Joyeux Noël Angeowyn !
Merci à Elinux d'avoir relu et remarqué tous les endroits où je changeais subrepticementde temps de verbe :D
Je n’avais même pas un mois, et je ne comprenais rien de ce qui se passait autour de moi. Le porte s’ouvrait, se fermait, laissant entrer à chaque fois une bouffée d’air frigorifié à laquelle ma pauvre peau de bébé n’était pas encore habituée. J’étais entouré de grandes personnes qui me touchaient, me chatouillaient, babillaient, tentaient de m’amuser. L’un d’eux avait un chapeau rouge et blanc sur la tête et aimaient me secouer le pompon sous le nez. J’ai éternué, ce qui les a bien fait rire.
Je ne reconnaissais que les bras de ma mère, ses bras chauds, protecteurs. Quand ils me tenaient, je savais qu’il ne m’arriverait rien. Je prenais dans les petites mains potelées une poignée de ses longs cheveux roux, comme une assurance supplémentaire qu’elle ne me quitterait jamais. Des fois, je tirais trop fort, et elle desserrait ma main en riant. Toujours en riant.
Puis, elle m’a déposé dans mon berceau, dans le salon, et a disparu de mon champ de vision. J’entendais sa voix, quelque part derrière moi, peut-être dans une autre pièce, peut-être celle d’où venaient toutes ces odeurs étranges. Mais je ne la voyais plus, et c’était le drame.
J’ai pris une grande inspiration, gonflant mes joues, et j’ai hurlé, mettant toutes les forces de mon minuscule corps dans ce cri de désespoir. Ma mère n’était plus en vie, le monde entier allait bientôt s’écrouler.
Un visage est apparu au-dessus de mon berceau, un visage que je ne reconnaissais pas. Pas ma mère, ni mon père. Celui-ci avait la même couleur de cheveux, les mêmes yeux, mais un visage mince, que je ne replaçais pas, même dans le peu de souvenirs que j’avais.
Surpris par son apparition, j’avais arrêté de crier avec un hoquet, mais j’ai vite repris mon souffle pour continuer. Prévoyant ce que j’allais faire, l’homme m’a vite pris dans ses bras, plus musclés et inconfortables que ceux de ma mère, mais je m’y sentais à ma place. Je l’ai regardé, mes yeux bleus grand ouverts, un petit poing sorti de mes langes se balançant dans l’air froid. Il a pris ma main entre deux gros doigts et l’a secouée un peu en me souriant de toutes ses dents.
— C’est ton premier Noël, tu sais ? a-t-il murmuré. Tu vas recevoir tout plein de cadeaux parce que tu es le tout premier bébé Weasley, tout le monde va te gâter. Tes grand-mamans, tes grand-papas, tes oncles, tes tantes…
J’ai gazouillé de contentement, trouvant quelque chose de rassurant à ses bras raides, à ses paroles douces que je ne comprenais pas. Il a ri et a essuyé le coin de ma bouche avec la couverture qui m’entourait avant de me déposer un baiser sur le front.
— Joyeux Noël, petit Bill.
25 décembre 1980
— Les garçons, nous avons quelque chose à vous annoncer.
Mes frères et moi nous détournons de l’arbre de Noël sous lequel sont empilés plein de cadeaux pour regarder nos parents. Debout dans l’encadrement de la porte entre la cuisine et le salon, papa et maman nous regardent avec des sourires radieux. Les bras de papa entourent la taille de maman, et je souris un peu, devinant ce qu’ils viennent nous annoncer. Après tout, j’ai vécu quatre situations pareilles déjà.
Maman a posé une main sur son ventre et nous a regardé chacun notre tour.
— Mes chéris, vous allez être grands frères dans un peu plus de sept mois.
Le petit salon du Terrier s’est empli de voix – et de babillages – excités. Charlie, qui venait tout juste de fêter ses huit ans, applaudissait en riant. Il avait toujours adoré devenir grand frère, même pour la cinquième fois.
Percy, à quatre ans, s’était levé pour féliciter papa et maman. Mais le sourire qui étirait ses lèvres, montrant le trou dans sa dentition qui était apparu quand il était tombé dans l’escalier la semaine précédente, jumelé à son pyjama à motif de nounours, démentait l’air sérieux et officiel qu’il tentait de donner. Papa, amusé, serra la petite main qu’il tendait, remerciant avec affection son troisième fils.
Fred et George, deux ans et demi, s’étaient levés et sautaient partout en criant comme des petits fous, donnant l’impression qu’il y avait une tribu entière dans le salon. Connaissant mes frères, je me suis dirigé vers eux, et évidemment, Fred eut tôt fait de trébucher. Si je n’avais pas été là, il aurait ajouté une ecchymose de plus à sa collection, mais je l’ai attrapé. Peu émoustillé d’avoir évité le désastre, il a continué à crier et à agiter les bras.
Et finalement, le petit Ronnie, un peu plus de neuf mois, tapait des mains la tablette de sa chaise haute en babillant de toutes ses forces, ne comprenant rien à ce qui se passait mais se joignant à l’euphorie générale.
L’excitation a mis plusieurs minutes à s’atténuer, mais finalement la promesse de cadeaux à ouvrir a pris le pas sur la nouvelle excitante d’un futur petit frère – ou petite sœur, même si je n’y croyais pas trop. Maman s’est installée sur le fauteuil et je me suis niché contre sa jambe.
— Tu commences à avoir les cheveux longs, Billy, dit-elle en passant la main dedans. Il faudra que je te les coupe bientôt.
J’ai grimacé. Je n’aimais pas me faire couper les cheveux.
Papa était assis au pied du sapin et distribuait les paquets à droite et à gauche. Un à la fois pour que tous les garçons en aient en même temps. Le plancher commençait déjà à être couvert de papier déchiré quand il a sorti une large boîte enrobée de papier rouge de derrière l’arbre. Il a lu l’étiquette qui y était attachée et me l’a tendue.
— De la part de Gideon et Fabian, a-t-il dit alors que je lui prenais des mains. Joyeux Noël, Bill !
25 décembre 1987
Quand j’ai ouvert les yeux, le soleil était déjà levé depuis un moment, si j’en jugeai par la lumière qui passait par les fenêtres du dortoir. Mes compagnons étaient tous rentrés chez eux pour les fêtes de Noël, en particulier ce lève-tôt de Heathcote, qui même les samedis était debout à huit heures, nous pressant pour qu’on descende petit-déjeuner avec lui.
Je me suis étiré dans mon lit, profitant de la chaleur provenant du feu qui ronfle dans la cheminée circulaire au centre de la pièce. Un petit ronflement s’est fait entendre à ma droite et je m’y suis tourné. Charlie était monté dormir dans le lit de Dustin, mon voisin de dortoir, cette nuit de Noël. La veille, nous avions proposé à Percy, qui faisait cette année sa première à Poudlard, de se joindre à nous – faire un Noël Weasley dans le dortoir, à défaut de pouvoir le faire à la maison – mais il avait décliné l’offre, préférant rester seul comme le grand garçon qu’il pensait être maintenant qu’il était à Poudlard. Charlie avait haussé les épaules et était monté dans son propre dortoir récupérer son pyjama pour élire domicile chez les Gryffondor de sixième année.
Une semaine auparavant, mes frères et moi avions reçu une lettre de papa, qui nous informait que tante Muriel était très malade et que maman passerait le temps des fêtes chez elle pendant que papa restait à la maison avec les jumeaux, Ron et Ginny. J’avais d’abord été très déçu de ne pas pouvoir voir mes parents et les petites avant encore plusieurs mois, mais Charlie avait été content à l’idée de rester à Poudlard pendant les vacances. Quand je lui avais demandé pourquoi, il m’avait répondu que Lucy, la capitaine de l’équipe de Quidditch de Gryffondor, avait dû passer Noël au château l’an précédent, et elle avait dit que c’était une expérience magnifique.
Je me suis vite rendu compte que Lucy avait eu raison. L’ambiance au château était complètement différente avec juste une poignée d’élèves et les professeurs. Charlie et moi avons même pris le thé avec la professeure McGonagall à la table de Gryffondor, un après-midi, et nous sommes ensuite engagés dans une bataille de boules de neige avec Hagrid. Le soir, dans la salle commune, nous pouvions nous asseoir dans les fauteuils les plus confortables, les plus près de la cheminée, habituellement réservé aux septième année.
Le matin de Noël, donc, je me suis réveillé avant Charlie. Je me suis redressé dans mon lit pour constater que, sous le couvert de la nuit, les elfes de maison étaient venus déposer quelques paquets à mes pieds. J’ai tourné la tête pour constater que ceux de Charlie l’attendaient aussi. Fidèle à la tradition Weasley, je n’ai rien ouvert avant qu’il se réveille – ce qui ne m’a pas empêché de tourner et retourner chaque paquet dans tous les sens. Je reconnaissais bien sûr celui qui venait de maman – l’habituel chandail en tricot, sans doute, Charlie en avait un de la même forme. Une petite boîte portait une carte d’Alejandro, mon correspondant brésilien, et un petit paquet – un livre, d’après le poids – me provenait de Sheila, ma petite amie, qui était rentrée dans sa famille moldue pour les fêtes. Quelques autres paquets plus ou moins difformes portaient les noms de mes multiples frères, et une enveloppe celui de mon unique sœur. J’ai tout réparti sur le lit autour de moi et ai fixé mon frère, espérant que l’intensité de mon regard le pousse à se réveiller. J’avais beau avoir dix-sept ans, le jour de Noël, je retombais en enfance.
J’avais l’impression d’avoir attendu une éternité – quand en fait la grande aiguille n’avait fait que deux tours complets de l’horloge – quand Charlie a enfin ouvert ses yeux bleus. Son regard s’est aussitôt fixé sur moi et je lui ai souri de toutes mes dents.
— Joyeux Noël, petit frère.
Il s’est redressé à son tour en s’étirant, souriant en voyant les cadeaux qui l’attendaient.
— Joyeux Noël, Bill.
25 décembre 1991
— Allez Bill, une dernière !
Sous les rires de mes amis, j’ai avalé une autre bouteille de bière. Ma cinquième de la soirée. Ou peut-être la sixième. J’avais perdu le compte depuis un moment. J’ai regardé les visages souriants qui m’entouraient, tous au moins aussi ivres que moi : Josh, le Canadien qui était en stage avec nous jusqu’à l’été ; Djar, celui avec qui je travaillais le plus souvent, passant des heures avec lui dans les tombes obscures des pyramides ; et Abina, interprète égyptienne pour les travailleurs qui venaient de l’étranger, comme moi.
— Tu es prêt ? a demandé Djar.
J’ai hoché la tête courageusement en me déplaçant pour m’asseoir par terre, le dos appuyé contre le pied du fauteuil. J’ai regardé avec appréhension l’Égyptien sortir une longue aiguille de sa poche, donnant quelques coups de baguette dessus pour la désinfecter.
— À bien y penser, peut-être qu’une bière de plus ne serait pas de trop…
Ils ont ri et Abina est venue s’asseoir sur le fauteuil derrière moi, tirant mes cheveux vers l’arrière.
— Ne t’inquiète pas, William, Djar sait ce qu’il fait, a-t-elle tenté de me rassurer. C’est lui qui m’a fait ma troisième paire de trous.
Djar s’est approché de moi, l’aiguille dans une main et sa baguette dans l’autre. J’ai fermé les yeux le plus fort possible pendant qu’Abina me tournait la tête, exposant ma pauvre oreille au fou avec son aiguille. Je l’ai senti appuyer sa baguette dessus, puis plus rien. J’ai bougé la main pour vérifier qu’il ne me l’avait pas arrachée, mais il l’a attrapée.
— Touche pas, Bill.
J’ai alors senti un tiraillement dans mon lobe. Je sentais quelque chose passer dedans, mais aucune douleur. Je devais bien avouer que mon collègue avait bien fait son travail. La sensation de chatouillement n’a duré que quelques secondes, puis quelque chose a appuyé sur mon lobe insensible et Djar a reculé.
— Et voilà ! a-t-il dit. Tu peux ouvrir les yeux maintenant, gros bébé.
Abina me tendait un miroir, que j’ai pris pour voir ce que mon ami m’avait fait. J’ai tourné le visage d’une fraction pour voir que mon lobe gauche était maintenant orné d’une petite perle rouge et dorée. J’ai levé les yeux vers Josh.
— Ta maison à Poudlard, non ?
Je lui ai souri et suis retourné à mon observation. Objectivement, avec ma queue de cheval rousse qui m’atteignait maintenant les omoplates, mon visage parsemé de taches de rousseur qui m’avait déjà valu trois offres de mariages de la part de pères de la ville où nous nous trouvions, les muscles que je développais en farfouillant dans les tombes avec Djar, et maintenant mon oreille percée, j’avais vraiment une allure de bad-boy.
— Ma mère va être furieuse, ai-je marmonné.
Abina a éclaté d’un rire cristallin et Djar m’a donné une tape dans le dos.
— Joyeux Noël, vieux !
25 décembre 1995
J’errais comme une âme en peine parmi mes collègues de travail, un verre de vin rouge à la main, le son de leurs célébrations m’atteignant à peine, comme si elles venaient de très loin. Je n’avais pas voulu venir à la fête de Noël du bureau, cette année, j’aurais voulu être à la maison près de ma famille, ou à Sainte-Mangouste avec mon père. Mais maman m’avait presque poussée par la porte, quelques heures auparavant. « Va t’amuser, William ! Ton père va s’en sortir, ce n’est pas la peine que nous restions tous à nous morfondre à la maison la veille de Noël, nous survivrons une nuit sans toi. Va fêter avec tes amis ! » avait-elle dit.
Mais je n’arrivais pas à penser à autre chose que papa. Je regardais sans cesse ma montre, comptant les heures qu’il me restait avant que je ne puisse me rendre à l’hôpital. Il était une heure du matin, les visites commençaient à dix heures. J’ai soupiré.
Puis, elle est apparue devant moi. Fleur Delacour, notre stagiaire française. Elle m’a souri largement et je n’ai pu faire autrement que lui répondre.
— Ça va pas, Bill ? T’as pas l’air dans ton assiette.
Je voyais du coin de l’œil plusieurs collègues masculins qui nous regardaient. Ils avaient raison, Fleur était belle, très belle, trop belle. Cinq mois auparavant, elle n’était encore pour moi qu’une petite fille, de sept ans ma cadette, celle qui avait fait le Tournoi des Trois Sorciers avec le meilleur ami de mon petit frère. Un peu frivole, un peu tête-en-l’air. Mais après des semaines à travailler avec elle, à voir son admiration pour moi dans ses magnifiques yeux bleus – je refusais encore d’y voir autre chose que de l’admiration -, j’ai commencé à voir en Fleur autre chose qu’une gamine.
— Bill ? a-t-elle répété, posant une main sur mon bras. Ça va ?
— Oui oui, je…
Ma voix s’est prise dans ma gorge, je n’arrivais plus à dire un mot. Fleur a souri à nouveau, ce sourire si contagieux, et m’a pris par la main, me tirant vers un coin de la pièce, sous les regards envieux de mes collègues. Je l’ai suivie, comme si c’était maintenant elle l’adulte et moi le petit garçon.
On s’est assis sur un fauteuil libre. Je crois qu’il n’était fait que pour une personne. Peu importait, nous y étions assis tous les deux. Elle s’est tournée vers moi et elle était si près que je voyais chacun de ses cils, qui encadraient ses si envoûtants yeux bleus. Elle me regardait tout aussi fixement et je me suis raclé la gorge, détournant le regard pour ne pas faire quelque chose que je n’étais pas encore prêt à faire – pas avec elle.
— C’est ton père ?
J’ai hoché la tête.
— Guilhem m’a dit qu’il allait bien.
J’ai à nouveau hoché la tête. Toujours sans la regarder.
— Bill…
J’ai tourné les yeux vers elle pour voir qu’elle indiquait le plafond du doigt, un sourire en coin. J’ai regardé ce qu’elle désignait et je n’ai pu que rire à mon tour.
— Du houx, ai-je constaté, entre la panique et le soulagement que le destin prenne les choses en main.
J’avais à peine baissé les yeux que Fleur avait approché son visage du mien et avait posé ses lèvres sur les miennes. J’ai tout juste eu le temps de goûter à son baume à lèvre à la cerise avant qu’elle ne s’écarte, un doux sourire toujours sur les lèvres. Elle s’est alors repenchée vers moi et m’a murmuré à l’oreille :
— Joyeux Noël, Bill.
25 décembre 2004
Je faisais les cent pas devant la table de la cuisine. Fleur, toujours plus calme même en période de stress, était assise, les bras croisés sur ses genoux. Seul quelqu’un qui la connaissait bien aurait remarqué que son dos était trop droit, ses doigts trop crispés, son visage trop tendu. Ses yeux trop fixés sur le mouchoir posé devant elle.
— C’est prêt ? ai-je demandé pour la quatrième fois en moins d’une minute.
— Encore trente secondes, chéri, a-t-elle répondu dans un murmure.
J’ai soupiré et me suis retourné vers la fenêtre de la cuisine, où j’avais une vue imprenable sur le soleil qui se levait, à l’horizon, illuminant tout l’océan. Ce matin-là, par contre, le tableau si paisible qui me faisait sourire à chaque fois que je le voyais ne fit rien pour calmer mon anxiété.
Fleur et moi attendions le résultat d’un test de grossesse maison. Encore. Après Victoire, quatre ans et demie auparavant, nous avions essayé, plusieurs fois, de lui faire un petit frère ou une petite sœur, mais en vain. Après deux fausses couches la première année, il n’y avait plus rien eu, même pas l’embryon d’une grossesse. Nous avions consulté des Médicomages, bien sûr, les meilleurs que nous pouvions trouver, mais ils n’avaient pas de réponse à nous donner. Ils ne détectaient aucun problème, ni chez moi, ni chez elle. Et Victoire était bien la preuve que nous pouvions avoir un enfant. Si ça avait fonctionné une fois, pourquoi pas deux ?
« Continuez à essayer, » disaient-ils. Alors nous avions continué. Encore, et encore.
Au début, nous avions gardé le moral. S’ils nous disaient que tout allait bien, nous n’avions pas de raison de nous en faire, n’est-ce pas ? Nous avions toujours espoir.
Puis, petit à petit, notre optimisme nous avait quittés. Nous voyions Victoire, notre jolie, parfaite, adorable petite Victoire, grandir sous nos yeux, et nous désespérions de pouvoir un jour vivre cela à nouveau. Les premiers pas de Vic seraient les derniers premiers pas que nous allions vivre, ses premiers mots, nos derniers. Je voyais dans les yeux bleus de Fleur de la tristesse, de la mélancolie qui n’aurait pas dû être présente quand elle jouait à la poupée avec notre petite fille. Je faisais tout ce que je pouvais pour elle, pour la soulager, pour lui enlever le poids qui nous pesait tous les deux sous les épaules, mais en vain. Elle voulait un bébé, et c’était l’unique chose que je ne pouvais pas lui donner.
Puis, le matin de la veille de Noël, elle m’avait dit quatre petits mots qui avaient fait bondir mon cœur, d’espoir, de joie, un peu de peur aussi : « Je suis en retard. » Je n’avais pas attendu une seconde de plus et j’étais allé acheter un test de grossesse. J’avais voulu qu’elle le fasse immédiatement, mais elle m’avait convaincu d’attendre le lendemain matin. « Noël nous portera peut-être chance, » avait-elle dit.
Alors maintenant, le matin de Noël, nous attendions, presque en retenant nos respirations, ce qui serait soit le meilleur cadeau de ma vie, soit une déception de plus à rajouter à notre longue liste.
— C’est prêt.
Je me suis précipité aux côtés de Fleur. J’ai pris une de ses mains, qu’elle a serrée en prenant une grande inspiration pour se donner du courage. De l’autre, elle a enlevé le mouchoir qui recouvrait le petit bâtonnet et l’a approché de ses yeux.
— Deux barres roses, a-t-elle dit. Qu’est-ce que ça veut dire ?
— Euh…
J’ai pris la boîte du test, rouspétant contre ma propre stupidité. Pourquoi tous les tests avaient-ils une façon différente de donner les résultats ? Et pourquoi diable ne pensais-je jamais à vérifier avant de faire le test ? Je l’ai tourné dans tous les sens, cherchant frénétiquement les résultats, avant que mes yeux ne se posent dessus.
« Deux barres roses : enceinte »
J’ai relu les mots plusieurs fois, n’en croyant pas mes yeux.
— Bill ? a demandé Fleur, une pointe d’inquiétude dans la voix.
J’ai levé les yeux et ai commencé à sourire.
— Nous allons avoir un bébé !
J’ai alors vu passer sur son visage les expressions qui avaient dû passer sur le mien quelques instants avant : l’incompréhension, la réalisation, puis l’euphorie. Elle s’est jetée dans mes bras en riant.
À ce moment, Victoire est entrée dans la cuisine, sa peluche en forme de jobarbille offerte par tante Luna calé sous un bras, frottant ses yeux pour en faire disparaître le sommeil.
— C’est Noël ? J’ai des cadeaux ?
J’ai traversé la cuisine en trois grands pas et l’ai prise dans mes bras la faisant tournoyer autour de ma tête en riant, ses longs cheveux blonds formant un halo.
— Attention Bill, tu vas la rendre malade ! dit Fleur.
Mais elle aussi riait. Rien n’aurait pu nous enlever notre bonne humeur en ce matin de Noël. Elle s’est approchée de nous et j’ai passé mon bras libre autour de sa taille, Victoire étant posée sur l’autre. Mou sourire à ce moment aurait pu faire peur à un Détraqueur : j’avais entre mes bras les deux femmes de ma vie, et le plus beau cadeau du monde, qui grandirait dans le ventre de ma femme encore neuf mois. À ce moment-là, j’étais l’homme le plus comblé de la planète.
J’ai déposé un baiser sur la tête de Victoire, ayant déjà hâte de lui annoncer qu’elle serait grande sœur, et me suis tourné vers Fleur, qui me regardait, les yeux brillants de larmes et un sourire encore plus large que le mien sur le visage. Elle a pris ma main et se l’est posée sur le ventre, avant de murmurer :
— Joyeux Noël, Bill.