11 Janvier 2021
Aujourd'hui je me suis levé et j'ai regardé autour de moi, surpris de sentir dans l'air quelque chose d'inhabituel. Quelque chose de léger et de froid qu'a l'atmosphère des jours spéciaux. Je n'avais pas encore conscience de ce qu'était ce jour qui venait de se lever et pourtant je devinais déjà ses contours d'amertume et de souvenirs âpres.
Et puis j'ai regardé par la fenêtre, le ciel était blanc dans la noirceur bleuté de la nuit que quelques lances de lumière venaient déjà percer. Il était tôt.
J'ai mis mon grand manteau d'homme et j'ai pris l'autre sous mon bras. J'ai laissé mes pas descendre l'escalier et franchir la porte, ouvrir le portail du jardin et le laisser ouvert derrière moi. Ma tête était pleine de silence, comme pour retarder le moment où je m'éveillerais tout à fait, le moment où je devrais me souvenir. J'étais là et je marchais, écoutant les graviers crisser sous mes chaussures et la grille claquer contre son cadre derrière moi.
J'ai marché un moment à rebours du jour naissant, dans une course vaine pour échapper à ce lendemain déjà présent.
Et puis soudain à l'horizon j'ai vu le petit champ de pierre briller dans l'aurore qui m'avait rattrapé. J'ai continué à avancer tenant toujours mon petit manteau sous le bras.
Rendu devant la grille de métal ouvragé qui porte cette plaque "Famille Malfoy Perfectionis Sanguine", j'ai sorti de ma poche la longue clé étroite. Elle a tourné dans le verrou avec un cliquètement sourd puis je suis entré. Autour de moi, ils étaient tous là, tous ceux qui ont porté mon nom avant moi. J'ai suivi la rangée et dans un murmure j'ai lu les noms sur les grandes stèles noires, dressées dans la lumière rasante. Et soudain j'y étais, juste après Abraxas, vous étiez là. Je me souviens de la première fois que je suis venu ici, c'est vous qui m'aviez amené. Vous m'aviez montré la terre du bout de votre canne et vous aviez dit simplement " Ici, c'est moi". J'avais 5 ans et je n'ai pas compris tout de suite. Mais vous aviez raison, maintenant vous êtes là, juste à côté de grand-mère. Cela fait dix ans maintenant que vous dormez l'un contre l'autre certainement plus proche que vous ne l'aviez été au cours des quelques lustres précédents. Cela fait dix ans maintenant que j'ai reçu cette petite enveloppe grise scellée et cachetée.
Vous n'êtes pas venu pour l’anniversaires de mes dix ans, ni pour ceux des années qui ont suivi. Il n'y a plus eu de lettres et tout ce silence que vous avez déversé dans ma vie, je crois comprendre que c'était votre réponse à ma dernière question. Non, vous n'avez pas tombé le masque parce que vous l'aviez porté si longtemps qu'il avait fini par faire partie de votre visage. De ce même visage dont il ne doit aujourd'hui rester que deux orbites creuses et une mâchoire qu'aucune lèvre ne couvre.
J'ai pris le manteau sous mon bras et je me suis agenouillé entre vous et votre père. J'ai posé le manteau sur le dos de votre tombe comme sur le dos d'un malade et de la poche j'ai tiré la feuille de papier. Elle est restée là tout ce temps. Elle est restée là depuis le jour où je l'ai reçue. Je l'ai prise et je suis sorti en courant, j'ai couru aussi vite que je le pouvais et jusqu'à ce que je n'en puisse plus et que je tombe à genou dans la terre. Puis je me suis assis et j'ai hurlé. Je crois ne pas avoir versé une larme sur le moment. Je n'ai fait qu'ouvrir la bouche et crier jusqu'à ce que ma gorge brûle et que mes poumons soient emplis de feu. Puis, j’ai crié encore. Alors seulement je me suis tu et j'ai attendu. Quand père est arrivé il n'avait pas l'air fâché, pas même déçu. Il était pâle et sa respiration courte laissait deviner la force qu'il lui fallait pour ne pas pleurer. Il a ramassé son fils recroquevillé et couvert de boue et il m'a ramené à la maison.
Ainsi vous êtes mort. Mort de la même façon que votre père avant vous. C'était cela votre grand secret ? Votre mort prochaine ? C'était cela la raison de ce soudain intérêt pour moi ? Voyez-vous je vous imagine, je vous imagine prendre la plume et vous dire qu'il est temps de me parler puisque vous n'en aurez plus le temps, puisque vous ne me verrez jamais adulte. Peut-être espériez-vous ainsi réparer les erreurs que vous avez faites avec mon père.
Si je suis venu en ce jour anniversaire de celui où j'ai vu votre petit étui d'ébène disparaître dans la fosse, c'est que je dois vous remercier. Vous m'avez appris que l'on traîne ses erreurs et ses mensonges pour toujours, que garder le silence c'est accepter qu'ils nous tuent. Chaque jour je me lève et quand dans le miroir je croise fugacement vos yeux. Je songe à la journée que je m'apprête à vivre. Je veux pouvoir être fier de chaque jour de ma vie, je veux avoir su lever mon masque avant qu'il ne m'étouffe. Ainsi c'est grâce à vous que j'ai parlé à mon père. Que je me suis levé et que je lui ai dit que malgré le respect que j'avais pour lui et pour vous tous, ancêtres déchus, j'allais suivre mon propre chemin. Et que je ne le laisserai pas le mener jusqu'à l'impasse, que je respecterai la promesse que j'ai faite à grand-mère tantôt quand de sa petite voix triste elle m'avait dit "Scorpius, tu me vois telle que je suis aujourd'hui et tu dois m'écouter. Tu es mon petit fils et je t'aime, je veux que tu sois heureux, plus heureux que nous autre l'avons été. N'épouse qu'une femme qui t'aimera autant que toi tu l'aimeras. Promet le moi Scorpius, promet le moi".
C'est grâce à vous que j'ai eu le courage de me dresser face à lui pour enfin lui dire que je ne serais pas un Malfoy parmi d'autres qui a suivi les autres et a pris son tour dans la file des petits soldats de plomb détraqués qui marchent droit et sagement jusqu'à se jeter dans l'abime. J'ai eu la force de prendre mes dessins et mes livres et de partir. Je ne suis resté loin de la maison que quelques mois. Il est venu me voir et a mis sa main sur mon épaule. " Scorpius, reviens donc, je ne veux pas te perdre. Tu es mon fils et quoi que tu deviennes, j'en suis très fier". Je souris en vous contant cette histoire car je me dis que maintenant vous pouvez l'être aussi. J'ai réparé l'accroc qu'il y avait dans nos vies et le cercle est brisé. Il ne sera pas dit que les Malfoy mourront tous malheureux et brisés et ce, c'est un peu grâce à vous.
Je vais maintenant replier ce parchemin et ranger ma plume dans le bel étui sur lequel vous aviez fait graver mon nom. Puis je vais ranger cela dans la poche du petit manteau d'enfant encore taché de boue et je vais repartir. Presque rien n'aura changé dans le calme cimetière de notre famille, sauf une enveloppe blanche glissée sous votre tombe.
Votre petit-fils,
Scorpius Hyperion Malefoy.
Note de chapitre:
Et voici le chapitre final de cette correspondance, Senekata et moi espérons qui vous plaira. Bonne Lecture !
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