Harry avait immédiatement intégré le Bureau des Aurors, à dix-sept ans, devenant ainsi le plus jeune Auror du Ministère de la Magie. Sa réputation, son courage et son talent n’étaient plus à refaire. Quant à Ron, il avait d’abord remplacé son frère disparu auprès de George dans la boutique de farces et attrapes, avant de devenir à son tour Auror cette année. Hermione avait d’abord retrouvé ses parents en Australie pour leur rendre la mémoire, puis elle s’était replongée avec passion dans les études pour passer ses ASPIC en candidat libre, avec succès. Par la suite, elle avait travaillé au ministère, d’abord au Département de la coopération magique internationale, jusqu’à sa mutation quelques semaines auparavant, au département des Mystères. Elle ambitionnait de rejoindre un jour le département des Lois magiques, mais pour le moment, elle aimait son nouvel emploi, et on y avait besoin d’elle et de sa soif de connaissances. Sa principale mission était de comprendre l’essence de la création des sortilèges.
Non contente d’être comblée sur le plan professionnel, elle l’était également en matière de vie sentimentale. Son idylle avec Ron avait enfin véritablement débuté après la fin de la Guerre. La bague toute neuve qu’elle arborait à son doigt, marquait l’engagement qu’ils avaient pris tous les deux. Les fiançailles avaient eu lieu le mois précédent. « Pas trop tôt ! » s’était exclamée Ginny. Mais Hermione n’était pas pressée. Ils avaient toute la vie, pensait-elle, même si Harry et Ginny s’étaient déjà mariés. Oui vraiment, Hermione Granger – bientôt Weasley – avait tout pour être heureuse.
Ce lundi matin-là, elle se rendit au travail comme à son habitude. Elle avait laissé Ron sur le pas de l’ascenseur, après l’avoir salué d’un léger baiser. Alors qu’elle avançait vers le département le plus secret du Ministère, elle croisa une de ses collègues, également Langue-de-Plomb.
« Bonjour Hermione !
- Salut Audrey. As-tu passé un bon week-end ? »
Audrey était la femme de Percy Weasley, et donc une de ses – nombreuses – belles-sœurs. Hermione s’entendait bien avec elle. La jeune femme, toute en blondeur et de trois ans son aînée, partageait son sérieux et son goût pour le travail et la découverte. Cette dernière qualité était sans conteste un atout de taille au département des Mystères.
« Oui, merveilleux, je te remercie. Et toi ?
- Oui, nous sommes allés chez Harry et Ginny. Ils te passent le bonjour, et viendront vous voir à l’occasion. »
Audrey esquissa un sourire bienveillant. Si Percy s’était définitivement réconcilié avec sa famille, elle n’y était pas étrangère. Alors qu’elles approchaient de la porte lisse au fond du couloir, comme tous les matins, Hermione esquissa un léger sourire triste en repensant à ses seize ans lorsqu’elle avait traversé cette même porte pour arracher la prophétie. Ce n’était pas un souvenir particulièrement heureux, puisqu’ils y avaient perdu Sirius, mais cela faisait désormais partie de leur jeunesse. Lorsqu’elles entrèrent, les deux femmes pointèrent leur baguette sur une porte au hasard, après que les bandes de lumières bleues se furent imprimées dans leurs yeux. Au contact du bois, un outil d’identification faciale descendit du plafond. Seuls les employés de ce département pouvaient l’activer puisqu’il fallait que la baguette magique soit elle-même reconnue par la porte. Une fois qu’Hermione et Audrey furent identifiées par l’appareil magique, une porte s’ouvrit et elles s’engouffrèrent à l’intérieur, dans un long couloir.
Une quinzaine de pièces s’alignaient ainsi, chacune accueillant le bureau d’un Langue-de-Plomb. Des notes en papier voltigeaient entre elles. Hermione entra dans son cabinet et vit qu’un parchemin soigneusement plié l’attendait sur son plan de travail, comme souvent. Elle le prit, contourna son bureau et s’installa dans son siège. Après avoir effectué ses tâches quotidiennes, elle se leva pour se rendre dans la Salle du Temps où elle était envoyée examiner un objet magique. Aux yeux d’Hermione, c’était l’une des pièces les plus terrifiantes du département des mystères, si l’on exceptait peut-être la Salle de la Mort où trônait l’arcade au voile déchiré.
En effet, elle savait qu’on ne devait pas sous-estimer le pouvoir du Temps. Même si elle ne s’était rendue que deux fois dans cette salle, ses principales recherches ayant lieu dans la Salle des Sortilèges, elle ne pouvait nier qu’elle comprenait pourquoi ceux qui y accédaient étaient triés sur le volet… Maîtriser le Temps signifiait maîtriser la Mort, et bien plus encore. Quand elle avait passé son entretien, le directeur l’avait mise en garde : ici, pas de place pour le rationalisme borné. Hermione avait du renoncer à son entêtement. Ici, tout était possible, ou en tout cas, tout semblait l’être. Cela la poussait à se remettre en question et c’était une expérience bénéfique, enrichissante et… troublante. Cela avait beaucoup fait rire Ron, quand elle le lui avait expliqué à demi-mot.
Sortant du Couloir aux Bureaux, elle retourna dans le vestibule. Une fois de plus, elle toucha une porte du bout de sa baguette et formula sa destination, après avoir été de nouveau testée. La sécurité avait été renforcée depuis la chute de Voldemort, car les objets d’étude ici étaient particulièrement dangereux. L’épisode de la Salle des Prophéties en 1996 avait laissé des traces. Il était vrai que des adolescents avaient été capables de s’introduire ici en pleine nuit, sans aide particulière... Il n’était pas nécessaire de tenter un potentiel futur mage noir. Une nouvelle porte s’ouvrit, et Hermione s’y engouffra.
La Salle du Temps était une pièce magnifique, malgré la légère crainte qu’Hermione y éprouvait chaque fois qu’elle s’y rendait. Des portes de bureaux s’alignaient sur un côté de la salle, inutilisés depuis qu’on avait installés les employés dans un couloir spécifique, celui que la jeune femme venait de quitter. Elle salua deux vieux collègues penchés sur la cloche de cristal du Temps pour tenter d’y apporter des modifications afin d’en étendre le pouvoir. Le souvenir du Mangemort à tête de bébé hanta son esprit, et elle entreprit de le chasser avec exaspération. Ce qu’elle avait à faire était suffisamment délicat, il était hors de question qu’elle se déconcentre.
Elle s’approcha de la dernière découverte, faite par des érudits du département. Il s’agissait d’un sablier très semblable à un Retourneur de Temps, si ce n’est qu’à la place du sable habituel, on y trouvait un liquide transparent, semblable à de l’eau. Hermione ouvrit la porte du seul bureau qu’on avait dégagé pour examiner les dernières inventions. Il y avait une simple table en bois et trois chaises. S’installant sur l’une d’elles, elle entreprit d’examiner l’objet en détail. Elle devait essayer de déterminer pourquoi il ne fonctionnait que par intermittence, empêchant aléatoirement certains départs ou retours dans le temps. Un collègue, spécialiste des potions, n’avait décelé aucune anomalie et il soupçonnait que le problème provenait du sortilège utilisé.
Par mesure de sécurité, il ne fallait le programmer que de quelques minutes. C’était d’ailleurs la possibilité d’une telle précision qui en faisait la nouveauté. La potion de couleur translucide qui baignait dans le sablier était une découverte récente, qui permettait d’établir exactement l’année, le mois, le jour, l’heure, et même la minute à laquelle on voulait se rendre. Pour cela, il fallait utiliser un sort, qu’Hermione utilisa avant toute chose.
Tandis qu’elle l’examinait en marmonnant des formules compliquées, Hermione songea que cet objet était incroyablement dangereux. On pouvait changer le cours des choses à cause de lui, pour le mieux comme pour le pire. Surtout pour le pire. Jusqu’où pouvait-on aller au nom de la connaissance ? Où se trouvait la limite à ne pas franchir entre ce qui était possible et ce qui était éthique ? Cette invention restait ultra secrète pour cette raison. Imaginez les conséquences si cela parvenait entre les mains d’une personne mal intentionnées ! Hermione était l’une des privilégiées qui fût autorisée à toucher ce sablier, ayant prouvé qu’elle était digne de confiance. Et puis, il fallait avouer qu’elle aimait ce type de défi. Elle aimait repousser les limites de sa connaissance et de son intelligence, même quand les risques existaient.
Alors qu’elle jetait un sort d’examen supplémentaire, elle vit l’objet briller. Que se passait-il ? Elle n’avait pas lancé de sort d’activation une seule fois. Comment le sablier pouvait-il fonctionner de lui-même ? La lumière blanche qui émanait de la potion gagna progressivement en intensité et illumina l’ensemble de la pièce. Abasourdie, Hermione tenta d’arrêter le mécanisme avec sa baguette. Sans succès. L’éclat l’aveugla et sembla l’aspirer toute entière. Par réflexe, elle tenta de se tenir à la table. A la place, elle toucha le Retourneur de Temps. Il y eut une explosion de lumière, puis plus rien.
Lorsque les sorciers qui étaient dans la Salle du Temps entrèrent, alertés par la lumière qui avait illuminé le petit bureau un instant, ils découvrirent une chaise renversée et une pièce entièrement vide.
Hermione ouvrit les yeux avec précaution. La lumière aveuglante s’était dissipée. Que s’était-il passé ? Elle aperçut le sablier à quelques centimètres de son visage, alors qu’elle était allongée au sol, sur le dos. Le saisissant et le gardant précieusement contre sa poitrine, la jeune femme se releva. Un simple coup d’œil autour d’elle lui apprit qu’elle n’était probablement plus en 2001. Il y avait au mur des photos de personnes inconnues qui souriaient en faisant des grands gestes de la main. Hermione se trouvait sur un tapis richement décoré, face à un bureau en hêtre sur lequel se trouvaient des objets d’apparence étrange. Elle en reconnaissait quelques uns pour les avoir déjà vus au Département des Mystères. Derrière celui-ci, une fenêtre magique dispensait une lumière et une chaleur agréable dans la petite pièce. Se retournant, elle vit une armoire pleine à craquer, semblable à celle qui se trouvait dans son propre bureau, juste à côté de la porte. Il n’y avait personne pour le moment.
S’arrachant à sa contemplation, Hermione Granger sortit sa baguette et la pointa sur le sablier qui l’avait amenée ici. Mais la formule qu’elle prononça n’eut aucun effet. Aucune lumière, rien du tout. Cet objet était vraiment défectueux. Ne voulant pas céder à la panique, elle recommença. Une fois. Deux fois. Trois fois. En vain. Les doigts tremblants, elle examina le sablier mais aucun dommage n’était visible. Il fallait donc le réparer, mais comment ? Elle n’en avait pas le pouvoir. Son esprit rationnel reprit le dessus, et elle décida de se renseigner discrètement sur l’année dans laquelle elle se trouvait.
Elle venait de contourner le bureau à la recherche d’un journal ou d’un calendrier lorsque des bruits de pas se firent entendre, se rapprochant de plus en plus. Sans attendre, elle se lança elle-même un sortilège de Désillusion et se précipita près de la porte, où elle se tint immobile. Pendant que la sensation glacée se répandait sur son corps, la jeune femme décida d’attendre que l’arrivant ouvre la porte, afin de se faufiler à l’extérieur. Des souvenirs de troisième année lui revinrent : Il ne faut surtout pas que l’on vous voie. Elle devait encore déterminer à quelle époque elle se trouvait. Un sorcier d’âge mûr entra, et elle sortit aussitôt, silencieuse comme une ombre. Elle n’avait jamais vu cet homme, ce qui l’ébranla. La respiration légèrement saccadée par l’appréhension, elle quitta la Salle du Temps et bifurqua en direction de la sortie. Devait-elle présenter sa baguette à la porte ? Cela risquait probablement de lancer l’alerte car son instinct lui soufflait qu’elle ne serait sans doute pas reconnue. Elle choisit une option plus raisonnable : elle attendrait que quelqu’un veuille sortir, ce qui ne devrait pas trop tarder à cette heure-ci.
Pendant ce temps, Hermione réfléchissait. Son pouls était encore relativement calme, mais elle commençait à se mordiller les lèvres, signe de nervosité. Elle tenta à nouveau de faire fonctionner le retourneur de temps, en vain. Une vieille femme – inconnue elle aussi – entra dans la pièce circulaire. Prenant garde de ne pas faire un seul geste – le sortilège de Désillusion n’empêchait pas de voir les contours du corps en cas de mouvement – Hermione vit les rayures bleues s’imprimer à nouveau dans ses yeux, puis elle suivit la femme à l’extérieur. Comment allait-elle faire pour réparer son sablier ? Une chose à la fois, Hermione, se sermonna-t-elle. Avant cela, il lui fallait trouver un calendrier et sortir du Ministère. Si elle n’était pas employée là, ce qui était fort probable au vu de ce qu’elle avait observé, il n’était pas prudent de se promener dans les couloirs.
Elle se glissa dans l’ascenseur, heureusement vide, et sortit dans l’Atrium. Deux sorcières blondes passèrent précipitamment devant Hermione, toujours invisible. Elles avaient l’air très affairées et affichaient une allure grave. Pourquoi donc ? Hermione sentit son cœur s’arrêter. Et si elle était revenue au temps de la Seconde Guerre des sorciers ? Elle ne pouvait pas se permettre de changer le futur. Cela lui donna le vertige. Revenir à une époque où Voldemort était toujours présent ? Cela signifierait qu’elle était recherchée… Elle savait comment mettre fin à cette Guerre ! Elle se reprit. Non, il fallait laisser faire, elle en connaissait l’heureux mais amer dénouement.
Tandis qu’elle était plongée dans ses réflexions, Hermione avait machinalement quitté le ministère, passant inaperçue parmi la foule qui n’avait pas prêté attention à cette espèce de caméléon humain. Au vu de la position du soleil, il devait être à présent dix ou onze heures du matin. Dans la ruelle sombre, elle leva le sortilège. Elle se trouvait dans le Londres moldu et courait donc peu de risque de se faire remarquer, en tout cas moins que sous sa forme désillusionnée. Par chance, elle savait exactement comment se rendre à Charring Cross Road à partir du Ministère. Hermione prit la direction du Chaudron Baveur et déambula dans les rues londoniennes, qui devenaient de plus en plus bondées au fur et à mesure qu’elle approchait de sa destination. Elle ne reconnaissait pas les façades poussiéreuses aux couleurs ternes. Les moldus qu’elle croisait marchaient vite et la tête baissée. Parfois, ils jetaient un regard inquiet vers le ciel lorsqu’un avion passait au-dessus de leur tête. Avant de s’engager dans la grande rue, l’ex-Gryffondor s’arrêta devant un magasin de vêtements. La tendance vestimentaire était différente, très différente. Des robes droites, s’arrêtant au genou et boutonnées jusqu’au cou, habillaient les mannequins au regard vide. Sur l’un d’entre eux, un long manteau vert bouteille, droit lui aussi, était négligemment posé sur ses épaules rigides, assorti au petit chapeau perché sur sa tête. Elle serait incapable de dater, n’étant pas très au fait de l’histoire de la mode, mais elle était sans doute remontée plus loin dans le temps qu’elle ne le pensait. Réprimant un frisson, elle continua sa route et s’arrêta à un café. Là, en écoutant les nouvelles du jour, elle serait peut-être fixée.
S’installant au bar, elle retira sa cape. A cette époque, cela ne semblait pas choquer grand monde, mais elle avait heureusement enfilé des habits moldus ce matin-là. Elle portait une jupe simple en tissu écossais avec des collants en nylon et un chemisier, ce qui était passe-partout. Le barman lui demanda ce qu’elle désirait et elle commanda une tasse de café. Il lui fit signe qu’on allait la lui apporter, et elle s’assit sur une table, d’où elle pouvait suivre les conversations animées. Une serveuse s’approcha avec sa commande.
« Le café, c’est pour vous ? »
Hermione acquiesça, et compta sa monnaie. Finalement, elle faisait bien de garder ses livres sur elle. Alors qu’elle s’apprêtait à verser son dû, elle entendit quelqu’un entrer en trombe et crier « On a libéré Paris ! » Une salve de joie souleva le lieu, tandis qu’Hermione se figea, ses grands yeux bruns écarquillés. Paris ? Libérée ? Mais elle n’avait plus été prise depuis… la Seconde Guerre Mondiale. Tous les indices qu’elle avait accumulé au cours de son trajet firent soudain sens. Elle se trouvait en pleine fin de la Seconde Guerre Mondiale, en 1944... Son premier réflexe fut de baisser les yeux vers sa monnaie et elle se rendit compte que celle-ci était postérieure à cette époque. Comment allait-elle faire ? Elle décida d’être honnête.
« Je suis désolée, je n’ai pas d’argent, je viens de me rendre compte que… »
Elle s’interrompit. Qu’allait-elle pouvoir expliquer ? Mais compatissante, la jeune serveuse lui répondit :
« Américaine, non ? »
Levant des yeux étonnés, elle se rendit compte que la petite brune lui souriait.
« Je l’ai vu à vos bas de nylon. Il n’y en a quasiment pas par ici. »
Hermione s’empressa d’acquiescer. Avant qu’elle ne puisse ajouter quoique ce soit, le barman qui les écoutait lui lança :
« Laissez ma p’tite dame, on vous doit bien ça, à vous les Américains ! Avec votre aide, cette foutue guerre tire enfin à sa fin ! »
Le remerciant d’un sourire, Hermione resta donc à table et fit mine de se réjouir avec les autres clients. En son for intérieur, elle examina sa situation avec tout le sang-froid dont elle disposait. Elle se trouvait en 1944, vers le milieu de l’année, voire même en août car elle se souvenait que la libération de Paris avait eu lieu en août 1944. Fin août même. Elle ne pourrait pas dire le jour exact, mais elle en savait suffisamment pour savoir dans quel pétrin elle se trouvait. Dans le monde sorcier, que se passait-il en 1944 ? Elle se remémora méthodiquement ses cours d’Histoire de la Magie. Grindelwald. Dumbledore devait le vaincre en juin 1945. C’était une chance qu’elle ait une excellente mémoire… Mais avec un bond dans le passé aussi conséquent, comment allait-elle retourner à son époque ? Qui pourrait l’aider à réparer le sablier qu’elle avait caché dans sa cape ?
La réponse s’imposa avec évidence dans son esprit. Dumbledore ! Comment pouvait-elle ne pas y avoir pensé plus tôt ? Elle ne voyait personne d’autre vers qui se tourner. Mais Hermione était perturbée à l’idée de potentiellement changer le futur. Pourtant, quel autre choix avait-elle ? Si quelqu’un pouvait l’aider, c’était lui. Elle ne pouvait pas décemment se rendre au Ministère, et présenter son retourneur de temps, alors qu’il était probable que cela n’existait pas encore, et demander à ce qu’on le répare ! Elle serait bonne pour être internée à Ste Mangouste. Non, il fallait qu’elle se rende à Poudlard, le plus rapidement possible. Comment s’y rendre, autrement que par le Poudlard Express ? Elle n’avait pas fait le voyage en voiture volante comme un certain Ron Weasley… En pensant à son fiancé, elle ressentit sa véritable première pointe de panique depuis le début de cette mésaventure. Se rendrait-il compte de son absence ? Quand le reverrait-elle ? Refoulant les larmes qui lui montaient aux yeux, elle réfléchit à nouveau à un moyen de rejoindre Poudlard. Elle devait passer par Pré-au-Lard, et de là, elle pourrait emprunter le passage de la Cabane Hurlante et s’introduire dans le château. Ne sachant pas exactement comment le voyage temporel pouvait affecter les voyages spatiaux comme le transplanage, Hermione ne voulut pas se risquer à cela. Elle ne savait même pas si le souvenir du Pré-au-Lard de son adolescence correspondait à la réalité de cette époque-ci. Et si jamais elle se désartibulait… Il ne fallait pas qu’elle prenne des risques inconsidérés. Elle était certes Gryffondor, mais pas irréfléchie pour autant !
Elle remercia à nouveau le barman et la serveuse avec chaleur, et sortit du café. Le ciel commençait à se couvrir, aussi resserra-t-elle les pans de sa cape. D’un pas rapide, elle se faufila parmi les gens qui ne parlaient plus que de l’approche de la défaite des Nazis et reconnut le Chaudron Baveur au loin. Elle pourrait prendre le Magicobus à partir du Chemin de Traverse. Rabattant la capuche sur son visage en entrant dans le bar, elle se rendit directement vers la cour arrière, saluant un Tom plus jeune d’un geste du menton. Après avoir ouvert l’arcade, elle agita sa baguette. En attendant que le Magicobus arrive, elle eut le temps de s’apercevoir que le Chemin de Traverse n’était pas très différent de celui qu’elle connaissait. Le bus à triple-impériale arriva très rapidement, et un contrôleur en descendit, le visage fermé. Elle tendit ses Mornilles – qui heureusement avaient cours – et s’engouffra dans le bus, montant directement à l’étage. L’homme la suivit.
« Quelle destination, Miss ?, demanda-t-il stoïquement.
- Pré-au-Lard, s’il vous plaît. »
- Nous y serons dans trois arrêts, Miss. »
Elle acquiesça, et regarda le contrôleur s’en aller. Il était bien moins volubile que Stan Rocade, ce qui n’était pas pour lui déplaire dans le cas présent. Assise dans un des fauteuils dépareillés parsemant le bus, Hermione regarda autour d’elle. Le Magicobus non plus n’avait pas changé, tout juste semblait-il plus récent et plus coloré. C’était très réconfortant. Fouillant dans ses souvenirs, elle se souvint qu’il avait été inventé dans les années 1930, soit moins de 15 ans auparavant. La jeune femme observa le paysage par la fenêtre, qui changeait au fur et à mesure des « bang ! », mais cela ne la perturbait pas. Ron et Harry s’imposèrent de nouveau dans son esprit. Comment allait-elle faire pour les retrouver ? A son époque, que se passait-il ? Elle espérait de tout cœur que sa visite en 1944 ne changerait rien. Le monde magique était enfin en paix, il n’était pas question que cela change à cause d’elle et de sa stupide erreur de manipulation.
Mais quelle erreur ? Elle ne voyait pas où elle avait bien pu faillir. Le sablier devait être défectueux, voilà tout. Il n’y avait pas lieu de s’en réjouir, mais elle ne concevait pas l’idée de s’être trompée, trahissant sa phobie de l’échec. Le contrôleur remonta à l’étage du Magicobus et lui indiqua d’une voix morne qu’ils étaient arrivés à destination. Plongée dans ses pensées, elle ne s’en était pas rendu compte. Elle le remercia et sortit dans l’été écossais. Au loin, elle aperçut le château qui avait été sa seconde maison pendant son adolescence. Une vague d’émotion la submergea alors qu’elle détaillait la tour de Gryffondor où elle avait élu domicile pendant six années riches en émotion. Ses yeux bruns balayèrent le paysage vallonné, le coeur serré. Poudlard lui avait manqué. Elle aurait pu rester un long moment à contempler la silhouette majestueuse de son ancienne école, mais elle ne devait pas oublier pourquoi elle était là. Et ce n’était pas pour le plaisir d’une visite nostalgique…
Elle trouva enfin la cabane Hurlante. Satisfaite, elle se dit que de là, elle déboucherait sous le Saule Cogneur. C’est à ce moment précis qu’Hermione réalisa qu’elle s’était trompée… Remus n’avait-il pas expliqué que l’arbre avait été planté pour lui ? Se maudissant à voix basse, la jeune Gryffondor chercha des yeux l’ombre tumultueuse du Saule. Comme elle s’y attendait, aucune trace de l’arbre n’était visible. Elle soupira, soupesant les différentes options qui s’offraient à elle. Le plus simple serait d’aller directement à l’entrée du château, même si cette idée ne lui plaisait pas. Elle ne souhaitait pas attirer l’attention.
Elle dut admettre malgré tout que débarquer de nulle part au milieu du château n’était pas non plus la meilleure solution. Les élèves étaient encore en vacances, mais des professeurs étaient sans doute à l’intérieur. Elle marquerait moins les esprits en se présentant devant la porte principale comme tout visiteur qu’en apparaissant de nulle part. Si elle croisait quelqu’un, elle demanderait simplement à rencontrer Dumbledore. Il lui fallait une bonne raison… Elle pourrait faire semblant de chercher un poste… Dumbledore enseignait la Métamorphose à cette époque. Elle se ferait passer pour une étudiante qui chercherait un stage. Et par là-même, elle obtiendrait un entretien avec lui. Elle reprit sa route d’un pas décidé, à travers les rues désertes de Pré-au-Lard, en direction du grand portail de Poudlard.
C’était étrange de faire ce chemin seule, sans Ron et sans Harry. Hermione espérait qu’ils ne s’étaient pas rendu compte de son absence. Elle avait mémorisé l’heure à laquelle elle avait disparu et s’arrangerait pour revenir à ce moment précis, comme si elle n’était jamais partie. Il ne fallait rien changer, ni au présent, ni au passé. Mais qu’entendait-on désormais par présent et passé ? Ce n’était plus les petits bonds d’une ou deux heures qu’elle avait l’habitude de faire en troisième année, mais un recul de plus de cinquante années en arrière… Il y avait de quoi perdre la raison. Au loin, elle aperçut enfin les vastes murailles impénétrables et les deux sangliers ailés qui encadraient les hautes grilles du portail et découvraient Poudlard dans toute sa majesté. A présent, comment faire pour entrer ? Elle n’avait aucune idée de comment signaler sa présence à l’entrée de l’école quand celle-ci était fermée, n’ayant jamais été confrontée aux grilles fermées. Elle soupira et leva sa baguette. Elle pouvait faire apparaître un Patronus pour prévenir Dumbledore en personne. Elle se concentra sur l’image de Ron. Le reverrait-elle un jour ? D’abord, seule une brume argentée sortit. Elle repensa alors à la bataille de Poudlard, quand ils avaient su qu’ils avaient gagné, que tout était enfin fini. Mais ce souvenir était indissociable du chagrin causé par la perte de tant d’êtres aimés. Elle échoua une nouvelle fois. Elle se résigna, des larmes de frustration naissant au coin des yeux. Cela ne lui ressemblait pas d’échouer des sortilèges, mais elle sentait que ses nerfs étaient à vif.
Par chance, les vapeurs argentées n’étaient pas passées inaperçues. Hagrid était de retour de la Forêt Interdite lorsqu’il vit la jeune femme devant le portail. Il ne parvenait pas à discerner son visage et, méfiant, il décida de voir ce que voulait cette étrangère. Hermione se figea à son approche. La stature d’Hagrid était facilement reconnaissable, elle faillit crier son nom et se retint juste à temps. Elle se souvint alors qu’il venait d’être renvoyé et que Dumbledore avait fait en sorte de le conserver dans l’enceinte de l’école, défendant son innocence dans l’affaire de la Chambre des Secrets. Il ne doit pas voir mon visage, songea-t-elle. Il risquerait de la reconnaître, dans le futur. Son passage devait rester le bref et le plus discret possible.
Mais si Hagrid était là… Cela signifiait que Voldemort était aussi un étudiant de Poudlard. Il ne fallait absolument pas qu’elle le rencontre. Prenant une profonde respiration, elle s’arrêta de réfléchir, resserra la capuche de la cape et regarda Hagrid qui s’approchait. Il paraissait bien plus jeune, imberbe, mais ses yeux brillants et noirs comme des scarabées le caractérisaient sans peine.
« Qu’est-ce que vous faites là ? »
Le demi-géant tentait d’apercevoir son visage, le regard soupçonneux. Il n’y avait là rien d’étonnant, surtout quand on savait ce qui lui était arrivé. Hermione décida d’être sincère, sans trop en dire. Merlin sait que quand on ment, on se retrouve facilement dans des situations impossibles. Avec le stress qui pesait déjà sur ses épaules, il était inutile d’aggraver sa situation.
« Bonjour. Je m’appelle Hermione. J’ai besoin de voir le professeur Dumbledore au plus vite. J’ai quelque chose à lui demander. »
Hermione était un prénom comme un autre. Il l’oublierait bien vite et de toute manière, comment pourrait-il croire qu’elle avait un lien avec la petite fille qu’il rencontrerait cinquante ans plus tard ? Le garde-chasse ne fut pas convaincu, mais il décida que Dumbledore en jugerait par lui-même.
« Très bien. Restez ici, je vais demander à Monsieur. »
Elle acquiesça et attendit sagement qu’il revienne, ce qui ne tarda pas. Sans un mot, il ouvrit les grilles et lui fit signe de le suivre. Elle obtempéra et ils marchèrent dans le parc, jusqu’au château. La cabane d’Hagrid était là, fidèle à son poste. Simplement, il n’y avait pas encore de potager. Les souvenirs lui firent chaud au cœur quand elle repensa aux nombreuses invitations à prendre le thé chez Hagrid avec Ron et Harry. Elle vit également le terrain de Quidditch, où elle avait assisté à des matchs en compagnie de Ron, jusqu’à ce que celui-ci devienne gardien. A l’intérieur du château, l’émotion la reprit. Elle songea à quel point certaines choses étaient intemporelles et se sentit légèrement réconfortée. Mais la Grande Salle la chamboula. Elle revit ses amis et camarades sans vie, couchés tout le long de la pièce, attendant que l’on les identifie. Des larmes brouillèrent sa vue, mais elle tint bon, prenant une profonde inspiration. Hermione, arrête d’être si émotive, c’est ridicule, se serina-t-elle. Hagrid ne remarqua rien, son pas décidé ouvrant la marche. Ils grimpèrent finalement au premier étage. Hermione se demanda un instant pourquoi il la menait au bureau du professeur McGonagall, mais elle se souvint vite qu’elle était en 1944. Ils entrèrent enfin.
« Merci Hagrid. », dit Dumbledore d’une voix douce.
Hagrid sortit, et Hermione abaissa finalement sa capuche et dégagea sa chevelure, laissant son visage à la vue de son interlocuteur. Le professeur Dumbledore était plus jeune que dans ses souvenirs, et avait les cheveux d’une teinte auburn. Mais il avait toujours ces yeux d’un bleu clair qui la mettaient en confiance. Elle n’aurait jamais imaginé revoir Albus Dumbledore un jour. Cette journée mettait ses nerfs à rude épreuve par sa richesse en émotions, mais elle ne devait pas laisser son esprit s’égarer. Elle pratiquait quotidiennement l’Occlumancie depuis qu’elle était au Département des Mystère, et bien qu’elle ne fût pas la plus douée, ses heures de pratique lui permettaient de cloisonner ses pensées. Je ne dois pas influencer l’avenir. Elle avait longuement réfléchi à la manière d’aborder le sujet.
« Bonjour Professeur Dumbledore, je m’appelle Hermione Granger. »
Il lui fit signe de s’asseoir, et elle obéit. Ses méninges tournaient à toute allure. Il lui fallait être sincère et obtenir son aide, tout en lui disant le moins possible Elle espérait qu’il comprendrait. Elle choisit de jouer cartes sur table.
« Je viens solliciter votre aide pour réparer cet objet. » Elle posa le sablier sur la table. « Pour des raisons professionnelles, je manipulais cet objet, qui est un retourneur de temps, lorsqu’il s’est mis en route pour m’envoyer en 1944. » Le professeur ne répondit pas, l’examinant attentivement. Hermione eut l’impression de passer aux rayons X. « Je pratique l’Occlumancie pour protéger notre avenir, j’espère que vous comprenez… C’est également la raison pour laquelle je ne vous révèle pas de quelle année je viens. », reprit Hermione, mal à l’aise. « Ce que je peux vous affirmer, c’est que j’ai confiance en vous et j’espère moi aussi gagner votre confiance. »
Elle était sincère. Si elle pouvait faire confiance à quelqu’un, c’était bien à Dumbledore. Même si elle savait qu’il pouvait se montrer manipulateur, c’était pour l’intérêt général. Il acquiesça doucement, l’oeil inquisiteur.
« Imaginons que je vous croie, Miss Granger. Puis-je examiner cet objet ? » Elle acquiesça et tendit le sablier. « Merci. Pourriez-vous m’expliquer sa composition ?
- Eh bien… Il s’agit d’un objet expérimental permettant de voyager dans le temps, conçu au Département des Mystères. A l’intérieur, il y a une potion complexe, qui n’a pas encore été découverte. Un sortilège l’active et on peut choisir l’année, le mois et le jour de notre destination… Ce sablier a connu des dysfonctionnements, a priori dû au sortilège. La potion serait hors de cause, selon les collègues qui l’ont déjà examiné. J’étais en train de le diagnostiquer quand il s’est mis en route et m’a envoyé en 1944. »
Avec ses longs doigts fins, Dumbledore examinait l’objet sous toutes les coutures. Enfin, il le reposa et murmura :
« Le voyage dans le temps... Voici donc une invention très dangereuse… »
Hermione acquiesça. Elle avait pensé la même chose.
« Je sais. Et dés que je rentrerai, je le détruirai. Je n’ose pas imaginer les conséquences d’un tel objet.
- Vous allez faire face à des choix très difficiles, Miss Granger. Plus longtemps vous resterez ici, plus votre futur tel que vous le connaissez changera. - Que voulez-vous dire professeur ? »
Dumbledore la regarda par dessus ses lunettes en demi-lune, l’air sincèrement désolé.
« Je vais voir ce que je peux faire. Mais je doute que je parvienne à réparer ce sablier, du moins, pas immédiatement. Il va falloir que vous restiez. »
Hermione était choquée. Elle avait tant espéré qu’il puisse l’aider ! Le professeur Dumbledore lui tendit l’objet.
« Cachez-le et tenez-le secret. Vous comprendrez que celui qui le fera fonctionner sera extrêmement tenté de corriger certains évènements de son passé… »
La jeune femme ne protesta pas. Le poids des regrets du professeur Dumbledore était palpable et le souvenir d’Ariana Dumbledore s’imposa à elle.
« Je vais contacter des amis pour connaître leur opinion sur la question. Peut-être pourront-ils nous donner des pistes pour examiner ce retourneur de temps et le réparer. »
Hermione se résigna. Avait-elle vraiment le choix ? Elle s’éclaircit la gorge, et tenta de rester forte. Elle s’était déjà sortie de situations plus graves. Elle survivrait, elle s’en sortirait et retrouverait son époque dans le même état où elle l’avait laissé. Il n’était pas concevable qu’il en aille autrement. Dumbledore s’enfonça dans son siège, le regard perdu dans le vague. Elle n’osa pas interrompre sa réflexion et attendit en mordillant les lèvres. Peut-être vient-il d’avoir une idée de génie ? Le professeur se pencha finalement vers elle, les mains jointes posées sur son bureau.
« Je vous propose de rester parmi nous comme assistante-stagiaire, en attendant de trouver une meilleure solution. »