Fuir. J’ai toujours détesté ce mot parce que pour moi, c’est un signe de faiblesse. Et je ne me suis jamais considérée comme quelqu’un de faible. Pourtant, ce jour-là comme tant d’autres auparavant, je n’ai pas d’autre choix que de « m’en aller précipitamment » dirons-nous. J’ai été repérée. Je n’arrive toujours pas à comprendre comment ils font pour me localiser sans cesse. Peu importe, je ne suis pas vraiment en état de réfléchir pour l’instant.
Je cours à en perdre haleine au milieu de la rue bondée. Je n’ose pas me retourner, je sais que mon assaillant me suit de peu et qu’un instant d’inattention peut causer ma perte, notre perte à tous les trois. Mon sac serré contre moi, je ne cesse de heurter les passants avec tant de puissance qu’ils reculent souvent sous le choc et que moi, je manque de tomber. J’ignore leurs cris de protestations – de ce que je comprends du chinois – et continuais ma route. Un sentiment de culpabilité m’envahit lorsque je renverse une vieille dame et ne m’arrête pas pour l’aider.
Je tourne brutalement sur ma droite. Je prends un gros risque, je ne connais pas cette ville chinoise et si c’est un cul de sac, je suis fichue. Par chance, ce n’est qu’une rue de livraison vide. Je risquai un coup d’œil en arrière : il est toujours à ma poursuite. Nom d’une Gorgone, cet homme ne se fatigue donc jamais ? C’est vrai que ses muscles puissants sont un atout comparé à moi qui suis petite. J’ai beau être sportive, je m’épuise énormément. Je comprends vite que le seul moyen d’échapper une nouvelle fois à ce poursuiveur est d’user de ma ruse, à défaut de pouvoir utiliser ma baguette.
Mon agresseur n’est qu’à quelques mètres derrière moi, parfait, je crois que je vais passer au plan B. Le but de ce plan ? Improviser. Je fais assez confiance à mon instinct. Je vais encore me faire remarquer en créant un scandale, ce que je veux à tout prix éviter, mais je n’ai plus le choix. Les autres vont penser le pire si je ne rentre pas au plus vite.
Merde. Droit devant moi, un camion prend pratiquement toute la largeur de la rue piétonne. J’accélère encore un coup, y mettant toutes mes forces alors que je n’ai pas mangé depuis la veille et je fonce droit vers le camion en espérant que l’Exécuteur me suive encore. Un homme est en train de le décharger de poissons quand je passe à côté. Je ralentis un peu ma cadence, jusqu’à pratiquement sentir le bras tendu de mon agresseur.
Brutalement, je fais volte-face, je saisis la poignée de la portière conducteur et l’ouvre en grand. L’Exécuteur n’a pas le temps de comprendre ce qui se passe. Emporté par son élan, il se cogne avec force et s’effondre sur le sol, sonné. J’étouffe un rire. Cet Exécuteur ci n’est pas très malin ! Néanmoins il reprend vite conscience et je préfère déguerpir avant qu’il ne soit de nouveau sur pieds. Je tourne de nouveau sur ma droite et me fige de stupeur.
Un cul de sac. Rien de pire qu’un cul de sac. Je me retourne pour constater que l’Exécuteur, l’air terriblement énervé par mon cadeau souvenir – je vous assure que cette bosse est magnifique ! – s’approche plus prudemment, avec un sourire de chat qui s’apprête à manger une souris. Qu’y a-t-il de pire ? Le fait de me faire attraper ou alors se rendre compte que je viens de trouver un moyen de m’échapper mais qu’il est derrière l’Exécuteur ? Celui-ci dégaine sa baguette. Quel lâche ! Il sait pourtant que je n’ai que seize ans et que je ne peux pas utiliser ma baguette ! J’ai fait une erreur trois mois plus tôt en lançant un ‘Expelliarmus’ et ils m’avaient vite repéré vu que je portais encore la Trace. J’ignore comment j’avais pu m’en tirer de quatre adversaires ce jour-là. Sans doute ma bonne étoile.
- Très bien ma jolie, commence le grand blond qui me poursuivais en me fusillant du regard. Maintenant tu vas tout doucement me jeter ta baguette sans faire d’histoire d’accord ?
Ma jolie ? Mais il se prend pour qui ce c*n ? Je n’ai plus qu’à obtempérer et me rendre. Ma, enfin notre cavale aura duré presque six mois durant lesquels nous avions sans doute visité plus de pays que le Dalaï-Lama lui-même. En soupirant, je plonge ma main dans mon sac et en ressort mon bâton de bois. Les yeux embués de larmes, je la lui jette aux pieds. Son sourire s’élargit davantage.
- Bien. On m’avait dit que tu étais plutôt rebelle mais apparemment, les rumeurs n’étaient que des rumeurs ! s’esclaffe-t-il. A moi la récompense !
- S’il vous plaît, le suppliai-je alors que des larmes coulent sur mes joues. Je… je ferais tout ce que vous voudrez !
- Inutile ma jolie, rigole-t-il de plus belle, pas avec le pactole que je vais me faire ! Si tu savais depuis combien de temps je te cherchais. Vous cherchais…
Il murmure un sort d’attraction sur la baguette et s’avance vers moi, plus sûr de lui. Avec un sourire torve, il s’approche un peu plus. Juste assez pour que le fluide de ma bombe lacrymogène ne lui atteigne les yeux. Il hurle de douleur en laissant tomber les deux baguettes, aveuglé. J’en profite pour courir de nouveau vers une mobylette de livraison qui est garée plus loin, le moteur tournant encore.
- Reviens ici sale #?@!* ! hurle-t-il en chutant et se cognant à une poubelle
Un rire satisfait s’échappe de ma gorge alors que j’enfourche l’engin. Que ceux qui pensait que j’allais baisser les bras aussi vite passent leur chemin, merci. Je démarre en trombe, laissant l’Exécuteur m’injurier de tous les noms derrière moi. Je ne sais même pas pourquoi je ris. Tout ça était pourtant loin d’être une plaisanterie. C’est juste devenu notre quotidien.
Je gare la mobylette dans un parking de supermarché et décide de marcher les deux kilomètres restants pour ne pas être trop remarquée. Je suis plutôt fière de moi, comme d’habitude quand je réussis à m’enfuir. Bien entendu, je suis pressée d’avoir enfin dix-sept ans pour leur montrer ce que je suis capable de faire baguette en main. Quoiqu’ils réussiraient peut-être à me localiser par un quelconque moyen ? Il faut que je demande à Paris de lire un livre sur le sujet pour se renseigner.
Je marche vite – bon pas comme ces Parisiens quand même ! Non d’un hibou de Californie ce qu’ils peuvent être pressés ! Ils courent comme s’ils avaient un Détraqueur à leurs trousses –. Personne ne fait réellement attention à moi. J’ai revêtu des vêtements amples et sombres, et mes cheveux sont cachés dans un foulard. Je porte des lunettes de soleil, un appareil photo autour du cou et une carte touristique de la région en main,, ce qui dans l’ensemble me donne un look de touriste ce qui est parfait pour se fondre un peu dans la masse. Je joue assez bien la comédie, et je crois que c’est ce qui me sauve constamment de nos mauvaises rencontres.
Je jette un coup d’œil à ma montre. Par Jupiter, je dois me dépêcher Paris et Brooklyn risquent de s’inquiéter. Bon pas pour longtemps, je leur amène enfin de la nourriture.
La soudaine pluie me surprend. Il pleut de grosses gouttes et je n’ai pas de parapluie. Je baisse donc les yeux et retire mes lunettes qui me gênent. Tout en marchant, j’observe les alentours tout en essayant de ne pas me retourner trop souvent au risque de me faire remarquer par mon comportement étrange, bien que mes yeux soient sans cesse ne mouvement. Une habitude depuis quelques mois que nous avons tous adopté. Et qui peut être assez embarrassante quand quelqu’un le remarque. Enfin… on ne reste jamais assez au même endroit pour que quelqu’un ne nous remarque de toutes manières. D’ailleurs, il faut que nous quittions la Chine dans les plus brefs délais. Et je sais déjà où nous nous rendrons.
Au bout d’une demi-heure de marche sous une pluie torrentielle, je finis par sortir complètement de la ville et m’enfoncer dans des bois sombres. Le soir se profile déjà à l’horizon mais j’y vois quand même assez clair grâce aux ultimes rayons de soleil qui s’échappent du milieu de la cime. Je regarde les troncs d’arbres avec attention. Parmi cet excès de flore, j’avais tailladés des troncs à intervalles réguliers pour me repérer quelques jours auparavant. La mousse les recouvre un peu, parfait. Je me remets en marche en veillant à effacer les traces de pas derrière moi.
Une autre demi-heure plus tard, je vois enfin la maisonnée. Elle est tellement piteuse et en mauvais état que personne ne s’en est jamais approché depuis les deux semaines que nous y sommes. Les carreaux sont brisés, les volets à demi-arrachés et le premier étage est détruit sur le flanc ouest. Il n’y a plus de toiture et je devine que l’eau s’infiltre dans toute la maison. De la mousse et des mauvaises plantes ont poussé et le terrain n’est pas facile à parcourir. Surtout que j’ai posé des pièges partout aux alentours pour prévenir de la potentielle arrivée de notre prochain Exécuteur tant attendu. De l’extérieur, il n’y avait aucun signe de vie.
C’est ce qui m’inquiétait le plus d’ailleurs. C’est toujours le cœur battant que je toque à la porte notre combinaison. J’attends sous la pluie durant une vingtaine de secondes avant d’entendre la même combinaison derrière la porte. Je regarde une dernière fois derrière moi avant de chuchoter.
- Pourquoi papa est-il tombé dans les pommes l’année dernière ?
- Parce qu’il venait d’apprendre que j’avais eu mes premières règles, répond la douce voix de Paris derrière la porte.
Je pousse un soupir de soulagement et des bruits de serrure se font entendre avant que la porte ne s’ouvre et je me hâte d’entrer à l’intérieur. C’était notre façon de savoir que personne ne s’était infiltré. Je suis la seule à sortir vu que je suis la plus âgée et je pose une question à mon retour. Si Paris me dit la vérité, c’est que personne n’était là à la menacer. Par contre, si elle me ment, c’est que quelqu’un les avaient repérés. Heureusement, ce deuxième cas de figure ne nous est jamais arrivé. Je verrouille derrière moi et fait face à Paris, qui me jauge sévèrement, les bras croisés sur sa poitrine, fusil de chasse posé à terre.
- T’étais où ? me demande-t-elle avec agressivité. Tu devais être revenue il y a déjà plus d’une heure et demi. On s’est fait du souci !
Il pleut autant dehors que dedans. Je soupire. Avant de me tourner vers Paris, qui attend une réponse avec agacement.
- On m’a repéré et j’ai réussi à semer l’Exécuteur. Sauf qu’il y en aura d’autres qui vont arriver en renfort et je n’ai aucune autre fausse baguette. Nous partirons demain aux aurores.
Elle acquiesce silencieusement sans rien dire. Elle ne fait plus aucuns commentaires depuis longtemps. Inutile de savoir si je vais bien. L’habitude. Je suis là, c’est suffisant. Paris et Brooklyn n’ont pas besoin de connaître les détails de mes escapades périlleuses. D’ailleurs, en parlant de Brooklyn…
- Où est Brooklyn ? je demande
- Il dort dans la cuisine. C’est le seul endroit où il ne pleut pas, ajoute-t-elle en voyant que je ne comprends pas pourquoi il a choisi cet endroit.
- Je vois. Allons manger, je vous amené du poulet frit, dis-je en tapotant mon sac.
Elle sourit, ravie et me précède dans la cuisine. C’est une pièce toute petite où nous avons du mal à tenir à trois. Brooklyn est allongé sur la table bancale et dort profondément, un léger sourire aux lèvres malgré les tremblements de son corps à cause du froid. J’aime le voir comme ça. Il a l’air normal. Il semble avoir son âge, onze ans. Paris a sorti le briquet magique, un des gadgets que nous avons emporté avec nous dans notre course folle, qui chauffait à lui seul toute la pièce. C’est fort utile puisque nous ne pouvons pas allumer un feu dans la cheminée pour des raisons évidentes. Je sors le poulet frit que j’avais réussi à voler plus tôt, il a refroidi mais nous sommes tellement affamés que nous en avons que faire. Nous donnons tout ce que nous pouvons à Brooklyn, pour qu’il n’ait pas à souffrir de la faim à un si jeune âge. J’ai aussi une bouteille de limonade que nous allons économiser et une bouteille d’eau. Je garde les sept pommes de terre pour le repas du lendemain soir, juste au cas où nous ne trouverions pas de quoi nous restaurer.
Brooklyn papillonne des paupières, sans doute réveillé par l’odeur de la nourriture. Ses yeux se posent sur moi et il esquisse un sourire, ravi que je sois de retour. Je lui ébouriffe les cheveux et il descend de la table pour regarder le dîner. Son sourire s’élargit. Nous nous installons à même le sol en triangle, habitude que nous avons depuis des années, le poulet frit entre nous. Je regarde ma petite sœur, puis mon petit frère :
- Je suppose que vous avez faim ?
Nos ventres gargouillent pour seule réponse et nous rigolons, heureux de partager enfin un vrai repas, et nous nous jetons dessus, malgré la pluie et le destin qui se déchaînent contre nous.
Un matelas pour trois. Inutile de dire que nous avons insisté pour que Brooklyn dorme dessus à deux voix contre une. C’est ainsi que nous fonctionnons pour la plupart de nos choix : au vote. Sauf quand je prends seule une décision et qu’ils doivent s’y plier parce que je suis l’aînée et celle qui est censée être le plus responsable. Bref, il dort sur le matelas sous la table – la pluie ayant finalement décidé de s’incruster dans la cuisine – Paris occupe un fauteuil bancal sous un vieux parapluie et dort pendant que moi je reste à surveiller par la fenêtre, fusil au poing et imperméable magique sur moi. Grâce à cet imperméable, je deviens invisible. Enfin pas vraiment invisible mais cet imperméable parvient à prendre exactement la même carnation que n’importe quel mur ou décor. Parfait pour se fondre dans la masse. Paris et moi roulons à ce poste, ce que je déteste particulièrement. A seulement treize ans et demi, elle n’a pas à assumer ce genre de choses et tenir une arme aussi près d’elle. Mais j’ai, malheureusement, également besoin de dormir. J’avais usé de mon statut d’aînée pour la faire fléchir : elle faisait des gardes d’une heure et demie, moi de trois. J’estime qu’il est de mon devoir de protéger mon petit frère et ma petite sœur puisqu’après tout, c’est moi qui connais le mieux la vie de nous trois.
Cette nuit-là fut comme les précédentes, il n’y eut rien de suspect.
L’aube arrive rapidement. C’était la garde de Paris et je dormais – ou plutôt somnolait profondément – sur le vieux fauteuil et elle nous réveille. Brooklyn vint se blottir contre moi, ce qu’il fait toujours depuis quand il vient de se réveiller. Nous restons de longs moments ainsi avant de faire notre toilette fugace. Puis nous nous réunissons dans la cuisine manger les quelques restes de poulet froid. Une fois le repas terminé, Brooklyn et Paris se tournent vers moi, attendant de savoir où j’ai décidé que nous nous rendrions par la suite. Brooklyn va sans doute être plutôt content, Paris beaucoup moins.
- Hier à la galerie marchande, j’ai rencontré des sorciers qui parlaient en anglais, je commence. Ils parlaient et je les écoutais parler du monde sorcier. Ça faisait tellement longtemps ! Vous saviez vous, qu’un nouveau balai venait de sortir ? Il s’app…
- Syd’, m’interrompt Paris, toujours aussi impatiente.
- Bref. L’un d’eux a dit que son fils étudiait encore et l’autre lui a demandé s’il n’était pas trop inquiet de le laisser étudier là-bas alors que lui vivait en Chine…
- Quel rapport avec nous ? m’interrompt une nouvelle fois Paris
- J’y viens un peu de patience ! la rabrouai-je. Donc le premier a dit qu’il était dans l’endroit le plus sûr au monde qui était gardé par le plus puissant des Sorciers. Et nous serons doublement bénéficiaires vu que nous pourrions y apprendre des tas de choses.
- Et donc ?
Je fusille Paris du regard, elle ne s’ébranle pas. Ce qu’elle peut m’énerver celle-là avec son impatience ! Brooklyn ne pipe pas un mot, silencieux comme une tombe ou plutôt silencieux comme d’habitude. Je vrille mon regard à celui de ma sœur puis celui de mon frère pour leur montrer que ma décision est irrévocable et qu’ils peuvent râler autant qu’ils le souhaitent, je ne cèderais pas. Ils le savent parfaitement.
- Nous partons pour Poudlard.