Seule ma candeur s'est envolée à tout jamais.
Ils étaient beaucoup. Tous un peu raides, il se dit qu'il ne devait pas être bien mieux. Quelques rires, sonnant si faux qu'ils étaient bien vite étouffés. Dennis se sentait oppressé. Il attendait que quelque chose commence, brise le silence, et qu'enfin, on puisse ouvrir les vannes, celles qui maintenaient leurs paroles entravées. Simplement dire qu'il faisait froid, demander comment va le cousin germain. Aborder les sujets qui font mal, peut-être. Mais pas de silence, il ne l'avait que trop côtoyé, ces derniers temps.
Une estrade en bois grossièrement construite se dressait dans un coin du jardin Weasley. Arthur monta dessus, faisant grincer les planches. Il sourit à tout le monde, d'un sourire doux. Et par ce visage, il les remerciait tous, compatissait avec les plus meurtris, pansait les plaies, un peu. Sa femme, Molly, finissait d'installer les plats sur une longue table, tandis qu'il parlait. Ce n'était pas étonnant que la première réunion depuis la fin de la guerre se fît chez eux. Dennis reconnaissait bien là la générosité infinie de la famille.
Mr Weasley dit quelques mots, tout au plus. Lorsqu'il descendit, les conversations basses et rares reprirent. Les personnes esseulées se dirigèrent vers le buffet, cherchant la chaleur des corps pour réchauffer le leur, glacé.
Dennis resta un instant à se balancer sur ses pieds. Il avait décidé d'aller grignoter quelques biscuits lui aussi, lorsqu'une poigne brusque, un peu tremblante, se referma sur son avant-bras. Il se retourna, un instant troublé, puis un large sourire éclaira son visage lorsqu'il reconnut Ginny. Celle-ci sembla recevoir sa joie de plein fouet. Elle cligna des yeux ; ils s'emplirent de larmes.
Tous deux se connaissaient si peu. Une conversation à propos d'astronomie devant le feu ronflant de la Salle Commune ; des encouragements pour l'équipe de Quidditch de Gryffondor alors que Harry filait vers le Vif d'Or ; un plat de rôti passé de l'un à l'autre lors d'un banquet. Mais, en ce jour de tristesse générale, cela suffisait amplement pour se tomber dans les bras.
Le corps chaud de Ginny se serra contre le sien à lui en faire mal. Il répondit à son appel désespéré. Aujourd'hui, tous deux pleuraient un frère. Dennis savait que Colin avait eu un faible pour la rouquine, autrefois. Autrefois. Il sentit un poids sur ses épaules, tout autre que les mains de Ginny qui y étaient agrippées. Il sourit un instant, reconnaissant la présence de son frère. Les larmes coulèrent sans qu'il s'en rende compte.
Ginny et lui restèrent accrochés l'un à l'autre un long moment. Un moment qui resterait gravé dans sa mémoire, simplement parce qu'elle lui avait offert tout ce qu'il pouvait souhaiter alors : une présence déchirée, pour comprendre. Il s'était senti moins seul, le temps de leur étreinte, et encore un peu après. Dès lors qu'elle lui offrit ses mots à blessures, ses mots-pansements, Dennis s'apaisa. C'était égoïste de sa part, songerait-il plus tard. Après tout, elle aussi aurait eu besoin de compassion, de réconfort, de douceur. Mais il ne put que prendre et s'abreuver de sa gentillesse avec reconnaissance.
Après la mort de son frère, Dennis pleura. Et entre deux hoquets, un déclic résonna à ses oreilles. Il se trouvait alors dans la Grande Salle, au milieu des morts, au milieu des âmes à jamais disparues. L'information emplit son cerveau. Il se releva d'un bond, courut comme un dératé. Quelques têtes abaissées se relevèrent, ne prenant même pas la peine d'afficher l'étonnement. Il courut si vite et si fort que, une fois arrivé à la Tour de Gryffondor, il se sentit un peu mieux. Il noyait ses larmes dans la sueur.
Dans le dortoir, il trouva rapidement ce qu'il cherchait. L'appareil photo de Colin. Il l'avait toujours sur lui d'ordinaire ; certainement l'avait-il oublié, dans sa précipitation de participer à la guerre. Putain de guerre. Des mots salés, qui brûlaient les coupures à vif.
L'appareil. Les photos. Dennis le savait, son frère les conservait toutes dans un grand sac de tissu vert kaki. Il ne l'ouvrit pas. Colin était encore là, reposant sur son brancard, alors à quoi bon ? Et puis, il les connaissait toutes, son frère les lui avait montrées en détail. Il prit néanmoins l'appareil.
Pendant de longs mois, il se persuada qu'il reprendrait le flambeau, capturerait la vie à son tour. Puis il se résigna. Il n'avait pas la patience de son frère qui, s'il était agité, n'hésitait pas à attendre des heures au même endroit dans l'espoir de saisir l'instant.
Malgré tout, son excitation constante se ressentait dans certains de ses clichés... Trop flous.
Dennis avait, à cette décision, rangé l'appareil dans un tiroir, bien décidé à l'y laisser ; quelques jours plus tard, un ami de Colin frappa à leur porte. Ce fut son père qui ouvrit et appela Dennis. Celui-ci descendit, curieux de savoir qui il pouvait bien intéresser. Ethan McGroly. Reconnaissant l'ami de son frère, il se figea un instant, puis marcha droit vers lui et lui serra la main. Dennis lui proposa d'entrer, McGroly déclina.
Lorsqu'il annonça posséder des photos prises par Colin, qu'il était venu ici pour les lui donner, Dennis secoua la tête. Pas la peine. Vous aimez la photographie ? McGroly acquiesça, avança que c'était la passion de son père. Alors Dennis lui offrit l'appareil de Colin. Il sentit l'ombre de ce dernier glisser sur son épaule, tandis que son visiteur lui donnait une petite tape.
La seule fois où il revit le professeur McGonagall après le rassemblement des estropiés du cœur chez les Weasley, ce fut dans un supermarché Moldu écossais. L’Écosse, leur patrie commune.
Dennis hésitait devant deux marques de barres chocolatées. Il en était gaga. Il se décida finalement pour celle à l'exquis emballage violet ; derrière lui, un bruit de sac qui chute et dont le contenu se déverse suspendit son geste. Il fit volte-face, bouche-bée, et découvrit son ancien professeur de métamorphose, une main sur la poitrine en signe d'effarement.
« Mr Crivey ! »
Elle le dit d'une telle façon que Dennis eut l'impression de revivre cette fois où elle les avait surpris, lui et son frère, à chercher le fameux Troll des Toilettes au beau milieu des couloirs et de la nuit. Il sourit.
« Bonjour, professeur McGonagall ! »
Sa main s'abaissa, elle reprit constance.
« Oh, eh bien, je suppose que je ne vous enseigne plus grand-chose, » répliqua-t-elle en se penchant pour ramasser ses barres de chocolat. Dennis l'y aida. Il remarqua l'emballage violet, et les joues du professeur McGonagall, légèrement colorées.
« Votre enseignement vit en moi ! »
Il rit, un peu aiguë ; elle pouffa, rauque. Elle semblait avoir pris quelques rides. Dennis se dit qu'elle détonnait particulièrement, dans cet environnement moldu, accoutrée comme une sorcière. Il ne la questionna pas sur ce qu'elle faisait ici ; elle s'abstint également, lui demandant simplement de ses nouvelles.
« Je suis heureuse pour vous, Mr Crivey. Et maintenant, je vais vous laisser à vos courses.
Au revoir, professeur.
Puisque je vous dis que je ne suis plus votre professeur !
Excusez-moi, l'habitude. »
Elle le regarda un long moment, et il lut la compassion dans son regard. Lorsqu'elle posa une main sur son épaule, manquant de faire tomber à nouveau son sac posé dans ses bras, il ne détourna pas la tête. Puis elle s'éloigna vers les caisses, après un dernier hochement de menton.
Dennis passa sa main là où elle l'avait agrippé. Il n'avait rien senti d'autre.
Tu sais, Colin, je ne me suis jamais vraiment demandé pourquoi j'avais été envoyé à Gryffondor. On n'avait pas froid aux yeux, tous les deux, et puis on était un peu bêtes, aussi. Avancer naïvement, ça nous allait bien. Et à présent que ce n'est plus possible, j'ai compris ce que la notion de courage pouvait signifier de plus. Il faut dire que j'ai subi un apprentissage en accéléré lorsque tu m'as quitté.
Alors j'ai appris.
Appris le courage de vivre sans ton fantôme pour protection, sans le regard des autres empli de pitié. Le courage d'entendre mon rire sans le tien comme écho insistant, le courage d'ouvrir ce putain de sac vert kaki ; d'oublier la question Pourquoi ? qui me taraudait l'esprit.
Le courage de te laisser partir.