2 Novembre 1981
L’arrivée
Dudley Dursley était un bébé qu’on pouvait qualifier de chanceux. Tout d’abord, il était né dans une famille de la banlieue aisée de Londres. Son père était le directeur d’une grande entreprise spécialisée dans la fabrication de perceuses, la Grunnings. Sa mère, quant à elle, était femme au foyer et consacrait tout son temps à sa nouvelle progéniture. Enfin, Dudley avait également la chance d’être ce qu’on appelle un enfant pourri-gâté. Ce qu’il demandait, il l’obtenait dans l’heure. Ce qu’il refusait, il ne le revoyait plus jamais.
Dudley avait très vite compris cela et il savait déjà – il était tout juste âgé d’un an et demi – en jouer auprès de ses parents par des cris et des pleurs qui, en général, ne duraient pas plus de cinq minutes, même à trois heures du matin.
Ce que Dudley ne savait pas encore, c’était que ses parents agissaient avant tout pour le protéger du « terrible secret familial », comme l’appelait son père. En effet, comment expliquer à un nourrisson que son oncle et sa tante ne sont pas des personnes normales, qu’ils ne vivent pas dans le même monde et que leur enfant, à peine plus jeune que Dudley, était tout aussi bizarre ? Comment expliquer qu’une branche de la famille est infréquentable ?
Dès la naissance de Dudley, ses parents s’étaient accordés pour ne pas lui dévoiler l’existence de ce monde, d’autant plus après que sa tante ait envoyé une lettre à sa sœur aînée pour la féliciter, et lui annoncer au passage qu’elle attendait elle aussi un garçon. Depuis, elles n’avaient jamais plus échangé le moindre mot.
Lorsque Dudley se réveilla, ce matin-là, il resta silencieux quelques minutes, pour la première fois depuis sa naissance. Sa nuit avait été peuplée de rêves étranges, mêlant hiboux, chats tigrés et personnes vêtues de capes… tant d’éléments que Dudley avait entraperçus la veille en sortant avec sa mère. Celle-ci avait semblé horrifiée par ces évènements et ils étaient rentrés du parc plus tôt que d’habitude. Seul le chat n’avait pas semblait déranger sa mère plus que nécessaire. Elle avait juste essayé de le chasser du muret, sans succès.
Le soleil du matin diffusait à travers les rideaux de sa chambre, projetant une lumière douce et agréable sur ses petites joues roses. Dudley finit par pousser son premier cri, destiné à ses parents. Sa mère répondit en moins de dix secondes en le prenant dans ses bras tendres et chaleureux.
« On s’est réveillé ? On appelle sa maman parce qu’on a faim ? Mais c’est qu’il est vorace mon petit Dudleynouchet.
─ Ai faim ! Ai Faim ! cria Dudley. Veux biheron ! Veux biheron !
─Oui, maman va te donner à manger. Range-moi ses petites quenottes. »
La mère de Dudley sortit de la chambre et descendit à la cuisine. Son mari était déjà assis, prenant tranquillement son petit-déjeuner. Il embrassa son « fiston », ou du moins essaya, Dudley prenant un malin plaisir à esquiver les lèvres de son paternel. La mère de Dudley prépara rapidement le biberon et le donna à son fils qui entreprit à l’engloutir. Puis elle s’installa en face de son mari. Un flash d’information passa alors à la radio.
« Bonjour à tous ! Ici Frank Muller pour votre flash info de huit heures ! Aujourd’hui, la grande information est toujours cet inexplicable activité des hiboux dans la journée d’hier, et durant la nuit dernière également. Il semblerait que ce phénomène se soit reproduit dans plusieurs pays du monde, ainsi que les étranges évène… »
Le père de Dudley coupa la radio d’un geste brusque qui fit sursauter sa femme. Celle-ci se retourna et le dévisagea avec inquiétude.
« Vernon ! Qu’est-ce qu’il te prend ?
─Ces histoires sont un tissu de mensonges et de bêtises. Il ne faut pas que Dudley écoute ces âneries. Nous étions d’accord Pétunia.
─Ce n’est pas une raison pour être si brutal. Et tu sais très bien ce que signifient ces hiboux volant en plein jour…
─Pas devant Dudley ! trancha Vernon. Je ne veux plus qu’on parle de la journée d’hier, c’est compris. Je dois bientôt me rendre à l’entreprise, » ajouta-t-il en regardant sa montre. « Je vais me préparer. À ce soir ma chérie. Et toi, sois sage petit garnement ! »
Vernon se leva et quitta la cuisine. Dudley avait suivi très attentivement l’échange entre ses parents, son biberon fermement maintenu entre ses mains, sans en comprendre le sens véritable. Pétunia débarrassa la table puis pris les poubelles. Elle sortit de la cuisine. Dudley entendit le bruit de la porte d’entrée et attendit qu’elle se referme pour sortir de sa chaise et aller dans le salon devant un épisode d’Albator.
Sauf que cette fois-ci, la porte ne se ferma pas.
Au lieu de cela, un cri perçant provint du hall d’entrée, suivi quelques secondes plus tard par le déboulement dans les escaliers de Vernon. Au milieu de tout ce raffut, Dudley entendit des pleurs d’enfants.
« Pétunia ? s’inquiéta-t-il. Pétunia, qu’est-ce qu’il se passe ? Pourquoi cries-tu comme ça ?
─ Vernon, se lamenta Pétunia. Oh Vernon… Regarde… regarde !
─ Quoi ? Oh par tous les Saints ! Que fait ce bébé devant notre porte ! Envoyons-le à l’orphelinat ! Hors de question que Dudley côtoie l’enfant abandonné d’une junkie !
─ Vernon… c’est lui…
─ Qui ça lui ? demanda le père de Dudley, totalement désorienté.
─ Le sien, son bébé à elle.
─ Tu veux dire que… comment en es-tu sûr ?
─ Regarde la lettre ! C’est notre adresse ! Elle est la seule à la connaître ! Et puis… il a ses yeux ! »
Pendant un instant, Dudley n’entendit plus aucun son, mis à part les sanglots de sa mère et les cris du bébé qui, de toute évidence, avait faim lui aussi. Dudley se demandait qui pouvait être ce bébé, puisqu’il n’en n’avait jamais vu avant dans la rue.
« Rentrons, déclara Vernon. Prends-le et emmène-le à l’intérieur.
─ Mais Vernon…
─ Nous ne pouvons pas rester dehors à le regarder pleurer. Les voisins nous regardent déjà. »
Quelques secondes plus tard, Dudley entendit la porte d’entrée se fermer, mais les cris du bébé ne cessèrent pas pour autant. Il comprit que le bébé se trouvait dans la maison. Un instant plus tard, son père et sa mère arrivèrent dans la cuisine.
Vernon était visiblement inquiet et horrifié par les évènements, tandis que Pétunia était choquée, un berceau dans les bras et d’où provenaient les cris. Dudley ne comprenait pas ce qu’il se passait, mais son père lui fit un regard si terrifiant qu’il n’osa pas ouvrir la bouche. Il se contenta de sucer son pouce. Pétunia déplia précautionneusement les draps et Dudley découvrit alors un autre bébé aux cheveux noirs et regard émeraude.
Ce qui intrigua le plus Dudley, c’était la petite cicatrice en forme d’éclair sur le front du bébé. Vernon s’installa sur un fauteuil, une lettre dans les mains. Pétunia installa le bébé sur ses genoux, le tenant comme s’il s’agissait d’un paquet désagréable.
« Que dit la lettre ?
─ Elle nous est effectivement adressée.
« Chers Mr et Mrs Dursley.
« Je vous prie de croire mes plus sincères excuses de vous déranger sans même me présenter devant vous, mais j’agis dans la précipitation. Vous l’avez sans doute remarquez, le bébé ci-présent est votre neveu, Harry Potter, fils de Lily et James Potter. La présence de Harry sur votre porche ce matin est la conséquence d’un évènement tragique.
« J’ai le regret de vous annoncer que James et Lily ont été assassinés par Lord Voldemort…
─ Assassinés ? répéta Pétunia. Lily ?
─ C’est ce qui est écrit, répondit Vernon.
─ Oh mon Dieu… il faut que je prévienne Mère…
─ Je pensais que tu ne t’entendais pas bien avec elle, fit remarquer Vernon.
─ Ca ne veut pas dire que je n’étais pas en très bons termes avec elles que sa mort ne m’affecte pas ! Elle était peut-être un… un monstre, mais c’était ma sœur. Ma mère doit être mise au courant.
─ Je… je suis désolé Pétunia…
─ Que dit la suite ?
─ Par Lord Voldemort. Il s’agit d’un Mage Noir très puissant qui fait régner la terreur dans notre pays depuis près d’une décennie. Il est le principal responsable de nombreux meurtres de personnes sans pouvoirs magiques, ainsi que de disparitions et d’évènements étranges dont vous avez sans aucun doute entendus parler.
« James et Lily luttaient activement contre Voldemort et ses partisans. Il serait trop compliqué d’expliquer le pourquoi et le comment, je me contenterai de vous dire que Voldemort a décidé de tuer James, Lily et Harry de sa main voici un peu plus d’un an. J’ai réussi à les cacher mais un de leurs amis les a trahis et est depuis activement recherché.
« Voldemort a pu donc les retrouver et s’est rendu à leur domicile de Godric’s Hollow dans la nuit du 31 octobre. James a été tué peu de temps après. Ensuite, un phénomène étrange s’est passé. Voldemort a tenté de tuer Harry, mais Lily semble s’être interposée et a été tuée. Voldemort a par la suite tenté voulu tuer Harry. Heureusement, le sortilège a échoué.
« Il s’agit d’un très puissant sortilège qu’il est impossible à parer. Harry est le premier humain à survivre à ce sortilège.
─ Harry a survécu à un sortilège ? Mais ce n’est qu’un bébé ! Pourquoi ses parents auraient succombés et pas lui ? demanda Pétunia.
─ Je ne sais pas, » reconnut Vernon, passablement agacé.
Un long silence suivit la question de Pétunia. Harry continuait à crier mais ni Vernon ni Pétunia n’essayèrent de le calmer. Vernon reprit la lecture de la lettre.
« Ce cas exceptionnel peut s’expliquer par une chose. Harry a été protégé par une magie très puissante. Je n’en suis pas encore totalement certain, mais le sacrifice de Lily a sûrement joué un rôle non négligeable. Ce sacrifice est lié à un amour fort et puissant. Si puissant que le sortilège de Voldemort s’est retourné contre lui et a détruit son corps.
« Nous en venons maintenant au second point que je veux aborder, à savoir la présence de Harry chez vous. Il ne fait aucun doute que de nombreuses familles de sorciers seraient prêtes à l’accueillir, mais cela rendrait le sacrifice de Lily inutile. Pétunia, vous êtes la seule personne encore en vie disposant du sang de Lily, hormis votre mère. Cependant, pour que mon projet fonctionne, il faut que ce soit vous.
« Je vous demande de prendre soin de Harry afin de parfaire la protection dont il fait l’objet. J’ai pratiqué un sortilège puissant qui permettra de protéger Harry tant qu’il se trouvera dans une maison où coule le sang de sa mère. Cette protection sera active jusqu’à ces dix-sept ans ou qu’il décide de quitter pour toujours ce lieu. Je vous en conjure, pour que le sacrifice de Lily ne soit pas vain, de tout faire pour que Harry se sente chez lui jusqu’à ses dix-sept ans.
« Cet engagement que vous prendrez sera définitif : il sera impossible de revenir en arrière et je m’assurerai personnellement que vous vous tiendrez à cette conduite. Harry est considéré par notre Communauté comme le Survivant, une légende vivante. Je vous demanderai de le protéger de cette « célébrité », tout en lui faisant part de ses origines sorcières.
« Sur ce, je vous prie de croire une nouvelle fois à mes plus plates excuses pour ce dérangement important et espère que vous ferrez le bon choix.
« Albus Perceval Wulfric Brian Dumbledore, Directeur de l’Ecole de Sorcellerie et de Magie Poudlard. »
Un nouveau silence suivit la fin de la lecture de Vernon. Dudley avait fini son biberon et Pétunia s’était arrêtée de pleurer. Même Harry s’était tut.
« On ne peut pas le garder, déclara Vernon.
─ Pourquoi donc ? demanda Pétunia.
─ Tu as entendu ? Ils ont cherché à le tuer… Je te l’avais toujours dit que ta sœur et son bon à rien de mari finiraient comme ça ! Cet enfant est forcément comme eux ! Le garder serait une grave erreur !
─ Mais Dumbledore a dit…
─ Et qui est ce Dumbledore ?
─ C’est le Directeur de Poudlard, répondit Pétunia. Il s’agit de l’école où ma sœur a appris la magie. Elle n’arrêtait pas de dire que c’était le plus grand sorcier du monde…
─ Signe qu’il est d’autant plus dangereux, coupa Vernon. On ne peut pas lui faire confiance !
─ Mais il a dit qu’on devait le garder… et je n’ai pas envie de le mettre en colère.
─ Tu veux le garder ? s’étonna Vernon.
─ On ne peut plus l’abandonner. Les voisins vont se demander où il est passé. Si on l’envoie à l’orphelinat, ils vont se demander où il est passé. Et Dumbledore l’en ferra sortir presque aussitôt. Non, nous devons le garder. Mais on ferra croire à ma mère qu’il est mort dans un accident de voiture avec ses parents…
─ Un accident de voiture ?
─ Tu as autre chose ? Il y a des dizaines d’accidents par jour. On peut lui faire croire qu’ils sont morts lors d’un de ces évènements extraordinaires, que leurs corps ont été réduits en bouillies, que la voiture a explosé… On lui ferra croire la même chose.
─ À lui ?
─ À Harry, » précisa-t-elle en regardant le bébé dans ses bras. « On le garde avec nous pour que cette protection fonctionne. Mais rien dans ce que nous a dit Dumbledore nous oblige à lui révéler son ascendance.
─ Tu veux dire… lui cacher qu’il était comme eux.
─ Il n’est pas nécessaire qu’il sache qu’ils l’étaient. On peut lui cacher ce monde sans problème. Lily était une sorcière née de parents sans pouvoirs magiques. Tant qu’on ne lui dira rien, il lui sera impossible qu’il le sache. Et puis, si on l’élève correctement, on devrait pouvoir faire disparaître cette magie.
─ Tu es sûre ? interrogea Vernon.
─ Certaine.
─ Bien. Tu fais comme tu veux, céda-t-il. C’est ta famille après tout. Si on s’engage dans cette voie, je ne demanderai qu’une seule condition : on abandonne tout ce qui a trait à ce monde. Je ne veux plus jamais entendre parler de ça sous ce toit ! Quand saura-t-on s’il est réellement comme ses parents ?
─ Il est comme ses parents. Si Dumbledore le dit, c’est qu’il l’est. Et puis, il paraît que c’est extrêmement rare qu’un enfant de sorcier ne le soit pas.
─ Il peut faire de la magie maintenant ?
─ Je ne pense pas. Ma sœur a commencé à en faire vers cinq ans. »
Vernon et Pétunia regardèrent Harry sans prononcer le moindre mot, tandis qu’il les regardait avec un air intrigué. Dudley avait posé son biberon et commençait à pleurer. Il n’avait pas l’habitude qu’on le laisse seul si longtemps, sans qu’on s’intéresse à lui.
Pétunia se tourna vers lui et le regarda avec un air étrange, comme si elle se demandait comment expliquer à son fils ce qu’il venait de se passer. Elle se contenta de soulever Harry de ses genoux et l’assit sur la table, face à Dudley.
« Dudley, voici ton cousin : Harry ! »
Dudley tendit une main pour toucher le bébé devant lui. Il avait très envie de le toucher. Mais il était trop petit et sa chaise l’empêcha de l’atteindre. Ses petites mains potelées se balancèrent à quelques centimètres du ventre de Harry. Celui-ci les suivit du regard avant de tendre à son bras à son tour et attraper les mains de Dudley. Les deux bébés éclatèrent de rire en parfaite synchronisation.
Ce fut le premier et dernier qu’ils partagèrent.