Ce soir-là il avait cherché en vain un sourire, un visage ouvert, une parole aimable. Il lui semblait ne plus exister pour personne. Il rentra dans sa chambre déprimé, persuadé qu’il n’était qu’un parasite, que sa vie ne valait pas la peine d’être vécue et que personne ne regrettait sa disparition. Il essaya de lutter contre ses sentiments pendant plusieurs heures. Il aurait voulu trouver un appui quelque part, mais rien, le vide ! Il jeta un coup d’œil à sa montre : 22h37. Il avait le temps de sortir avant qu’on ne ferme les portes du foyer pour la nuit.
Une flamme bleue s’élevait du centre du cercle magique vers la nuit étoilée. Tout était prêt. Drago qui s’était défait de tout objet métallique brandit sa baguette et braya des incantations d’une voix grave. La flamme se contorsionna et prit l’aspect d’une forme humaine, floue d’abord puis de plus en plus précise. Le spectre de Severus Rogue venait d’apparaître. Son visage était courroucé.
- Que me voulez-vous, Malefoy ? Pourquoi venez-vous troubler mon repos ? dit une voix chargée de reproches.
- Professeur, …
- Je ne suis plus votre professeur, Malefoy !
- De grâce, un conseil … implora le jeune homme
- C’est aux vivants qu’il faut vous adresser ! Cessez vos maléfices et allez-vous-en !
La flamme s’éleva. La silhouette menaçante s’inclinait vers lui. Drago prit peur. Si quelqu’un l’avait vue ? Il tomba à genoux et jeta de la terre sur la base de la langue incandescente.
- Requiem ei ! Requiem ei ! Requiem ei ! » répétait-il tout affolé en éteignant le feu.
Une maigre fumée s’échappait encore des bouts de bois calcinés. Drago resta là, affalé sur le sol, incapable du moindre geste.
Le jour s’était levé. Drago reprit ses activités quotidiennes avec les pieds lourds. Il se sentait sonné, drogué, sans énergie, sans aucun appétit vital. L’après-midi, Forest lui demanda de l’aider à dégager les sous-bois pour y trouver des nids de bingo-korrigans, des petits lutins très farouches assez difficiles à approcher. Ils se répartirent l’aire à traiter. Drago se retrouva à bonne distance de son patron. Le garde lui avait bien expliqué son travail, ça n’avait rien de très compliqué. Le garçon travaillait comme un automate, comme si son cerveau avait été remplacé par un mécanisme d’horloger. En retirant de la broussaille, Drago aperçut quelque chose qui se mouvait sur le sol. Il s’accroupit. Il eut un instant un mouvement de recul, mais il se ravisa. C’était une vipère tricorne des palus. Il la reconnaissait, Forest lui en avait parlé et il l’avait vue dans son manuel de faune magique. Drago la fixa un instant fasciné, sans aucune envie de réagir, sous la domination d’une puissante force d’inertie. Et puis, sans même réfléchir, il étendit la main vers l’animal.
- Viens ma jolie, susurra-t-il, viens ma mignonne. Donne-moi un baiser. Allons, dépêche-toi mon cœur ! Dépêche-toi qu’on en fin…
- Evanesco ! cria soudain une voix forte.
Drago se retourna. Forest qui avait fait disparaître l’animal, se dirigea droit vers lui. Il paraissait très mécontent.
- Mais qu’est-ce qui vous prend, Malefoy ? cria-t-il. Envie d’en finir avec la vie ? C’est lâche !
- Eh bien oui, c’est lâche ! aboya Drago en se redressant. Je SUIS lâche ! Voilà ! Vous êtes content, maintenant ? ! Et qu’est-ce que ça peut vous faire après tout, hein ? Qu’un LÂCHE disparaisse, c’est pas une bonne chose, NON ?
- Si vous tenez à perdre la vie, faites-le au moins en vous rendant utile!
- Utile ! Pfff ! Utile ! Je n’ai aucune utilité ! Je suis un INUTILE ! Je ne sers à RIEN !
- ÇA SUFFIT ! vociféra Falk.
Le garde l’avait saisi par le bras et lui avait donné une bonne secousse. Drago, haletant, courba l’échine. Il tremblait de tout son corps.
- Petit Lord Malefoy, Drago, … petit dragon, marmonna Forest entre ses dents… ce n’est pas une lumière(*) qui T’a donné un nom pareil !
Allez, viens ! On va parler sérieusement.
Drago se demanda ce qu’il prenait à Forest de s’adresser à lui de façon si pompeuse. Un admirateur de Shakespeare ? Ou avait-il des ascendants chez les Quakers ? (**) Forest le guida vers un tronc d’arbre gisant sur le sol et ils s’y assirent. Drago, les coudes sur les genoux, tenait sa tête entre ses mains.
- Est-ce que Tu désires mourir à ce point-là ? demanda Forest, la voix lourde de reproches.
- Je n’ai pas de raison de rester en vie, répondit Drago, maussade.
- Il faut des raisons pour rester en vie ?
… Pense à ce que je viens de Te dire. Si Tu veux vraiment mourir, trouve une cause digne de faire le sacrifice de Ta vie.
- … Une cause ? …Quelle cause ? marmonna Drago… C’est trop tard ! Le combat est terminé !...Et j’étais du mauvais côté … Severus Rogue, lui, a sacr….
Il n’avait plus la force d’achever et tremblait violemment. Il y eut un long silence.
- J’ai fais une sottise, … une grosse sottise, lâcha-t-il brusquement.
- Qu’est-ce que Tu as fait ? demanda Forest sur un ton neutre.
- … J’ai … J’ai voulu le revoir .
- Qui ?
- Severus Rogue...
C’était mon professeur et mon directeur. J’ai … J’ai fait de la nécromancie saülienne cette nuit ! … Mais je ne suis pas allé jusqu’au bout.
Forest écarquilla les yeux.
- QUI T’ as appris ça ? demanda-t-il, pantois.
- Mon père.
… J’ai vu faire mon père. Il la pratique parfois, mais lui, enchaîne les esprits des morts pour les soumettre. Ça, je n’ai pas voulu le faire.
- De la magie noire !
- C’est du beau monde, les Malefoy ! lâcha Drago avec amertume.
- Et Tu es parvenu à le faire revenir, ton professeur ?
- Pas longtemps.
- Que T’a-t-il dit ?
- Il n’a pas voulu me parler. Il était fâché. Il ne voulait pas que je le dérange.
- Pourquoi tenais-Tu tant à le revoir ?
- Je voulais lui demander conseil.
- Et Tu n’as personne ici à qui demander un conseil ?
Drago se tut. Que fallait-il répondre à cela ? Forest ne lui avait jamais fait défaut. Pourquoi n’avait-il jamais pensé à lui parler ? L’idée ne l’avait même pas effleuré. Il en était confus, honteux. Il sentit la peur lui tordre le ventre.
- Je sais, je n’aurais pas dû, concèda-t-il dans un soupir tremblant après avoir hésité.
- Si Tu en es arrivé là, c’est que Tu ne voyais plus d’autre issue, conclut Forest de sa voix grave.
- Non.
- Tu ne les vois pas mais elles existent, ces issues.
…
Est-ce que Tu t’es choisi un tuteur ?
Drago fit non d’un signe de tête.
- Tu aurais quelqu’un à qui parler de tes problèmes, à qui demander conseil.
- Qui ? Je ne sais pas qui choisir … Je ne suis pas allé chez madame Godfrey. C’est comme si on m’avait jeté un sortilège d’entrave… Vous ne voulez pas l’être ?
Forest ne put s’empêcher de rire.
- Je ne suis plus un étudiant ! répondit-il, je suis trop vieux ! Je veux bien T’aider, mais pas comme ça. Va voir Phébus Jasper, il fait une maîtrise en sortilèges complexes et dis-lui que Tu viens de ma part. Sois franc, explique-lui ce que Tu as sur le cœur.
- Je dois lui dire mon vrai nom ?
- Dis-lui au moins que Davis Milton est un pseudonyme. Tu n’es pas obligé de tout lui expliquer dans les détails. Mais évite les quiproquos, il vaut mieux dire : « je n’aime pas parler de ça » que de tourner autour du pot.
Il y eut un moment de silence.
- Vous voulez bien m’aider ? reprit Drago.
- Je peux Te prendre en main et Te donner des « cours particuliers ». Mais je voudrais que Tu en parles d’abord avec madame Whippy. Si elle est d’accord, je T’expliquerai en quoi ça consiste.
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*Lucius vient du latin lux qui signifie lumière.
** Lorsque j’utilise la majuscule pour la 2e personne du singulier, il faut sous-entendre l’emploi de thou , thine, etc. Ces formes sont archaïques et littéraires. Leur emploi en anglais est très limité : comptine, poème, prière. Elles confèrent au discours quelque chose de solennel. On ne les rencontre plus guère que dans Shakespeare. Les Quakers les employaient encore jusqu’il y a peu.