Je vous souhaite une bonne lecture! Je m'attarderai plus au prochain chapitre, c'est-à-dire demain...
Le lourd portail glisse silencieusement et se referme derrière moi. Je transplane.
Pas une étoile ne brille cette nuit. Le ciel est d’un noir épais et vide de toute once d’espoir. Le ciel est noir, à la façon des horreurs qui peuplent mon passé. La voûte stellaire est le noir reflet de mon ignorance, celle d’hier, celle d’aujourd’hui. Pas un point lumineux ne perce les ténèbres. La lune, tendre compagne de tant d’insomnies, m’a abandonné cette fois-ci. L’obscurité est telle que je ne vois pas le bout de ma barbe.
Mais je ne m’en soucie pas. Aveugles, mes pas suivent le chemin de terre que Bob Ogden emprunta avant moi. Cette cécité, je ne m’en soucie pas. Je suis tout entier à l’excitation qui parcourt ma peau en des frissons délicieux. Je sais ce qui m’attend. Une masure, sale et grise, répugnante, renfermant le plus beau des trésors. Si tu savais ! Je suis si près du but, ce but qui nous tint éveillés des nuits entières, toi et moi, et Archimède le hibou grâce à qui nous communiquions. L’impatience me ronge. Pourtant, d’antan, il ne m’intéressait pas. Toi, tu le voulais. Tu pensais qu’il te conférerait un pouvoir suprême sur les morts. Désormais, c’est moi qu’il tourmente de désirs. Je le désire. Tu ignores à quel point. Je ne sais pas si tu connais ce sentiment qui nous pousse toujours plus loin, pour me comprendre. Je ne sais pas si tu m’as aimé.
Je t’aime. Malgré tout, malgré toi, je ne peux empêcher mon cœur de battre quand je me souviens de ta main sur la mienne. Tes doigts, si fins, qui venaient chercher les miens. Tes doigts, si blancs, autour de cette baguette si sombre que je parvint à t’arracher. Malgré moi, je ne peux empêcher ton visage d’apparaître lorsque je ferme les yeux. Tes cheveux blonds et bouclés, la douceur de tes lèvres et de tes joues, ton regard bleu et troublant…
C’est ridicule. J’ai dépassé le siècle et pourtant je me sens comme un adolescent quand je me rappelle tes yeux.
C’est affreux. Je me dégoûte, penser à toi ainsi, je la trahis. Elle s’impose et le poids des âges et du passé m’écrase.
Quand je me souviens de toi, je ne peux l’ignorer. Son visage se superpose au tien. Son visage te chasse dans les profondeurs de mon esprit impie. Sa présence remplit mon cœur. De regrets. De remords. D’Ariana. Je me perds dans la douleur. Je me retrouve dans cette douleur. Les ombres de ma jeunesse égarée reviennent me hanter. Ces ombres me constituent. Je suis ces ombres. C'est la réalité de mon âme, rongée par le crime, rongée par les désirs égoïstes. Elle, elle voulait aider.
Elle, elle aurait dû vivre. Je l'ai tué.
Je le sais. C'est certain. Tu combattais Abelforth. Abelforth te combattait. Il n'y avait que moi, au milieu. Et elle, au milieu. Seul, moi seul ai pu l'atteindre. Je l'ai tué. Je t'ai accusé. La culpabilité était trop lourde à porter. J'ai voulu m'en persuader. Tout est de ta faute. Je voulais le croire. Je veux le croire. Ma prétendue sagesse disparaît dans la souffrance. Tu ressemblais au mal, tu étais le coupable parfait. Tu m'as corrompu, tu étais le démon. O démon angélique que j'adore!
Aujourd'hui, tandis que mes pieds battent la terre d'un pas régulier et décidé, je sais que tout est de ma faute. Tu n'y es pour rien, tu n'as été qu'un ami. C'est moi, moi qui fut orgueilleux et arrogant. Moi qui fut lâche et ambitieux. Un vrai serpent.
Lorsque ma mère est morte, mes espoirs, mes rêves de grandeur, se sont brisés. La mort, toute puissante, a repris ses droits sur la vie, sur ma vie. Ariana en était l'ange, involontairement. Il était évident que Kendra Dumbledore nous avait quitté par la faute de ma sœur. Pauvre émissaire innocente de la plus terrible des déesses... Je savais que c'était un accident. Je ne pouvais m'empêcher de lui en vouloir. Je restais auprès d'elle, par devoir, par amour aussi. Je n'étais pas patient, ni suffisamment attentif. Mais elle me supporta. Comme je regrette, maintenant ! Enfant capricieux que j'étais, je me souciais à peine d'elle. Après tout, elle avait gâché ma vie.
Et puis, tu es arrivé. Tu étais fascinant, blond comme un chérubin, intelligent comme moi, peut-être plus. Je me retrouvais en toi. Tu avais les mêmes projets, les mêmes passions. En quelques jours, je t'aimais déjà. Encore et toujours, je t'aime. J'omettais ma sœur, encore plus qu'avant. Tu accaparais mes pensées et mon cœur. Je voulais l'oublier, ma sœur. Alors, je me laissais bercer, immergé dans l'océan de ton regard.
Ensuite, vint ce fameux jour. Mon frère avait compris. Mon frère savait l'aimer, lui. Toi, peut-être m'aimais-tu aussi. J'aime à le croire. Vous vous êtes disputés. La violence a enflammé vos corps. Les traits lumineux bondissaient, ardents, vers l'autre. J'ai crié. J'ai sorti ma propre baguette. Ma première pensée fut pour toi, toi qui m'obsédais. Je voulais te protéger. Si mon frère, cet idiot, te blessait... Il fallait que cette dangereuse folie cesse. Il est apparu rapidement que tu étais plus fort, plus rapide, plus agile que ton adversaire. Soulagement. Stupide être que j'étais ! Personne, et surtout pas Abelforth, n'aurait pu te faire de mal. Alors, rassuré, mes pensées se sont tournées vers un autre objet. Vers mon frère.
Je l'aimais, c'était évident. Il semblait déjà fatigué. Face à toi, il n'avait aucune chance. C'était mon petit frère, de qui je devais prendre soin. Celui de qui je voulais prendre soin. Il fallait que le combat cesse. J'ai brandis ma baguette. Je me souviens du premier sort. Je tentais de vous désarmer. Vous n'y avez pas fait attention. Je ratai ma cible. A nouveau, je réessayais.
Je m'en souviens parfaitement. Le ciel noir est l'écran sur lequel se projette mes souvenirs. Les sortilèges traversent la pièce de part en part. Le souffle bruyant de mon frangin emplit mes oreilles. Tes cheveux blonds volent, heureux. Tu aimes ça. Dominer et jouer avec ta proie, tout comme tu balades mon cœur. Egaré et impuissant, je voudrais tellement vous arrêter.
Soudain, elle est arrivée. Belle et jeune. Innocente et fragile. Surprise comme la fleur qui voit le soleil pour la première fois. Horrifiée comme l'ingénue ignorante de la sauvagerie humaine. Pourtant, qui mieux qu'elle ne la connaît, leur barbarie ? Elle reste, immobile. Figée par l'impuissance. Ses yeux sont grands et doux. Ce n'est qu'une enfant... Il faut que cela cesse. Je le souhaite. Elle aussi.
Elle crie.
Elle crie. Elle vous dit d'arrêter. Elle s'avance, elle veut s'interposer. Abelforth tourne la tête vers elle. Tu ris de cette distraction, impardonnable dans un duel. Le sort luit au bout de ta baguette. Je veux intervenir. Mon frère fait un large mouvement avec sa propre baguette. Je tends la mienne devant moi.
Et, rien.
Son corps tombe, inerte, sur le parquet. Tes yeux bondissent dans leurs orbites, effrayés. Du coin de l'œil, je te vois fuir tandis que je me précipite vers ma sœur. Les pleurs déchirants de mon frère m'écorchent les tympans avec violence. Je ne comprends pas. Ariana est dans mes bras. Je pense que j'aurais dû faire ça avant, l'enlacer. Il y a longtemps. Mais, mous, ses bras pendent vers le sol. L'ange a rejoint son royaume.
Une larme brûlante coule sur ma joue. Un vent glacé profite de cette faiblesse pour m'attaquer. Ma poitrine est oppressée, par les souvenirs, par le passé. Mais je ne m'en soucie pas. Bientôt, je serai libre. Elle ne voulait pas y aller, je le sais. Ma sœur devait vivre, elle était faite pour ça. Elle avait tant de chose à découvrir. Résolu, mon pied se pose une nouvelle fois sur la terre du chemin. Je vais la sauver. Je marche. Enfin, je ne serai plus torturé. Je vais réparer le tort causé. Je me ferai pardonner. Une deuxième chance, c'est ce que je désire. C'est vers cela que j'avance. Les frissons d'excitations continuent d'engourdir mon corps.
Ariana, je pense à toi.
Une forme épaisse s'esquisse tout près. C'est une petite et misérable maison. C'est ce que je cherche. Je sais que c'est elle. Le salut m'attend à l'intérieur.
La Pierre de Résurrection.
Je vous accorde que cela fait capharnaüm. Mais c'est ma vision du sage Dumbledore en cet instant...