-Moi, Sirius Black, un jour je partirai. Et j'aurai une moto. Et je les oublierai.
Sa voix fluette d'un enfant trop jeune brise le silence noir et s'envole par la fenêtre entrouverte. Ses mots, forts d'espoir et lourds de promesses, s'envolent dans le ciel étoilé, aussi haut que peut porter le regard du jeune garçon. Ils se mélangent à la voûte sombre et les étoiles semblent briller encore plus après.
Azkaban, novembre 1981. Il a envie de tout frapper, tout casser, de hurler, de crier, de rugir. Il a envie de lancer quelque sort, de lancer quelque objet. Il a envie de partir aussi, trop loin, trop vite, pour se calmer. On vient de l'enfermer dans sa cellule, et il sait que ce sera sa demeure pour le reste de sa vie. Perpétuité, il hait ce mot. 3m2, quatre murs gris, une couchette dure et pas de fenêtre. Sa chambre, sa demeure désormais. Il tient les barreaux à deux mains, et il hurle. Il hurle sa colère, son innocence, sa vengeance. Il hurle qu'un jour, il se vengera, il le promet, il le jure. "Moi, Sirius Black, je me vengerai ! Je sortirai d'ici, et je te rattraperai, Peter, sale traître !" Mais ses mots ne sont pas espoir, juste promesses. Et il n'y a aucune fenêtre pour les laisser atteindre les étoiles. Ils restent dans le couloir, et se dissipent lentement. Alors Sirius se laisse tomber au sol, la tête dans les mains. Déjà, il sent ses souvenirs qu'il avait voulu oublier remonter. Déjà, il sent tout ce qu'il avait enterré revenir. Alors il se laisse aller. Dans la douleur, dans le malheur. Dans l'abattement. Pour la deuxième fois en 21 ans. Pour la deuxième fois dans toute sa vie.
12 Square Grimmaurd, Décembre 1972. Sirius n'avait peur de rien. Ni des araignées, ni du noir, ni des dragons, ni des aventures, ni des punitions, ni de la douleur. Peur de rien. Douze ans, chef de file à Gryffondor, il ne peut pas avoir peur. Il avait tout supporté pendant déjà douze ans, les coups, les insultes, la douleur, le mal, la privation, il croyait qu'il résisterait à tout. Il pensait qu'il avait déjà tout connu. Il se pensait armure contre épée, digue contre mer, muraille contre armée. Il n'avait peur de rien avant. Mais là, blotti contre lui-même, il sent la peur l'envahir. Le silence l'étouffe, le froid l'étrangle et cette voix sifflante l'effraie. Il est là, il regarde par le trou de la serrure, il écoute. Une fois de plus, ce n'est pas insonorisé, ses parents trop confiants n'ont rien fait. Alors lui, Gryffondor trop curieux, il est là et il observe. Il voit ses parents avoir peur et acquiescer à tout ce que dit l'homme qu'il ne voit pas, il les voit trembler et blanchir pour la première fois de sa vie. Sirius a froid, trop froid. Le silence l'étouffe. Il bouge légèrement, mais le déplacement de poids sur le plancher suffit. L'homme qu'il ne connaît pas se retourne, et la porte s'ouvre. Regulus est là aussi, dans la salle, avec ses parents. Il vient, du haut de ses 11 ans, de réciter sa leçon. "Oui, Maître, dans 5 ans je vous rejoindrai." Leçon trop bien apprise que Sirius méprise. Qu'il connaît mais qu'il refuse de réciter. Il voit l'homme inconnu se retourner, et la lueur rouge dans les yeux l'effraie. Le glace. Le détruit. Il se sent trembler et défaillir, mais sa fierté reprend le dessus. Étirant son dos endolori, il lance :
-Je ne vous rejoindrai jamais.
Trop fier, trop sûr, trop enfantin. Il croit encore au pouvoir des mots, il croit encore qu'il a le choix, il croit encore qu'on sera impressionné par lui et par sa candeur et sa force d'enfant. Mais il se rend compte qu'il a fait une erreur en entendant Voldemort se mettre à rire. Il comprend l'énormité de son erreur quand l'air siffle et que la douleur monte. Il porte la main à sa joue rougie et écorchée. La main de son père l'a touché, une fois de plus. C'est peut-être la dixième fois depuis le début de sa vie. Comme toujours, pour une gifle. Généralement, c'est Mère qui s'occupe de punir. Mais là, exception faite à la règle. Et dans le geste, la bague ancestrale des Black l'a heurté et blessé. Dans le geste, Orion a mis toute sa haine et sa rancœur, jusqu'à déchirer la peau de son fils. Le rire démoniaque cesse lentement, et l'homme se lève en sifflant :
-On verra ça, jeune Lion. Tu es un Black, la Magie Noire est en toi. Tu
verras, dans 4 ans tu ne vivras que pour me rejoindre. Et même si ce n'était pas le cas, tu me rejoindrais quand même. La soif de pouvoir… Et moi, j'aurai besoin de jeunes coqs dans ton genre.
Sirius a peur. Il tourne les talons, et fuit. Fuir dans sa chambre, là où il se croit encore en sécurité. Là où il sera seul. Les mots de Voldemort sont ancrés en lui, à jamais. Il sent son destin tracé sous ses pieds et sa révolte s'estomper. Les larmes coulent, et l'abattement tombe. C'est trop lourd, trop lourd pour ses frêles épaules. Quand il ferme les yeux, Sirius pleure. Il en est persuadé, les mots sifflent et résonnent en lui. Plus tard, il sera un Mangemort.
Azkaban, entre août et décembre 1982. Un an qu'il est là, un an à revivre ses pires souvenirs. Il ne se reconnaît plus quand il voit son reflet. Trop émacié, trop maigre, trop malade, trop pâle. Il n'est plus lui-même, il ne se reconnaît plus. Un an qu'il est là, dans une cellule trop petite, trop noire et trop silencieuse. Au début, il avait froid. Les cellules d'Azkaban ne sont pas chauffées. Et comme tout le monde, il a oublié le froid. Parce que celui de son âme, celui qui a envahi son intérieur l'occupe trop. Et celui de l'air n'est rien en comparaison. Alors, pour ne plus penser, pour survivre, Sirius devient Patmol. Un chien noir trop maigre au poil abîmé prend sa place, et il s'oublie. S'oublier dans son Animagus, oublier de penser, ne pas se souvenir. Il veut s'oublier, c'est tout.
12 Square Grimmaurd, juillet 1977. Claquement de porte qui brise le silence. Sirius fulmine, tempête, hurle, se révolte. Il ne veut pas, il ne le fera jamais ! Il ne sera pas Mangemort. Non, jamais Mangemort. Sa mère le suit, son père aussi. Il monte l'escalier quatre à quatre, aussi vite qu'à Poudlard quand il est poursuivi par le concierge, aussi vite que si en haut, il y avait James qui l'attendait, ou Remus et Peter. Il court, et ouvre la porte de sa chambre à la volée. Comme toujours il s'y réfugie, son lieu à lui, son refuge, son coin, sa maison, son château, son domaine. Le lieu où il a prise sur tout. Ici, il décide, il ordonne, il administre. Il est le Roi de sa chambre, mais c'est pour lui comme le plus grand territoire. Il jette un coup d'œil aux filles moldues en bikini affichées aux murs, et il sourit. Il est heureux, il a su faire de ce lieu trop noir, trop silencieux et trop étouffant son endroit, sa chambre. Il a su se révolter, et il en remercie James, Remus & Peter. S'ils n'avaient pas été là, il n'aurait jamais osé dire non et se ressaisir, il aurait vécu dans l'idée de devenir un Mangemort, et il le serait devenu. Mais aujourd'hui, il dit non. Il fourre quelques affaires dans un sac à dos moldu, de l'argent, des photos, des souvenirs. Et il se redresse. Il entend ses parents arriver, hurler, leur baguette et la ceinture à la main. Mais il n'a plus 7 ans, il ne les laissera plus le toucher. Un dernier regard à la photo accrochée au mur. Il hésite. Il voudrait la prendre, mais elle est trop bien attachée. Et il en a d'autres, des centaines d'autres. Comme l'écharpe rouge et or, l'écharpe de Gryffondor. Il décide de les laisser derrière lui, en souvenir. Souvenir de lui, du fils tant décevant et haï, souvenir de sa révolte et de ce "Non !" parmi d'autres. Souvenir de Sirius Black, celui qui a dit non. Il sourit à cette pensée, et ressort de sa chambre. Il croise sa mère, son père qui lève la main. La main ornée de la bague des Black. Maison qui l'a blessé, touché, fait saigner. Fait pleurer. Sirius ne s'arrête pas, et il redescend les escaliers, encore plus vite qu'il ne les avait montés. Comme si en bas, il y avait James, Remus et Peter en danger, comme si en bas, il y avait Line. En bas, il n'y a que sa liberté et ses choix. Et c'est peut-être mieux que tout. Sirius franchit la porte, et la sent se refermer derrière lui. Il a fait son choix. Le retour en arrière n'est plus possible. Il se retourne, et vit sa maison, non, son ancienne maison disparaître dans les bâtiments moldus l'entourant. Les larmes coulent, pour la première fois depuis quatre ans. Il est Sirius Black, et il n'a plus de famille. Il est seul. Plus de famille, plus d'attaches, plus de maison, plus de noms, juste des idées, des idéaux, des mots et une fierté. Sirius Black, sans famille, s'enfonce dans le parc derrière lui. Il a 16 ans.
Azkaban, janvier 1984. Le chien noir frémit, et sa silhouette devint soudainement floue. Un homme maigre, émacié et peu entretenu apparaît à sa place, couché à même le sol. Un homme trop fatigué, qui paraît avoir entre quarante et cinquante ans. Il n'en a que 24. Patmol est Sirius, pour une fois. Le chien est homme, et l'homme a faim. Et soif. Alors Sirius se traîne jusqu'au broc d'eau, et se regarde dans le liquide croupi. Et ne se reconnaît plus. Il cherche un point auquel se raccrocher, et avale goulûment son pain sec en même temps. Il ne reconnaît pas ce visage, cette peau, ces lèvres, ces cheveux. Il ne reconnaît rien. Mais son regard accroche, et il plonge ses yeux dans les yeux gris de son reflet. Si, ça il le reconnaît. Son regard. Vainqueur, fier, plein d'espoir et d'avenir. Vengeur aussi. Il le reconnaît. Même ses pires souvenirs, que les Détraqueurs l'ont fait revivre, n'ont pas pu altérer ça. Alors Sirius saisit le broc, et boit. Il boit l'eau, jusqu'à la dernière goutte. Ça fait plus de deux ans qu'il est là. Et il veut se battre. Il a 24 ans, sa vie n'est pas finie.
Poudlard, Octobre 1977
-Dégage. Je ne veux pas te voir. Je ne veux pas t'entendre. Sirius, dégage !
Sirius baisse la tête, ouvre la bouche pour s'excuser encore une fois. Il ne s'est jamais excusé autant de fois que cette journée-là. Mais Remus détourne la tête, fatigué, pâle. Sirius voit les larmes qui coulent sur le visage de son ami. Alors il dégage. Il fuit. Et il n'a plus de chambre où se réfugier. Alors il erre, dans le château, évitant tout le monde. Il ne peut pas retourner au dortoir, il a trop honte. Il n'aurait jamais dû être aussi con, aussi prévisible, et lâcher à Rogue le nom de la Cabane Hurlante un soir de Pleine Lune. Remus lui en veut. Il aurait pu tuer. Et Sirius sait à quel point son ami à peur de ça, à quel point il se hait déjà assez pour être un monstre. James aussi lui en veut. Il aurait pu mourir. Remus, Rogue, et lui aussi. James. Mort. Par sa faute. Sirius comprend. Peter lui en veut aussi. Parce que dans les yeux de Remus, il a vu la douleur. Et il a peur que les Maraudeurs se cassent à cause de ça. Il a peur, déjà trop lâche. Alors Sirius erre. Il est perdu, perdu en lui, perdu. Il ne sait pas où il est, pas où il va. Hier, il était le meilleur, le champion, le Prince, le Roi. Aujourd'hui il n'est plus que le pire, le crétin, le con, l'imbécile, le mendiant, le traître. Il n'est plus que ça. Il regrette. Il a mal. Mais il ne pleure pas. Il ne sait pas pourquoi, mais il refuse de pleurer. Il a mal, il est seul. Vraiment seul. Sirius Black, sans amis, sans famille.
Azkaban, juillet 1984. Sirius ouvre les yeux. Il est sur sa couchette trop dure, en humain. Il n'est pas devenu Patmol depuis deux mois. Il veut tenir, il veut réussir. Mais là, le souvenir est trop dur. Trop dur, beaucoup trop dur. Il n'avait jamais été aussi seul et aussi abandonné. Après Voldemort, la solitude avait toujours été sa deuxième peur. Et le regard de Remus l'avait bouleversé. Marqué. Blessé. Pourtant, c'était à lui de s'excuser. Sirius garde les yeux ouverts, et s'étire. Il regarde à l'extérieur de sa cellule, et pose ses yeux sur une masse inerte, dans la cellule d'en face, qu'il sait être un homme. Qu'il ne connaît pas et qu'il ne connaîtra jamais. Un homme abattu qui ne bouge plus. Alors, pour ne pas lui ressembler, Sirius bouge. Un peu. Et se recouche. Il n'y a que ça à faire ici. Laisser tomber, accepter le malheur. Se recoucher. Mais il ne veut pas. Alors il se recouche, et veut résister.
Godric Hollows, Avril 1981. Des pleurs, un sourire, un rire. Sirius tient Harry dans ses bras, le petit bout à 9 mois. Son filleul a 9 mois. Il le rend à ses parents, sourire aux lèvres, et transplane rapidement. Et pendant le sourire s'efface. Il sait que ce soir, ça va être dur. Pour lui, pour elle. Il apparaît devant la porte de l'appartement, et entre. Son appartement. Le leur. Il la referme derrière, elle cette porte, et la verrouille. Illusion qui lui permet de croire que ça empêchera Line de passer, simple idée toute faite. Sirius passe une main dans ses cheveux. Et arrive dans le salon. Line est là, déjà. Assise sur le canapé, elle se lève aussitôt. Il faut qu'ils parlent. Alors ils parlent. Enfin, surtout Line. Sirius, lui, écoute. Il l'écoute, et chacun des mots de la jeune femme se grave en lui. En lettres de feu, en lettres de fer. Se gravent au fer rouge, il s'en souviendra toujours. Elle lui reproche des choses qu'il a faites, d'autres pas. Elle lui reproche des gestes qu'il fait, d'autres qu'il ne fait plus. Elle lui reproche des mots qu'il dit, et surtout ceux qu'il ne dit plus. Elle le regarde dans les yeux, et lui dit qu'elle ne l'aime plus. Elle l'aimait quand il l'aimait, elle l'aimait toujours quand il a ne savait plus. Et maintenant qu'il sait qu'il l'aime encore, elle ne l'aime plus, par sa faute. Trop de mots dits, trop d'engueulades. Il a dit des choses qu'il ne pensait pas, mais c'est trop tard. Dernier baiser, derniers mots. Elle effleure son collier, sa petite pierre grise qui brille mystérieusement, hésite, le garde. Dernier souvenir, aussi. Elle saisit sa valise déjà prête, et sort de la pièce comme un courant d'air. Line, son ange, son cœur, sa belle, son étoile, partie. Rageur, Sirius ne comprend pas encore. Il se laisse tomber sur le canapé, la tête entre les mains. Il ne réalise pas. Et quand il comprend enfin, il n'arrive pas à pleurer. Il n'y arrive plus. Le silence est trop lourd, trop pensant. Il se sent trop seul. Alors il allume la musique, son appareil moldu lecteur de 45 tours. Un album se lance. Une chanson aussi. "Boy's don't cry", The Cure, chanson de 1980. L'année précédente. Il adorait cet album, Line le vénérait. Il écoute. Et il comprend.
That I loved you
If I thought that you would stay
But I know that it's no use
That you've already
Gone away
Misjudged your limit
Pushed you too far
Took you for granted
I thought that you needed me more
Now I would do most anything
To get you back by my side
But I just keep on laughing
Hiding the tears in my eyes
Because boys don't cry"