- Roxanne, tu sais que je pèse chacun de mes mots…
Comment pourrais-je oublier que notre histoire a commencé son long chemin vers la divergence à l’annonce de ces mots ? L’aventure ébauchait la couleur et l’impulsion de ce que nous imaginions. Nous avions laissé derrière nous nos passés et nos hontes et j’ai été le souffle qui a changé tes espoirs. As-tu conscience que chaque jour est un vide sans fond à travers lequel le soleil n’est plus visible ? J’aimerais te dire que j’ai tout oublié, que je suis passé à autre chose mais ce serait te mentir. Qu’importe si la lumière du jour ne caresse pas chaque matin la peau de ton dos, qu’importe si ce ne sont pas tes mèches brunes qui me chatouillent le nez. Je voulais juste trouver ce qui me manquait, et j’imagine qu’il en était de même pour toi. Je suis venu avec mes problèmes à nu, tu as refoulés les tiens pour m’accueillir. Que serais-je aujourd’hui s’il n’y avait pas eu ces nuits et ces journées au bord de la mer ? Aurais-je trouvé comment reconstruire ce corps qui n’avait ni souvenirs ni futur ? Ma vie errante devait trouver une fin, tu lui as redonné un renouveau. Les racines qui me manquaient se sont implantées cet été et je suis enfin devenu quelqu’un.
Tu as été le ciment pour me bâtir, tu as été cette rencontre qui a marqué un tournant dans ma vie. Tu as toujours détesté ces paroles idéalistes ou romantiques qu’il m’arrivait de dire. Pourtant, je chéris celles qui ont pu sortir de tes lèvres, celles que tu as murmurées au creux de mon oreille et sur mes lèvres. La douceur de tes mains, Roxanne, t’a toujours trahie, et j’espère que ceux qui croisent maintenant ton chemin le remarquent. Quel dommage ce serait de s’arrêter à cette femme froide que tu t’imagines être. Pourquoi ne voulais-tu par leur montrer celle pétillante qui vit en toi, celle qui déteste les jours qui se répètent, les levers de soleil, les ordres et la foule qui est suspendue à tes mots. Prends un miroir et brise-le ! Libère ton imagination et ta bonne humeur, souris au monde entier comme si tu ne connaissais que les larmes de joie, comme si ta créativité peignait chaque jour d’une nouvelle couleur ! Il a suffi que deux adolescents dépaysés se rencontrent pour que tes yeux pétillent, pour que tu décides de goûter à la vie, que tu décides que chaque jour construirait demain, qu’une minute effacerait la précédente.
Je suis venu de la vallée et toi de la mer, je n’avais jamais vu l’infini de l’océan et tu m’as appris à apprivoiser les vagues, à les sentir sur ma peau. Elles suivaient le mouvement de tes doigts, elles redessinaient les baisers que tu me donnais. Tu as l’odeur du sable avec toi, et je suis certain que tu l’as toujours. Elle est en toi, elle est sur toi. Elle n’imprégnait pas seulement tes vêtements, elle esquissait ta liberté. Aussi loin que la rivière puisse aller, irais-tu, pour me rencontrer de nouveau ? Ne disais-tu pas qu’une merveille devrait être distribuée au monde entier ? Si tu savais comme je suis capable d’échanger toutes les miennes contre ton souffle dans mon cou, tes yeux qui m’observent, nos corps qui se frôlent… Tu étais perdue là-bas, là où je ne te connaissais pas encore, dans cette Angleterre que je dévorais par tes récits. J’ai cru un instant connaître tout de toi, savoir comment jouer avec Fred et comment faire bonne impression à tes parents. A présent, je sais que tout n’était qu’illusion. Tu n’as jamais dit ces mots pour leur douceur, pour leur mélancolie. Comment t’es-tu retenue de les crier au large, de les confier à la colère du vent ?
Je construis une cathédrale avec les coquillages que tu as cachés dans le trou d’un arbre, ces coquillages que tu ramassais le matin, pieds nus dans le sable. Tu errais si longtemps, j’avais l’impression de te perdre dans la solitude. Est-ce parce que tu t’accrochais à cette famille que tu renies ? Pensais-tu à eux qui ne comprenaient pas ton désarroi ? Ou était-ce parce que tu n’écoutais que ta musique sans essayer d’entendre la leur ? Les coquillages ressemblaient à des morceaux de toi éparpillés sur la plage et je n’ai pas pu m’empêcher de les ramasser. Ne m’en veux pas, l’arbre n’a pas conservé tes secrets. Un jour, ils repartiront avec la valse de l’eau et je te promets, Roxanne, je te promets que ce jour-là, le ciel sera sans nuages. J’ai aimé les mots que tu as dits quand je t’ai dit que dans mes rêves les corbeaux chantaient. Des mots qui me rassuraient et me persuadaient qu’il existait un autre monde étrange, un monde magique si différent du nôtre. Est-ce ce monde que tu fuyais, ce monde où la musique te manquait, où tout était gris ? Nous avons parlé de toi, de moi et lorsque le soleil se levait, tu rejoignais la litanie de tes pensées. Cette musique dont j’espère que la mélodie, les notes et les accords soent tournés vers moi. N’était-ce pas égoïste cette envie que tu sois là pour moi ? Tu as été ma dépendance, Roxanne, et j’ai peur que tu le sois encore. Tu as appuyé sur mon cœur chaque jour et chaque nuit pour me garder en vie, la beauté de ton geste et de nos silences aurait dû me montrer à quel point ton être était magique. Aujourd’hui, je ne cesse de repenser à la douce chaleur qui émanait de ton corps sur ma poitrine, et tu as embrassé mes lèvres, et j’ai appris à marcher, j’ai appris à essayer. Un pas après l’autre, doucement, lentement, amoureusement… Tu ne peux pas nier que ces secondes étaient hors du temps, qu’il pouvait pleuvoir ou neiger, mais que nous ne bougerions pas ? Tu m’as appris à avancer, je t’ai appris à transformer le silence de tes pensées en harmonies.
Oh, peux-tu entendre les chevaux ? Leur cavalcade rythmait chacun de nos matins, ça veut dire que la saison change. Que la saison change. Le vent s’est levé et même si j’ai retrouvé ma vallée et toi ta mer, notre océan se lève et tempête. La rivière de mon village déborde, elle m’invite à retrouver cet endroit où tu ne seras plus, où l’ombre de ton souvenir hante le sable. Ta magie imprègne l’air et les nuages me le rappellent. Comment pourrais-je y retourner sans toi, comment pourrais-je ne pas essayer de voir au détour d’une vague ce que tu arrivais à faire ? Lorsque tu es partie, je courrais jusqu’aux ponts, je les traversais dans un vain espoir de te voir sur l’autre rive. Mon regard errait sur l’eau claire, elle avait la couleur de tes yeux…
Mais pour l’instant, ne sois pas effrayée si le soleil de brille jamais. Il faut un temps pour le laisser grandir, un temps pour que la musique explose avec toi. Laisse ta voix te porter au gré du tumulte de ta vie, laisse-moi imaginer que j’ai pu le calmer le temps d’un été… Je sais ce que tu es, je sais que jamais je ne t’aurais retenue contre ton gré mais j’aurais accepté cette différence. Il faut un temps pour laisser grandir le soleil, il faut un temps pour ne pas se précipiter.
Un temps pour le laisser partir.
Je construis ce qui aurait pu être notre cathédrale, ce qui sera à jamais la tienne. Regarde la jeune femme que tu es, admire ton reflet, et accepte l’image qu’elle renvoie.