Ginny avait mûri, c’était indéniable. En six ans, c’était surtout normal. Il en était de même pour Harry et Ron, mais pour sa camarade, cela se voyait physiquement à travers la protubérance qui dépassait de son ventre. Hermione se réjouit. Harry allait être papa, c’était une très bonne nouvelle. Elle ne savait toujours pas si Ron avait une femme dans sa vie, mais espérait sincèrement que oui. Certes elle avait été jalouse de Lavande, certes elle avait été amoureuse de Ron, mais aujourd’hui ? Son cœur ne battait plus ; elle ne pouvait pas encore dire qu’elle l’aimait. Elle était ange, elle avait un devoir, elle devait s’y plier. Elle n’avait pas de vie, et donc pas à avoir de sentiments.
De toute façon, Ron ne pouvait pas la voir, rien ne pourrait se créer entre eux. Et même si c’était le cas, elle n’aurait pas voulu l’entraîner dans une relation qui l’aurait fait souffrir. Elle n’était même pas un fantôme, elle n’était rien. Concrètement, dans le monde terrestre, elle n’était que du vent qui parfois déplaçait de manière incongrue des objets. Et Hermione voulait le meilleur pour Ron. Elle voulait qu’il soit heureux, qu’il fonde une famille, qu’il aime autant qu’elle avait pu l’aimer et qu’il l’avait lui aussi aimée. Alors, de tout le cœur qu’elle n’avait pas, elle souhaitait le voir se marier et avoir des enfants, avec une autre qu’elle.
Une vague de nostalgie l’envahit de nouveau. Ses pensées dérivèrent. Si elle n’était pas morte, quelle aurait été la vie qu’ils auraient pu avoir, tous les deux ? Elle ne le savait pas, et ne devait pas se l’imaginer. Cela lui ferait trop de mal.
Toute la journée elle suivit Teddy, observant ses sourires comme ses grimaces. La plus grande partie de l’après-midi Fred et George jouèrent aux bavboules avec lui. Il n’avait pas l’air de comprendre grand-chose aux règles, mais il rigolait tout le temps, et après tout c’était le principal.
Alors qu’ils s’amusaient tous trois, la curiosité la poussa à s’approcher d’une fenêtre, mais cette dernière ne donnait pas sur le côté du jardin qu’elle désirait. Dommage, elle aurait aimé savoir si Malefoy était toujours là. Sûrement était-il rentré chez lui à présent, non ? Elle se repassait leur bref échange en boucle, espérant vainement y trouver des réponses. Pourquoi pouvait-il la voir ? Pourquoi pouvait-il l’entendre ? Pourquoi avait-il conscience de sa présence ? Ces questions revenaient sans cesse la troubler, plus ou moins fréquemment alors que l’après-midi passait. A chaque fois qu’elle tombait d’accord sur le fait qu’elle n’apprendrait rien ce jour, et qu’elle ferait mieux de l’oublier pour l’instant, une nouvelle interrogation revenait à la charge.
Finalement, le soleil se coucha, et Hermione se tint dans la cuisine vide, toute la famille s’étant regroupée au salon. A travers les fenêtres, elle admira le crépuscule aux couleurs chatoyantes. Des bruits de pas la firent se retourner et elle observa Ron s’avancer dans la pièce, tirer une chaise et s’asseoir. Il posa un air songeur sur le soleil couchant, et Hermione ne put s’empêcher de détailler ses traits. Il avait grandi, il avait changé. Désormais, il était devenu un adulte à part entière.
Son regard songeur ne semblait plus vouloir quitter le soleil des yeux, même quand sa sœur l’appela depuis le salon. Il répondit distraitement qu’il arrivait, mais n’esquissa aucun geste pour se lever.
- Teddy, va chercher Ron, demanda Harry à son filleul.
Ce dernier ne se fit pas prier et déboula l’instant d’après dans la cuisine pour tirer le jeune homme par la manche.
- Ah la la, c’est bon j’arrive, soupira Ron en levant les yeux au plafond.
Juste avant de franchir l’encadrement de la porte de la cuisine, il adressa cependant un dernier regard vers les fenêtres.
- Bientôt, Hermione, crut-elle l’entendre prononcer du bout des lèvres.
Quand vint la nuit totale et que toute la maisonnée s’endormit, Hermione sortit dans le jardin pour regarder les étoiles. Une silhouette près des arbres attira son attention. Malefoy était donc toujours là ? Elle le vit bouger, sortir du couvert du bois et s’avancer jusqu’à elle avant de s’asseoir à ses côtés. Le tout sans la regarder, ses yeux gris d’acier fixés sur la voûte céleste. Elle-même reprit sa contemplation des constellations qu’elle s’amusait à chercher à reconnaître.
- C’est comment là-haut ? demanda soudainement Malefoy en s’allongeant et en calant ses bras derrière sa tête.
- Tu sais ce que je suis ? contourna la question Hermione en lui jetant un regard étonné.
- Sinon je ne te poserais pas la question, fit-il comme si c’était une évidence.
- Comment se fait-il que tu en es déjà entendu parler ?
Le jeune homme ne répondit pas. Comprenant que de toute manière il n’avait pas l’intention de dire quoique ce soit, l’ange se résigna à enchaîner. Néanmoins, elle nota dans un coin de son esprit que le jeune homme lui cachait des choses.
- C’est grand et blanc, essaya de décrire Hermione.
- C’est fou comme ça m’avance, se moqua Malefoy.
Hermione n’ajouta rien. Il était inutile de tenter de lui fournir une image du paradis, elle n’y arriverait pas. C’était avant tout un entremêlement d’âmes, de regroupement, de cohésion, de bonne entente et de générosité avant d’être une structure en soi. Elle n’aurait pas su détailler le sujet. Il fallait y être allé pour s’en faire une idée.
- Comment ça se fait que tu puisses me voir ? se décida-t-elle à le questionner.
- Je suis étonné que miss-je-sais-tout ne le sache pas, et encore plus que tu ais mis autant de temps avant de me le demander. D’habitude dès qu’un truc t’échappe, il faut que tu files t’enfermer dans une bibliothèque pour trouver une réponse.
- Tu ne réponds pas à ma question, évita de relever Hermione.
- Tu n’es pas allé chercher dans un livre ?
- Il n’y en a pas, et c’est plus rapide et simple de te demander directement.
- Et si je te disais que je ne sais pas ?
- Tu mentirais.
- Oui.
Hermione s’attendait à ce qu’il ajoute quelque chose mais aucun son supplémentaire ne sortit de sa bouche.
- Alors, pourquoi peux-tu me voir ? relança-t-elle.
- Je ne sais pas, répondit Malefoy de sa voix traînante.
- C’est mal de mentir, commenta la jeune femme après un court silence.
- Et alors ?
L’ange ne précisa pas le fond de sa pensée, mais apparemment le sujet cette fois-ci intéressait le jeune homme car il se mit sur un coude pour la regarder alors qu’assise comme elle l’était il ne pouvait voir que son dos. Enfin, la partie de son esprit qui représentait son dos.
- Qu’est-ce que ça changerait que ce que je fasse soit mal ? s’enquit-il. Que je ne deviendrai jamais un bel ange comme toi ?
Hermione ne dit rien mais apprécia le compliment. Elle sentit qu’il s’était redressé et l’effleurait sans jamais la toucher. De toute façon, s’il essayait il se contenterait de passer au travers elle. Quoique… s’il pouvait la voir, pouvait-il la toucher ?
Elle se tourna vers lui et nota la lueur amusée dans son regard alors qu’il la détaillait. Elle avança timidement sa main sur l’herbe vers la sienne mais il retira vivement celle-ci dès qu’il s’en aperçut.
- A quoi joues-tu ? demanda-t-il.
Il lui sembla soudain fâché, et Hermione se traita d’idiote. Bien sûr, le fier Malefoy ne se souillerait jamais à toucher une sang-de-bourbe.
- Tu peux me voir, je voulais juste savoir si tu pouvais me toucher, répondit-elle avec un haussement d’épaules sans rougir avant de se détourner et de reprendre sa contemplation des étoiles, lui tournant le dos.
Le silence s’installa, pesant. Le jeune homme ne se rallongeait pas, se contentait de fixer son dos et elle le ressentait comme une brûlure sur son esprit à vif.
- Je n’appellerai pas ça « toucher », mais non, je ne passerai pas à travers toi, finit-il par répondre de son habituelle voix traînante.
- Comment le sais-tu ?
- Je ne veux pas que tu le saches, lâcha-t-il sans détour.
- Pourquoi ? s’étonna l’ange.
- Ça aussi je ne veux pas que tu le saches, évinça Malefoy.
- Et tu me le dis aussi franchement ?
- Un ange qui me pousse au mensonge, j’aurai tout vu, se moqua le jeune homme en se rallongeant tranquillement.
Hermione sourit sans qu’il ne le voie. De nouveau aucun des deux ne parla, mais le silence autour d’eux était agréable, calme, serein, et non pas lourd et étouffant comme auparavant. On pouvait entendre le bruit du vent et des feuilles qui s’envolaient.
- Je n’aime pas cette atmosphère, sembla craquer finalement Malefoy.
- Pourquoi ? s’enquit Hermione surprise en se retournant vers lui.
- C’est trop calme, répondit-il, exceptionnellement sincère. Je préfère l’agitation.
La jeune femme le regarda sans trop comprendre ce qu’il pouvait trouver d’attirant dans les conflits, le désordre et la guerre, mais ne commenta pas, ne le jugea pas.
Il était étrange de constater qu’ils réussissaient à avoir une discussion polie sans insulte, sans emportement. Sa relation avec le jeune homme semblait finalement avoir changé un petit peu quand même. Son éventuelle bouée de sauvetage en restait une, mais avait changé d’apparence. Certes il la considérait toujours comme avant, et il en était de même de son côté, mais il y avait autre chose. Ce petit plus qui l’avait poussé lui à s’asseoir à côté d’elle, et qui l’avait incité elle à lui faire conversation. Etait-ce dû à la possibilité qu’il représentait de lui fournir un minimum de sociabilité ?
- Tu sais Malefoy, confessa-t-elle, ça va peut-être te paraître bizarre, mais ça me fait plaisir que tu sois là, et que tu puisses me voir.
Une flamme sembla s’allumer dans les pupilles d’acier de Malefoy et de nouveau il se redressa pour mettre son visage à hauteur du sien. Sitôt qu’elle eut prononcé le dernier mot, elle regretta déjà de le lui avoir avoué. Son brusque regain d’intérêt lui faisait peur et elle n’aimait qu’il se tienne si près d’elle, et qu’il la regarde ainsi. Elle avait l’impression idiote qu’il allait la manger ; il lui semblait dangereux. Très dangereux.
- Oui, je trouve ça bizarre, susurra-t-il.
- C’est que ça fait longtemps que je n’ai pas parlé à quelqu’un, alors c’est agréable de discuter de tout et de rien de temps en temps, se justifia la jeune femme en s’éloignant lentement de son ennemi.
Ennemi... le terme semblait assez bien convenir dans la situation présente.
- Tu veux qu’on parle du bon vieux temps Granger, railla ce dernier. Aurai-je une hallucination ou serais-tu en train de fuir ? Je te fais peur peut-être ?
- Je n’ai jamais eu peur de toi, se dressa courageusement la Gryffondor.
- Il y a un début à tout petit ange, contra Malefoy. C’est fou ce qu’un ange peut être fragile, faible.
- Je ne suis pas faible, s’énerva la jeune femme en lui tenant tête.
- Un ange belliqueux ? C’est rare dis-donc, tu es sûre d’être au bon endroit ?
La jeune femme se troubla aussitôt. La question qu’elle se posait depuis sa mort lui revint en tête. Pourquoi était-elle devenue un ange ? Elle n’en avait pas les qualités, à commencer par le calme. Certes, elle tempérait souvent, voire presque toujours, Harry et Ron à Poudlard pour ne pas qu’ils répondent aux provocations de Malefoy, mais ce n’était sans doute pas suffisant.
- Ça c’est la meilleure, reprit ce dernier en ayant remarqué son changement d’attitude, Ste Granger amie de St Potter qui se demande pourquoi elle est devenue un ange ? comprit-il.
La raillerie eut pour effet de faire sortir la jeune femme de sa torpeur. Elle était un ange, point final. Inutile d’aller chercher le pourquoi du comment, puisqu’elle n’en était pas capable. Chassant ses doutes persistants, elle leva la tête vers le ciel.
- Tu pourras dire tout ce que tu veux Malefoy, il n’empêche qu’il est possible que je sois plus forte que toi.
- Vraiment ? demanda-t-il d’un ton doucereux.
Hermione se contenta d’hocher la tête, sereine.
- Prends-garde, fragile petit oiseau, tu pourrais vite être détrompée, lui murmura le jeune homme à l’oreille.
Elle le sentit brûlant près d’elle, comme un feu attisé par la violence, le chaos. Ce chaos auquel il tenait tant. Quand elle recherchait à faire la paix avec lui, il ne pouvait s’empêcher de faire la guerre. Tout son être semblait en ébullition et Hermione retint son souffle avant de se rendre compte que c’était stupide puisqu’elle ne pouvait pas respirer.
Il se leva, tourna le dos et s’en alla non sans avoir lancé un dernier regard enflammé à Hermione. Mais ce n’était pas de la colère qu’elle pouvait lire dans ses prunelles. De l’amusement ? Un défi ? Seul lui aurait su le dire, mais cela eut pour effet incontestable de troubler le calme de la jeune femme.
Note de chapitre:
Bonjour tout le monde ! Merci à tous pour vos reviews, c'est super encourageant. J'en profite pour préciser que je n'ai jamais entendu parler de "7 jours pour une éternité" avant que vous m'en parliez, mais je vais essayer de me le procurer désormais.
Bonne lecture :)
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