Bisexuals supporting the Strikers by PititeCitrouille
Summary:

Lily avait été fière, Lily avait été le feu et Lily avait été en colère.

Pétunia ne connaissait plus le froid l'hiver, mais, au fond de son coeur, mordait parfois le remords amer.

Le brasier de Lily ravivait les flammes des vieilles luttes et allumait celles des nouvelles.

Petit hommage au film "Pride" de Matthew Warchus, et surtout à l'histoire vraie qu'il raconte : celle des groupes "Lesbians and Gays Support the Miners" et "Lesbians against Pits Closure", celle de l'alliance de la grève sociale et de la lutte sociétale.


Categories: Romance (Slash), Tranches de vie, Epoque Maraudeurs Characters: Lily Evans, Marlene McKinnon, Mary MacDonald, Pétunia Evans, Vernon Dursley
Genres: Amitié, Famille, Femslash/Yuri
Langue: Français
Warnings: Discrimination, Lime
Challenges: Aucun
Series: Les Soliflores, The Trans HPF Month, Pitite participation au Trans HPF Month 2023, Nanothon à mort - Édition 2023
Chapters: 3 Completed: Oui Word count: 13544 Read: 1195 Published: 11/03/2024 Updated: 24/03/2024
Story Notes:

Amie lectrice, ami lecteur,

Ce texte a été rédigé dans le cadre des prompts lancés par l'équipe de la modération de HPF Fanfiction à l'occasion du Trans HPF Month 2023.

Il répond aux prompt n°17 - Rose, mauve et bleu, prompt n°23 - Queer friendship, et prompt n°24 - Le cri des enragé.e.s.

Les warnings recouvrent peu ou prou toute la fic. La mention de "lime" est peut-être exagérée, ici il ne s'agit pas de scène sensuelle à proprement parler pour de la romance, mais de conversations autour de l'éducation sexuelle, l'accès à une sexualité éclairée.

 

1. Sororité by PititeCitrouille
Author's Notes:

Ce chapitre répond plus précisément au prompt n°17 - Rose, mauve et bleu.

Avertissement : report de propos et attitudes discriminatoires envers les personnes atteintes par le VIH

 

Le poste de télévision ânonnait les nouvelles du jour. Crise diplomatique entre l’Europe et Ronald Reagan sur fond de missiles, guerre Iran-Irak, sans transition : décès du chorégraphe Balanchine.

Pendant ce temps, Pétunia faisait la poussière. Les enfants là-haut dormaient, elle pouvait en profiter pour pousser les meubles du salon, débrancher des câbles, déplacer des bibelots. Occupée à divers allers-retours, ses pensées davantage focalisées sur l'ordre de ses tâches, elle n'écoutait que d'une oreille distraite le son émis par le téléviseur.

Après le journal, il y eut la météo avec Jim MacGuffin, inaltérable sur ce temps d'antenne, sorte de roc du paysage audiovisuel britannique, puis un débat économique, le tout entrecoupé de quelques pages de publicité. Un nouvel aspirateur promettait un gain de temps considérable aux femmes, des croquettes savoureuses pour chiens, un repas équilibré pour notre animal préféré, et un cachet orange, de belles couleurs pour l'été.

Pétunia s'autorisa à souffler quelques instants dans le canapé lors de l'émission hebdomadaire de jardinage. Cependant, quelques cris là-haut l'avertirent que Harry et Dudley étaient réveillés. Sans vraiment chercher la nature exacte des faits, elle ordonna à Harry de retourner dans sa chambre une heure avec interdiction d'en sortir. Elle installa son tapis de jeu à Dudley, vérifia qu'il était en sécurité, satisfait de la punition de Harry et content de ses babioles, puis retourna vaquer à ses occupations.

Elle baissa le son lors du feuilleton qui suivit, gardant pour elle ce murmure qui lui rappelait une présence, et s'engouffra dans la cuisine. Elle prépara les dîners du soir et des jours suivants, sans trop se perdre dans ses pensées. La télévision servait à lui tenir conversation pour empêcher l'autre, celle de son esprit - ses remords, ses doutes, ses questions, ses souvenirs - accaparer son cerveau. Pétunia occupait habilement ses mains et sa tête, chaque jour.

Elle monta ensuite donner un bon bain à Dudley, joua avec lui, agenouillée sur le carrelage, à lui envoyer de l'eau et à faire buller le savon. Elle lui fredonna une comptine. Dudley lui fit un gros bisous lorsqu'après l'avoir sorti, ce qui ne manqua pas de le faire grelotter, elle l'emmitoufla dans une serviette moelleuse, comble de bonheur pour un enfant de cinq ans. Pétunia était aux anges ; elle savait parfaitement, à force de concentration extrême, oublier l'autre enfant - pour oublier l'autre.

Pendant que Harry se débrouillait dans l'eau, Pétunia s'occupa de ranger diverses affaires dans les placards. Elle n'était pas stupide, s'assurant tout de même du coin de l'œil qu'il ne glisse pas ou ne tombe pas. Seulement, elle ne lui témoigna aucune marque d'affection, et lui répondit, agacée, "tu ne vois pas que je suis occupée ?" lorsqu'il annonça simplement qu'il avait fini.

Elle les fit ensuite manger, encore une fois en montrant ostensiblement sa préférence pour Dudley. Il obtint ainsi la plus belle assiette, la mieux garnie, et ils conversèrent tous les deux comme si Harry n'était pas là. Ce n'était pas plus mal, étant donné que leurs interactions tournaient de plus en plus à la dispute : Harry avait l'âge de se rendre compte de la différence de traitement entre eux deux. Dudley, lui, avait compris les biais de ses parents et commençait à en jouer pour satisfaire ses envies - ses caprices.

Vernon était de sortie avec des collègues ce soir-là : Pétunia en profita pour dîner en même temps que les enfants, y trouvant là un moment privilégié avec son fils. Ensuite, toilettes, lecture d'une histoire et longs câlins pour Dudley, lumière fermée sèchement pour Harry.

Pétunia savoura le luxe d'un lave-vaisselle en se glissant à peine quelques minutes plus tard devant l'écran de la télévision. Elle avait vu que BBC 2 passait Le Magicien d'Oz et tenait absolument à le regarder. Elle monta le son.

BBC 1, où elle était, montrait un reportage inédit sur le VIH et le SIDA. D'après le présentateur, le but était de montrer le quotidien de personnes séropositives plus ou moins atteintes par le SIDA ; le document était promis authentique car les participants interrogés avaient expressément demandé à en faire partie.

Pétunia, comme tout le monde, entendait parler du VIH et du SIDA aux informations - ou plutôt, des personnes atteintes par ce virus ou ce syndrome. Homosexuels, toxicomanes. Paumés, dépravés. On parlait de sidaïques, de sidéens comme s'ils étaient des bêtes sauvages. Pétunia n'avait pas vraiment d'avis sur la question. Elle n'avait pas l'impression que ces gens étaient des bêtes sauvages. Mais elle n'en connaissait pas et ne cherchait pas à en fréquenter.

Au fond d'elle, une petite voix lui chuchota qu'elle était dans l'erreur, qu'elle en fréquentait sans le savoir, ce qui prouvait que ce n'était pas si important que cela. Et une autre voix, encore plus ténue, rajouta qu'elle savait parfaitement de qui la première voix parlait. Pétunia fit taire tout le monde, non pas en changeant de chaîne, mais en montant encore le son.

Elle se sentait intéressée par la question. Ce n'était pourtant pas la première fois qu'elle regardait un document sur le sujet. Après tout, on en parlait beaucoup. Vernon haussait toujours les épaules. Il disait que c'était triste pour eux, que les jeunes vivaient dangereusement. Pétunia réalisa qu'il ne visait pas vraiment les homosexuels ou les toxicomanes - les groupes représentés aux informations. Plus exactement, il exécrait ces fêtes, ces permissivités nouvelles, le glam rock et le disco, mais dès lors qu'un politique parlait de sidaïque ou de sidéen, il se levait de son siège en disant "assez regardé la télévision ce soir".

Pétunia le réalisa d'un bloc. Elle se sentit toute chose. Elle continua d'évacuer soigneusement les raisons pour lesquelles elle pouvait se sentir plus concernée qu'elle ne le laissait croire par ces événements.

Le bandeau en bas de l'écran indiquait : "SIDA - Témoignage d'un homme bisexuel". Elle n'avait jamais lu ce mot. Elle pouvait admettre son existence, si jamais on lui expliquait ce qu'il signifiait. Mais elle était arrivée manifestement un peu tard et décida que c'était un synonyme de "homosexuel" pour comprendre la suite.

Pétunia ne pouvait pas ne pas se sentir saisie à la vue du visage émacié de l'homme. Comme le précisait le reportage, il avait fait le choix de se montrer tel qu'il était - sans maquillage, sans spots lumineux pour masquer la terrible vérité.

Il avait le crâne rasé, ce qui faisait ressortir son extrême maigreur. Sa peau, ordinairement pâle, était marquée de veines bleutées sur ses tempes. Une tâche sombre et violette semblait partir de sa nuque et monter jusque derrière son oreille droite. Une barbe désunie parcourait ses jours délavées. Ses orbites, creusées, étaient sillonnées de cernes - et le regard, cave, indiquait déjà qu'il était passé de l'autre côté. Bien qu'il n'était qu'une image télévisée, Pétunia fut incapable de le soutenir.

Avec pudeur, l'homme expliqua être atteint du sarcome de Kaposi, une évolution commune lors de la phase finale du SIDA. Il voulut montrer le type de lésion fréquente auquel les personnes atteintes étaient confrontées ; il incita la caméra à s'approcher, soulevant sa lèvre supérieure. Des nodules violets et noirs mangeaient ses gencives.

Pétunia ferma instinctivement les yeux. Mais l'éducation populaire devait bien commencer à faire son œuvre, car au dégoût spontané succéda bientôt une pitié empathique.

Et puis, il y avait ce bandeau. "SIDA - Témoignage d'un homme bisexuel". Lorsque le compagnon de l'homme prononça le mot, Pétunia se dit que si elle ne l'avait jamais lu, elle l'avait toutefois entendu quelque part.

Puis elle se trouva ridicule. Pourquoi buter sur ce mot ?

Le compagnon expliqua que le terme s'appliquait à des personnes qui aimaient les hommes et les femmes. Actuellement, l'homme bisexuel aimait un homme, lui-même, leur relation était donc homosexuelle.

Pourquoi accorder autant d'importance aux mots ?

La petite voix murmura du fond de son cœur : et pour toi, les mots ont-ils un sens ? Et elle avait raison. Tant pis pour le magicien d'Oz. D'ailleurs, on ne prononçait pas le mot "magie" dans cette maison.

Pétunia avait entendu ce mot, elle en était désormais sûre, mais elle ne savait plus où. Elle ne comprit pas d'abord pourquoi ce détail insignifiant l'obséda toute la soirée durant et une bonne partie de la nuit. Ce n'est qu'en se rendant aux toilettes à trois heures du matin, assise sur la cuvette, un peu lasse de si mal dormir, qu'elle eut l'illumination.

Bisexuelle.

C'était le mot que l'amie brune de Lily avait utilisé pour la décrire. Ah oui, Marlene, c'était bien ça. Et malgré le déficit évident d'heures de sommeil, les souvenirs revinrent peu à peu s'assembler dans le crâne de Pétunia pour former un tout cohérent.

Lily, d'après Marlene, avait été bisexuelle.

Toujours Lily à l'avant-garde.

***

Juillet 1977.

Marlene et Mary étaient accoudées à la fenêtre. Elles ne savaient pas que Pétunia, silencieuse dans la cuisine, pouvait les entendre - parce qu'elles ne s'imaginaient pas à quel point la maison était mal isolée, thermiquement comme phoniquement.

Qu'elles soient venues à la maison était déjà un grand signe d'amitié pour leur sœur. Lily revendiquait régulièrement sa fierté d'être fille de mineurs, mais elle ressentait de la culpabilité car elle n'avait pas grand-chose à offrir à ses amies. Cependant, ce n'était rien à côté de la honte sans bornes qui étreignait Pétunia. Aucune de ses connaissances n'était au courant de sa condition sociale, et c'était tant mieux.

"Je cite : je ne crois pas que j'aie jamais été amoureuse de Severus parce que j'ai déjà ressenti ce genre de chose, pour toi, Marlene, en cinquième année, mima Marlene elle-même.

- Et pareil pour toi l'an dernier, enchérit Mary.

- CE N'ÉTAIT QUE DE L'AMITIÉ TRÈS FORTE ! déclamèrent-elles toutes les deux avant de s'effondrer de rire.

- Et ça passe, ce genre de sentiment très fort, en plus, pourtant l'amitié est encore là, ajouta Marlene, pince-sans-rire.

- Sans compter que le mot attirance a aussi été prononcé à l'égard de Severus."

Elles se regardèrent. Pétunia vit mieux le visage anguleux de Mary. Elle était maigre et blonde, comme elle. Mais elle avait un je-ne-sais-quoi - un charme qui venait de ses épaules et de son maintien. Pétunia se rappela qu'il y avait une danseuse parmi les amies de Lily : c'était donc elle.

"Il faut le lui dire, peut-être, reprit cette dernière.

- Qu'elle est probablement bisexuelle ? Certainement pas.

- Pourquoi ? Ça ne changera rien. Elle ne connait pas le mot, qu'est-ce que cette connaissance nouvelle pourrait avoir de mal ?

- Lily est beaucoup trop perfectionniste. Elle va culpabiliser et penser que ses désirs passagers vont faire mourir notre couple."

Pétunia ne fut pas sûre de comprendre la phrase comme la grammaire avait envie de la lui faire comprendre. Sa curiosité, déjà bien mal placée, en fut décuplée. Elle resta immobile, à l'affût, consciente qu'un mouvement pouvait révéler sa présence.

"Laisse-la découvrir tranquillement la partie hétérosexuelle de sa personnalité avec James, déjà.

- Tu t'avances trop vite, Marlene, tempéra Mary. Ils ne sont qu'amis.

- Cette amitié est purement théorique. Plus sérieusement, elle gère déjà sa famille, sa pauvreté, ses études, la guerre et la prise de conscience que James n'est pas n'importe qui, je ne sais pas si c'est le bon moment pour lui dire que ça y est, elle est bisexuelle.

- James, avec nous, n'est qu'un ami - normal. Normal pour ce qu'on fait de notre petit groupe, en tout cas.

- Mary, non, tu ne peux pas dire ça. Il n'est pas juste riche... Il est... Il est... Pété de thunes, voilà ce qu'il est."

Mary partit en fou rire. Elle se pencha vers Marlene : Pétunia se sentit se liquéfier en prévoyant ce qui allait se passer. Marlene entrouvrit légèrement ses lèvres et elles restèrent quelques secondes suspendues l'une à l'autre. Pétunia se surprit à trouver beau le geste très doux et très tendre de leurs lèvres.

"Tu as peut-être raison, fit Mary en se relevant. Mais il n'y aura donc jamais de bon moment pour le lui faire savoir.

- C'est un risque à prendre, concéda Marlene."

Pétunia fut alors probablement encore plus éberluée de la banalité du baiser que du baiser lui-même. Elles reprenaient la conversation comme si de rien n'était ! Si le baiser témoignait de l'orientation sexuelle des jeunes filles, sa banalité, elle, prouvait d'abord qu'elles s'étaient trouvées et ensuite qu'elles avaient intégré tout cela dans leur quotidien.

***

Pétunia, atterrée, retourna se coucher sans bruit. Vernon ronflait ; elle ne pourrait pas se rendormir de sitôt. Allongée sur le dos, fixant les raies de lumière qu'imprimaient les réverbères du dehors sur le plafond à travers les volets, elle continua à ressasser d'autres souvenirs.

***

Septembre 1977.

Lily, maintenant en dernière année, avait le droit de disposer de ses déplacements comme elle le souhaitait. Elle était déjà revenue le weekend précédente à la maison pour parler avec leurs parents de l'organisation d'une manifestation. Elle leur avait expliqué des choses terribles qui se passaient chez les sorciers.

Pétunia vivait dans une pension pour jeunes filles, mais revenait aussi de temps en temps. Comme le weekend dernier, elle s'était fortement disputée avec Lily, arguant qu'elle pouvait décider encore de fuir la sorcellerie, ce à quoi Lily avait hurlé qu'elle se battrait au contraire jusqu'au bout, Pétunia avait espéré, ce weekend-ci, pouvoir profiter mieux de ses parents.

Peine perdue, Lily était encore là.

Il y avait donc de la tension dans l'air. Lily étudiait, sagement assise dans le canapé de la salle-à-manger qui lui servait aussi de lit. Pétunia hésitait toujours entre éprouver du remords ou non ; elle avait bien compris que Lily avait fait le choix de s'éclipser de leur chambre commune pour ne plus avoir à supporter ses railleries.

Pétunia aurait voulu parfois une autre relation avec elle, mais elle ne pouvait s'empêcher de souffrir de la comparaison. Lily était admirablement belle et elle ne le savait même pas, elle était bienveillante, serviable, prête à défendre la veuve et l'orphelin et elle ne s'en privait pas, courageuse, volontaire et opiniâtre. Pétunia ne mesurait pas combien elle avait dû lutter elle-même pour s'élever jusqu'à une position de sténodactylo : elle ne voyait que les parchemins mathématiques de Lily, Lily la première de la classe, Lily avide de comprendre le monde, Lily qui construisait le monde à coup d'équations illisibles.

L'après-midi aurait donc pu tourner tout aussi mal que la semaine précédente, mais un élément nouveau vint s'imbriquer dans la conversation.

"Maman, demande soudainement Lily, les pommettes roses, levant à peine les yeux de son livre, mais très concentrée, comment est-ce que ça se passe avec un garçon ?

- Ma chérie, répondit Violet, de quoi parles-tu ?"

Pétunia tricotait en face d'elle. Leur mère épluchait des pommes de terre et n'avait même pas pris la peine de regarder Lily pour répondre. Pétunia sentit et détesta aussitôt l'hypocrisie qui émanait d'elle. Elle savait que ses parents l'avaient eue à dix-huit ans, et Lily en avait dix-sept et demi. Elle ne put s'empêcher de surveiller l'attitude de sa mère, le regard rasant son rang de mailles en cours.

"L'amour. Faire l'amour. Avec un garçon.

- Mais enfin Lily, qu'est-ce qui te prend ? s'exclama Violet en posant son économe brutalement au milieu des épluchures.

- J'aime beaucoup un garçon de ma classe. Pour le moment, il ne se passe rien. Rien du tout, je veux dire. Mais je pressens que... Que cette année va changer beaucoup de choses. Non, maman, et Lily haussa le ton, je fais ce que je veux et je n'exclue pas d'avoir des relations sexuelles avec lui un jour.

- Lily, bégaya leur mère. Comment est-ce que tu peux dire cela ? Tu dois finir tes études... Postuler à ton genre de préparation pour l'université... Anticiper l'avenir ! Tu as tellement de potentiel, tout ce qui pourrait te sortir d'ici... Ne brûle pas cette chance pour un garçon !

- Maman ! s'énerva Lily, excédée."

Mais Violet tint bon, et commença à tempêter contre elle, expliquant qu'elle ne devait pas perdre sa réputation aussi, qu'elle se rendrait compte à l'âge adulte que c'était important de ne pas trancher le corps social et... Et Lily lui coupa la parole. Elle s'était levée et sa voix éclata pleine d'assurance et de colère.

"Ce qui devrait faire honte au corps social, comme tu le dis en essayant de m'amadouer sur notre précarité, ce sont tous ces hommes qui abusent des femmes. On ne cesse de nous dire que notre corps est notre faiblesse mais c'est faux, notre corps a le droit d'exister pour lui-même. Je veux juste savoir comment fonctionne le corps d'un homme et j'aurais préféré en converser avec une femme, et il se trouve que mes deux amies sont lesbiennes...

- Tu apprendras bien assez tôt avec ce garçon !

- Je ne veux pas le découvrir sur l'instant ! J'ai le droit de savoir car il n'y a rien de mal à le savoir ! Et lui sait comment fonctionne le corps d'une femme, parce que sa mère le lui a expliqué ! hurla Lily."

Pétunia aurait aimé avec un quart du courage de Lily à cet instant.

"Tu n'as qu'à lui demander, ou encore à l'un de tes autres amis.

- Maman, ce n'est pas forcément le genre de sujet qu'il est facile d'aborder, osa Pétunia.

- Il faut croire que si, répliqua Violet d'un ton sans appel, puis, haussant les épaules : je me demande bien comment font les autres."

Pétunia croisa le regard de Lily.

Le feu.

"Mary et Marlene ont chacune eu des explications sommaires sur ce que sont les règles et la conception d'un enfant. La mère de Mary l'a laissée aux bons soins de son cours de danse pour apprendre ce qu'est un corps. Marlene a dû demander à une amie lesbienne plus âgée comment fonctionne le corps d'une femme.

- Quoi de plus que les règles et la conception d'un enfant ? demanda Violet, cette fois-ci de bonne foi, Pétunia le comprit immédiatement.

- Les mécanismes du plaisir."

Violet rougit et ne répondit rien.

"Maman, pourquoi tu ne nous as jamais rien dit ? se lança enfin Pétunia."

C'était trop tard. La machine était lancée : les deux sœurs, soudain unies, n'attendaient déjà plus les réponses. Elles étaient dans l'urgence de s'exprimer enfin.

"C'est Lily qui a dû m'expliquer les règles et les pertes blanches ! Comment cela peut-il revenir à une petite sœur ?

- C'est Marlene qui m'a appris le consentement ! Parce qu'elle l'a appris elle-même par cette même amie ! Est-ce que cela est normal ? J'entends des choses atroces dans les couloirs, Maman... Alors cesse de crier à la vertu, et dis-toi que ce n'est pas le manque d'informations qui empêchera tes filles d'avoir des relations sexuelles !

- Toutes les filles de ma pension se débrouillent pour fréquenter les garçons dans leurs voitures ou alors ils se rendent les uns chez les autres en entrant et sortant par les fenêtres ! abonda Pétunia, soudainement animée par le feu qui se propageait depuis Lily, épicentre de la révolution du jour chez les Evans. Est-ce que ce ne serait pas plus sain qu'on nous laisse vivre... ?

- Nous ? releva Violet - d'un ton faible qui indiquait qu'elle commençait à capituler.

- J'ai déjà fait l'amour avec Vernon."

Le silence s'abattit sur le brasier. Un sourire sincère se dessina sur les lèvres de Lily, tandis que Violet, apeurée, les regardait alternativement.

"Et les conversations autour du thé du soir ne suffisent manifestement pas à se préparer à ce genre d'événement.

- Et c'est la double peine pour certaines, rajouta Lily, qui avait retrouvé son air bravache. Il y a de mauvais garçons qui font exprès de viser celles qu'ils jugent les plus vulnérables...

- Il y a de mauvais gens partout, remarqua Violet.

- Je parle de violences sexuelles, d'agressions sexuelles, de viols, Maman. Des mots que j'aurais aimé connaître de personnes plus âgées que moi, et pas de personnes de mon âge qui tentent de se débrouiller avec leur tout nouveau corps d'adulte."

Le menton de Violet commença à frémir, signe qu'elle retenait ses larmes. Lily, toujours l'unique au bon cœur, s'agenouilla et lui caressa la joue.

"Mamounette, on critique la société à travers toi. Ces décisions, tu ne les as pas prises toute seule.

- Je dois être une bien mauvaise mère pour les avoir écoutés, alors que sur bien d'autres sujets je ne les écoute pas.

- Tu nous as appris cela, aussi, Maman. On apprend tous plein de choses. Ça fait mal parce que la connaissance libère d'un poids qu'on ne soupçonnait pas... Mais il vaut mieux la connaissance, non ?"

Violet embrassa brièvement Lily sur la joue avant de s'effondrer à nouveau.

"Je voulais tellement... Vos études... Réussite... Sortir d'ici..."

***

Pétunia, si elle devait être honnête à ce moment-là avec elle-même, devrait avouer qu'elle était au bord des larmes. La seule chose qui l'empêchait de se laisser aller à exprimer ses émotions était la présence de Vernon à ses côtés. Il dormait encore profondément, mais une pudeur indicible l'empêchait de prendre le risque qu'il se ne réveille et ne la surprenne ainsi. Se contenant comme elle le pouvait, désormais bien réveillée, elle ne parvint pas à arrêter les souvenirs qui allaient et venaient, aussi clairs que si elle les avaient vécu la veille.

***

Février 1978.

Demain serait un grand jour : Pétunia voulait présenter Vernon à Lily. Cette dernière avait souhaité en retour lui présenter son amoureux. Pétunia avait émis des doutes sur la constance de leur relation, du fait de leur âge, mais Lily lui avait répondu posément que certaines circonstances faisaient que certaines choses pouvaient paraître inéluctables. Pétunia n'avait rien pu contester, même si, au fond d'elle, elle avait encore jalousé cette sœur si jeune qui avait déjà autant, si ce n'est plus, d'assurance qu'elle pour affronter le passage à la vie d'adulte.

Pétunia, en pleine réflexion sur le sujet, inattentive à ce qui se passait autour d'elle, sortit machinalement sa clef de son sac et entra dans la maison familiale. Il n'y avait personne ; elle savait que ses parents étaient allés débiter du bois pour le poêle. Que Lily ne soit pas là était déjà plus surprenant, compte tenu de sa ponctualité habituelle. Toutefois, Pétunia était déjà assez occupée dans sa tête pour s'en formaliser.

Elle se trouva un peu stupide à ne pas savoir quoi faire, toute seule, dans le salon. Tout semblait en effet déjà avoir été fait : la marmite de soupe refroidissait, le linge était repassé et plié, la table pour le repas du soir était même déjà mise. Pétunia nota quatre couverts, ce qui voulait dire que l'amoureux de Lily allait rester manger ce soir.

Soudain, quelques rires et des voix qui discutaient depuis l'étage interrompirent le silence de la maison. Le temps que Pétunia ne réalise que c'était celle de sa sœur et donc celle probable de ce Potter, elle en entendit assez pour comprendre dans la foulée qu'ils partageaient un moment intime, là-haut, dans ce qu'elle aurait aimé certifier être sa chambre mais qui était de fait et aussi la chambre de Lily.

Avant qu'elle ne l'en ai chassée.

Elle rougit, se trouva encore plus stupide que cinq minutes auparavant et sortit à pas de loup de la maison. Là-haut, sa sœur et son amoureux parlaient encore avec ses voix pleines de trémolos - désir et joie et pudeur peut-être - de choses que Pétunia ne pouvait pas comprendre entièrement, mais qui l'instruisirent assez pour le restant de ses jours, juste le temps qu'elle ferme la porte.

D'abord il y avait des mots qu'elle ne connaissait pas. Ensuite, à tout bien réfléchir, ils avaient l'air de se formuler à voix haute et intelligible ce qu'ils avaient envie de faire et ce qu'ils acceptaient de se donner l'un à l'autre.

Pétunia s'assit sur le banc devant la maison pour méditer sur la question. Elle faisait partie, comme Lily, d'une génération de filles auxquelles on ne disait pas tout - voire auxquelles on ne disait rien - sur la sexualité. La différence était que Lily avait eu Poudlard. Lily était une sorcière et elle avait eu le droit d'accéder à la connaissance.

Pétunia croyait dur comme fer que les sorciers étaient plus ouverts d'esprit sur ce sujet-là que ce qu'ils appelaient les Moldus : elle ne voyait pas que Poudlard n'était qu'une circonstance heureuse qui avait mis Marlene sur la route de Lily, et que le problème était systémique. Seule comptait, encore dans ces moments-là, la jalousie contre Lily qui savait, Lily qui osait, Lily qui marchait devant elle au soleil.

Pétunia n'aurait jamais pu concevoir qu'on se renouvelle autant de fois le consentement et qu'on accepte les réponses négatives avec la même joie qu'avec celle avec laquelle on accueille les réponses positives. C'était... inimaginable. On ne voyait pas de cela dans les films, on n'entendait pas de cela dans les conversations étouffées ; mais pour quelle raison, donc ? Ce qu'elle avait entendu de sa soeur et de son amoureux aurait tendance à lui prouver que ce n'était pas du tout un manque de romantisme - tout bien considéré, ça avait même l'air plutôt excitant.

Pétunia pensa aussi que Vernon ne l'avait jamais forcée et pourtant que ni l'un ni l'autre n'étaient de fait très à l'aise là-dedans. Voilà ce qu'ils étaient : désirants, mais ignorants. Lily, là-haut, de sa voix entrecoupée de rires qui disait des mots qui n'étaient pas des gros mots et pourtant qu'on ne mettait pas dans la bouche des jeunes personnes, avait plus œuvré pour la vie sexuelle de Pétunia que n'importe quelle conversation, aussi grivoise et pleine de sous-entendus soit-elle, de la salle commune de sa pension.

Comme la nuit tombait - la lumière du jour semblait éteinte même si le ciel était encore gris - Pétunia s'avisa de rentrer. Ses parents prenaient beaucoup de temps pour ramener le bois et elle commençait d'ailleurs à s'inquiéter. Elle fut tirée de ses pensées avant même d'avoir esquissé un mouvement.

"Pétunia...

- Oh, Lily.

- Désolée, je ne savais pas que tu étais dehors, toute seule, à attendre dans le froid !

- Ce n'est rien, répondit-elle, gênée."

Au silence qui suivit, Lily comprit et s'excusa à nouveau. Pétunia espéra que Potter n'allait pas sorti de sitôt de la maison.

"Lily, ne te moque pas de moi, s'il te plaît...

- Jamais, Pétunia, tu le sais bien."

C'était vrai et Pétunia souffrit instantanément de la comparaison entre l'attitude de sa sœur et la sienne.

"Je suis rentrée tout-à-l'heure, vous étiez... euh... occupés. Alors je n'ai pas voulu vous déranger.

- Il ne faut pas hésiter, la prochaine fois, Pétunia. Toi dehors dans le froid est plus importante que mon désir qui se renouvellera un autre jour."

Prochaine fois... Lily ne savait pas qu'il n'y aurait pas de prochaine fois : l'annonce des fiançailles était prévue le lendemain, le mariage et l'emménagement en avril, et si Pétunia marchait sur un fil lorsqu'il s'agissait de sa relation avec elle, Vernon avait toujours été plus catégorique.

"Lily. La question qui me taraude..."

Lily, emmitouflée derrière une grosse écharpe, n'arriva pas à se tourner complètement vers elle. Pétunia ressentit pourtant toute sa bienveillance qui l'écoutait attentivement.

"Dis-moi ce que c'est que le clitoris, s'il te plaît, ça a l'air très intéressant."

Et Lily ne se moqua pas.

***

Pétunia entrevit le lever du soleil derrière les raies du volet. Elle n'eut plus beaucoup à attendre avant que le réveil ne sonne.

"Bonjour Pétu, murmura Vernon à côté d'elle."

Lily avait été la seule à la surnommer Tunie. Tout le monde l'appelait autrement Pétu - ses parents, puis ses amies, puis Vernon, puis ses voisins.

"Bah alors, tu as l'air toute chose !

- Ce n'est rien, éluda Pétunia."

Elle se leva aussitôt pour s'épargner d'autres questions de Vernon.

Elle savait ce qu'il pensait de la sorcellerie et en particulier de sa sœur et de son beau-frère. Comment lui dire que Lily adolescente, Lily jeune femme, Lily bisexuelle, Lily amoureuse avait été tout cela - adolescente, jeune femme, bisexuelle, amoureuse - avec une vive avance sur son temps, qui se traînait derrière elle à haïr encore des êtres humains parce qu'ils s'aimaient ? 

 

End Notes:

L'une de mes façons d'écire favorites en fanfiction est de ne pas donner de date, seulement des événements pour situer les événements temporellement. Ici on se place environ en mars, avril 1983.

Le projet est un peu ambitieux parce que Lily bisexuelle est quelque chose qui n'existe que depuis deux ans (peut-être un peu plus ? mais pas beaucoup plus) dans mon headcannon. Alors j'ai décidé d'exploiter avec elle la possibilité d'un coming-in, d'une vie sans label jusqu'à un âge un peu plus avancé que l'intégralité de mes autres personnages, qui se sait déjà à l'adolescence. Ce ne me paraît pas improbable à l'aune de ce qu'explique Marlene sur tout ce qu'elle a déjà à gérer à dix-sept ans.

Dans mon projet-énorme-qui-se-finira-un-jour (c'est-à-dire "Le Temps est à Mère"), je la fais survivre au 31 octobre 1981 tout en respectant le canon, et elle vivra tranquillement sa vie sans se poser de mot, dans un premier temps. Je voulais illustrer quelque chose d'hyper fluide, hyper détaché. En même temps, la sexualité de Lily et la sexualité tout court ne sont pas des sujets très importants de cette fic, j'aimais le fait de dire "voilà c'est une information, qui ne change rien, en fait". Je sais que c'est un peu utopique dans la société actuelle, mais j'aime placer des ombres d'espoir partout - que ça ne change rien, parce que ça n'a rien d'important, parce que c'est acquis et normalisé, d'une certaine manière.

Le reportage que regarde Pétunia a réellement existé. Il fait partie des témoignages iconographiques du grandiose documentaire L'adieu à Freddy Mercury. Il n'y avait peut-être pas le sarcome de Karposi dedans, j'ai fait une synthèse avec ce qui est montré directement dans "L'adieu à Freddy Mercury". Je crois que c'est l'un des documentaires qui m'a le plus émue ces dernières années, tout comme le film "Pride" est l'un des films qui m'a le plus émue dernièrement.

Cette histoire est archivée sur http://www.hpfanfiction.org/fr/viewstory.php?sid=39052