Remus n'en peut plus, le silence devient trop assourdissant. La porte est juste devant lui et, derrière, ce qui deviendra peut-être son futur. Il aimerait entendre autre chose que le crépitement de la bougie posée sur la table, il aimerait compter les allées et venues de la Guérisseuse et deviner les réactions de Nymphadora, mais seule la lumière vacille et lui tient compagnie. Ils sont tous les deux dans cet appartement minuscule, ils ont l'impression d'être seuls au monde. Les membres ankylosés, Remus ne peut plus attendre sous peine de devenir fou. Alors il marche, de long en large, devant cette porte qui reste obstinément close, ce mur qui se dresse entre lui et l'objet de ses pensées. La Guérisseuse sort et l'espoir envahit son être, le soulage et laisse ses poumons respirer. Mais elle passe devant lui et remplit un verre d'eau. Elle repasse, lui conseille de s'asseoir. L'anxiété le gagne à nouveau et Remus refuse de croire qu'il y en a encore pour longtemps. Il ne sait depuis combien de temps il attend, celui-ci s'est arrêté et les secondes sont suspendues dans l'air. Il attendra jusqu'au bout, jusqu'à observer le jour se lever à travers la fenêtre.
Le voile de la nuit s'est posé sur un Londres endormi. Les étoiles brillent, insolentes, tentatrices, au milieu de l'étendue opaque. Elles la rendent translucide, ne font d'elle qu'un voile. Un sombre tissu qui protège l’univers et ne le laisse qu’entr’apercevoir à travers le monde des rêves. Les rêves ? Il n'en faisait plus, avant. Maintenant, la douce chaleur qu'il trouve auprès de Nymphadora l'apaise. Et, alors, il se surprend à en recueillir des brides, des morceaux d'imagination qui semblent renaître. Comment peut-il en être autrement quand il regarde ce bout de femme qui partage ses nuits ? La colère des lendemains de pleine lune, la colère de chaque matin et de chaque soir, la colère qu'il ne contrôle pas, qu'il aimerait ignorer, qui l'inhibe et le détruit, s'habitue à la douceur d'un corps endormi. Il pourrait admirer à longueur de journée ses folles mèches roses, ses yeux noisette, ses lèvres parfaites, son nez fin et la grâce de ses traits. Même s'il n'a aucune certitude que c'est elle, qu'elle est elle, qu'elle adopte sa véritable apparence, il la trouve belle. Et puis, il commence à trouver des ressemblances en fonction du visage qu'elle adopte. Elle est elle, telle qu'il la veut. Lorsque, l'année précédente, elle arborait des cheveux ternes, gris fades, lisses et beaucoup plus longs, il n'arrivait pas à détacher son regard de son visage, des nuances de sa queue de cheval, des couleurs même dans ce qu'elle refusait d'appeler « chevelure ». Penser à cette période laisse la colère passer au-dessus des digues qui cèdent. Des digues qu'il essaye pourtant de renforcer chaque jour. Il se sent indigne de l'attention que Nymphadora lui porte, il s'en sent redevable alors qu'il n'a rien à donner. Elle lui a gâché sa solitude mais est-ce pour autant une mauvaise chose ? Il se sent coupable de ressentir un peu plus le besoin de partir sans se retourner, de briser tout ce qu'ils ont échafaudé. Pourquoi s'est-il laissé emporter dans ce tourbillon de vie ? La tranquillité et le silence des soirées d'avant lui manquent, il essaye de ne plus y penser, n'y arrive pas. Et si Nymphadora remarquait qu'il hésite à laisser les draps de leur lit froids, de ne plus les réchauffer le soir lorsqu'il la rejoint ? Parce que lui devine le doute dans son regard, ces questions qu'elle se pose toutes les heures et qui rythment sa journée. Il reviendra, n'est-ce pas ?*
Remus ne s'en offusque pas, elle n'a jamais été si près de ses pensées. Mais cette question muette l'indiffère. Il n'y répondra pas, il préfère l'ignorer. La solution de facilité lui semble tellement plus agréable, tellement plus modulable. Il la tient dans ses mains et l'observe changer du jour au lendemain. Partir. Rester. Partir, rester. L'engagement qu'ils ont pris ne change pas grand-chose, il l'oblige un peu plus à prendre de la distance. Ses choix n'ont jamais été bons, Remus l'a toujours su. Et, plus le temps passe, plus il se le répète. Il a rejeté Nymphadora, l'a considérée comme une gamine qui s'accroche à un homme plus âgé. Un enfant qui ne serait satisfait qu'en brisant la carapace qui l'empêche de passer. Mais l'éviter est revenu à lui accorder de l'attention, à se rendre compte que ses sentiments sont là, et qu'il ne peut les ignorer. Il ne sait pas si c'est de l'amour, ne cherche pas à le savoir. Elle a beau être beaucoup plus jeune que lui, elle ne le rend peut-être que plus vivant.
Sans elle, aurait-il ressenti ce mélange d'excitation et d'angoisse qui brûle dans chaque parcelle de son être ? Aurait-il rit inconsciemment de blagues qui auraient pu lui paraître inappropriées ? Cette femme rose l'a sorti du monde noir dans lequel il vivait, des quatre murs qu'il bâtissait et qui le retenaient. Pourtant, cette attente le ronge et le lamine et, déjà, la morosité commence à envahir son présent. Nymphadora est derrière cette porte mais il ne peut entendre sa voix. Il ne sait pas si elle parle pour se rassurer, si elle serre les dents, si elle aimerait qu'il soit près de son lit, si elle veut qu'il lui tienne la main... Alors il n'ose pas entrer. Que pourrait-il faire à part lui communiquer son anxiété ? Il ne peut pas la regarder avec tendresse ou amour. Il ne peut pas non plus lui murmurer les mots rassurant qu'elle espère de lui ; il est incapable de les penser... Il ne pense qu'à l'enfant, et à son angoisse.
Ses jambes demandent à ce qu'il se lève, qu'il quitte cette position assise que lui a conseillée la Guérisseuse. A croire qu'elles veulent qu'il s'enfuie le plus rapidement possible, comme si tout ça n'existait pas. Comme si Sirius ne s'était jamais évadé d'Askaban, que Nymphadora n'avait jamais intégré l'Ordre, que ces quatre dernières années n'ont pas eu lieu. Mais il ne peut l'effacer et il a du mal à accepter de l'entrevoir comme une réalité. Comme sa réalité.
- Monsieur ?
Remus sursaute et la première réaction qu'il esquisse est le rejet. Sa main manque de se porter devant son visage, son corps se contente de s’enfoncer plus profondément dans le siège, il détourne la tête.
- Excusez-moi, vous avez dû vous endormir.
Elle a raison, bien sûr. La dernière chose dont il se souvient est cette porte fermée qui le séparait de Nymphadora. Elle est à présent ouverte et la Guérisseuse a enfilé son manteau. Les affaires sont rangées, l'accouchement est terminé. Remus tourne la tête et voit les premiers rayons du soleil se déposer doucement sur la ville et l'éveiller. Le poids sur ses épaules s'est un peu allégé. Ou, du moins, ne s'est pas alourdi. Cette femme ne se doute de rien, elle ne devine pas la peur qui à présent lui mord le ventre, lui broie le cœur, oppresse son esprit. Remus essaye de se lever et chancelle, il a perdu ses repères. L'appartement lui paraît bien sombre, la bougie n'est pourtant pas éteinte. Il laisse la Guérisseuse partir sur un « merci » quelque peu pâteux.
Il a l’impression qu’ils sont à nouveaux seuls, tous deux, dans l’appartement et que la femme et l’enfant ne sont pas dans la pièce à côté. Pourtant, la porte est ouverte, comme une invitation à découvrir l'horreur qui l'attend. Que fera-t-il si l'enfant est comme lui ? Crier toute sa peine au monde ne suffira plus à apaiser la colère et il saura alors qu'il n'a pas détruit une, mais deux vies. Aura-t-il le courage d'arracher le nourrisson, le monstre, aux bras de sa mère ? Comment a-t-il pu la laisser mener à terme cette grossesse ? Il a toujours voulu d'un fils ou d'une fille, à qui il apprendrait à ouvrir les yeux sur le monde et à goûter à la saveur précieuse et particulière de la vie. Mais pas dans ces conditions ! Ce souhait onirique n'aurait jamais dû se réaliser, il l'avait relégué au rang de fantasme jusqu'à... jusqu'à... Il doit savoir.
- Remus ? appelle Nymphadora.
Est-ce de la douceur ou de la douleur qu'il perçoit dans sa voix ? De la tranquillité ou du désespoir ? Le doute est présent, il prend toute la place et ne laisse place à aucun autre sentiment. Il n'y a que deux possibilités. L'enfer ou le soulagement. L'enfer, Remus y est habitué. Pas Nymphadora. Que deviendront-ils ? Alors il s'approche et entre lentement dans cette chambre noire où deux corps se fondent en un, où ils sont lovés dans un lit trempé.
- Remus, regarde ton fils.
Nymphadora lui a pris la main et l’incite à s’approcher du bébé endormi. Remus tremble mais le prend dans ses bras, il le regarde, l'observe et se perd dans la beauté de ces yeux. Les mêmes que son épouse. Et puis, après, il remarque les cheveux qui virent au bleu.
- Il n'a rien, souffle Tonks. Rien à part le don de Métamorphomage. Elise me l'a assuré, et je pense qu'elle a deviné notre crainte.
- Il n'a rien, répète-t-il.
Remus se sent fier d'être père, il est rasséréné et sa peur lui paraît loin, irréelle. S'il n'avait pas cette dilatation intérieure, il pleurerait de soulagement. Son fils n'a rien.
- Joyeux Anniversaire bonhomme, lui dit-il au creux de l'oreille avant de s'asseoir sur le rebord du lit. Il pose son garçon dans les bras de Nymphadora, l'embrasse, et rajoute : « A toi aussi, Nymphadora. »
Ce qu'ils ne savent pas, c'est que cet anniversaire sera le premier et le dernier qu’ils passeront tous les trois. Triste journée.