- Est-il vraiment nécessaire de porter un tel accoutrement ?
Voilà plus d’un quart d’heure que John Granger se regardait dans le miroir de la salle de bains. Et il était loin d’être satisfait de l’image qu’il avait de lui-même à cet instant. Il avait revêtu un vêtement sorcier des plus basique mais il n’arrivait pas à se faire à l’idée qu’il portait une robe.
Une robe !
- Je t’ai déjà dit que je voulais qu’ils se sentent à l’aise et qu’ils ne soient pas trop dépaysés ! répondit sa femme Elisabeth depuis la chambre à coucher parentale.
- Oui mais de là à porter une robe tout de même…
Cet après-midi, les Granger recevaient de la visite. Et pas de n’importe qui : la future belle-famille de leur fille était invitée à venir prendre le thé. Ce n’était pas la première fois qu’ils se voyaient, puisque les Granger avaient été à l’anniversaire de Ron en mars, mais cette fois-ci, ils étaient sur leur propre terrain. Dans leur monde. Et il faut dire qu’ils étaient tous les deux particulièrement impatients de le leur faire découvrir.
Elisabeth apparut sur le seuil de la porte, habillée elle aussi de pied en cape. Pendant l’espace d’une seconde, John se demanda comment réagiraient les voisins si par mégarde ils les voyaient habillés ainsi… Non vraiment, il y a certaines choses auxquelles il n’était pas près de s’habituer.
Sa femme le fusilla du regard dans la psyché et croisa les bras sur sa poitrine.
- Tu veux dormir sur le canapé cette nuit et tester ses ressorts, chéri ? lui demanda-t-elle.
Il comprit l’allusion et sa femme disparut de nouveau. Il en profita pour croiser les mains contre sa poitrine et bomber le torse :
- Tu veux dormir sur le canapé ? répéta-t-il avec une toute petite voix, histoire qu’elle ne l’entende pas.
- Et arrête de m’imiter ! s’écria-t-elle depuis la chambre, ce qui le fit presque sursauter.
Hein ? Elle l’a vu ou quoi ? Est-ce que leur fille avait jeté un sort au mur ? Ou alors à sa femme ?
Il se promit de vérifier le soir-même.
« On n'a pas l’air bêtes comme ça, à attendre devant la cheminée sans bouger » pensa Mr Granger. Néanmoins, il préféra ne pas dire ça à voix haute, sa femme l’aurait sans doute égorgé avec sa toge. Comme à chaque fois qu’elle était stressée, Elisabeth devenait nerveuse et très irritable. Il se demanda même si elle avait pris sa respiration depuis les trois dernières minutes. Heureusement pour eux, les Weasley étaient ponctuels. Plus que quatre minutes à attendre debout devant la cheminée – oui parce que sa femme ne voulait pas qu’il s’asseye, pas assez accueillant à son goût – avant que leurs invités ne se présentent.
- J’espère qu’ils vont aimer mes petits gâteaux, balbutia Elisabeth en se rongeant les ongles.
Mr Granger manqua de s’étouffer d’indignation.
- Tes petits gâteaux ? Tu les as achetés !
« Et encore heureux » pensa-t-il avec soulagement. Sa femme lui jeta un regard d’avertissement et il comprit qu’il n’avait pas intérêt à révéler ce petit secret à leurs invités. Il faut avouer qu’à coté des talents culinaires de Molly, Elisabeth faisait pâle figure. Pire même, fantomatique.
H - 3 minutes : devant la cheminée, un sourire fraîchement détartré aux lèvres.
H - 2 minutes : toujours devant la cheminée, avec le même sourire qui commence à trembler.
H - 1 minute : pas bougé mais John sentait qu’une crampe à sa joue gauche faisait son apparition.
Pattenrond frôla ses jambes et il jura avoir vu ses yeux se lever au ciel, comme s’il trouvait cette comédie particulièrement stupide. John fut quelque peu rassuré de savoir qu’il n’était pas le seul à croire sa femme folle. A vingt-sept secondes de dix-sept heures, Elisabeth jugea que sa tenue ne lui allait absolument pas et qu’elle voulait se changer. Son mari la raisonna, tout en se demandant comment diable, il avait réussi à ne pas se pendre avec sa cravate à cause de sa lunatique de femme. A dix-sept heures précises, la cheminée commença à crépiter, annonçant l’arrivée des Weasley.
Et on peut dire que leur entrée fut fracassante.
Avant d’avoir compris ce qui leur arrivait, John, Elisabeth et leurs sourires éclatants de blancheur furent couverts de suie de la tête aux genoux. Ils toussèrent à s’en arracher les poumons, leurs belles robes rouges bordeaux et leurs visages couverts de noir. Voilà ce qui arrive quand on se tient trop près d’une cheminée d’arrivée !
John se sentit tiré au niveau de la manche et se tourna vers sa femme qui lui murmura un « Je vais te tuer, John Granger».
Et pour cause, elle lui avait demandé de ramoner la cheminée le week-end précédent. Mais il avait préféré regarder le match de foot à la télé.
- Oh ! s’exclama Molly Weasley. Je suis sincèrement désolée !
D’un coup de baguette magique, hop! Ils furent de nouveau propres. La cheminée émit un autre crépitement, annonçant une nouvelle arrivée. John nettoya ses lunettes sur lesquelles il restait encore un peu de suie et quand il les remit sur son nez, il manqua d’éclater de rire. Visiblement, les Weasley avaient voulu faire un effort vestimentaire et s’étaient habillés pour la circonstance. Molly portait un espèce de Patchwork-Pull informe de plusieurs couleurs tandis que son mari avait une chemise d’un vert criard assorti au pantacourt qui lui arrivait au niveau des mollets, laissant apparaître des chaussettes blanches remontées très, très haut.
John essaya tant bien que mal de conserver son sérieux et, voyant qu’il y arrivait de moins en moins, se pinça discrètement la cuisse. Trop fort sans doute car il en eut les larmes aux yeux.
- Ça va chéri ? s'alarma Elisabeth.
- Oui, oui, marmonna-t-il, pas convaincant pour un livre.
- Je crois qu’il est sensible au fait que Molly et moi nous soyons habillé comme les gens de chez vous, dit Arthur.
Sensible, ce n’était pas vraiment le mot que le susnommé aurait employé… Il les salua à son tour et ils s’installèrent sur les canapés après que leurs hôtes les eurent débarrassés. Elisabeth et lui prirent des nouvelles de la grande famille Weasley puis la maîtresse de maison s’empressa d’aller chercher ses gâteaux et préparer le thé.
- C’est délicieux, dit Molly tandis qu’Arthur s’emparait une troisième fois d’un petit gâteau. Quelle est votre recette ?
Elisabeth rougit et son époux cacha son sourire en buvant une gorgée de thé.
- Oh, c’est une recette qui me vient de… euh… mon arrière grand-mère !
- Ah je comprends, les recettes traditionnelles sont les meilleures. Les miennes me viennent de ma mère.
- Vraiment ?
Commença ainsi une discussion sur la préparation de gâteaux. John se tourna alors vers le père de Ron.
- Alors Arthur, ma fille m’a dit que vous occupiez un poste au sein du Ministère de la Magie ?
- Oui, je suis directeur du Bureau de détection et de confiscation des faux sortilèges de défense et objets de protection.
- Ah, marmonna John. C’est très euh… intéressant.
Il n’avait pas la moindre idée de ce que cela pouvait bien être, mais il avait bien compris qu’il était à la tête de ce service. « C’est plutôt une bonne chose », jugea-t-il.
- Hermione nous a dit que votre femme et vous vous occupez des dents des Moldus, c’est bien cela ? s’enquit Arthur (John acquiesça). C’est fabuleux de venir son prochain, vous faites un métier de cœur.
« Un métier de cœur ? » se demanda John avec étonnement. Fouiller dans la bouche de ses patients n’avait rien de fabuleux. D’ailleurs, l’état bucco-dentaire de quelques uns de ses patients lui donnait parfois envie de prendre sa retraite bien plus tôt.
Peut-être Arthur pensait-il qu’il n’était pas payé ou quelque chose comme ça. Ou alors cela ne fonctionnait pas comme de leur côté.
- Et vous les Sorciers, comment faites-vous quand vous avez un problème buccal ?
- En général, on règle ça avec un sort, répondit le roux dégarni en haussant les épaules comme si c’était la chose la plus naturelle. Mais d’autre fois, il vaut mieux consulter un Médicomage. Tenez par exemple, une fois Septimus – mon frère décédé – a mal exécuté un sort de blancheur sur ses dents. Elles sont toutes tombées et une autre langue a poussé dans sa bouche avant même qu’il n’ait eu le temps de cligner des yeux !
Arthur rit à ce souvenir. Son frère avait plus séjourné à Ste Mangouste dans sa jeunesse que chez leurs parents. Avisant l’air horrifié de son interlocuteur, il perdit bien vite son sourire et s’empressa d’ajouter, pour le remettre un peu de son choc :
- Mais il a été à l’hôpital sorcier sans tarder, heureusement.
- Ah oui, Hermione nous a déjà parlé de cet hôpital. Sainte-Palourde ou Sainte-Langoustine…
- Sainte-Mangouste, oui. Deux jours plus tard, ses dents étaient comme neuves. La morve de Troll étalée sur ses gencives a été très efficace.
- La morve de… de t-troll… bégaya John en pâlissant.
- Oui je vous l’accorde, l’odeur qu’il dégageait aurait fait fuir un Détraqueur. Mais c’était le prix à payer s’il voulait manger à nouveau des aliments solides.
John but une gorgée de thé pour éviter d’avoir à répondre. D’ailleurs, que pouvait-il bien lui dire? Que lui aurait préféré être condamné à boire de la soupe ou manger mixer que de subir une telle chose ? Il eut une pensée pour sa belle-mère dont le dentier tombait à chaque fois qu’elle riait un peu trop fort. Du coup, plus personne ne faisait de blagues en sa présence.
Quand ils eurent terminé de boire le thé, les deux femmes se hâtèrent de débarrasser la table – Molly insistant pour aider la maîtresse de maison – avant qu’elles n’expriment toutes les deux la volonté d’aller faire un tour dans les environs. Molly se montra particulièrement pressée de découvrir « Le centre commercial ».
Une fois leurs femmes parties et restant seul avec Arthur, John se demanda ce qu’ils pouvaient bien faire pour s’occuper. Voilà le problème quand on recevait des gens qu’on ne connaissait pas bien : il est très dur de trouver une occupation. Le sorcier parcourait la pièce du regard, les yeux pleins de questions quand il voyait quelque chose qui l’intriguait. John savait bien que Mr Weasley était un passionné de tout ce qui touchait au monde « Moldu ». Hermione lui avait dit qu’il avait une véritable armada d’objets en tout genre, dont une impressionnante collection de prises électriques.
Des prises électriques !
- Je vous fais visiter la maison, peut-être ?
Le roux se tourna vers lui et le regarda avec émerveillement :
- Vraiment ? J’en serais très honoré !
- Suivez- moi.
Ils se levèrent tous les deux et prirent le chemin du couloir d’entrée.
- Vous avez une très jolie maison, complimenta Mr Weasley.
- Merci, c’est vrai que ma femme accorde beaucoup de temps à la décoration. « Et aussi d’argent » songea-t-il.
C’est vrai que mis à part Ronald, aucun des Weasley n’avait jamais mis les pieds chez eux. Arthur regarda les photos que sa femme avait suspendu tout au long du mur. Il avait sûrement mille questions en tête sur tous ces instants que lui jugeait normaux mais que lui ne connaissait pas. Son regard se porta un long moment sur une photographie d’Hermione à cinq ans, tout sourire à son club d’équitation.
- Ce sont des chevals ?
- Des chevaux, corrigea Mr Granger avec un sourire.
- Ah, marmonna Arthur, visiblement très perturbé. Ça ressemble vraiment à des chevals en tout cas.
Richard dut se retenir très fort d’éclater de rire face à cette réplique digne d’un enfant de quatre ans et préféra laisser tomber, il ne se sentait pas de donner un cours de grammaire. Les yeux légèrement plus brillants, il le mena à la cuisine.
- Qu’est-ce que c’est que ça ? demanda soudain son invité
- Quoi donc ?
- Ce bruit étrange…
John mit plusieurs secondes à comprendre de quoi il parlait : le lave-vaisselle que sa femme avait certainement mis en marche avant de s’en aller.
- C’est un lave-vaisselle, ça sert à… Attention !
Arthur s’était approché d’un peu plus près et, rongé par la curiosité, avait ouvert le porte du lave-vaisselle, faisant ainsi gicler l’eau dans sa figure. Surpris, il recula de trois pas et écrasa la queue de Pattenrond qui avait eu l’infortune de se trouver là. Le chat orange poussa un miaulement furieux qui fit sursauter le sorcier. D’un bond d’une agilité déconcertante pour une personne de son âge, il se retrouva à côté de l’étagère à épices qu’il percuta sans le vouloir et ils virent tous les deux avec effarement les ingrédients tomber de leur perchoir et se briser sur le sol. Le sorcier était rouge de confusion tandis que Pattenrond s’en allait, furieux.
- Excusez-moi, je… je vais arranger tout ça…
- C’est inutile, c’était un accident, dit John.
Le père d’Hermione et Arthur se penchèrent vers les débris. Tandis que le premier commençait à ramasser le gros des morceaux à la main, Arthur sortit sa baguette pour arranger tout ça. Il fit quelques mouvements de baguette que John jugea d’une extrême précision afin de réparer les dégâts. Le moldu regardait avec émerveillement toutes ces étincelles de couleurs qui, bien qu’elles ne duraient qu’une seconde tout au plus, étaient magiques. John se pencha un peu plus en avant au moment où Arthur se redressait brusquement et la tête du Sorcier percuta le nez du Moldu avec fracas.
- Oh, pardon ! Pardon, pardon, pardon ! répétait-il inlassablement tandis que John hurlait de douleur et trépignait sur place.
« C’est bien ma journée » pensa le dentiste, en essayant de calmer le flot ininterrompu de sang qui coulait de ses narines.
- Je suis désolé ! Avez-vous de quoi vous guérir ?
- Je répare des dents, pas des nez.
D’ailleurs, il avait comme l’impression qu’il était cassé.
- Je… je vais euh… arranger tout ça, dit une nouvelle fois Arthur en brandissant sa baguette vers lui, manquant de l’éborgner.
John eut un mouvement de recul. Bon, il avait bien compris que cet Arthur Weasley était maladroit – et son fils semblait avoir hérité de cette pathologie – mais avait-il seulement conscience qu’il se proposait à réparer son nez ? Après l’histoire qu’il lui avait raconté plus tôt sur son défunt frère, il avait très peur de ce qui pourrait lui arriver. Perdre son nez ? Il n’assumerait pas de vivre avec un trou au milieu de la figure. En avoir deux pour le prix d’un ? Il deviendrait une bête de foire et par la même, un sujet de science gouvernemental.
- Ne vous inquiétez pas, j’ai déjà eu à raccorder les nez ou mâchoires de mes enfants, le rassura Arthur.
- Soit, céda John après plusieurs seconde de réflexion.
Il ferma les yeux tandis qu’Arthur le guérissait. Il sentit une étrange douleur au niveau de son nez alors que le sorcier prononçait un Episkey. Une fois qu’il lui dit qu’il pouvait ouvrir les yeux, John se rua presque vers un miroir. Il fut ravi de voir que son nez était de nouveau en place et l’inspecta plus que l’exigeait la bienséance, vérifiant que tout était en place.
- Eh bien, merci.
- Vous n’avez pas à me remercier, c’était de ma faute. Je suis navré.
John lui fit un geste de la main lui signifiant d’oublier ce malheureux petit événement. Il fallait qu’il trouve une occupation inoffensive.
La porte d’entrée s’ouvrit et l’écho des voix de Mrs Weasley et Mrs Granger se propagea jusqu’au salon où était installés les deux hommes, plongé dans une intense discussion.
- … oui je comprends bien, mais ce serait comme chercher une aiguille dans une botte de foin.
- Qu’est-ce qu’une aiguille irait faire au milieu d’un tas de paille ? s’étonna Arthur, ne comprenant pas pourquoi Richard Granger changeait aussi rapidement de sujet.
- C’est une expression !
- Ah, j’ai compris ! C’est comme « chercher une baguette dans un tas de bouse de dragon »
- Sûrement, oui. Mais c’est tout de suite moins classe.
Molly et Elisabeth échangèrent un sourire ravi, visiblement leurs hommes étaient sur la même longueur d’ondes.
- De quoi parlez-vous ? demanda cette dernière en approchant d’eux
Ils relevèrent tous les deux la tête en l’entendant, n’ayant sans doute pas entendu leur arrivée.
- De rien ! s’exclamèrent-ils tous les deux d’une même voix, ce qui fit froncer les sourcils de leurs épouses.
D’accord, il s’entendaient au point de partager un secret. Ils changèrent rapidement de sujet et la discussion s’orienta sur les balais de course. Ils parlèrent du nouveau balai, Aurore Boréale, bien que les Moldus n’y connaissent pas grand chose.
Puis la journée toucha à sa fin et les sorciers durent prendre congé de leurs hôtes. Arthur et John se promirent de se revoir très bientôt afin de « finaliser le projet » et se serrèrent la main. Puis ils utilisèrent de nouveau la cheminée pour rentrer chez eux.
Finalement, cette journée n’avait pas été si mauvaise que ça.
J’ai enfin réussi à mettre la main sur vous-savez-quoi et il est en très bon état de marche. Dites moi quand est-ce que je pourrais vous l’apporter, j’ai peur que Molly mette la main dessus et ne le détruise. Mais nous savons tous les deux qu’il est très important pour que votre véhicule puisse prendre son envol.
Mes hommages à Elisabeth,
Arthur.
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