La première planète était habitée par le colérique.

- Ah, dégage d'ici garnement ! s'écria le colérique quand il vit le petit prince approcher.

Car pour les colériques, tous les hommes sont des emmerdeurs.

- Bonjour, dit le petit prince. Vous avez un drôle de mouton.

Il ressemblait à peu près à ça, et le petit prince, qui s'y connaissait en moutons, savait qu'il lui manquait de la laine.

- Ce n'est pas un mouton, dit le colérique. C'est une chèvre.

Le colérique avait l'air très fâché que le petit prince confonde sa chèvre avec un mouton. Le petit prince le comprit, car il détestait qu'on prenne son mouton pour une boîte.

- Elle mange les baobabs, votre chèvre ? demanda le petit prince.
- Bien sûr qu'elle mange les baobabs !
- Même les gros ? s'étonna le petit prince qui songeait qu'une chèvre lui serait bien utile, finalement.
- Ça mange tout, je te dis, dit le colérique en grognant.

Le petit prince pensa : "pourquoi ce monsieur qui a la chance d'avoir une chèvre mangeuse de baobabs est-il colérique ?" En disant au revoir au colérique, il le vit si gros qu'il comprit que le colérique avait mangé un baobab.

La seconde planète était habitée par un joueur de Quidditch. Il était si passionné qu'il ne vit pas le petit prince arriver. 

 
- Bonjour ! dit le petit prince. 
- Bonjour ! répondit le joueur de Quidditch en faisant une pirouette sur son balai. Et... hop ! 
 
Il envoya une grosse balle dans un grand anneau très haut. Il fila ensuite l'arrêter devant l'anneau. Le petit prince applaudit. 
 
- Bravo ! 

Le joueur de Quidditch vola au-dessus dessus de sa tête, si près qu'il effleura ses cheveux dorés. 
 
- Oh ! s'exclama le petit prince. 
 
"Ce monsieur a l'air de savoir s'amuser, pensa-t-il. Mais il va finir par se casser tous les os." 
 
Et le joueur de Quidditch l'avait déjà oublié. Il grimpait aux étoiles, volait avec les astéroïdes, oscillait entre les montagnes et les anneaux. Le petit prince commençait à s'ennuyer. 
 
Un jour, le joueur de Quidditch tomba. 
 
- Aïe aïe aïe ! cria-t-il. 
 
Il ne pouvait plus jouer. 
 
Le joueur de Quidditch pleura tant que sa petite planète se remplit d'eau. 
 
- Ô, désespoir ! cria-t-il encore. 
 
Le petit prince se sentit très triste de voir la pauvre planète inondée. Le petit prince aimait sa fleur mais il n'oubliait jamais de ratisser ses deux volcans en activité et son volcan éteint. Non, ce n'était pas sérieux. 

 
Il voulut le consoler. 
 
- Regarde, dit-il alors en montrant le soleil qui se couchait. 
 
C'est ainsi que le petit prince se consolait de m'avoir quitté. 
 
Et le joueur de Quidditch sourit. 
 
- On dirait un anneau de Quidditch, dit-il doucement. 
 
 
"Les sorciers sont décidément bien bizarres", se dit le petit prince en lui-même durant son voyage. 

La troisième planète était habitée par un rabat-joie. Elle était carrée et remplie d'arbres colonnaires dont la croissance est verticale et le feuillage étroit.

Mais le dessin est infidèle car la planète avait des angles droits. Comme ça :

Non, plutôt comme ça :

Je m'applique, car les grandes personnes ne comprennent pas les angles maladroits. Elles aiment ranger dans des boites carrées des choses qui ne rentrent pas.

Pourtant, qu'est-ce qu'il était obtus, ce rabat joie. Il ne croyait pas le petit prince quand il lui disait :

- Ma planète est ronde.

Le rabat joie riait. Le petit prince s'étonnait de ce rire sans grelots.

- Ma planète est ronde, répétait le petit prince.
- N'importe quoi ! s'exclamait le rabat-joie.
- Je peux vous y emmener, si vous le voulez.
- Certainement pas !

Il était presque aussi rouge que ses cheveux et ses arbres colonnaires.

Le petit prince se mit à marcher sur la planète carrée. Il la trouva drôle, cette planète carrée.

- Ne ris pas ! lui ordonna le rabat-joie. C'est une planète sérieuse.

Le petit prince en fut tout surpris.

- Mais c'est très sérieux, de rire ! dit-il.

- Ridicule ! Rire est tout sauf sérieux. Rire est vain, futile, pauvre et méchant. Dis-moi, demanda le monsieur tout rouge, à quoi sert de rire, si c'est si sérieux ?

- Ça sert, dit doucement le petit prince, à ce qu'un homme seul dans l'univers entende rire les étoiles.

A cela, le rabat joie ne répondit pas. Il se contenta de regarder au loin une planète ni carrée, ni ronde, ni même triangulaire. "Une planète biscornue", pensa le petit prince en souriant.

La quatrième planète était habitée par un homme malheureux. Il était tellement vouté qu’il semblait la porter, cette planète immense qui tournait si lentement qu’il n’y avait pas fait jour depuis des années.

- Bonjour, dit le petit prince. Pourquoi fait-il si froid ici ?
- Pour empêcher les casse-pieds de venir m’embêter, répondit le malheureux sans même relever le bout de son nez.

Le petit prince, qui une fois qu’il l’avait posée, ne renonçait jamais à une question si on ne lui répondait pas sérieusement, répéta alors :

- Pourquoi fait-il si froid ici ?

Le nez du malheureux toucha le sol gris de sa planète.

- Car c’est une planète maudite.
- Qu’est-ce qu’une pla…
- C’est une planète condamnée au malheur. La moindre brindille qui cherchera à s’enraciner sera immédiatement congelée.

Le malheureux se releva enfin assez pour montrer ses yeux en trou noir.

- C’est pour ça que tu n’as pas ta place ici, petit prince, dit-il doucement.

Le petit prince eut soudain très froid. Il se mit sur la pointe des pieds pour apercevoir le soleil, mais il ne le vit pas.

- Pourquoi es-tu malheureux ? demanda-t-il encore au malheureux.
- Car j’aimais une personne et que je l’ai trahie.
- Est-ce que c’était une fleur ? dit le petit prince en pensant à sa rose.
- Oui, répondit le malheureux.

Le petit prince songea que pour la première fois depuis son arrivée sur cette planète toute froide, il comprenait le malheureux. Il s’en sentit un peu plus heureux.

- Comment est-elle ? l'interrogea-t-il.
- C'était un lys.
- Moi, j’ai déjà vu beaucoup de lys, dit le petit prince qui avait beaucoup voyagé. Comment était ton lys ?

Alors, le malheureux lui décrivit son lys, et sûrement me détestera-t-il d’en faire une si terne dessin, mais voici ce qu'il en ressortit :

Et le petit prince s’en fut, heureux.

La cinquième planète était la planète biscornue que le Rabat-Joie regardait autrefois. Elle était petite mais remplie, et les cheminées de ses toits fumaient très fort.

Le petit prince pensa que cette planète devait avoir beaucoup d'habitants joyeux et occupés à faire fumer leurs cheminées.

- Bonjour ! dit-il en se posant sur la planète.

Mais personne ne lui répondit. Seules les étoiles brillaient. Les fenêtres, elles, étaient éteintes.

Le petit prince ne le savait pas, mais dans le monde des grandes personnes, on appelle ces planètes-là des planètes déliquescentes. Abandonnées. Oubliées. Grandes autrefois (même quand elles étaient petites) - immense si vous l'aviez vue ! - mais minuscules désormais.

- Bonjour ! répéta le petit prince.
- Bonjour, mon garçon, répondit une femme depuis sa fenêtre.

Elle était rousse comme un soleil mais ses paupières alourdies disaient qu'il s'était couché depuis longtemps.

- Tiens, c'est amusant, dit le petit prince en riant, personne ne m'a jamais appelé « mon garçon » !
- Vraiment ? s'étonna la femme-soleil. Même pas ta maman ?

Le petit prince réfléchit.

- Je ne sais pas, conclut-il en haussant les épaules.
- Ce n'est pas grave, tu peux être mon fils si tu le veux. J'ai beaucoup de place ici, tu vois !
- Et que faut-il faire pour être un fils ? demanda le petit prince qui trouvait l'idée fort amusante.

La femme accoudée à sa fenêtre réfléchit à son tour et lissa son tablier sans le regarder.

- Beaucoup de bêtises, répondit-elle en chuchotant.

Le Petit Prince trouva qu'elle avait l'air plus malheureuse que le Malheureux lui-même. Alors il lui dit :

- Ça a l'air drôlement amusant, d'être fils. J'aimerais beaucoup le vôtre, si vous voulez être ma maman.

Ce fut comme un lever de soleil. Et les jours suivants aussi, alors qu'ils allumaient les fenêtres et réchauffaient les cheminées. « Comme il est doux, d'être un fils », songeait le petit prince.

Mais le petit prince aimait beaucoup voyager, et un matin, il voulut partir. Il dit à la femme-soleil qu'il se sentait triste et impatient.

- Je sais, mon garçon, répondit-elle en le regardant s'envoler.    

La sixième planète était habitée par la femme la plus fabuleuse que le petit prince ait jamais rencontrée. Comme sa robe noire effleurait en cadence le sol aride de sa planète, il se réjouit.

- Bonjour, dit-il en chuchotant de peur de l'interrompre. Es-tu une danseuse ?

La Danseuse se retourna lourdement sans cesser d'agiter les bras.

- Je ne danse pas, répondit-elle comme un claquement. Je me bats.

- Pourquoi ? s'étonna le petit prince.

- Pour protéger les étoiles.

« Quelle curieuse manière de protéger des étoiles », songea le petit prince qui protégeait parfois sa fleur avec un paravent.

- Je me bats aussi, reprit la Danseuse, pour ne plus jamais avoir à danser.

Sur ces mots, ses longs cheveux noirs virevoltèrent. Elle courut dans un sens, puis revint en zigzague, et le petit prince trouva cela triste et merveilleux.

- J'aimerais beaucoup apprendre à danser, dit-il doucement pour ne pas la fâcher. Pourrais-tu m'apprendre à danser avec toi ?

- Non, répondit la Danseuse qui était vraiment très fâchée.

- Pourquoi ?

- Je ne sais pas danser avec les petits prince, avoua-t-elle cette fois-ci sans méchanceté. Je n'ai appris qu'à danser pour les hommes.

Le petit prince se dit que les hommes étaient décidément bien étranges. Il pensa aussi que la Danseuse était peut-être comme sa fleur, et que les hommes, les tigres et tous les méchants du monde avaient dû vouloir l'arracher malgré ses quatre épines.

Le petit prince prit peur quand de grands éclairs illuminèrent la planète de la Danseuse.

Et alors qu'il la quittait, il vit le Danseuse amorcer une danse terrible qui abîma la planète et les étoiles de l'univers.