Dimanche 22 mars 1998
Ce midi, Bill et Fleur sont venus déjeuner à la maison. Ça a été comme une bouffée d’oxygène dans l’atmosphère pesante de la terreur qui règne dans toute la communauté. Toute la semaine, j’ai attendu leur visite avec impatience, j’étais persuadée qu’ils viendraient nous annoncer un heureux évènement à venir. Mais lorsque j’ai mis le sujet sur la table, ils ont démenti mes suppositions, nous expliquant qu’ils attendaient que la situation s’améliore afin de permettre à leurs enfants d’avoir la possibilité de grandir dans un monde moins chaotique. Finalement, je comprends leur point de vue. Mais la hantise de mourir m’envahit nuit et jour et mon plus grand regret serait alors de ne jamais connaître mes petits-enfants.
Alors qu’on s’apprête à entamer le dessert, Fred et Angelina Transplanent au beau milieu du jardin : depuis quelques temps, seuls les membres de la famille et quelques membres de l’Ordre du Phoenix le peuvent. On a beau savoir ça, quand on entend le bruit distinctif du Transplanage, on ressent une boule à l’estomac, craignant des invités indésirables ayant réussi à s’infiltrer chez nous, jusqu’à ce qu’on reconnaisse les visages familiers.
Ça fait déjà quelques mois qu’ils se sont remis ensemble, pas longtemps après le mariage de Bill, d’ailleurs. D’après ce que George m’a dit, ils se sont vaguement fréquentés à Poudlard au moment du Tournoi des Trois Sorciers. Angelina est une fille gentille, même si je trouve qu’elle manque légèrement de féminité. La faute au Quidditch, je crois : Angelina a été Poursuiveuse dans l’équipe de Gryffondor pendant cinq ans, et elle a une silhouette assez athlétique. Elle a entamé une carrière sportive chez les Harpies, mais Fred m’a dit qu’elle hésite encore et qu’elle abandonnera peut-être tout ça lorsque les choses se calmeront au ministère.
George ne les accompagne pas aujourd’hui, il est occupé à préparer leur émission de radio avec Lee Jordan. Je m’inquiète beaucoup, parce que Potterveille a du succès, et j’ai peur que des Raffleurs finissent par trouver leur cachette. Ils me disent qu’ils changent tout le temps d’endroit, mais je ne suis pas très rassurée malgré tout.
Bill rajoute deux assiettes à table et j’apporte la tarte aux pommes que j’ai faite dans la matinée. Les garçons se régalent et finissent les derniers morceaux. Nous abordons des sujets de conversation assez banals pour ne pas avoir à parler des mauvaises nouvelles, mais elles occupent toutes nos pensées. Puis, nous parlons de Harry, de Ron et d’Hermione. Je ne me souviens plus comment on en est venus à parler d’eux, mais ce n’est pas le plus important. Je m’inquiète beaucoup pour eux, quoi de plus normal, et j’ai beaucoup de mal à ne plus en vouloir à Arthur de les avoir laissés partir : le danger a fini par tous nous rattraper, mais eux, ils ont décidé d’aller au-devant du péril, de s’y confronter.
Fred remarque tout de suite mon air désemparé et dans la cuisine, tandis que je dirige ma baguette vers la pile de vaisselle pour qu’elle se lave toute seule, il vient me voir pour essayer de me réconforter.
« Ne t’inquiète pas, Maman, il reviendra à la maison, Ron, tu sais, une fois que tout ça sera fini. »
J’acquiesce sans vraiment réfléchir, histoire de bouger la tête puisque visiblement, je suis incapable de bouger le reste de mon corps.
« J’aimerais tellement vous avoir tous à la maison, comme avant, » je lui confie.
« Aucune chance, » déclare Fred. « Si ce crétin de Percy débarque un jour, vous n’aurez aucune chance de me revoir : avec Angelina, on s’enfuira à l’autre bout du monde. »
Même s’il me blesse un peu en disant cela, je reconnais bien mon fils : il a toujours fait des blagues pour détendre une atmosphère pesante ou sortir quelqu’un de la déprime.
« C’est vraiment sérieux, entre vous, hein ? »
Je ne sais pas si j’aurai une réponse de la part de Fred. Quand il s’agit de parler sérieusement, il détourne toujours l’attention. Mais apparemment, aujourd’hui, j’ai de la chance.
« Ben, j’en sais rien, ça marche pour l’instant… C’est ce qui compte. »
C’est une réponse digne de Fred, tout de même. J’ai envie d’en savoir plus, et je pousse ma chance à lui poser une autre question :
« Tu envisages d’aller plus loin avec elle, non ? »
« Comme quoi ? Le mariage ? »
Il a répondu précipitamment. Un peu trop peut-être, ce qui me fait penser qu’il a sûrement déjà réfléchi à la question.
« Eh bien, je ne sais pas, à toi de me dire, Fred. »
Il se met à réfléchir et je contemple mon fils, suspendue à ses lèvres. Je ne sais pas vraiment si j’ai envie qu’il dise oui, malgré tout, si sa réponse est négative, j’aurai un petit pincement au cœur.
« Je pense que oui, ça pourrait être envisageable. »
Soudain, je suis prise de vertiges et je me retiens à la rampe de l’escalier. Fred s’avance et me soutient.
« Eh bien, Maman, il t’en faut peu pour être émue ! »
« Bien sûr, mon fils m’annonce qu’il est prêt à se marier, tu ne peux pas t’attendre à ce que ça ne me fasse rien du tout ! »
« Je n’ai pas dit que j’étais prêt, juste que c’était envisageable. »
Il m’adresse un sourire espiègle et pendant quelques secondes, j’oublie tout : la guerre, la menace des Mangemorts et des Raffleurs, la scission de notre famille, peut-être irréversible, et la mort qui nous guette. Pour l’instant, il n’y a que le sourire de Fred qui compte. Son sourire, son amour pour Angelina, et la façon dont il me regarde, cette malice que je n’ai jamais complètement saisi jusqu’à cet instant de complicité.
« Qu’est-ce qui est envisageable ? »
Je me retourne : c’est Angelina, elle se tient sur le seuil de la porte, les deux pieds joints sur le sol de pierre éclairé par les rayons du soleil, quelque chose de si rare en ce moment.
« Alors ? »
Elle croisa les bras et Fred m’adressa un nouveau regard avant de s’avancer vers elle, tandis que je retourne vers l’évier et attrape une éponge et une assiette dans le bac à vaisselle. J’essaie de garder les yeux rivés sur la vaisselle, mais je ne peux pas m’empêcher de regarder Fred s’avancer vers elle, d’un pas trop lent pour qu’il ne soit pas entièrement calculé.
« Alors, ça te dirait qu’on se marie ? »
L’assiette me glisse entre les doigts et tombe dans un fracas. Je ne m’y attendais pas du tout. Je m’agrippe au rebord de l’évier, sentant mes jambes flancher. Ça me fait tout drôle, j’ai l’impression qu’hier encore, je punissais mon fils de cinq ans qui chapardait les fonds de coupe de champagne de Tante Muriel…
Angelina non plus ne s’y attendait pas, on dirait, vu la façon dont elle considère Fred.
Evidemment, je suis de trop dans cette petite cuisine. Merlin bénisse Arthur le jour où il a construit cette petite porte qui donne directement sur le jardin ! Je me faufile discrètement en laissant mes deux tourtereaux continuer leur conversation.
Je cherche à m’occuper : le linge n’est pas étendu, qu’à cela ne tienne, je m’y attèle. Mais je ne prends pas ma baguette, je préfère le faire de mes mains. En suspendant un grand drap blanc sur la corde à linge, je repense à ce jour où Fred et George s’étaient glissés sous un drap pour faire peur à Ron. A l’époque, ils étaient si innocents… Enfin, aussi innocents que Fred et George pouvaient l’être… Et aujourd’hui, Ron s’est enfui avec Harry et Hermione, George est mutilé à vie, et Fred demande Angelina en mariage. Une vie de fous, moi je vous le dis !
Pourtant, je ne peux m’empêcher de sourire. Et quand Arthur rentre du travail, il me retrouve au milieu des parterres de fleurs à chasser les gnomes et me demande :
« Qu’est-ce qui peut bien te faire sourire à ce point ? »