- Vous me traitez de lâche, Potter ? by Kedra
Summary: Instantanés de vie, celle de Severus Snape. En hommmage aux indices de JK Rowling et à la profondeur du personnage. [Les chapitres sont +ou- indépendants les uns des autres]
Categories: Biographies Characters: Severus Rogue
Genres: Tragédie/Drame
Langue: Aucun
Warnings: Aucun
Challenges: Aucun
Series: Aucun
Chapters: 4 Completed: Non Word count: 7990 Read: 2978 Published: 21/06/2007 Updated: 02/05/2010

1. Comme votre ignoble père.... by Kedra

2. Vous deviendrez une proie facile by Kedra

3. Que votre esprit soit vide et paisible by Kedra

4. Jusqu'à ce que vous appreniez à vous taire by Kedra

Comme votre ignoble père.... by Kedra
Author's Notes:

1/...Je n’arrive qu’après de nombreux autres...Mais j’avais l’envie d’écrire ma propre version....Alors soyez indulgents : c’est mon premier essai du genre !
2/...Comme de juste, les personnages appartiennent à JKR et l'influence qu'a son imagination sur moi m'appartient, on va dire!
Comme votre ignoble père...
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" Une rue qui s'appelait l'impasse du Tisseur et au-dessus de laquelle la haute cheminée d'usine semblait planer
comme un doigt géant dressé dans un geste de réprimande " (JKRowling,in PSM,2)



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Le jeune garçon aux cheveux noirs pleurait dans son coin, les coudes serrés aux genoux, les oreilles enserrées par ses poings. Son père était en colère et hurlait sa fureur à sa mère. Son père était en colère contre lui, et c'était de sa faute.


Il n'avait pas compris ce qui c'était vraiment passé. Il n'avait pas vraiment compris ce qu'il avait fait, ni surtout comment il l'avait fait.


Papa était rentré comme tous les jours, toujours en pestant, toujours en colère. Le petit garçon savait bien que ça n'allait pas. Ça n'allait pas chez eux. Ça n'allait pas dans le quartier. Le pays noir, le vieux Nord était malade, disait Papa. Bientôt ce serait la crise, disait-il, la crise, en plein coeur. Ne te rends donc pas malade ainsi, disait Maman. La politique, les puissants, les fils-à-papa. Toutes ses ordures des ministères derrière leurs bureaux qui ruinent la vie des pauvres gens et les écrasent et les humilient de leurs privilèges, tous ces planqués qui mettent jamais la main à la vraie, à la bonne, à la sale besogne. Si l'impasse du Tisseur résistait encore en ce temps, d'autres rues voisines étaient déjà atteintes par la sournoise et lente gangrène. Pourtant, la grande cheminée derrière le mur de l'impasse fumait encore. La laine chaude et brute... Papa disait que les gens de la haute et tous ces étrangers les tueraient sans merci, et que le lin non plus ne ferait pas long feu. Un cancer des poumons, Papa disait, bientôt la ville aura trop fumé. Alors, les petits fileux n'auraient qu'à crever : on arracherait les corps atteints, on jeterait l'organe pourri. Bientôt, ils n'auraient plus qu'à filer leur propre linceul.


Papa hurlait sa peur de mourir en le tissant lui aussi. Tous les jours. Il avait d'abord permis à Maman de travailler elle aussi. Le petit était malin, et déjà grand, à vrai dire, il se débrouillerait bien tout seul. Elle partait tôt le matin et rentrait tard le soir, fanée, élimée, elle s'endormait en silence. Lui pour finir avait épousé l'équipe de nuit. Il partait avec le soleil, il rentrait à l'aube vanné et excédé et s'endormait en pestant. Aussi, à vrai dire, le petit garçon s'était bien débrouillé, tout seul. Il y avait trouvé son compte. Il avait appris à respecter et protéger le sommeil de ses parents, à observer leurs regards et leur silence, à accompagner leurs solitudes et à s'occuper de la maison et de lui-même. A vrai dire, il ne jouait pas beaucoup et on n'invitait jamais personne, mais il n'en avait pas besoin. Lui, il n'aimait vraiment pas le bruit, le spectacle, les jeux inutiles et sans objet des autres enfants. Et il n'aimait pas vraiment le soleil, son éclat, sa chaleur non plus. Et à vrai dire, il n'aurait pas vraiment pu apprendre à les aimer, dans cette maison étroite et sombre du Nord, ce jardin d'eau et de pierres entre ses murs de brique, où il était venu pousser comme la mauvaise herbe sous les rayons ternes d'un ciel plombé.


Parce que lui, ce qu'il aimait vraiment, c'était apprendre. Connaitre, savoir, et maîtriser. Il avait été fasciné par la profondeur du noir de l'encre sur le blanc glacé ou le jaune cireux des journaux. Il les avait ramassés et ramenés de la rue, déterminé à percer leur mystère. Maman avait alors promis qu'il apprendrait vite. Papa avait haussé un sourcil devant le butin de son rejeton et l'avait remercié avec un sourire narquois de penser à rapporter de quoi alimenter le feu. Mais le petit avait effectivement vite compris comment lire. Il était vite devenu le plus jeune et le plus appliqué des visiteurs de la bibliothèque du quartier. Maman le laissait faire, mais Papa devenait de plus en plus agacé de le voir mettre sans cesse le nez dans du papier et voûter le dos pour des fadaises. Lui, à son âge, il ne lisait pas ; il jouait au bon et au méchant, il se battait en brave soldat ou en vaillant policier et allait terroriser tout le quartier avec sa bande ; lui avait du cran et des muscles et des amis. Si ça continuait, le gamin allait se transformer lui-même en vieux book, tout jauni et noirci, rongé par la moisissure et sentant sa poussière, abandonné sur une vieille étagère. Sa femme riait doucement et disait que la beauté d'un livre ne dépendait pas de sa couverture mais de son contenu. Et il haussait les sourcils et les épaules devant la meute de poètes affamés qui lui servait de famille et soupirait sur le fait que les belles reliures, au moins, ça pouvait rapporter un peu d'argent. La famille était pauvre.


Et la pauvreté rongeait la santé de Maman et le moral de Papa. L'usine de lin avait bien fermé. Vivre sur le salaire de sa femme était insuffisant, il ne pardonnait pas à la vie. Vivre sur le salaire de sa femme était insupportable, il ne se le pardonnait pas. Il dormait, il sortait, il cherchait, il buvait, il délirait, il pleurait. Puis, dormait. Il sortait, il trainait, il buvait, il hurlait, il cognait puis oubliait. Elle, elle tenait tant bien que mal, de plus en plus effacée, de plus en plus discrète, de plus en plus malade. Alors, elle le soutenait plutôt mal que bien. Elle savait qu'ils s'étaient aimés. Pour lui, elle avait quitté sa famille, qui l'avait reniée, pour une telle mésalliance. Pour lui, elle avait quitté sa vie et renoncé à son avenir, pour un présent d'amour qu'elle avait pensé éternel. Entre deux vins, son père avait dit qu'il l'avait mariée parce qu'elle avait été assez stupide pour lui faire ce sale bâtard, une vraie horreur de la nature, c'est heureux qu'il ait des cheveux pour se cacher, ah ils ont été malins eux au moins, les autres, ces monstres de parents, de l'avoir jetée dehors, alors que lui qui était humain, lui qui était bien digne à l'être, lui était resté coincé avec cette terrible erreur sur le dos. Sa femme avait éclaté en sanglot et lui avait fait éclater sa colère. Le garçon aux cheveux noirs, lui, avait fait éclater la bouteille.


Il ne savait pas comment il avait fait ça. Il avait juste vu le bras du paternel. Dans un geste de réprimande, le bras qui se levait, là, au-dessus de la mère en pleurs recroquevillée sur ses manches ; sa mère qui ne le voyait pas, ce bras qui allait s'abattre, tenant la longue bouteille de verre par le goulot, une fine coulée de vin qui se dévidait sur l'avant-bras gauche, comme du rouge sang d'une blessure. Le garçon avait juste vu là au bout des doigts dans l'éclat vert la mort enfermée dans cette bouteille, la mort hideuse à l'affût qui allait en jaillir et s'abattre sur sa proie. Il avait hurlé silencieusement sa terreur. Le bras était resté en l'air, les doigts resserrés sur le goulot intact. La bouteille avait éclaté.


Le garçon avait vu la stupeur dans les yeux sombres de son père. Il les avait vus se tourner vers lui et chercher à comprendre, vouloir comprendre quelque chose, là, à pénétrer tout à l'intérieur tout au fond de lui, comme un poignard tranchant jusqu'au fond de ses entrailles. Il les avait vus se retourner sur sa mère pétrifiée. Le bras était retombé, les doigts s'étaient écartés et avaient enfin lâché le verre brisé. Le jeune garçon aux cheveux noirs s'était laissé glisser le long du mur, par terre, là où il ne pourrait pas tomber plus bas. Il avait replié ses genoux et serré ses poings sur ses cheveux. Puis, ainsi effondré, tapi au plus près de l'ombre, il avait à son tour éclaté en sanglots. Son père avait d'abord crié sur sa mère.


Il n'avait pas compris ce qui c'était vraiment passé. Il n'avait pas vraiment compris ce qu'il avait fait, ni surtout comment il l'avait fait. Une chose était sûre pour lui : il ne fallait pas le refaire. Pas devant son père. Il devait apprendre à contrôler ses émotions. Severus devait apprendre à cacher.




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Vous deviendrez une proie facile by Kedra
Author's Notes:
Revoilà Tobias et Eileen.
Devrait suivre un texte sur les Maraudeurs, mais, comme j’écris à la volée à cause de l’approche du 21, peut-être éditerais-je en priorité à un texte sur l’incontournable épisode de la pleine lune.


Quoi qu’il en soit, j’espère que mes phrases ne sont pas trop pénibles à lire !


Vous deviendrez une proie facile...


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« Les épaules rondes mais le corps anguleux, il avait une démarche saccadée qui faisait penser à une araignée et ses cheveux graisseux voletaient autour de son visage au rythme de ses pas. » (JKRowling in OdP, 28)



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Les eaux sales de la rivière et de l’usine coulaient non loin du carré de terre et d’herbes qui formaient le jardin de la maison des Snape. Severus les remontaient souvent jusqu’aux briques rouges de l’usine. Un jour, son père avait eu envie de lui parler. Tobias lui avait décrit l’art des tisserands, le travail des vieux métiers qui faisaient la fierté des jeunes apprentis. Il avait longuement parlé des tisseurs, ceux qui filaient le doux coton et fabriquaient le lin rude. Chacun d'entre eux était l'infime pièce nécessaire à un mécanisme complexe qui le dépassait ; l'ouvrier appartenait à son œuvre, comme l'alchimiste à son grand œuvre. Il avait parlé de ces bras qui, dans l'ombre des ateliers, à force de méthode, de patience et de labeur, transformaient geste après geste des flocons de brume en fils et les fils en maille et la maille en tissu. Il avait parlé de ces petites mains précises et expertes qui se tannaient dans un long travail minutieux et ingrat, de l’allégeance de ces serviteurs silencieux qui venaient le jour, la nuit, faire acte d’abnégation à la vieille usine, cette araignée géante qui leur faisait courber le dos pour tisser les mailles du filet dans lequel ils étaient pour finir mangés, comme des mouches insignifiantes, tombées pour elle, l’hideuse mante religieuse qui se nourrissait de leurs vies et de leur misère.

Severus avait été intéressé par la science des teinturiers. Il avait aimé revenir observer la synergie changeante des ingrédients, des couleurs, des textures, des épices et des huiles, qui se mêlaient dans les grandes cuves en dégageant une odeur fétide et des vapeurs insalubres.

Mais dans le noir profond des yeux de son fils, Tobias lui avait lu le mépris qu’il devait lui inspirer. Les mêmes yeux que sa mère, la sorcière. Il se défendait de sentir son orgueil blessé. Oh, ce gamin, qu’il aurait voulu lui transmettre quelque chose, lui apprendre à être un homme. Mais son fils, il ne pouvait le voir comme son fils. Oh, bien sûr, pas de doute sur la paternité. Il lui avait transmis son nez, et ses cheveux, mais il aurait bien voulu retrouver davantage de lui, en ce petit personnage bizarre. Il ne lui ressemblait en rien d’autre – tout maigrichon et torve comme une loche, maladif et pâle comme la lune. Et il ne semblait pas avoir besoin de lui, avec tous ses livres auxquels il ne comprenait rien, à marmonner des mots qui n’avaient aucun sens, avec son air sournois et méfiant à toujours chercher à se cacher de lui. Le gamin avait tout de sa mère, revêche, renfrogné, silencieux, cachotier, étrange, louche. Il restait dans ses jupes et on pouvait pas le dire, que sa femme et lui, ils partageaient la même vision de l’éducation des mômes. Il fallait toujours qu’ils se disputent depuis la naissance de ce mioche. Elle avait voulu n'en faire qu’à sa tête au départ, en faire un « vrai Prince », répétant qu’il sera un grand, un puissant sorcier. Tobias s’était senti humilié. Lui, il avait bien expliqué que si elle voulait un vrai père pour son enfant, elle devait accepter de l’élever à sa manière et pour commencer, de faire disparaitre toute magie de sa maison. Eileen avait concédé l’absence de baguette à son mari. Mais derrière le dos de celui-ci, la fausse convertie avait continué de concocter des breuvages et des pommades dans ses casseroles. Tobias était resté aveugle sur la question. Elle était très utile, leur cuisine, pour faire disparaître la gueule de bois et l’aider à ne plus voir les traces de sa violence. Il ne buvait pas tant que ça, oh, qu’elle était fielleuse de mauvaise foi – toujours à lui faire des reproches, avec son silence insupportable, ou à pleurnicher comme son morveux, un vrai geignard, et une vraie teigne, lui aussi.

Son fils lui échappait et il ne savait quoi faire de lui. Il n’était vraiment pas ce qu’il aurait voulu. Il le mettait mal à l’aise et lui faisait perdre patience, et il avait été heureux de le laisser filer à ses onze ans. Mais Eileen aussi était partie. Le même jour, elle lui avait dit qu’elle avait juste attendu de voir Severus à l’abri pour le quitter, lui. Elle avait disparu et il était resté seul avec ses petits boulots et ses fidèles bouteilles.

Severus avait, quant à lui, reçu une lettre à son arrivée à Poudlard, la seule et unique, accompagnée d’un paquet. Sa mère lui annonçait en une phrase son départ de l’impasse du Tisseur, l’assurant qu’elle reviendrait le voir. Dans le paquet, il trouva le vieux livre de potions de sa mère, celui qui avait si bien servi chez eux.

Il avait dû rentrer dans l'impasse du Tisseur pour les vacances. Y supporter son père que l’alcool gâtait de nuit en nuit et de jour en jour y attendre le retour de sa mère. Le monde sorcier ignorant qu’Eileen était partie, il pouvait lancer de petits sorts sans être inquiété par la restriction de l’usage de la magie chez les sorciers mineurs. La plupart du temps, il s’enfermait dans sa chambre pour que son père n’y pénètre pas. Là, durant des heures, il regardait le plafond et comptait les mouches. Les tuer, c’était un passe-temps comme un autre. Au moins, il y passait ses nerfs. Cela entrainait sa précision et sa concentration dans les sorts. Et en magie, pour tuer, même des mouches, il fallait en aiguiser la volonté. Dans sa tête d’adolescent colère, il s’imaginait enfin faire tomber ses ennemis surpris les uns après les autres, d’un geste sublime et rageur.

Mais il rangeait sa baguette sur une haute étagère de l’armoire de sa chambre, quand la faim l’obligeait à finalement affronter son père, quand il espérait que celui-ci se serait endormi ou écroulé. Il craignait ses propres réactions s’il gardait une telle arme face à son père...Parce qu’alors, il l’aurait bien trop vite prise, la mouche. Le mépris et la rancœur qu’il éprouvait pour Tobias étaient allés grandissants.

Eileen, quant à elle, ne revint jamais. L’attente déçue et l’incertitude, puis le poids de la perte et le sentiment d’abandon, la sensation de culpabilité et de douleur le consumaient autant que le faisait l’alcool que consommait son père en remède à ses propres maux.

Mais Severus ne faisait plus de potions contre la gueule de bois et ne cherchait plus à soulager la souffrance et les blessures avec de simples baumes. En matière de magie, il était passé à un autre niveau. Sa magie, pour lui, c’était une arme, son arme, et il l’aiguisait patiemment, attendant son heure. Alors, il apprenait, puisqu’il était décidément seul, résolu à s’en sortir par ses propres moyens. Alors, il apprenait à évacuer dans son esprit ses émotions, les unes après les autres, à tuer dans son cœur l’attachement et le besoin. Il apprenait à oublier, à s’endurcir, à devenir fort, à se battre et à résister.

L’araignée écraserait ses misérables moucherons. Lui, il ne serait pas un de ces insectes, bruyants et stupides, un de ces parasites, qui ne savent que voler bêtement à longueur de journée, parader à la lumière, se nourrir du miel et des sucreries de l’existence. Lui, il serait l’araignée rampante le long des murs, silencieuse et souple, l’araignée funeste et inquiétante, le noir prédateur des coins sombres qui aura tissé lentement mais sûrement son piège invisible.

Il oubliait que même la plus grande des araignées a ses faiblesses. La peur du plus grand des serpents.


Que votre esprit soit vide et paisible by Kedra
Author's Notes:
Ce texte, comme les autres chapitres, a été écrit avant les "Reliques de la Mort". Je n'ai pas continué d'écrire... Excusez-moi donc pour la fic interrompue. Merci à tous ceux qui ont laissé des reviews, j'ai été très touchée de les recevoir.
Que votre esprit soit vide et paisible

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« Rogue regarda dans la Glace à l'ennemi où sa propre image,
le regard flamboyant fixé sur le centre de la pièce, était toujours visible. »
(CdF, chap. 35)


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Envoyé au bureau du directeur. Par Slughorn. Cette sale limace. Stupide Veracrasse de Slughorn, un bonhomme étroit, vaniteux, un moelleux, un bâfreur, sans envergure personnelle. Ils s'ignoraient superbement, avec son directeur de Maison, pour cause –leurs seuls rares échanges étaient des regards brefs, méfiants et silencieux, que ce sabot ventru de petit professeur agrémentait de grossiers froncements de sourcils réprobateurs. « - Ah, Mr Snape, vraiment ! Gâcher ainsi vos talents et perspectives par de si mauvais penchants ! Vous finirez mal, mon garçon, souvenez-vous de ce que je vous dis. »


Slughorn l'avait pour élève et croyait bien le connaitre. Comme il croyait bien connaître chacun de ses élèves, et surtout, savoir comment il finirait. Slughorn s'en faisait une mission, et surtout une gloire supplémentaire, de voir d'avance et loin. Et sans faillir, bien sûr. Ses élus, il les bichonnait comme des poulains prometteurs. Mais les sales rosses comme lui, l'obscur et laid Severus Snape...Ceux qui ne paient pas de mine, sans naissance et sans relations...Et surtout qui ne le courtisaient pas assez, à le couvrir de flatteries et d'ananas confits ...- il se faisait un point d'honneur également, à ne jamais s'en occuper.


Jusqu'ici, en toute bonne foi bien sûr, Severus ne s'en était pas plaint : moins on s'occupait de lui, mieux il s'en trouvait généralement. Mais là, il avait fallu que Slughorn le surprît en flagrant délit d'administration d'une petite concoction toute personnelle. Sans grand intérêt à dire vrai, mais dont il aurait eu peine à revendiquer l'heureuse raison d'être. Ce n'était pourtant pas la première fois que Slughorn le reprenait pour usage illicite de sorts, potions ou livres suspects. Cela ne justifiait pas le dérangement du directeur, bon sang. S'il se faisait renvoyer chez lui...Non. Pas pour ça en plus, un simple test pratique. Mais il se trouvait que cette fois-ci, Slughorn l'avait longuement interrogé sur la composition de la lotion qu'il avait appliquée la veille à son cher voisin de dortoir Melton Bulstrode, puis, après le diner, l'avait averti du fait qu'il était attendu par Albus Dumbledore en personne, dans son bureau, au sujet de sa petite « blague ». Severus avait reniflé et grimacé. Il en avait le sentiment : Dumbledore et lui ne partageaient pas le même sens de l'humour.


Dans le bureau du directeur, pas de directeur. Mais une quantité d'instruments hétéroclites et de livres qu'il aurait volontiers analysés en profondeur. La pléiade des anciens directeurs semblait somnoler tranquillement au fond de leurs tableaux. Avec précaution, il s'approcha silencieusement d'une des armoires pour y mieux regarder une étrange bassine ronde en pierre d'où sortait une douce lueur argentée. Un bruit sec le fit tressauter et se tourner. Le phénix de Dumbledore, sur son perchoir, le regardait en coin. Severus lui rendit son regard, pour lui clouer le bec, et haussa les épaules. Par Salazar, cette volaille au plumage tout roussi a des yeux d'humains, plus intelligents même que beaucoup de ces derniers. Severus leva alors les yeux sur l'étagère supérieure. Même le Choixpeau semblait l'épier maintenant. Machinalement, il tendit vers lui ses longues phalanges blanches et s'en couvrit la tête.


- Oh, quelle surprenante surprise. Severus Snape. Je me souviens bien de vous, mon garçon. Aucun doute sur votre maison, et vous-même n'en voudriez pas changer. Appliqué et travailleur comme un Poufsouffle, mais pas assez solidaire, trop individualiste. Intelligent et curieux comme un Serdaigle, mais pas par amour de la science – celle-ci n'est qu'un moyen d'arriver pour vous. Impétueux comme un Gryffondor, mais sans le goût de l'aventure. Vous êtes bien trop sérieux, mon garçon... Enfin, avec un tel instinct de conservation et une telle détermination, une telle rage de faire ses preuves et de telles ressources d'adaptation, vous êtes réellement un Serpentard pur-sang, Mr Snape.

- « Pur-sang »,
répondit dans un sifflement le jeune homme en reposant le vieux chapeau d'un geste agacé. Va dire cela aux anciens de Serpentard qui pour mon sang me refuseront dans leurs rangs malgré mes si nombreuses ressources !


- Eh bien, vous m'accompagnerez bien pour une tasse de thé, jeune homme ?


Dumbledore était déjà assis à son bureau. Il regardait son jeune élève d'un air calme et ouvert, comme à son habitude. Mécontent de ne pas l'avoir entendu entrer, et méfiant devant cette proposition qui ne respectait en rien la hiérarchie admise, l'inquiet Severus, lui, fulminait intérieurement, comme à son habitude.


- Allons Mr Snape, vous semblez d'humeur tendue aujourd'hui. Ne vous détendriez-vous pas autour d'un bon thé ? Bergamote, citron ? Ou une petite infusion aux coquelicots? Avec un peu d'ananas confits ?


Severus hocha brièvement de la tête et s'assit sans rien répondre ni boire. Rien de pire que les amabilités hypocrites.


Après un lourd silence durant lequel le regard du plus vieux fixait celui du plus jeune qui le fuyait, le directeur de Poudlard reprit la parole :


-Mr Snape, le professeur Slughorn m'a depuis longtemps fait part de vos capacités en potions. Il semble que vous ayez à nouveau attiré son attention avec votre dernière trouvaille, cette lotion de distorsion rapide...Améliorer la potion traditionnelle et la transformer en lotion efficace par simple inhalation dans un mouchoir, très pratique...Je suppose que vous savez adapter ce procédé à d'autres, mmmh, remèdes, n'est-ce-pas ?


Severus serra les dents. Il se méfiait énormément des compliments qui ne devaient pas en être. Il préférait la méthode des réprimandes franches, nettes et immédiates.


- Très ingénieux en tout cas, continua Dumbledore avec un calme qui faisait de plus en plus perdre le sien à Severus. Je suppose qu'on vous doit, outre la déformation faciale dont est subitement atteint votre camarade, l'étrange épidémie de tremblements ayant sévi dans les rangs des Serdaigle de 7ème année lors de la période des derniers examens, ou encore le mystérieux épisode des écoulements lacrymaux et nasaux perpétuels de MM. Pettigrew, Potter et Black. Et ah, le je-dois-dire irrésistible Levicorpus qui fait rage dans tout Poudlard depuis déjà plusieurs semaines?


Severus s'était finalement senti une grande envie de thé et avait plongé nez et yeux dans le fond de sa tasse. Est-ce qu'on lisait aussi l'avenir dans les fonds de sucre cristallisé ? Il détestait définitivement le sucre. Et si Dumbledore, ce vieux naïf illuminé, il attendait de sa part l'expression d'un remords sincère, eh bien il pouvait être indéfectiblement sûr qu'il regrettait en effet, amèrement, - d'avoir loupé Lupin dans le lot. Pomfresh avait mis des heures à trouver le bon remède, ils en avaient pleuré du sang, à ce qu'on avait dit. Quant à Bulstrode, le résultat était plutôt à son avantage, finalement, alors, il devrait plutôt lui en être reconnaissant. Mais en sentant peser le nouveau silence du directeur, il releva finalement les yeux pour constater avec stupéfaction le semi-sourire amusé du vieux professeur. Mais qu'est-ce qu'il y avait donc de drôle ?


- Vous savez, Mr Snape, reprit celui-ci avec douceur. Le professeur Slughorn n'est pas le seul à avoir observé vos talents et votre inventivité. Vos professeurs de Défense contre les forces du Mal et de Sortilèges, et, je dois ajouter, notre infirmière et notre concierge, m'ont déjà convaincu de vos capacités. Même si je suis certain que nombre de vos découvertes sont restées anonymes.


Severus serrait maintenant les poings, mais regardait de front le directeur, les yeux enflammés. S'il croyait qu'il allait se laisser intimider, lui, par cette bande de cornichons qui lui dispensaient habituellement leurs cours, alors là...Et allait-il enfin cracher le morceau, le vieux tordu ? Albus Dumbledore avala une gorgée de thé, puis poursuivit sur le même ton tranquille :


- J'apprécie la créativité, dans la précision et la maîtrise, Mr Snape, et la magie dont on use à bon escient. Toutefois, certains des ingrédients que vous avez dû employer ne devraient pas être tombés dans les mains d'un sorcier de 1er cycle. Mais tant que vous maitrisez les dosages et ne dépassez pas certaines limites... Bien sûr, notre rôle en tant qu'enseignants est de fixer les règles, mais nous savons fermer les yeux sur nombre de petites infractions et joyeuses incartades qui font aussi la vie de notre belle école. Car la jeunesse a besoin de se défouler et de s'exprimer !


Dumbledore avait l'air cette fois franchement attendri à l'évocation des « joyeuses incartades de la jeunesse ». Severus lui se demandait où se fixaient exactement les limites admises des petites infractions et joyeuses incartades pour certains Gryffondor de sa connaissance. Albus Dumbledore devait trouver amusantes leurs « incartades » édifiantes -d'inanité- et stupéfiantes --d'infantilisme-.


- D'ailleurs, savez-vous que le professeur Slughorn, qui vous considère comme un de ses plus brillants élèves, a pensé à vous nommer préfet de votre maison cette année ?


Cette fois, Severus eut un doute. Le directeur de Poudlard ne l'avait-il pas vraiment convoqué pour ne pas manger seul ses ananas confits en l'absence de son cher directeur de Maison ? Et était-il donc vrai que ce gros morse de Slug avait eu assez de finesse pour remarquer qu'il valait tout de même plus que les autres crétins de sa classe ? Alors qu'il l'avait implicitement accusé de copier les idées d'Evans (ce qui était seulement à moitié vrai) et écarté de son petit groupe d'Elus sous le prétexte minable du nombre de plaintes à son endroit de la part de ces vieilles biques de Pomfresh et MacGonagall?


Dumbledore prit un ton sérieux, bien que tout aussi paisible.


- Mais nous avons pensé, Mr Snape, que vos relations, qui semblent tendues entre vous et vos camarades de votre maison, comme avec ceux d'autres maisons, pourraient ne guère s'améliorer avec l'attribution de ce genre de prérogatives.


- « Ça c'est sûr, pensa Severus frustré. Donnez-moi quelque possibilité de m'imposer, je me priverai pas d'en user. Mais faudrait pas, surtout. »


Dumbledore l'observait et son visage avait pris un air plus songeur.


- Enfin voilà, Mr Snape, sachez que j'ai été ravi de notre agréable conversation. Je suis content d'avoir enfin pris le temps de vous assurer du fait que vous êtes jugé selon vos actes et à votre valeur. Ne l'oubliez pas.


Severus se leva et hocha la tête en guise de salut. Il était donc averti. Il allait devoir être bien plus discret dorénavant. Où diable consigner ses idées en toute sécurité ?


Il s'éloignait et passait déjà la porte du bureau quand Dumbledore ajouta :


- Une dernière chose, Severus....


Surpris de l'usage de son prénom, qu'il commençait à vrai dire lui-même à oublier, le jeune homme se retourna, encore davantage sur ses gardes. Cette marque de rapprochement ne présageait rien de bon.


- ... Ne dépassez pas certaines limites. Certaines d'entre elles sont dangereuses et je ne voudrais pas vous voir vous y perdre.


Dumbledore avait parlé en regardant le garçon droit dans les yeux. Severus avait horreur de ça. Et il avait horreur qu'on lui fasse la leçon et de ce genre d'intimidation grossière. Il quitta le bureau du directeur l'humeur encore plus sombre, maudissant les éminents imbéciles qui réduisaient ses découvertes en matière de sortilèges de défense au niveau de petits sorts de gamins facétieux.


Il renifla. Ils le prenaient tous pour un petit joueur. Et ils lui refusaient les honneurs. Ah, ils verraient tous un jour, ce dont lui était capable. Oui, un jour, Dumbledore en personne, le plus grand sorcier de tous les temps, ce vieil hibou que tout le monde, ou presque, vénérait dans ce monde de limaces ventripotentes, oui, juré, Dumbledore en personne, il le tiendrait à sa merci, suppliant devant lui, et il verrait bien ce jour-là, ce dont lui il était vraiment capable !


En attendant ce jour, il allait redoubler de prudence pour ne plus se faire prendre. Même s'il devait se faire passer pour moins brillant qu'il n'était. La reconnaissance publique se fera en temps voulu.


Dans son bureau, Dumbledore fit d'un simple geste disparaitre son service à thé et, les traits attristés, poussa un léger soupir.


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Jusqu'à ce que vous appreniez à vous taire by Kedra
Author's Notes:
Voir Note du chapitre 3 et/ou mon profil pour mes excuses et remerciements !!!! :)


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Si j'avais à réécrire cet épisode aujourd'hui, je le referai complètement. A vrai dire, j'ai une nouvelle version en tête, un peu plus originale (enfin, je crois). Ce qui est terrible, c'est que 3 ans après la fin de la saga, le chapitre a l'air vraiment plat, comme quoi il vaut mieux poster en temps et heure plutôt que des siècles plus tard!
Jusqu'à ce que vous appreniez à vous taire
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« Ses yeux étaient aussi noirs que ceux de Hagrid mais ils n'avaient pas la même chaleur.
Ils étaient vides et froids comme l'entrée d'un tunnel. (L'école des Sorciers, chap.8) »


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Le crépuscule menaçait déjà et Severus en aurait le cœur net cette nuit. Cette fois-ci serait la bonne. Cela faisait des mois qu'ils les épiaient, qu'ils les suivaient, qu'ils les tenaient presque, il en était certain. Tous les indices accusaient Lupin. Ils étaient tellement accusateurs que Severus en doutait à nouveau, à force. Comment une telle chose pouvait-elle échapper à Dumbledore, à Pomfresh, à McGonagall ? C'était impossible. Tellement impossible que s'il avait deviné juste, et que l'impossible ne l'était pas, ce secret allait devenir une arme redoutable entre ses mains.

Tout d'abord, joignant l'utile à l'agréable...Avoir découvert un tel secret le mettrait certainement dans les petits parchemins de certaines de ses relations de Serpentard. Pour se mettre dans les bonnes grâces de qui sait entendre, une information cruciale est toujours bonne à rapporter en de bonnes -ou mauvaises- oreilles.

Surtout lorsque cette information cruciale conduirait immanquablement à nuire à ses propres ennemis. Rien de tel pour une déchéance. Qu'ils apparaissent enfin sous leur vrai jour. C'était exaspérant, qu'il fût toujours le seul à voir la vérité sous les dorures et les flambeaux... Les idoles, les champions, les lions de Gryffondor n'étaient que des monstres. Et il le savait, il le tenait, il le sentait...Ils cachaient quelque chose, quelque chose d'interdit, quelque chose d'inavouable, quelque chose qui les fera enfin adopter profil bas, très très bas...Voire les fera renvoyer définitivement. Et lui, lui, il devait les abattre, oui, parce que...

Une minute. Ils avaient encore disparu. Encore. Là-bas, encore lointaine, dans le soleil couchant, le jeune homme distinguait déjà l'ombre compliquée du Saule Cogneur, l'herbe haute, le ciel qui se déchirait encore en des teintes délavées de rouge et or, en des trainées de sang pâle sur une peau en lambeaux jaune. La pleine lune s'arrondissait déjà au-dessus du parc de Poudlard. Mais où diable étaient-ils encore passés ?

L'ombre de Severus se dégagea de l'ombre de l'arbre qui le cachait. Mais il n'eut pas le temps de s'approcher davantage. Il se retrouva violemment projeté contre le tronc de l'arbre, et fermement maintenu à lui par deux mains l'agrippant à pleine gorge.

- Encore et toujours toi, hein, Snivellus. Toujours là derrière, à espionner, à fureter, à ramper... Tu aimes ça, hein, dis-le !

Black. Severus rugit. Black, seul, apparemment.
Donc, sans son cerveau, et sa baguette dans la poche... ça fait deux bons points. Mais tout de même plus fort physiquement que lui, il l'avait évalué à plusieurs reprises. Severus rassembla toutes ses forces pour le repousser et cracha :

- QUOI ?

Mais Black ne le lâchait pas. Il avait cependant replacé ses mains sur le large tronc, emprisonnant Severus entre ses bras, l'acculant contre l'arbre, et la proximité de leurs visages faisait ressentir au Serpentard une telle haine, une haine physique, une haine à en souhaiter la mort de l'autre. Ce type avait des yeux de fou parfois, des yeux de bête brute, des yeux de chien enragé. Il n'allait jamais avoir le temps de sortir sa baguette de sa manche.

-...T'attirer des ennuis. Je suis sûr que tu aimes ça, au fond. Des tendances masochistes. Suicidaires. Remarque, si j'étais toi, je ne me supporterais pas non plus. Rien que de me voir chaque matin dans une glace, je voudrais en finir. Remarque, ça explique que tu t'laves jamais le matin, je compatis. Pour ta mère, qui a dû les briser tous, les miroirs, après avoir vu, la malheureuse, ce qu'elle avait enfanté.

Faut pas demander aux bêtes d'être spirituelles, non plus.

- Et que dirais-tu de la mère de Lupin, en ce cas, Black ? Elle a dû...

Il n'eut pas le temps de finir. Black l'avait à nouveau saisi à la gorge.

- Qu'est-ce que tu dis ?

Severus jubilait. Il avait vu juste, c'était évident. Les doigts de Sirius se resserraient sur leur proie et Severus tentait de les écarter de ses mains.

- Tu as très bien compris. Cela m'étonne de ta part, je dois dire, siffla-t-il au milieu de ses propres suffocations.

Sirius le lâcha d'un coup, ce qui fit tomber Severus à terre, au pied de son camarade. Celui-ci tremblait de fureur, et visiblement s'apprêtait à se servir de ses pieds pour cogner Severus. Mais celui-ci avait eu le réflexe de profiter de l'occasion pour ramper hors de son emprise et de sa portée. Il fuyait déjà quand Sirius le héla.

- Eh ! Snape ! Si tu tiens vraiment à la voir en face, la vérité, vas-y ! Sous le Saule Cogneur, en appuyant avec une branche sur la racine qui forme un nœud..Vas-y. Vas-y, entre, et reste-z-y !

Severus n'avait pas hésité. Jusqu'à ce qu'il s'immobilise, hors d'haleine, arrivé devant le Saule Cogneur. Black n'avait jamais été qu'une ordure, mais si Lupin était vraiment ce qu'il supposait qu'il était, Black était en train de l'envoyer droit dans la gueule du loup-garou. C'était bien trop stupide, même pour Sirius Black. Risquer de le tuer, de condamner Lupin, de se condamner lui-même à Azkaban à vie, pour une vengeance. S'était-il trompé ? Que pouvait donc être le secret de Lupin alors ?

Il ramasse une longue branche. Si Black lui avait donné à lui l'accès à leur cachette, alors c'est qu'il ne devait pas y avoir grand chose à y cacher. Ou bien la réponse à ses questions, mais qui sera bien plus insignifiante que ce qu'il aurait voulu trouver. Au pire, Black s'était moqué de lui, avait cherché la première idée pour lui nuire qui lui était passée par la tête, et il allait se recevoir un bon coup de branche en approchant. Ah ah. On peut pas dire que l'inventivité de Black pouvait pousser bien plus loin, la preuve en était qu'ils devaient toujours se mettre à quatre pour élaborer des plans dignes d'un Scroutt à pétard. Severus, au lieu d'user d'une branche, recula et, ramassant une grosse pierre, visa le nœud de racines qu'un rayon de lune éclairait d'une lueur funeste. Tout sembla se figer en cet instant, sous la lumière de l'astre de platine rond. Même l'herbe semblait ne plus respirer. On ne distinguait plus que le noir du blanc.

Severus eut le sentiment de se glisser de lui-même sous la terre des morts quand il se faufila sous les racines longues comme de sombres serpents statufiés.

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- Hé, Padfoot, il va où là ?

James avait surpris Sirius par derrière, James avait posé sa main doucement sur l'épaule de son ami, et de l'autre, James indiquait de son index la mince silhouette noire qui disparaissait déjà au loin. Sirius tressauta, puis s'ébroua comme si on venait de le sortir entier d'un bac d'eau glacée. Et, parlant curieusement comme à regret, d'une voix d'outre-tombe :

- Je viens de la trouver, Prongs, celle qu'on cherchait. La meilleure blague à lui faire, crois-moi. Oui, j'ai fait une blague...Crois-moi, il nous laissera enfin tranquille après ça. Ça va le calmer une bonne fois pour toutes.

Il parlait d'une voix d'automate. En fait, il avait l'air de quelqu'un qui est en train de voir l'enfer s'ouvrir lentement, très lentement mais sûrement, sous ses pieds.

- Sirius, le secoua James, apeuré. Sirius ! Tu ne lui as pas dit comment entrer quand même, hein?

Sirius montra des dents. Un moment, il grogna, comme s'il allait vraiment mordre.

- Il sait, James, il sait. Pour Remus, il sait ! ...Alors, s'il y va!... Ça, ça va lui faire peur, c'est tout, Prongs...Et après ça, le sale mouchard, il aura eu bien trop peur et c'est tout ce dont il a besoin pour se calmer, crois-moi.

Il avait dit ses derniers mots avec un ton désespéré. Mais ses mots résonnaient déjà dans le vide. Il s'effondra sur ses genoux, pris de terreur.

James l'avait bousculé et déséquilibré. Le regard vide, Sirius fixa l'attrapeur qui courait si vite si loin, à la poursuite du sale mouchard.

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Le regard vide. Le bras en écharpe, la nuque encore griffée d'une épaisse cicatrice, Severus se retrouvait encore en état de choc, les yeux écarquillés d'effroi, fixant le vide qu'il voyait devant lui, engouffré dans un des fauteuils profonds du bureau du directeur, enfoncé sur le velours bleu nuit comme s'il avait voulu s'y incruster.

Albus Dumbledore se tenait assis devant lui, le visage grave.

- Eh bien, Mr Snape, il est heureux de vous retrouver vivant après une escapade d'une si grande imprudence. Je me serais bien passé également de cette frayeur.

Sous le regard bleu, Severus renifla, ce qui sembla le sortir un instant de son état de pierre tombale. Depuis des heures qu'il avait passées à l'infirmerie, il ne pensait plus à rien, même pas à la douleur physique. A l'intérieur de lui, seul restait un grand vide. Un trou béant qui auparavant devait être occupé par son cœur et par ses souvenirs. Un trou qu'il avait senti l'envahir en une grande lueur verte, la lueur de sa propre mort qu'il avait entraperçue, là, au fond de cette cabane sombre. Lui qui n'avait jamais été amateur d'émotions fortes. Il n'avait jamais été excité par le danger. Il aurait été le dernier à s'exposer par pure imprudence, sûr. Sauver sa maigre carcasse, ça semblait déjà une peu mince affaire. Or là, là-bas, il avait senti les os de son bras et des côtes se briser, son cou se déchirer, là-bas dans cette poussière de bois et de cendre volante, et il avait entendu le hurlement du monstre, l'air qui sifflait lorsqu'il s'était redressé devant lui pour s'abattre, et son propre cri qui fendait sa gorge, lorsqu'il avait senti quelque chose ou quelqu'un le happer en arrière et le trainer avec lui à rebours, loin, plus loin du hurlement, à rebours dans le noir, le trou noir, le trou béant duquel il ne ressortait pas encore, l'œil embué de la lueur sinistre dans laquelle il avait bien vu un œil meurtrier le prendre pour proie. Il n'avait jamais voulu mourir.

Non. Fixer l'œil bleu d'Albus Dumbledore derrière ses lunettes en demi-lune. Severus claqua des dents et fut surpris de se retrouver une voix :

- Lupin, Monsieur. Un loup-garou. Je l'ai vu. Il voulait me tuer.
- Non, mon garçon. Le loup voulait vous tuer. Le loup et non Remus Lupin. Remus lui ne voulait pas vous tuer.
- Lupin, c'est Lupin le loup : Un monstre, je vous dis, un monstre dangereux, un monstre tueur, un loup-garou !
- Non, mon garçon. Votre camarade n'a rien d'un monstre et je vous incite à le comprendre comme tel.

Les yeux noirs de Severus s'obscurcissent davantage. Comprendre. Le comprendre. Qu'Albus Dumbledore comprenait les loups-garous avant de le comprendre, lui. Qu'il comprenait le monstre avant de le comprendre, lui qui avait failli mourir. Qu'il protégeait Lupin avant de le protéger, lui. Encore. Comprendre.

Comprendre qu'Albus Dumbledore, le directeur de Poudlard, le plus respecté des Sorciers, ce respectable Dumbledore-là le laisserait bien subir une telle mort, le laisserait apparemment être déchiqueté par un monstre anthropophage, abattu comme un mauvais jouet, impuissant et seul dans cette Cabane sinistre, et pour quoi, pourquoi ? Juste pour ne pas remettre en cause ce que le Grand Directeur avait pu décider auparavant être bon de faire ? Oui. Bon de faire, comme par exemple, laisser un loup-garou en liberté au milieu de toute cette viande fraîche à hacher sans défense.

Comme s'il avait lu en lui, le vieux directeur reprit doucement :

- Et je vous assure, jeune homme, que tant qu'on ne l'approche pas les nuits de pleine lune, tout danger est écarté. Toutes les précautions sont prises pour assurer la sécurité de ses camarades. Il me semble que vous vous êtes bel et bien abstenu de tenir compte de l'interdiction formelle que je n'ai cessé d'adresser à tous en chaque début d'année concernant l'accès au Saule Cogneur, n'est-ce-pas ? Mais quel besoin avez-vous donc de vous mettre dans de telles situations et d'enfreindre ainsi les règles de sécurité de cette école ? Est-ce là la triste manifestation de l'inconscience de votre âge, Severus, ou bien est-ce celle d'une curiosité déplacée ?

Severus ressentit à ces mots un nouvel appel du vide intérieur. Il reprit de la même voix atone :

- Black, Monsieur. Il m'avait dit comment déjouer le Saule Cogneur. Black. C'est lui qui voulait ma mort, Monsieur. Black. C'est un meurtrier. Sirius Black.

Les yeux clairs de Dumbledore s'assombrirent à leur tour.

- Une bien mauvaise plaisanterie, qui témoigne du degré d'inconscience qui est celle du jeune Sirius. Il a lui-même reçu là une leçon mémorable dans cette histoire. Il est décidément heureux pour tous que Monsieur Potter se soit porté, - et à temps-, à votre secours, Monsieur Snape.

Les yeux bleus le vrillaient plus que jamais. Dans quelques temps, quand tout ce bleu l'aurait évacué, peut-être que le sens des mots prononcés atteindrait son cerveau.

-...Car c'est à lui que vous devez la vie, mon garçon. J'en suis heureux, croyez-le, et j'espère que cet incident sera le dernier entre vous : la gravité de cet épisode devrait tous vous amener à plus de sagesse dorénavant. Profitez-en pour faire la paix entre vous, Mr Snape. C'en est là l'occasion.

S'il refermait les paupières, certainement, l'éclat du bleu se dissiperait et le noir reviendrait l'envelopper. Il pourrait s'y perdre et s'y fondre, là, dans ce trou, il pourrait y retrouver le silence et le vide, le néant qui seul ne pouvait plus le blesser autant.

Comme un automate, Severus se releva. Plus tard, il comprendrait sûrement tous ces mots bleus et ce torrent d'informations dénuées de sens...

- Severus, une dernière chose...

Severus cligna des paupières, cherchant à rejeter le voile noir qui déjà s'abattait de nouveau devant ses yeux.

-...Si le secret de la condition particulière de Mr Lupin venait à s'ébruiter, je serai en droit de considérer que vous auriez été la source probable de cette mauvaise rumeur...Aussi, je m'attends à votre silence, le plus absolu, à ce sujet.

Severus écarquilla les yeux. Ses lèvres sèches tremblaient. Il voulait les ouvrir. Mais il vit soudainement le visage d'Albus Dumbledore s'adoucir pour ajouter :

- Mais sachez que j'ai toute confiance en votre intelligence et en votre capacité à conserver un secret.

Le regard bleu semblait sourire maintenant. Severus ne pouvait plus en soutenir l'éclat.

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Le crâne et le dos affalés sur la porte refermée derrière lui, Severus, tremblant, se laissa à nouveau glisser dans le noir de son esprit, pendant que la gargouille le redescendait sur le sol de Poudlard. Pour l'instant, la seule sensation qui subsistait encore dans ses ténèbres, c'était cette douleur immense. Cette douleur infinie, provoquée par son propre cœur, ce cœur qui osait battre, le battre, encore, entre ses poumons, battre alors qu'il venait d'avoir la preuve qu'on le haïssait et qu'on l'estimait n'être suffisamment rien pour l'abattre.

« Eh bien voilà, le plus gênant, chez lui, c'est le simple fait qu'il existe, si tu vois ce que je veux dire.... »

Il avait été envoyé à la mort gratuitement et en toute conscience, comme on jette une mauvaise viande dont on ne veut pas à un fauve carnassier, se délectant de l'idée du spectacle. Ou comme on se débarasse d'un problème qu'on ne veut même pas soi-même affronter. Il était donc à ce point méprisable, lui qu'on avait sauvé in extremis seulement parce qu'eux, eux, eux ils se sauvaient la mise les uns aux autres.

Il avait la sensation de retrouver ce vide qui semblait être né avec lui et grandir en lui pour un jour le dévorer définitivement. Ce vide salvateur dans lequel plonger pour ne plus souffrir. Se vider de ses émotions, de ce souvenir, de ces couleurs, du vert, de la lumière, du bleu des yeux de Dumbledore, des couleurs de l'espoir et du ciel qu'ils aimaient tous, qu'ils respiraient eux. Et retrouver ce noir qui l'aspirait, ces ténèbres qui le protégeaient de la douleur, de la lumière. Et, à compter de ce jour, ces ténèbres salutaires, ils allaient les supporter comme une seconde peau, une armure noire sur le blanc de sa propre peau. Il allait porter le deuil, porter sur lui, en lui le deuil de sa propre existence, puisque personne d'autre ne le porterait pour lui.

Il porterait, enseveli en lui, dans son trou, son cœur noir, ce cœur qu'ils voulaient mort, ce cœur qu'il voudrait froid.

Mais c'est la colère qui se chargerait des condoléances.
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