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*** Ma valise se ferme dans un claquement sec. Plus de deux mois dans ce froid polaire. Je passe une main sur mes yeux en soufflant. Je peux sentir le creux de mes cernes sous mes doigts. Je ne me rappelle plus ma dernière nuit de sommeil complète. Le Seigneur des Ténèbres m'avait renvoyé dans sa prison répugnante. Une juste mesure pour l'être misérable que je suis. Je regrette de rentrer au Manoir. Cependant l'image de Mère et Ginevra m'obligent à prendre mon bagage et sortir. Je jette un dernier regard à la petite paillasse qui m'a fait office de lit ces dernières semaines. Je ne lui dis pas adieu, imaginant déjà mon retour.
Mes entrailles semblent sous l'emprise d'un maléfice de saucissonnage. Cette sensation ne m'a pas quitté depuis mon départ. Je suis effrayé par ce que je vais pouvoir trouver à mon retour. Mère a pu me faire parvenir une unique lettre. Ces mots choisis avec soin ne laissent aucun doute sur l'état de Ginevra.
J'ai cessé de m'interroger sur les raisons de mon retour imminent. Mon "pseudo-mariage" avec la petite rouquine avait eu l'effet d'apaiser le Lord sur la famille Malefoy. J'avais plus ou moins répondu à ses exigences et Il semble nourrir un certain intérêt pour elle. Révulsé par des pensées malsaines, je ne peux qu'observer que la fascination qu'elle exerce sur moi n'est pas exclusive. A sa manière tordue, Il lui accorde une place bien particulière dans le rang de ses disciples. Et cela n'est pas du tout une bonne chose pour les Malefoy.
Dans quelle sordide tâche allais-je devoir me lancer ? L'idée de pouvoir la protéger, la contenir si cela est possible, me motive. Mes dernières recherches sur son étrange mal n'ont rien donné.
Des hurlements, j'ai la malheureuse impression de ne pas avoir quitté la prison du Lord. Pourtant le Manoir est exactement le même. Aucune poussière. Aucun meuble de travers. Rien n'a bougé. Je me dirige automatiquement vers ma chambre.
- "Drago" un murmure. Dans l'ombre de la pièce, ma Mère s'approche et m'enlace. Elle est si maigre. J'ai honte. Comment ai-je pu penser qu'il valait mieux que je reste dans la prison.
- "Ginevra?"
Elle n'a pas besoin de me raconter, j'ai compris.
Je descends dans les cachots du Manoir avec réluctance en l'appelant. Je ne peux me résoudre à ouvrir une des portes, trop terrifié par le spectacle se cachant derrière ces murs. Je crie son nom jusqu'à ce qu'elle se décide à sortir.
- "Mon mari qui rentre !" Elle souffle et semble plus que ravie. Cette perspective n'a rien de réjouissant. Je n'ose pas la détailler. Je me focalise sur ses yeux pour ne pas avoir à regarder le sang.
- " Je te verrai lorsque tu auras.... fini ce que tu faisais."
- " Même pas un câlin ou un petit bisou à sa tendre épouse ?" Elle rit. Elle sait que je suis dégoûté.
Elle ajoute "C'est dommage j'aurais pu te faire une petite démonstration ! Les cours avec tantine ont porté leur fruit" Elle me lance un clin d'œil, j'ai envie de vomir. Je ne peux pas m'empêcher de sortir. Je remonte pour aller prendre une douche.
Je regrette d'y être allé mais il fallait que je la vois. Nom de Morgane ! A quoi pouvais-je m'attendre ?! Seule avec cette malade de Bellatrix ... Je me tape la tête contre le mur. Finalement les larmes jaillissent sans le vouloir. Sous l'eau ruisselante, personne ne peut s'en apercevoir. Un mangemort ne peut pas pleurer. Un serviteur du Lord ne peut pas montrer sa faiblesse.
La vision de la petite rouquine me revient. J'ai contribué à en faire un monstre. Je l'ai encouragée, je l'ai laissée tomber sans rien faire. Ma lâcheté ne m'a jamais autant répugné.
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*** « Ginevra, le diner est servi, je ne supporte pas de retard ! »
Ma chère belle-mère est décidément trop attachée à son éternel repas du soir. Seule habitude qu'il ne m'ait pas trop désagréable de respecter. En effet, apercevoir le regard haineux des deux femmes me met toujours en joie ! A peine revenu de "on ne sait où", Malefoy fait office de carpette. Le regard fixé sur son assiette, il évite la bataille silencieuse qui me ravit. Bellatrix semble être sur le bord du précipice, à une baguette d'exploser un feudeymon de sa gorge. Celle-ci m'offre la seule distraction possible dans cet ennui le plus total...
- « Enfin la famille réunie ! »
Ma petite provocation semble réveiller « mon mari ».
- « Je vois que tu ne t'ai pas ennuyé durant mon absence. » Malefoy ouvre enfin sa bouche pour énoncer une platitude. Il fait probablement référence à mon apprentissage. Extrêmement assidue dans l'exercice des sortilèges impardonnables, je m'entraine tous les jours sur deux trois prisonniers nés moldus imaginant les deux seuls cadavres torturés qui comptent.
- « Tu ferais bien de t'occuper de cette sale morveuse Drago ! Je me demande encore à quoi elle peut servir... »
Comment ose-t-elle ? Ce déchet, ce rebut de sorcière se permet de m'insulter.
- « La sale petite morveuse a déjà fait bien plus en quelques mois que toi en 15 ans ! Parce qu'à part pourrir dans une geôle d'Azkaban, on ne peut pas dire que tu ais été d'une grande utilité pour ton CHER maître ! »
La réponse ne se fait pas attendre. Elle se lève et sort sa baguette. Non perturbée par sa petite démonstration, je continue de manger en souriant. J’entends ses cris enragés alors que Malefoy et sa mère tentent de la calmer.
Jusqu'ici elle s'était contentée de ravager le mobilier du manoir à chaque incartade mais étrangement je sens que cette fois-ci, elle ne pourra pas s'en contenter.
- « Ginevra monte dans ta chambre ! » Me vocifère Malefoy.
- « Ne me donne pas d'ordres ! »
- « Ginevra... » Sa supplique ne sert à rien.
Voyant que je refuse de bouger, il me hurle « GINEVRA MONTE !! »
Alors que je m'apprête à l'envoyer paître, un sort m'atteint en pleine figure. Cette garce de Bellatrix ne m'a pas ratée ! Je touche mon visage pour sentir le liquide couler. Sans attendre je réplique : « Confringo ! » La table vole en éclat et tout le monde s'éloigne. Les sortilèges fusent alors que Narcissa semble outrée, Malefoy tente de stopper le duel. Bellatrix lui envoie un sort de désarmement et continue de me cibler avec hargne. C'est à ce moment que Narcissa décide que s'en ait trop. Elle intime sa sœur d'arrêter. Alors que je la vois baisser sa baguette, je m'exclame:
- « Si Voldemort te voyait, il serait déçu Bellatrix ». Je ris à gorge déployée, quelle stupide garce !
- « Ginevra vous allez vous taire ! »
- « Je suis sa préférée dorénavant parce que moi, au moins, je lui sers à quelque chose ! Ahahah ! »
Je n'ai pas le temps de fermer la bouche qu'elle me balance un sortilège que je ne connais pas. Je balbutie et regarde mes bras. Toutes ces marques, tout ce sang. La vision fugace de la petite fille aux boucles blondes me revient en plein fouet. Ce cadavre déchiqueté, ces marques, ce sang... Les déchirures dans la chair... Je hurle de terreur pour finalement tomber à genoux. La peine, la douleur martèlent mon corps. Je ne me rappelais plus que cela pouvait faire aussi mal. Je ne me rappelais plus la douleur que l'on ressent dans sa chair.
Je lutte mais je ne peux m'empêcher de fermer les yeux. Une sombre forêt, une petite fille, du sang... J'ai peur.
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*** Elle va y passer. Elle va y passer. Elle va mourir. Je fais les cents pas dans le couloir du quatrième étage en ressassant une seule et unique pensée. Pourquoi je n'avais pas lancé un Bloclang à Ginevra ? Pourquoi je n'avais pas pu utiliser un bouclier magique ? Je me targue de vouloir la défendre et je ne peux même pas empêcher cette folle de Bellatrix de la massacrer !
A la vue du corps ensanglanté de Ginevra, elle a tout de même mesuré son erreur et s'est calmée. Sortie on ne sait où pour faire on ne sait quoi, je revois Mère me crier de transplaner à St-Mangouste avant qu’elle ne meurt.
Pétrifié par le résultat macabre du sectumsempra, je n'ai pas pu bouger. Pourtant Mère s'agite, et tâte le poul de Ginevra. Elle respire encore. Mère me touche délicatement la main. Enfin je sors de ma transe. Elle semble inquiète. Finalement je réalise. Je la prends dans mes bras et transplane. Je hurle à l'aide pour qu'un médicomage vienne au plus vite. Enfin une sorcière arrive en courant… Enfin j’arrête d’hurler, témoin de l’agitation entourant la poupée de chiffon qu’est devenue Ginevra.
Des heures que j’attends, entre espoir et désespoir. Enfin quelqu'un du personnel daigne venir m'informer de son état. Elle va mieux, elle est sauve. Je souffle et me relâche. Sa stupidité ne lui aura pas coûté la vie. Néanmoins le médicomage semble nerveux. Il y a quelque chose qui ne tourne pas rond. Par la barbe de Merlin, qu'il parle ! Enervé par ce comportement, je lui intime de tout me raconter sur le champ.
- « Je ne peux rien vous dire Monsieur à moins d’être un membre de sa famille. »
- « Parlez, il s’agit de ma femme. »
Devant son air choqué, je serre les dents et murmure une fois de plus « Parlez ». Il hésite puis se ravise.
- « A-t-elle été victime d’un incident magique auparavant ? »
Par Merlin, cet imbécile n’avait pas lu son dossier ! Quel bande d’incompétents, St Mangouste ne pouvait pas se targuer d’être le meilleur hôpital de Grande-Bretagne avec ce genre d’imbécile. Je ne m’emporte pas, quel intérêt de faire un scandale, Ginevra n’est pas dans la meilleure des postures. Serrant les dents, je me maîtrise facilement…
- « Elle a été dans le coma pendant plusieurs semaines et en a perdu momentanément l’usage de ses jambes… »
- « Je pense que cela expliquerait certains éléments, l’enfant est… » Il continue à m’expliquer l’état de santé dans lequel elle se trouve.
Les lèvres du médicomage bougent mais je n’arrive pas à en saisir le sens. Trop abasourdi par le choc, je recule de quelques pas.
- « Monsieur Malefoy… Monsieur Malefoy, vous m’avez entendu ? » Le son parvient jusqu’à mes oreilles pourtant je suis toujours incapable d’en mesurer l’ampleur. Elle… elle attend un enfant… Mes pensées commencent à se bousculer à une allure trop rapide. Je me retourne mais je sens la nausée montée à une allure fulgurante. Une main m’attrape le bras et me dirige. Je me sens tombé sur un siège.
- « Monsieur Malefoy prenez ceci. » Son ton est calme. Une vasque apparait que je saisis avant de vomir tout le contenu de mon estomac. Quelques minutes plus tard, je respire à nouveau de manière régulière. Je me relève et domine de toute ma hauteur le petit sorcier.
- « Vous ne m’avez jamais parlé. Vous allez effacer toutes traces écrites. Vous ne m’avez jamais rien dit au sujet de son état de santé, ni celui de l’enfant, ni même qu’elle attend un enfant. A personne, même pas à elle. » J’ajoute ces mots en tirant une bourse de gallions qu’il ne semble pas saisir.
- « La carotte ou la baguette Monsieur, à vous de voir ! » Terrifié, il prend la bourse et s’éloigne rapidement.
Dans un geste, je remets mes cheveux en arrière. Ma main retombe et la relevant jusqu’à mon visage, je m’aperçois qu’elle tremble.
Que faire maintenant ? Un enfant … un enfant…
Je la laisse dans sa chambre d'hôpital dans un sommeil profond. Epuisé par les évènements je rentre sans attendre. Pourtant à peine ais-je posé un pied dans le salon que Bellatrix revient accompagnée. Son excitation n'est pas de bon augure.
Un stupéfix m'aurait atteint, cela n'aurait pas été différent de ce que je ressens. Potter et Granger se trouvent dans mon salon maintenus par des râfleurs et cette bête de Fenrir. Je m'éloigne pour ne pas avoir à le regarder en face. Un coup d'œil furtif et je peux voir ce qui ne va pas. Potter est partiellement défiguré. Ils me regardent tous les deux.
Bellatrix me demande de confirmer que c'est bien Potter. Comment lui répondre ? Je le regarde dans les yeux. Je me dis que le plus simple serait de le dénoncer et le Seigneur des ténèbres serait satisfait de notre famille. J'aurais un répit. Pourtant je n'y crois pas.
Continuant de le fixer en silence, je ne peux pas, je n'arrive pas à émettre le moindre son. Puis je repense à Ginevra. Sa folie... L'objet de son désir est là devant moi, je pourrais lui servir sur un plateau. Je doute. Quel bien pourrait-elle bénéficier dans l'assouvissement de sa vengeance ? Le sortilège du Sanguis Vincare, le Haima Nemesis ne s'évapora pas à la mort de Potter. Qui sait ce qu'elle pourra alors faire ? Vers qui sa folie meurtrière se tournera ? Une lueur de raison et je m'imagine Ginevra se faisant du mal. Je chasse cette idée pour me concentrer sur ma voix. Trop de sentiments confus, trop de décisions, trop de terreur me paralysent. Je suis un mangemort et je n'aurai aucun répit, je ne peux pas. Je ne dois pas. Il faut que je pense à elle désormais... A eux.
Je murmure, et ma tante me scande de parler plus fort. Je murmure que je ne sais pas. Ma décision est prise. Je ne peux pas être celui qui lui creuse sa tombe. Je ne peux pas. Potter transpire la surprise et l'interrogation alors je recule impassible vers ma mère.
Cependant les évènements tournent vite autour de la sang-de-bourbe, Bellatrix est prise de panique et m'ordonne de mettre Potter aux cachots. J'essaye de ne pas penser. J'accomplis ma tâche avec un automatisme forcé.
Des hurlements s'élèvent alors que je ferme la geôle. Granger est soumise à l'endoloris.
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