Je crois que je vais devenir folle. Je le sens grandir en moi, ce monstre, ce sentiment impérial et destructeur de jalousie, je le sens qui me ronge, qui me dévore toute entière, et qui me crie de faire quelque chose, n’importe quoi, vite, tout de suite, pourvu qu’elle se décolle enfin de lui.
Je n’en peux plus. Je sens que je vais craquer et faire quelque chose de stupide et irréfléchi. C’est toujours comme ça, tout le temps, partout je les vois, elle et lui, lui et elle, et moi je reste sur le carreau, l’âme en peine et le cœur en miettes. C’est comme s’ils valsaient sur ma tombe, la tête en arrière, la gorge déployée, le rire destructeur, et que mon corps était déchiré par des millions de longs ciseaux acérés.
Désormais, les gens me regardent avec un air de pitié quand ils me voient. Tout le monde sait à quel point je l’aime, Ron, c’est écrit sur mon visage, dans mon attitude, dans ma manière de parler, de me tenir et dans l’absence de mes sourires. Tout le monde le sait, sauf lui, évidemment. Je suis sure qu’elle le sait aussi. Elle ne me sourirait pas aussi hypocritement si elle l’ignorait. Elle me dégoute, et je crois que malgré les sentiments que j’ai toujours pour lui, il me dégoute au moins un peu lui aussi. J’ai envie d’arracher son sourire de son visage, de leurs visages, et de les piétiner, de les briser comme elle a détruit mon cœur, comme il a détruit mon cœur, comme ils ont détruit mon cœur.
Silencieusement, Harry passe à côté de moi, il me regarde en coin, et avec un sourire gêné, comme s’il n’osait pas regarder ma souffrance, il serre mon épaule rapidement avant de monter se coucher. Il ne reste que moi, dans la salle commune, assise dans un coin sombre, moi qui tente de finir mon essai de Défense Contre les Forces du Mal et qui suis surement un peu masochiste, parce que j’aurais pu le faire à la bibliothèque pour éviter de les voir rentrer de là où ils étaient avant — une salle de classe vide, l’ombre d’une statue, peut-être même la Salle sur Demande. Mais non, je suis là, les yeux rivés sur mon essai, et quand le portrait de la Grosse Dame pivote, je lève aussitôt les yeux vers ce qui m’y attend, vers ce spectacle qui me déchire le cœur un peu plus tous les jours.
Il tient sa main dans la sienne et il embrasse ses doigts avec tant de tendresse que mon cœur aurait fondu comme de la guimauve autour d’un feu de camp, si ça n’avait pas été lui et elle. A la place, je sens le trou béant dans ma poitrine s’ouvrir un peu plus. Elle sourit et l’attire contre elle, et quand ses mains se perdent dans les cheveux flamboyants de Ron je mords ma langue, et quand leurs lèvres se frôlent, ma main se resserre si violemment autour de ma plume que je la brise en deux.
— Je t’aime, murmure-t-il en enfouissant son visage dans son cou.
Elle soupire de contentement et moi j’implose une fois de plus, en silence. Ces trois petits mots que j’ai passé des mois et des mois à attendre, il ne me les a jamais donnés. Pour que je les entende il a fallu qu’il les offre à une autre. Même ça, elle me l’aura pris. Elle, la fille populaire que tout le monde admire et respecte. Elle, la fille qu’il aime, qu’il a toujours aimée, et qu’il a toujours préférée. Même quand nous étions ensemble.
Il la raccompagne au pied des escaliers qui mènent à notre dortoir.
— Bonne nuit, mon Hermione, lui dit-il tendrement avant de l’embrasser une dernière fois.
Ils se séparent et moi je reste là pendant plusieurs minutes, seule et dévastée. Quand je monte à mon tour me coucher, je n’ai même pas mon essai de Défense Contre les Forces du Mal avec moi. Il est fichu, baigné par mes larmes, de toute façon.