouvernement de Sa Majesté, et lorsqu’à force de pressions Asma avait arraché une promesse d’examen de son dossier, celui-ci avait volé d’un bureau à un autre jusqu’à se perdre. Ses parents avaient été massacrés comme des dizaines de milliers d’autres civils soudanais sans que le Ministère ne retrouve leur dossier. Le réveillon de l’an 2021 marquerait, pour Asma, la première année sans sa famille.
— Non, nous accueillons Asma, affirma Rose. Et nous accueillons aussi Mabel. Et c’est une conversation privée, ajouta-t-elle.
— Je voulais simplement m’assurer que Mabel allait bien, répliqua Achilles. Puisque c’est vraisemblablement le cas, vous m’excuserez en effet, mais je vais rejoindre mes camarades.
Et s’il se leva, balaya d’un regard froid les tables de Serdaigle et de Serpentard à la recherche sans doute de Oscar Byrne ou de Felix Bulstrode, ses plus proches amis, son regard s’attarda trop longtemps sur Mabel pour qu’elle puisse l’ignorer. Il se ravisa finalement, fit demi-tour et se dirigea à grandes enjambées vers le Hall d’entrée, et Mabel promena ses yeux indécis de sa silhouette qui rapetissait à celle de Rose, face à elle, qui finit par lui souffler :
— Vas-y, va le voir. On se retrouvera plus tard, on a même toutes les vacances pour ça.
Désolée de laisser son amie, qui venait de lui offrir rien de moins que sa maison pour les fêtes, désolée pour Achilles à qui elle avait menti et certainement abîmé le cœur autant que le sien, désolée pour James, qui l’aperçut sans doute se lancer à la poursuite de son ancien petit ami, désolée pour James dont la situation familiale était compliquée et pour Rose qui devait penser l’avoir heurtée et s’en torturerait probablement l’esprit toute la soirée et désolée, désolée, désolée pour Isabella qu’elle avait ignorée et dont elle distinguait à son tour la silhouette, le port altier, désolée, angoissée, distraite, Mabel avait à peine quitté la Grande salle qu’une main lui saisit le poignet, et elle n’avait ni la douceur de James ni même celle de Achilles mais la rudesse d’un Serpentard de septième année qui l’avait suivi sans qu’elle ne le remarque.
— J’espère que ce n’est pas après mon frère que tu comptais courir comme ça, lui lança un Eryx Fawley les yeux noirs.
Il la dominait d’une bonne tête et profita qu’elle se soit arrêtée pour s’approcher d’elle encore un peu plus près, l’acculant contre l’un des murs de pierre sans lui laisser, cette fois, la possibilité de lui échapper.
— Je ne sais pas si tu t’en rends bien compte, mais mon frère avait des sentiments pour toi, Merlin sait pourquoi, poursuivit Eryx. Si je te savais aussi sincère que lui, je fermerais volontiers les yeux sur tes accointances particulières, mais je t’ai encore aperçue avec Potter il y a quelques jours à peine. Je te prierais donc de laisser mon frère, et ma famille de façon générale, tranquille.
Et il raffermit un peu plus sa prise sur son poignet, au point de faire souffrir Mabel qui, pourtant, ne lui opposa pas la moindre résistance et l’étonna lui le premier. Il s’était attendu à ce qu’elle se dégage aussitôt de sa poigne, à ce qu’elle le frappe, peut-être, et certainement à ce qu’elle lui lance un maléfice avec toute l’agilité conférée par sa pratique assidue du duel. Mais Mabel, figée, les paupières à demi-fermées, n’esquissa pas un geste et n’articula pas un mot, pas une supplique, lui offrant un visage inquiet et presque résigné qui le surprit finalement assez pour l’attendrir. Il relâcha son emprise, s’éloigna d’un grand pas et, constatant que Mabel ne bougeait toujours pas, finit par concéder :
— Je ne vais pas m’en prendre physiquement à toi, hein. Je ne vais même rien te faire du tout, Poulton, alors arrête un peu avec tes yeux de noueux. Je veux seulement t’empêcher de faire du mal à mon frère.
— Tu ne vas rien faire du tout ? Est-ce que ce « rien du tout » inclut les insultes misogynes que tu t’es senti le droit de lancer à tout-va ces dernières semaines ? l’interpella alors une Isabella Ollivander dont le timbre de voix, même pour elle, était particulièrement froid.
Il fallut de longues secondes à Mabel pour comprendre que la Préfète-en-Cheffe les avait suivis depuis la Grande salle et avait été le témoin de leur altercation. Il fallut de longues secondes à Mabel pour ouvrir grand les yeux, pour retrouver le contrôle de ses membres, de ses muscles, à commencer par les trapèzes qui lui permirent de se tourner dans la direction d’Isabella, pour constater que sur ses talons, se tenait Okah. Et qu’elle faisait crépiter des étincelles du bout de sa baguette sans paraître s’en apercevoir.
— Ça va, ça va, je ne lui ai rien fait, moi. Pas vrai, Poulton ? lança Eryx en faisant mine de lui donner une accolade.
Mais il suspendit son bras dans les airs à l’instant où Isabella et Okah s’exclamèrent de concert :
— Tu ne la touches pas !
Et mue peut-être par la force qui se dégageait de leur voix, de leur gestuelle, de leur magie dont les pulsations paraissaient frapper les pierres de Poudlard, Mabel sentit lui revenir et le contrôle, et la force elle aussi – sa profonde connaissance des sortilèges et son expérience du combat et, plus encore que toutes les qualités réunies inculquées par l’école de sorcellerie, elle sentit lui revenir son instinct de survie.
Saisissant sa baguette, Mabel l’enfonça dans la nuque d’Eryx, juste contre la jugulaire et sans qu’il n’ait eu même le temps de la voir se mouvoir. Elle lui adressa un sourire goguenard auquel il eut l’intelligence de ne pas répondre, et puis, Isabella reprit la parole :
— Mabel, voyons. Tu ne le sais sans doute pas, toi, mais Eryx ne brille pas par ses accomplissements en classe de Défense. Il ne s’agirait pas d’un combat équitable. Laisse-lui le soin de se trouver un adversaire qui soit véritablement à sa taille, c’est-à-dire très en-dessous de toi.
— Tu vas laisser une élève en menacer un autre de ta propre maison sans même intervenir ? s’indigna Achilles en gardant un œil prudent sur Mabel.
— Ma maison est celle de l’ingéniosité et elle est rarement fille de la lâcheté, rétorqua Isabella. Je peux t’inviter à disserter à ce sujet en retenue, s’il te semble nécessaire de revoir tes fondamentaux, Fawley.
Elle était plus petite, plus fine, plus pâle qu’Eryx, mais il irradiait de ses membres arqués une telle confiance, une telle maîtrise d’elle-même qu’il ne risqua pas à la contredire – il ne s’y était plus jamais risqué depuis le jour où elle l’avait fait tomber de son balai pour l’avoir méprisée. Aussi Eryx se contenta-t-il d’un énième regard noir qui s’adressait autant à Mabel qu’à Isabella et même, à Okah, qui contemplait la Préfète-en-Cheffe avec une telle admiration qu’elle en avait la bouche entrouverte. Elle ne s’arracha à son observation qu’une fois Eryx parti, pour fondre alors sur Mabel et lui demander d’une voix pressante :
— Il ne t’a rien fait de mal ?
— Rien du tout.
— Bien, réagirent, à nouveau d’une même voix, Isabella et Okah.
Et les deux filles se dévisagèrent un instant qui permit à Mabel d’analyser son environnement : elles étaient à moitié dissimulées par l’une des immenses armures du Hall d’entrée, mais leur altercation avec Eryx avait attiré de l’attention, puisque plusieurs élèves les dévisageaient sans réelle discrétion depuis le grand escalier. Elles apercevaient de leur emplacement un minuscule pan de la Grande salle, et Mabel vit Charlotte et Lucya qui s’y tenaient contre la porte dans une posture d’attente. Elle leur fit signe de les rejoindre, ce qu’elles firent : mais lorsqu’elles parvinrent à leur hauteur, Okah n’avait toujours pas détaché ses yeux d’Isabella.
— Je réunis plusieurs personnes intéressées par mon projet à la rentrée, lança ladite Isabella à Mabel. J’espère te compter parmi elles, Mabel Poulton.
Son regard glissa ensuite sur le visage de Okah, dont les joues s’enflammèrent si bien que Mabel, Charlotte et Lucya sentirent presque sa chaleur pulser jusqu’à leur propre épiderme.
— Okah Baba, c’est bien ça ? s’enquit Isabella.
— Oui, articula Okah avec empressement.
— Tu devrais venir aussi. Tu as une aura extrêmement intéressante.
Elle n’ajouta pas une parole, mais ses lèvres s’étirèrent doucement, et elle adressa un clin d’œil à Okah avant de prendre la direction des cachots, ce que les filles ne manquèrent pas de relever et Charlotte la première.
— Mais c’est moi ou elle te draguait, là ? lança-t-elle les yeux pétillants.
— C’est moi ou Okah aimerait bien, surtout ! ajouta Lucya les bras croisés contre sa poitrine.
— N’importe quoi, se défendit alors Okah en ramenant ses tresses derrière ses épaules. Je veux dire, elle est, bien sûr qu’elle est très belle, mais c’est surtout sa façon de rembarrer Fawley qui était impressionnante. Et j’aime toutes les personnes qui défendent mes amies, ajouta-t-elle en croisant les bras à son tour.
— Mais elle trouve ton aura intéressante.
— Et si je ne te connaissais pas si bien je dirais que tu es en train de rougir.
— Tu as un crush sur Isabellaaa, argua finalement Charlotte en empruntant à Okah le ton sur lequel elle l’avait elle-même taquinée quant à son crush pour Tristan.
Plus susceptible que ses trois amies réunies, Okah pinça d’abord très fort les lèvres et hocha frénétiquement la tête de gauche à droite dans une dénégation qui ne la convainquit pas elle-même. Puis elle vit Mabel rejoindre Charlotte et Lucya dans leurs rires aux éclats, et il lui sembla que, à sa façon, leur monde tournait finalement droit. Alors le fou rire la gagna à son tour et elles entamèrent l’ascension jusqu’à la tour des Gryffondor dans une joyeuse cacophonie qui fit s’indigner quelques sorciers et sorcières dans leur tableau paisible.
Elles avaient atteint le quatrième étage lorsque Mabel, dont le sourire s’était flétri à mesure qu’elles volaient de marche en marche, exerça une légère pression sur le poignet de Okah, et interrompit ses trois amies dans leur babillage.
— Je dois voir le Professeur Londubat, chuchota-t-elle sans croiser leur regard.
— Mais à quel sujet ? s’étonna Okah. Je croyais que tu avais eu un Optimal à ton dernier devoir ?
— Il devait rencontrer mes parents pour les fêtes puisqu’il n’a pas pu le faire cet été. Mais mon père est toujours hospitalisé, alors, je ne vais pas rentrer chez moi.
— Tu veux dire que tu restes ici pour Noël ?
— Non mais c’est hors de question, tu vas venir chez moi, Mabel, réagit Lucya. Je vais envoyer mon hibou à mes parents dès ce soir pour qu’ils te préparent une chambre !
— Non, non, en fait, je ne vais pas rester à Poudlard. Rose, elle m’a proposé de m’accueillir. Ou, je crois plutôt, James lui a soufflé de me proposer de l’accueillir.
Les regards de Charlotte et Lucya se firent songeurs. Mabel leur avait écrit à l’été pour leur raconter la maladie de son père, un cancer, dont le pronostic des médecins Moldus était au mieux réservé. Il leur était difficile de l’imaginer malade : elles ne l’avaient jamais rencontré, ni lui, ni la mère de Mabel. Elles n’avaient jamais été invitées chez Mabel, ne savaient pas vraiment où elle habitait si ce n’était la région londonienne, mais ce qu’elles avaient su dès les premiers mois de leur amitié, c’était que le lien qui reliait Mabel à ses parents était des plus fins, et qu’elle ne semblait pas être heureuse dans sa famille.
Pour autant, il leur était impossible de croire tout à fait sincère le grand sourire que s’efforçait de leur renvoyer leur amie depuis la rentrée. Il leur était impossible de ne pas l’entendre s’éclipser de leur dortoir à peine six heures passées, de ne pas remarquer les cernes sous ses yeux, de ne pas noter ses absences, de plus en plus fréquentes, à mesure que les jours s’écoulaient. Il leur était aussi impossible de prêter d’autre émotion que la tristesse à Mabel : elles-mêmes, que leurs parents avaient aimées et choyées, elles-mêmes qui n’avaient jamais connu que l’amour ne soupçonnaient pas une seconde les vraies pensées qui nourrissaient l’anxiété de Mabel.
Mais le regard de Okah était, lui et comme souvent, le plus sachant. Et s’il était brillant, concerné, surtout il dégageait autre chose que la pitié qui animait chacun des traits de Charlotte et Lucya et braquait infiniment plus Mabel qu’elle ne l’amenait à se confier. Okah n’en savait pas plus que les deux filles quant à l’été qu’avait passé Mabel. Elle en savait bien moins que James qui – James, qui lui avait fait promettre de ne plus fuir sans d’abord essayer, et elle avait promis, Mabel avait promis à James dont elle avait trahi assez d’espoirs pour toute une vie.
Okah ne savait rien, mais lorsque Mabel reprit d’une voix plus fluette encore, presqu’inaudible :
— Je dois prévenir le Professeur Londubat que je ne rentrerai pas chez moi.
– elle lui offrit sereine et sérieuse :
— Je peux venir avec toi, si tu le souhaites.
Et Charlotte et Lucya ne savaient pas, ne soupçonnaient pas, mais elles connaissaient assez Mabel pour savoir à croiser son regard, à la contempler qui se redressait comme le phénix de ses cendres, qu’elle allait accepter la proposition de Okah. Il lui fallait d’abord écarquiller ses grands yeux bleus qu’un voile translucide avait couvert, articuler quelque onomatopée silencieuse entre ses lèvres à peine ouvertes, mais elle avait cet air qui l’habillait les rares moments où elle s’en remettait entièrement à ses amies. Aussi ne furent-elles pas surprises de la voir saisir la main de Okah. Mais elles les enveloppèrent de leur regard, de leur chaleur surtout, jusqu’à ce que leurs deux silhouettes aient disparu à l’angle d’un couloir.
Et alors seulement, alors elles se tournèrent l’une vers l’autre Charlotte et Lucya, et presque de concert elles décidèrent : que pour les fêtes de fin d’année, pour leur chère et tendre amie pour Mabel, elles –
End Notes:
Merci beaucoup d'avoir lu ♥
Le prochain chapitre se déroulera à moitié au Terrier, et à moitié dans un lieu presque déjà familier : le manoir des Wajs.
J'insiste un peu mais, vraiment, n'hésitez pas à me laisser un petit mot pour me dire ce que vous avez pensé de ce chapitre, même une phrase, peu importe, ça me ferait extrêmement plaisir ♥
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