Chapitre 1. Je ne suis plus,
Prompt "J'aurais aimé être"
Elle danse. Elle danse comme une reine au bras de l’homme qu’elle aime. Et moi, tapie dans l’ombre, ce sourire hautain aux lèvres que j’exècre, je les fixe. Haineuse.
Pourquoi auraient-ils droit au bonheur ? Pourquoi auraient-ils droit d’être deux, alors que je suis seule, seule, infiniment seule ? La personne que j’aime, au bras de l’autre. Voleuse de mon cœur, voleuse de mon amour, voleuse de cette personne qui m’aide à survivre dans ce monde de rancœur. Et à présent qu’on me l’a enlevée, que me reste-t-il ?
Oh oui, elle danse, Daphné, si belle dans sa robe blanche. Elle danse aux bras de Blaise, si beau dans son costume noir. Ils dansent, et leur bonheur illumine la pièce, nous aveuglant d’amour.
Sauf que cet amour-là, cet amour qu’ils m’ont volé et qui devrait être mien m’écœure au lieu de m’enchanter. Pourquoi auraient-ils le droit à ce que je n’ai pas ? Pourquoi ?
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Accoudée à la rambarde, je fixe le ciel. Les étoiles scintillent, me narguant par leur beauté, beauté à laquelle je ne peux que rêver. Elles brillent, heureuses, surplombant le monde, défiant les insectes que nous sommes de leur éclat. Oh, si insignifiants nous sommes à leurs yeux. Et moi, moi qui ne suis plus rien, qui n’ai jamais vraiment été, à quoi je ressemble de là-haut ? Au loin, un orage gronde. Comme s’il se riait de moi, de mes futilités, de mes pensées.
Ecœurée, irritée, je me détourne brusquement de cette vision, détachant mon regard de cette beauté et de cette liberté irréelle. Pour ne retrouver que la douleur à l’état le plus pur.
Elle, là, devant moi, si belle et si lointaine. Elle qui s’approche, une moue soucieuse aux lèvres. Elle s’avance vers moi, et s’immobilise devant mon ombre.
« Ça va ? »
Infime murmure que j’aimerais lui recracher au visage. Ça va ? Comment cela pourrait-il aller ? Je te hais, Daphné, et mon cœur est en lambeaux. Tu m’as détruite, tu m’as détruite et tu me demandes si je vais bien. Oh, que je te hais. Que je te hais. Pourtant, je le sais. Jamais je ne pourrai te le dire. Jamais.
« Désolée. »
Encore un de tes murmures. Encore un de ceux-là que j’aimerais t’interdire de prononcer. Ils sont si douloureux, Daphné. Si douloureux. Tu es désolée. Désolée. Mais sais-tu seulement de quoi ? De quoi t’excuses-tu, Daphné, de quoi t’excuses-tu vraiment ? De m’avoir brisé le cœur, alors que tu n’en savais rien ? De quoi t’excuses-tu, Daphné ? Rageuse, je fais un pas en avant, voulant m’en aller, mais ton nouveau chuchotement me stoppe brutalement.
« Je savais que tu l’aimais. Blaise. »
Tu savais que je l’aimais ? Hébétée, je te fixe, la bouche entrouverte. Puis, lentement, je passe une main lasse sur mon visage alors que je pars dans un rire nerveux. Dérangé. Perdu. Je savais que tu l’aimais. Mon rire redouble alors que ta phrase tourne inlassablement dans ma tête, me poignardant le cœur. Blaise. Mon rire redouble, et à lui se mêle des larmes. Blaise. Pauvre idiote, ne sais-tu pas que j’aimerais être Blaise ? Que j’aimerais pouvoir te prendre dans mes bras sans que de mauvaises langues se délient ? Que j’aimerais pouvoir faire tout ce que lui te fait ? Blaise. Mon rire, de déraisonné, passe à irrémédiablement égaré. Stupéfaite, tu m’observes, le bras à moitié tendu vers moi.
« Ce n’est pas Blaise que j’aime. »
De nouveau, un chuchotis. Le mien, cette fois-ci. Le mien, que je t’ai craché au visage, pleine de rancœur et de tristesse accumulées. Non, ce n’est pas lui que j’aime. Tu ne t’en étais pas rendue compte, Daphné ? Blaise et Drago avaient raison, alors. Tu es aveugle. Tu es aveugle, et par cet aveuglement tu blesses des gens. Les détruisant plus qu’il ne l’est possible. Tu nous détruis, sans t’en rendre compte et, cachée par ton visage d’innocente, nous ne pouvons t’incriminer et te dénoncer. Tu es innocente, faussement innocente. Et ton exclamation surprise illustre si bien cette ignorance, Daphné. Cette exclamation, ce « Qui alors ? » que tu t’écries, les yeux écarquillés, me prouve une fois encore combien tu es pure. Tellement pure que tu nous heurtes, Daphné. Et je n’échappe pas à ces douleurs que tu infliges sans t’en rendre compte. Alors, hargneuse, je m’approche de toi, et écrase brutalement mes lèvres sur les tiennes.
Dans ce baiser, toute ma rancœur, ma hargne et ma tristesse t’est transmise. Je ne sais si tu les comprends, je ne sens si tu les ressens, mais j’ai besoin de le faire. Besoin que tu vois, au moins un peu, la douleur que tu m’infliges. Besoin de me libérer de cette peine qui entrave mon cœur, mon corps, mon âme. Alors, peu m’importe que tu sois fraichement mariée. Peu m’importe que ton mari, mon ami, soit dans la pièce d’à côté, et qu’il puisse à tout moment m’apercevoir. Peu m’importe, Daphné. Parce que maintenant, tu sais. Parce que maintenant, un petit peu de ma douleur s’est envolée. Parce que maintenant, je peux m’effacer, m’oublier, t’oublier. Je peux, peut-être, avancer.
Alors, tout aussi brusquement que je t’ai embrassé, je recule et, les yeux humides, plonge mon regard dans tes prunelles. Tu ouvres la bouche et, difficilement, balbuties :
« Je…Tu…Tu es… »
Un sourire douloureux étire mes lèvres tandis que, faisant un pas en arrière, je murmure :
« Je ne suis plus. »
Et, d’un mouvement, je disparais. A tout jamais.