30 juin 1997
Mes pas me mènent à ma déchéance. L'un après l'autre, ils m'enchaînent à la destinée que j'exècre. Si seulement j'avais pu vivre libre, dans un monde sans le Seigneur des Ténèbres, sans la guerre et sans ces mauvaises décisions qui n'étaient pas des décisions.
Je suis marqué comme du bétail, prouvant mon appartenance, mon allégeance à un Maître dont le dessein me dépasse totalement. Et nous sommes tous, Mangemorts et sympathisants, tremblant de peur, tremblant d'effroi devant la monstruosité qui nous mène à la baguette, nous menaçant, nous méprisant. Cet ersatz d'homme est bien plus effrayant que tout ce que j'ai connu alors.
La théorie du Sang dans laquelle je baigne depuis ma naissance, dans laquelle se vautre ma famille comme des véracrasses dans la vase depuis des générations, est un véritable fléau. Cette théorie supposant la supériorité de la magie des Sangs Purs sur celle des Sangs Mêlés ou des Sangs de Bourbe, ne se vérifie même pas. Quand on voyait la médiocrité d'un Vincent Crabbe et l'excellence d'une Hermione Granger. Tout ceci est ridicule et nauséabond, et justifie les actes les plus vils.
Mais ma famille me lie à ces convictions. Mon amour pour Père et Mère et la peur de les déshonorer, me poussent à commettre l'irréparable. Inviter des Mangemorts dans une école accueillant des enfants et tuer de mes mains Albus Dumbledore, qui ne m'a jamais causé le moindre mal.
Ce sont des miettes d'honneur qui me poussent à mépriser tout cela, l'amour que je porte à mes parents qui m'oblige à subir et faire subir. Et cette satanée trouille qui m'empêche de me défiler, et me paralyse à l'idée que je vais devenir un meurtrier.
Mes pas me mènent à mon terme, et à ce moment où je vais atteindre le point de non-retour. Je suis au septième étage, devant le mur où se cache la Salle sur Demande.
Je marque un temps d'arrêt. Mes épaules et la commissure de mes lèvres s'affaissent. Mais il est hors de question que je craque. Je tente d'apaiser les battements de mon cœur et mes boyaux qui se tordent dans tous les sens. Il est également hors de question que je tombe à quatre pattes au sol pour vider mon estomac. Je serre les dents, les poings, et respire. Quand tout ce qui ressemble de loin à une émotion s'est éloigné de moi, je marche d'un pas vif, le long du mur, trois fois, en pensant à la Salle sur Demande et à l'Armoire à Disparaître, jusqu'à ce qu'une insignifiante double porte de bois apparaisse, que je franchis.
Je me retrouve dans l'indescriptible capharnaüm composé de tous les objets cachés, brisés, volés par des générations et des générations d'élèves de Poudlard, certainement bien plus insouciants que je ne me trouve maintenant. Je connais ce dédale d'objets hétéroclites, entassés en des piles branlantes, par cœur. Je retrouve sans problème mon chemin jusqu'à l'Armoire à Disparaître, au bois brun, dont je connais chaque nœud, chaque clou. Mon cœur a un dernier soubresaut à l'idée de ce que je vais faire, quand quelque chose atterrit lourdement dans l'Armoire, agitant celle-ci comme un épouvantard dans une malle trop petite. Ma main qui ne tremble pas ouvre les portes, et Fenrir Greyback en sort. Le Mangemort est engoncé dans sa tenue noire et ne porte pas de masque, son visage suffit à effrayer n'importe qui.
"T'as mis le temps", grogne-t-il en descendant. Il se plante derrière moi en attendant, domestiquant à grand peine sa rage et sa faim. Il y aura des morts, ce soir. Mon cœur ne se serre plus. Il est devenu pierre, ou glace, inutile, dans ma poitrine. J'ouvre encore et encore les portes, pour en faire descendre les Carrow, tous deux se concurrençant sur le plan de la hideur. Puis viennent un immense Mangemort blond dont je ne me souviens plus du nom, et cinq autres hommes en noir. Nous avons tous un moment d'arrêt, et tous les regards se tournent vers moi. Je laisse passer quelques secondes avant de tourner les talons et repartir dans le dédale de meubles branlant, jusqu'à la porte de la Salle sur Demande que nous franchissons en courant.
La course qui s'ensuit et son issue ultime, se passent très vite, mais les jours après, je vais décortiquer encore et encore ces scènes jusqu'à en ressentir l'écorchure de la culpabilité. Jusqu'à sombrer. Jusqu'à m'annihiler.
J'ai fait entrer dix Mangemorts dans l'école. Tous des petits soldats fiers d'aller au combat, un par un, fiers de répandre la terreur que leur impose leur Maître. Mangemorts anonymes, le visage masqué et la silhouette camouflée par la cape noire. Et Mangemorts que je reconnais et redoute. Greyback et sa rage à peine contenue, qui œuvre autant pour le Lord que pour ses propres convictions : s'armer de lycanthropes. Les jumeaux Carrow et leur servilité écœurante.
A un moment de notre course, nous tombons sur quelques élèves de sixième année, appartenant à l'Armée de Dumbledore. Au devant de tous, Ginny Weasley, la chevelure flamboyant autant que le courage, qui, un épais parchemin à la main, lance un sort vers nous avant de crier à l'assaut, et d'encourager ainsi ses amis à la suivre. Amis. Ca veut dire quoi, amis, pour un de ces stupides Gryffondor ? Certainement pas la même chose que pour un Serpentard. Ma famille, ma Maison, le Maître, m'ont appris quelque chose sur les relations humaines : rien n'est gratuit.
Des sorts commencent à fuser. Les Gryffondor sont plus nombreux que les quelques Serdaigle et Poufsouffle. Stupides lions, toujours là, toujours loyaux, toujours à défendre le plus grand bien au lieu de se planquer comme des adolescents terrorisés. Je remarque juste l'absence du petit pote Potter, et n'ai aucune hésitation. Je prends dans une de mes poches la poudre du Pérou, vendue par les frères Weasley, et en jette dans le couloir une grosse poignée, le plongeant aussitôt dans des ténèbres insondables. Je saisis alors la main de gloire, répugnant artefact, qui n'apporte de lumière qu'à son porteur, me permettant ainsi de guider les Mangemorts vers la Tour de l'Astronomie. Passant près d'une fenêtre, Gibbon s'arrête quelques secondes, retrousse sa manche, laissant la lune éclairer son tatouage hideux, et murmure "Morsmordre", faisant apparaître dans le ciel la marque verdâtre. Un leurre pour d'autres éventuels adversaires.
C'est alors qu'arrivent l'ancien professeur Lupin, ainsi qu'un des frères Weasley, le plus grand, il me semble, avec des cheveux roux et longs, retenus par un catogan, et une jeune femme aux cheveux gris. L'Ordre du Phoenix, la dernière poche de résistance. Mc Gonagall est là aussi, elle dit quelque chose au minuscule professeur Flitwick qui part en courant chercher de l'aide, sûrement. Un combat se déclenche immédiatement, des éclairs fusant. Je me cache derrière Amycus, lançant à l'aveugle des sorts qui n'atteignent personne. Je n'y mets pas toute ma volonté. Je ne peux penser qu'à ce que je dois accomplir. Le premier assassinat pour être digne de la Marque des Ténèbres. Annuler une vie pour affirmer cette allégeance que je vomis. Amycus me pousse dans les escaliers, grognant qu'ils me couvrent, et je n'ai plus d'autre choix que de monter.
La tour m'est familière, et une curieuse impression d'être bienvenu me saisit, me gênant et faisant remonter à la surface mes tourments. Albus Dumbledore me voit entrer, et fait un geste de la main sur sa droite. Comme un salut épuisé. Il est livide, de larges cernes grisent son regard qui a bien du mal à être malicieux comme à son habitude. Il est appuyé contre le mur et maintient contre lui une de ses mains, recroquevillée comme une serre et grise comme une main de gloire. Il me salue d'un discret sourire.
"Expelliarmus", dis-je d'une voix mal assurée, désarmant le vieil homme avec une facilité déconcertante. Et je me tais, décontenancé par ce que je dois faire maintenant, faisant tourner dans mes doigts tremblants la baguette de Dumbledore.
Je vais donc le faire. Je vais donc tuer.
J'enfouis dans une de mes poches cette baguette dont je ne sais que faire, ainsi que la main de gloire qui ne me sert plus. Nous discutons comme de vieux amis de ce que j'ai accompli et comment j'ai fait pénétrer des Mangemorts dans Poudlard, malgré ses protections. Dumbledore semble me regarder d'un autre œil, presque avec fierté, et moi, je n'ai envie que de vomir, d'être ailleurs. De fuir.
"Drago, tu n'es pas un tueur."
"Qu'en savez-vous ?"
Autant de discussions inutiles. Il reste le professeur et moi l'élève. Il reste la victime et le bourreau a envie de rendre son quatre heures. Je brandis ma baguette, distrait par un hurlement de douleur provenant du couloir et des bruits de lutte, les sorts venant frapper les murs, les plafonds, les chairs...
C'est alors que Dumbledore me propose de me protéger. Moi. Son assassin. Ainsi que ma mère. Mais j'étouffe vite l'espoir que cela fait naître en moi. Non. Je ne peux pas. Je sens faiblir ma volonté tandis qu'un deuxième hurlement de douleur, déchirant, aigu, provenant de je ne sais quelle créature écorchée, me vrille les tympans, nous coupant dans notre conversation. J'entends aussi un bruit de cavalcade dans les escaliers. Des Mangemorts nous rejoignent. Je n'ai définitivement plus le choix. Je suis fait comme un rat.
Amycus Carrow et Fenrir Greyback qui a la face et les mains barbouillée de sang, pénètrent dans la tour, tandis que les bruits de lutte continuent à se faire entendre à l'étage en dessous. Une présence gênante vient dans mon dos, tandis que Greyback dit que je suis un dégonflé, et s'apprête à prononcer l'Impardonnable, retenu aussitôt par son comparse. Rogue est là, avec ses yeux noirs et son nez crochu, silhouette menaçante. Un énorme fracas vient rompre la tension présente. Un plafond effondré ? Je sens quelque chose se tordre en moi, tandis que Dumbledore supplie Rogue d'une voix brisée. Je brandis toujours ma baguette, ma main tremble malgré moi, mes doigts paralysés autour d'elle. Rogue brandit la sienne, prononce "Avada Kedavra" en ne quittant pas des yeux Dumbledore, qui a son regard rivé au mien. Avec une lenteur et une grâce déconcertantes, le grand corps maigre de Dumbledore se plie sur lui-même, se détend, et bascule en arrière, tandis qu'il exhale son dernier souffle. Il passe par-dessus le rempart, et tombe.
Je sens une serre se refermer sur mon épaule, avise les deux balais posés contre le mur que je n'ai pas remarqué en entrant, et me laisse entraîner par Rogue. Je ne peux plus réfléchir. Mon esprit bute contre l'idée que j'ai été complice d'une abomination. D'un meurtre. Que mon âme est irrémédiablement corrompue. Que je vais mourir, et ma famille avec moi. Et notre nom. Et que nous allons tous souffrir.
Mon cerveau enregistre presque malgré lui des images alors que je cours derrière Rogue, sa main toujours crispée sur mon bras. Le grand Mangemort blond bataille ferme avec la flamboyante Ginny Weasley, qui semble douée d'une chance folle et évite tout sort, tout comme son frère aux prises avec Alecto. Un corps est allongé, répugnant de sang, comme digéré, contre le mur, et porte lui aussi de longs cheveux roux, qui seuls témoignent de son identité. Rogue saute par-dessus un Neville qui parait bien faible, tout en envoyant à l'aveugle des traînées de lumière derrière lui.
Nous ne pouvons plus passer par le couloir effondré de la Salle sur Demande, Rogue me traîne vers un passage secret et nous traversons le dortoir de Poufsouffle ensommeillés et effrayés. C'est alors que je me rends compte que le petit pote Potter nous poursuit, ainsi que le grand Mangemort blond, et les Carrow qui nous talonnent. Des sorts fusent de toutes parts, et nous courons à perdre haleine, comme si notre vie en dépendait encore. Comme si notre mort avait de l'importance.
Je ne sais comment nous traversons la Grande Salle où le sablier des Gryffondor éclate à notre passage, vomissant ses rubis sur le sol. Rogue me maintient toujours et je le suis, sans plus aucune volonté, le cerveau comme enrayé. Un sort frôle le Mangemort blond qui se retourne, prêt à se battre, et s'abat au sol, touché. Nous franchissons les portes de la Grande Salle. Le petit pote Potter est juste derrière nous, je ne sais comment il a gagné tant de distance sur les Carrow, un passage secret sans doute. Il lance un sort qui frôle Rogue, le traite de lâche et celui-ci me libère pour faire face à l'arrogant fils Potter, furieux. Je continue à courir vers les grilles salvatrices de Poudlard, vers l'endroit où nous pourrons transplaner.
C'est alors que mon cerveau se remet en route. Je dois fuir quoi, exactement ? Retourner vers le Maître ? Jamais. Je pense alors à une conversation avec Goyle qui, pour sortir de l'ordinaire, était intéressante. Ses vacances dans l'endroit le plus isolé d’Écosse. Au moment de transplaner, je pense donc à Brodrick, me remémore la photo de l'Ile d'Arran, près du minuscule village portuaire, et m'apprête à transplaner quand mon cœur se serre à l'idée d'abandonner mes parents à un sort peu enviable. Je commence à faire le tour sur moi-même, ressens la familière sensation d'écrasement, et d'étouffement, et me déchire littéralement.