Assis sur un des sofas de la salle commune, devant la cheminée où crépitait un bon feu, Teddy Lupin ferma les yeux alors que des bribes de mots parvenaient à ses oreilles.
Elles parlaient de cours, de coiffure, de mecs, de …
- Ted.
Il ouvrit lentement les yeux en même temps que le visage de son interlocutrice se faisait plus net. Victoire… évidemment. Il la connaissait non pas parce qu’elle était dans la même maison que lui mais parce qu’elle était la fille de Bill Weasley, beau-frère de son parrain. Plusieurs fois, il avait été invité à déjeuner au terrier où il y avait rencontré toute la famille Weasley. Mais contrairement aux roux qui avaient une solide image de famille, Teddy, lui, ne supportait pas les éclats de rire autour d’une table, ni même les plaisanteries coquines de ses proches parce qu’il savait au fond de lui qu’il n’était qu’un étranger… à cette table où les secrets n’avaient pas leur place, dans ces invitations où son nom invisible était mentionné, à ces discussions où le passé les rattrapait.
- Ça ne va pas ? demanda Victoire dont l’expression de Teddy l’inquiéta.
- Qu’est-ce que tu veux ? demanda-t-il.
- Je me disais, expliqua-t-elle en balançant ses cheveux en arrière, pour la sortie prévue de Pré-Au-Lard, tu pourrais …
Il arqua un cil alors qu’elle jetait un regard en biais à ses amies, riant sous cape, qui l’encourageaient à poursuivre sa folie.
- Ne perds pas ton temps Victoire.
Son sourire s’effaça. Elle baissa la tête, risquant un rapide coup d’œil à ses amies qui avaient cessé de rire et se consultaient. Leur amie allait une fois de plus se faire rejeter par un Teddy qui avait délibérément oublié les règles de savoir-vivre. Elles décidèrent de se lever et de quitter la salle commune suivies par d’autres groupes. Victoire se sentit soulagée d’être ainsi comprise alors que l’idée même de cette mise en scène révolta Teddy. Il inspira un bon coup avant de se lever pour débarrasser lui aussi le plancher.
- Teddy, appela-t-elle, qu’est-ce que tu me reproches à la fin ?
Elle n’aurait pas dû poser cette question. Pourtant au moment précis où elle le fit, il avait juste fermé les yeux, des images traversant son esprit, des milliards de pensées envahissant sa tête n’ayant qu’une envie : sortir de sa bouche et les gifler à la fille qui se trouvait derrière lui. Parce qu’à ce moment précis, il avait juste envie de hurler à son injustice.
- Qu’est-ce que tu me reproches, répéta-t-elle plus faiblement.
Une fois de plus, Teddy se contenta d’ignorer les voix et pensées qui se faisaient de plus en plus violentes et prit la direction du portrait de la Grosse Dame espérant échapper à une question à laquelle il refusait de répondre depuis bien longtemps.
- Teddy, s’énerva Victoire, qu’est-ce que tu me reproches ?
Il fit volte-face et Victoire dut reculer face aux yeux sombres qui la fixaient avec colère et ses cheveux qui avaient pris une teinte bleue nuit, alors qu’ils étaient turquoise il y a à peine dix minutes.
- Rien du tout, répondit-il. Qu’est-ce que je pourrais te reprocher ? Tu es belle.
- Tu ne le penses pas, répondit-elle.
C’était vrai. Il ne la trouvait pas jolie. Il avait détecté un petit problème chez lui. Il n’arrivait pas à qualifier quelqu’un de beau ou belle par son physique. Le physique ça se changeait, en tant que métamorphomage il le savait. Il qualifiait quelqu’un de beau par son esprit. Et Victoire n’était pas belle du tout.
- Tu vois, ajouta-t-elle, tu ne me trouves pas jolie. Et pourtant la plupart des garçons m’ont demandée de sortir avec. J’ai du sang de vélane et…
- Que veux-tu que cela me fasse ? répondit-il. Ça ne me regarde pas.
- Mais bon sang, quand comprendras-tu que je voudrais sympathiser avec toi.
Il continua à la fixer alors qu’elle priait intérieurement pour qu’il lui réponde mais il se contenta de hausser les épaules.
- Teddy, murmura-t-elle alors qu’il s’apprêtait à nouveau à partir, je t’en prie, réponds-moi. Dis-moi ce qui ne va pas, je le changerai.
Le jeune homme se retourna une seconde fois pour voir la frêle jeune fille baisser honteusement la tête au moment où il posait les yeux sur elle. Il fit un pas vers elle.
- Pourquoi est-ce que tu devrais changer pour moi, c’est ridicule.
- D’autant plus ridicule que tu me détestes pour une raison obscure.
- Je ne te déteste pas.
- Mais enfin arrête Teddy.
Elle s’énervait. Elle ne devait pas s’énerver. Parce qu’il pourrait lui aussi avoir dû mal à contrôler son courroux si elle élevait la voix.
- Arrête avec ça. Tu dis que tu ne me détestes pas mais tu me parles comme si tu l’étais. Arrête d’être courtois avec moi. Dis-moi ce qui ne va pas, qu’on en finisse une bonne fois pour toute.
D’aussi loin qu’elle s’en souvienne, Teddy avait été son camarade de jeu lorsqu’ils étaient petits. Et cela n’avait jamais changé jusqu’à ce qu’il entre à Poudlard. Peu après, lorsqu’ils s’étaient vus, il s’était éloigné. Lorsqu’elle avait intégré Poudlard, à son tour, Teddy avait progressivement cessé de lui adresser la parole pour une raison qu’elle ignorait.
- Je n’arrive pas à te comprendre, commença-t-il. Ta vie est pourtant bien faite, pourquoi te compliques-tu ainsi la vie ? N’es-tu pas heureuse ? Tu as de bonnes notes, une famille qui t’aime, tes amies qui tiennent à toi, que te faut-il de plus ?
Elle n’arrivait décidément pas à comprendre la logique de son ancien ami.
- Je n’y arrive pas, continua-t-il. Pourquoi t’intéresses-tu à des détails aussi futiles ? Pourquoi auraient-ils de l’importance à ton bonheur, c’est si … désespérant !
Il la vit serrer les poings et mordre sa lèvre inférieure.
- Tu aimerais que je te le dise c’est ça ? dit-elle enfin. Ce serait plus simple pour toi de me rejeter une fois de plus, hein ? Alors peut-être que ça t’amuse finalement de …
Il leva la main pour l’empêcher de continuer.
- Ne te fatigue pas Victoire, ne prends pas la peine de te justifier parce que ta réponse m’indiffère.
Cette fois, il considéra que la discussion était close et se prépara à la quitter pour monter les escaliers lorsque Victoire attrapa le bout de sa veste, le retourna pour tirer son col.
- Mais pour qui tu te prends, hein ?
Il nota les larmes qui lui brouillaient la vue et qui finalement roulèrent le long de ses joues.
- Bien sûr, pour Monsieur, tout est indifférence et après c’est moi que tu trouves désespérante ?
- N’aggrave pas ton cas plus qu’il ne l’est, Victoire, dit-il en posant ses doigts sur les poignets de la jeune femme pour les retirer.
- S’il te plait, répondit-elle sachant pertinemment que si elle s’énervait contre lui, il répondrait par de l’ignorance. Explique-moi.
- Tu deviens pathétique Victoire, s’énerva-t-il en ôtant ses mains. Lâche-moi maintenant, ça suffit à la fin !
Il les lâcha pour rajuster son col tandis qu’elle garda ses bras levés, dans la position où Teddy les avait laissés tout en le fixant. Il jeta un regard à ses mains prêt à partir.
- Donne-moi une bonne raison pour ne pas te détester à cet instant précis, Teddy.
Mais il se contenta de tourner les talons. Au moment, cependant où il franchit la première marche, il répondit :
- Au contraire Victoire, tu devrais m’ignorer. Tu es la réussite même. Et je suis ton opposé.
Elle resta de longues minutes à essuyer les larmes qui ravageaient son visage. Chaque fois qu’une pensée cohérente traversait son esprit, elle essuyait ses yeux, mais quelques secondes plus tard, le visage colérique, les yeux sombres et l’indifférence de Teddy les remplaçaient et elle se remettait à sangloter. Elle ne lui avait pourtant rien fait. Elle ne l’avait jamais insulté, ne s’était jamais moqué de lui, ne lui avait jamais fait une blague débile. Elle l’avait toujours respecté et aujourd’hui … elle pouvait même avouer qu’elle ressentait un sentiment plus fort que de l’amitié pour lui. Et Monsieur restait indifférent à tous les efforts qu’elle faisait pour qu’il la remarque, à toutes les phrases qu’elle se tuait de prononcer. Non, Teddy ne voyait rien et elle ne comprenait ni sa logique, ni sa réaction.
Vu d’ici, il y avait peine à croire qu’il avait raison. A quoi bon toute cette témérité quand il ne comptait pas changer d’avis sur elle ?
Le lendemain matin, Victoire tomba nez à nez à Teddy lorsqu’elle voulut quitter la salle commune pour se rendre dans la Grande Salle. Teddy, au contraire, prenait très rarement le petit-déjeuner à l'heure de pointe, préférant le moment où celle-ci était plus calme. Il était un solitaire. Victoire avait noté ce détail l’année dernière quand elle avait commencé à faire plus attention à sa personne. Il n’était pas entouré d’amis, s’énervait très vite avec ceux qui tentaient d’être gentils. Les seules personnes avec qui il arrivait à garder son calme étaient la famille Potter et certains Weasley.
Teddy, qui avait les cheveux jaune ce matin, signe qu’il était abordable, lui jeta un bref regard avant de passer à ses côtés pour entrer dans la salle commune. Victoire avait deux solutions devant elle : passer son chemin ou lancer la très mauvaise réplique qui était toute droit sortie de sa colère juste avant qu’elle ne sombre dans son sommeil.
Elle opta pour la seconde. Elle n’avait plus rien à perdre.
- Tu aurais préféré que mes parents soient morts dans cette bataille, n’est-ce pas ?
Teddy s’arrêta sur cette parole.
- Ou bien que mon père devienne un loup-garou ?
Il se tourna légèrement pour la fixer.
- Ou que je ne sois pas née le 2 mai, mais plutôt un jour pendant la guerre, quel qui soit ?
Il pouffa de rire.
- Pff, tu dis vraiment n’importe quoi quand tu t’acharnes, Victoire.
- Ce n’est vraiment pas ce que tu me reproches ?
Un éclair de colère passa dans ses prunelles, ses cheveux virant au rouge, et à ce moment-là, elle comprit qu’elle avait vu juste. Cela faisait bien quelques semaines qu’elle cogitait sur les raisons pour lesquelles Teddy pouvait lui en vouloir sans jamais vraiment admettre que ce pouvait être ça. Teddy était quelqu’un d’honnête, de juste, très solitaire cela va de soi, mais regretter voir reprocher le bonheur des autres ne faisait pas partie de lui. Et pourtant, la veille, sous forme de code certes, il avait répondu à sa question. Elle n’avait jamais vraiment eu envie de le confronter, préférant se faire humilier, quitte à accepter qu’il puisse se défouler du malheur qui le déchirait en permanence plutôt que de lui balancer les quatre vérités qui, à elle, la meurtrissaient chaque jour à petit feu. Dans les deux cas, elle était à la fois la seule à souffrir et la seule à y mettre un terme. Mais elle savait que cela n’arrangerait jamais les choses. Teddy avait besoin d’être confronté à son injuste comportement.
- Non, répondit-il, tu te trompes. Et tes amies t’attendent, compléta-t-il.
- Tu n’as pas de famille, qu’une Grand-mère qui peut passer de l’autre côté à tout moment tandis que moi j’ai une si grande famille que je ne peux même pas compter. Mes parents ont eu la chance, tous les deux, de survivre à cette bataille tandis que les tiens …
- Tais-toi Victoire !
Ses cheveux se coloraient en noir. Il s’énervait. Etait-ce une bonne chose ?
- Ton père a eu la malchance de s’être fait mordre et il est devenu un lycanthrope tandis que le mien.
- Je t’ai dit de te taire, Victoire. Ne me mets pas à bout, la prévint-il en s’approchant d’elle.
Elle secoua la tête en signe de négation, plaquant son dos sur le portrait de la Grosse Dame alors qu’il faisait un pas de plus vers elle, voulant l’empêcher à tout prix de continuer à déblatérer ses âneries.
- Le mien a été mordu certes mais comme il n’était pas totalement transformé, il a eu cette chance de …
- Victoire, je ne le répéterai pas, dit-il d’un ton calme, tais-toi.
- Et pour couronner le tout, je suis née le 2 mai, jour de la victoire tandis que …
Cette fois, il posa une main sur sa gorge l’empêchant ainsi de parler.
- Teddy…
Ses yeux lançaient des éclairs mais elle avait besoin de poursuivre.
- Et tu oses me demander pourquoi je m’attache à de telles futilités ?
Choqué, il dégagea sa main alors qu’elle se massait la gorge. Elle leva les yeux vers Teddy qui avait détourné la tête.
- Et après ça, tu oses me dire que j’ai tout pour être heureuse alors pourquoi je devrais m’accrocher à toi, mais n’est-ce pas ce que tu es en train de faire ? Tu t’accroches au passé alors que nous sommes tous là pour toi. Tu voudrais me traiter d’égoïste mais laisse-moi te rappeler que tu en es un.
Elle aurait aimé en rajouter une couche juste histoire de se venger de toutes les fois où il l’avait rejeté mais elle n’en eut pas la force. Teddy venait de comprendre et il semblait réfléchir. Il avait besoin de temps. Peut-être aurait-elle dû lui dire cela il y a bien longtemps ?
Elle sourit en voyant ses cheveux prendre la couleur du ciel.
Lentement, elle se déplaça pour se mettre face à lui et constata qu’il fixait le sol en quête d’une réponse. Pour une raison qu’elle ne s’expliquait pas, elle leva timidement les bras.
Elle ne pouvait pas … pas être comme lui. Comme il l’avait laissée la veille. A son triste sort. Elle était son opposé. Elle ne pouvait décidément pas jouer la carte de l’indifférence.
Il leva à nouveau des yeux colériques vers elle, prêt à lui répliquer quelque chose de méchant mais elle décida de fermer les yeux, de se jeter sur lui et d’enrouler ses bras autour de son cou.
- Je ne t’entends pas Teddy, murmura-t-elle, je ne t’entends pas. Je ne veux pas t’entendre, je ne veux pas t’entendre. Je ne veux pas te voir.
Elle fut surprise de son silence et se serra contre lui, mal à l’aise de sentir que les bras de Teddy ne réagissaient pas à cette étreinte.
Elle sentit alors les mains du jeune homme se poser sur ses bras et dans un seul mouvement les détacha de son cou pour la repousser.
A ce moment-là, il savait qu’elle se sentait humiliée, mal à l’aise et pour une raison qu’il ne s’expliquait pas, il appréciait le spectacle. La voir malheureuse. C’était peut-être pour cette raison qu’il la rejetait sans lui donner la moindre explication. Parce que justement l’explication, elle était là, il aimait la voir souffrir. Il aimait la briser. Briser Victoire. Briser la réussite même. Parce que mine de rien, on pouvait détruire cet œuvre d’art. Ce beau tableau qu’on avait longtemps exposé sous le regard des autres et qui venait d’être tâché. Une tâche qu’il s’était amusé à faire. Et il se délectait de la voir s’éparpiller et de noircir totalement l’image. Il léchait sa propre réussite. Sa réussite d’avoir gagné contre la chance. Pas si chanceuse que ça finalement.
Elle essuya rapidement ses yeux au moment où un Gryffondor descendait les escaliers pour sortir alors que devant elle, les cheveux de Teddy retrouvaient une couleur rose vive.
Elle n’arrivait pas à parler. Elle avait pourtant envie de lui dire le fond de sa pensée mais aucun son ne sortait de sa bouche.
Teddy passa à ses côtés, frôlant volontairement son bras. Electrocutée, elle sursauta en faisant deux pas en arrière tandis qu’il lui jetait un regard interrogateur avant de prendre place sur un des sofas de la salle commune. Victoire, toujours clouée sur place, incapable de faire le moindre geste, ferma les yeux devant la terrible vérité qui venait de la frapper.
- Je te déteste Teddy Lupin, je te déteste, siffla-t-elle.
Et elle s’enfuit par le portrait de la Grosse Dame, l’indifférence de Teddy Lupin lui donnant envie de vomir.