Elle avait une voix grave, profonde, qui fit se serrer les entrailles de Draco. Tout en elle n’était que force brute, elle exaltait une virilité qui devait mettre tous les hommes mal à l’aise et les jeter dans des troubles semblables à ceux qui agitaient alors Draco. Il pouvait presque toucher son charisme de ses mains, le voir briller autour d’elle comme un halo. Elle but lentement une gorgée de son verre de vin sans plus prêter attention au jeune homme assis face à elle, qui regarda avec fascination sa bouche s’entrouvrir et la marque de rouge à lèvres qu’elle laissa sur le cristal. Elle était enivrante. Draco aurait voulu commander une nouvelle absinthe, mais il savait qu’on hésiterait à le servir et cela l’exaspérait d’avance. Il se sentait très mal, mais est-ce une raison pour céder à son faible corps et arrêter de boire ? Il poursuivait des sommets autrement plus élevés que la santé ou la mesure. Il agita toutefois la main en direction du bar, ses yeux dérivant au dessus de l’océan de chevelure pour capter le regard du patron, qui ne manifesta aucunement qu’il l’avait vu mais attrapa la bouteille pour se diriger vers lui. Il faudrait qu’il songe à lui laisser un pourboire pour sa contribution à ce lent dérèglement des sens que Draco chérissait. Il oublia presque la présence de l’inconnue quand il admira une fois encore le balancement verdâtre au fond de son verre. Il huma la saveur capiteuse et anisée et s’apprêtait à tendre la main vers la cruche d’eau quand la voix envoutante résonna de nouveau :
« Laissez-moi absinther. »
Un sourire déforma les lèvres pâles de Draco quand il l’entendit utiliser ce verbe si particulier. Absinther… C’était toute une promesse de voyage, de longues routes tortueuses, un rituel secret au cœur de la nuit. Il n’était pas sûr de ce qu’elle lui demandait mais hocha la tête pour accepter. Comment refuser quoi que ce soit à quelqu’un qui utilise un si joli mot ? Il le fit rouler sur sa langue, découvrant toute sa saveur, toute sa profondeur. Pendant ce temps, la femme avait tiré le verre vers elle et posé le sucre sur la cuillère avant de verser lentement l’eau sur le breuvage. Elle avait des gestes lents et fascinants, Draco n’arrivait pas à comprendre comment elle pouvait le laisser ainsi suspendu au moindre mouvement de ses doigts. Elle dégageait, tandis qu’elle préparait l’absinthe, un charme sulfureux venu du fond d’un autre temps. Elle allait tellement bien avec l’absinthe que Draco se demanda un instant comment l’une pouvait être désirable sans l’autre, et comment il avait pu apprécier autant de verres sans cette femme. Son sourire était tranchant quand elle lui rendit son verre, alors il eut l’absolue certitude que la fée verte lui serait mortelle. La femme leva son verre de vin et ils trinquèrent à la nuit, cette compagne qu’ils s’étaient tous les deux choisis. Draco aurait gémi s’il ne s’était pas retenu en sentant ce goût qu’il connaissait si bien mais qu’il redécouvrait à chaque fois. Il avait raison, cette sublime femme renforçait la magnificence de l’absinthe, et réciproquement l’absinthe donnait à cette inconnue plus de caractère encore. Elle était magnétique, le genre de femme sur qui on n’ose même pas se retourner.
« Vous vous appelez ? »
Il avait l’impression qu’en connaissant son nom il s’assurerait de sa réalité, elle ne serait plus cette femme inaccessible qu’il avait croisé par hasard. C’était la première fois depuis des jours que quelque chose de remarquable lui arrivait, autre que ses voyages absinthés bien sûr, et il ne voulait pas laisser passer cette occasion. A moins que ça ne soit une aussi étrange qu’irrépressible envie de parler à cette créature surprenante. Elle avait les paupières lourdes, qui n’entravaient en rien la flamme de son regard, et dévisageait maintenant Draco avec un intérêt ardent. Elle répondit aussitôt, comme si elle avait senti la question venir.
« Agdistis, je m’appelle Agdistis. »
Draco aurait pu être surpris, mais le sorcier était tant habitué aux prénoms étranges que celui-ci ne l’étonna nullement. Il se demanda un instant si la femme était sorcière avant de se dire que de toute façon, elle dégageait suffisamment de magie pour que son humanité même pût être remise en doute. Il ne cherchait même pas à cacher son trouble en observant son vis-à-vis. Elle lui rendait l’intensité de ses regards, pourtant nulle séduction ne semblait à l’œuvre entre eux. Agdistis ne pouvait tout simplement pas détacher ses yeux de cette saisissante lueur dans les yeux du jeune homme. C’était peut-être l’absinthe qu’il avait bue, ou la lumière trompeuse, mais elle voyait passer dans son regard des vagues colorées, des stries zébraient ses iris comme autant de fissures à son âme. Comme si on essayait de diluer ses yeux, des larmes venaient les humidifier et durant une seconde à peine la lumière faisait alors un écran entre lui et le monde avant qu’il ne cligne des paupières et que tout redevienne comme avant, et cela recommençait à l’infini, avec à chaque fois des variations de couleur, des éclats âpres succédaient à des pointes douloureuses puis l’absinthe distillait son poison et ses pupilles emplissaient tout l’espace d’un trou noir qui absorbait toute vie de son visage. Il y avait une ombre qui obscurcissait la peau pâle de son avant bras, comme un tatouage à demi effacé. Une ombre semblable dansait dans son regard, avec un sourire sanglant.
Agdistis se rejeta en arrière sur sa chaise avant de poursuivre :
« Oui, Agdistis, prénom que je partage avec une grande déesse, l’équivalente de Cybèle. Et vous, comment puis-je vous nommer ?
— Draco. »
Il aurait aimé développer sa réponse, peut-être lui raconter quelque chose à propos de l’étymologie de son prénom, mais il préférait mille fois l’écouter elle, et se taire. Elle avait une voix berçante, de celles sur lesquelles on se laisse rouler en essayant de ne pas être emporté. Draco, lui, n’avait plus envie de se retenir à quoi que ce soit, il accepterait d’être raisonnable le jour ou le monde vaudrait ce sacrifice. En attendant, l’envoûtante Agdistis pouvait faire ce qu’elle voulait de son âme, il était prêt à se noyer au fond de son verre où elle se reflétait. Livré tout entier à l’absinthe et à Agdistis, il n’aurait plus besoin de penser, peut-être qu’enfin ces voix qui ne voulaient pas se taire allaient le laisser en paix. Peut-être qu’il allait réussir à extraire de son corps toute cette haine qui lui brûlait les entrailles et le laissait exsangue. Peut-être que l’absinthe avait eu le pouvoir de faire venir à lui cette femme et qu’alliées elles allaient refermer la blessure qui le tenait à la vie. Aucune parole n’aurait, de toute façon, put être plus évocatrice que ce silence dans lequel ils s’enfonçaient avec indifférence. Draco porta une nouvelle fois son verre à ses lèvres, presque machinalement et sans y prêter d’attention. S’il était à peine conscient de ses gestes, ce n’était pas le cas d’Agdistis, qui détaillait le moindre de ses mouvements avec un intérêt constant. Elle posait sur lui un oeil direct et froid, sans chercher à dissimuler son attention, et comme si rien n’était plus normal. Elle ne chercha aucunement à fuir le regard de son vis-à-vis quand celui-ci confronta ses prunelles grises à ses yeux sombres, pas plus qu’elle ne semblait trouver gênant ou indécent d’ainsi dévisager un inconnu. Ils ne connaissaient l’un de l’autre que le nom, pourtant Draco avait l’impression qu’elle était familière de ses démons, et c’était suffisamment intime pour qu’il ne soit gêné ni du regard qu’elle posait sur lui ni de sa propre façon de la fixer avidement.
Mais était-elle seulement vraie, cette femme ? Draco avait appris à ne plus se fier à ses sens défaillants, surtout lorsque l’absinthe l’ensorcelait comme ce soir. En même temps, il doutait de pouvoir inventer une telle créature par la simple force de sa pensée, ou alors il était vraiment doté d’une imagination saisissante, plus qu’il ne l’aurait pensé. Toutefois, il devait admettre que même l’imaginaire le plus efficace et développé qui soit ne pouvait le retenir d’une poigne ferme, mélanger l’absinthe, lui parler… C’était donc que cette femme était réelle. Avec l’impression de s’être déjà fait cette réflexion, il tâtonna la table avec des gestes lent, jusqu’à ce que ses doigts rencontrent le verre froid qu’il porta à ses lèvres. En savourant le breuvage, il ne put s’empêcher de songer qu’Agdistis était loin d’être ce qu’il aurait qualifié d’une belle femme. Certes, elle avait un charme, un charisme, on ne pouvait le nier, mais il y avait une certaine dureté dans ses traits, et quelque chose de dérangeant, qui mettait mal à l’aise, dans sa façon de se comporter. Son visage attirait autant qu’il repoussait, et Draco se faisait l’effet d’être un papillon drogué à la lumière, prêt à se jeter dans des flammes qu’il savait dangereuses juste parce qu’elles étaient belles. C’était, après tout, ce qu’il faisait depuis des nuits et des nuits, à chaque fois qu’il se perdait dans le vert de l’absinthe, qu’il laissait ce lent engourdissement alcoolique le réveiller, l’endormir, l’emporter.
Elle laissait ses yeux fixés sur le visage pâle, presque anémique, du jeune homme, détaillant sans vergogne les expressions qui se succédaient sur ses traits fatigués. C’est avec une fascination presque malsaine qu’elle rivait son regard à Draco, se laissant hypnotiser par les ombres infernales qui passaient dans ses iris. Agdistis étendit ses jambes, faisant claquer ses talons hauts contre un des pieds de la table en le heurtant. Sa bouche se tordit en une grimace quand elle se demanda quelle image leur étrange duo pouvait donner. Ils devaient déjà paraitre bien dépareillés, elle ne pouvait pas avoir la même allure que cet étrange jeune homme qui buvait absinthe sur absinthe avec cet air d’innocence sanglante à couper le souffle. Elle devait même sembler diablement banale face à Draco. Celui-ci tendit sa main par-dessus la table, frôlant le bois de son avant-bras dénudés, et referma ses doigts sur le poignet de la jeune femme alors qu’elle s’apprêtait à porter son verre à ses lèvres. Il ne lâcha pas prise, même lorsqu’elle tordit son bras en tout sens pour se débarrasser de sa poigne douloureuse, trop heureux de sentir la jeune femme s’agiter. Il sentait ses ongles s’enfoncer dans la peau fine d’Agdistis, son pouls qui pulsait contre son pouce. Il la voyait froncer les sourcils, se pencher en arrière pour tenter de libérer son bras. C’est donc qu’elle existait vraiment, plus de doute à avoir à propos de ça. Il avait affaire à une vraie personne, pas à une hallucination particulièrement sophistiquée de son esprit. D’un mouvement sec, elle s’arracha à son étreinte et massa son poignet endolori. Draco eut le bon goût de paraitre gêné en voyant la marque rouge qu’il lui avait faite, et la trace que ses ongles avaient laissée dans sa chair. Pourtant, il avait l’étrange impression que si elle l’avait voulu, elle se serait soustraite à lui bien plus facilement, bien plus rapidement. Ses maigres tentatives n’avaient servis qu’à donner le change, à répondre aux attentes du jeune homme, peut-être même juste à lui faire plaisir. Elle n’avait nul besoin de lutter pour se débarrasser de lui, ou de quiconque la gênait, Draco en avait la certitude.
Il ne savait pas quoi dire, et il ne cherchait pas. Se contraindre à la conversation était un supplice qu’il ne tenait plus à s’imposer depuis longtemps. Les silences avaient un goût qui se mariait si bien à l’absinthe que la moindre parole eût semblé criminelle. Il avait atteint le fond de son verre comme un musicien finit une partition, et il fut surpris d’en ressentir une satisfaction primaire. Il n’osait pas lever les yeux, il savait qu’Agdistis le fixait encore et cela le mettait à présent mal à l’aise. Il envisagea de se lever pour changer de table tout en allant se faire resservir un énième verre, mais l’idée de quitter l’ombre de sa lumière le répugnait. Elle allait tellement bien avec cette nuit, et avec lui. Il se moquait de savoir ce qu’elle faisait là, de connaître sa vie, il voulait simplement que l’’obscurité passe, que le ciel infusé d’astres se fasse plus accueillant. Il ne savait plus, depuis longtemps, avoir de préférence entre le jour et la nuit, l’un et l’autre se ressemblaient tant. Un éclaire de lucidité le traversa et fut pour lui comme un coup en plein dans le ventre. Il n’avait plus rien à attendre, et c’est pour ça que la vie lui paraissait si morne, si dénuée d’importance. D’un mouvement brusque, il attrapa son verre et le leva en se disant qu’il perdrait cette révélation dans les méandres de l’alcool, l’oubli total n’était qu’à quelques verres de distance. Agdistis fit remplir son verre de vin et ils trinquèrent, mais Draco eut à peine trempé ses lèvres dans sa liqueur qu’un dégoût foudroyant le pris, et avant même d’avoir eu le temps de battre des cils il sentit son estomac se soulever et il eut à peine le temps de se tourner avant que son malaise ne l’emporte. Il lui semblait qu’il aurait dû avoir honte d’afficher ainsi les limites de sa résistance face à Agdistis, mais il était parti trop loin des sentiments humains pour ressentir quoique ce soit d’autre qu’un mal nauséeux qui menaçait de le rendre malade, une fois encore. Il laissa glisser sa tête dans son bras replié sur la table, ne cherchant ni à retenir le gémissement qu’il sentait monter dans sa poitrine ni à conserver la moindre parcelle de dignité.
Un claquement de chaussures à talon et le monde qui se dérobait sous lui, ou plus vraisemblablement quelqu’un tirait la table sur laquelle il était appuyé. Il lui sembla qu’Agdistis lui parlait, pourtant il n’avait aucune envie de s’accrocher à ses mots, aussi il préféra laisser retomber son âme en lui tandis qu’il chutait lourdement dans les bras tendus de celle qui venait de lui retirer l’appui de la table. Elle l’empêchait, encore une fois, de tomber sur le plancher crasseux, en le retenant contre elle. Il allait finir par croire qu’elle avait été envoyée par une quelconque divinité pour arrêter son âme dans sa décadence. Il le sentait contre lui, son corps était brûlant, presque trop pour que ce soit tolérable. Elle avait une odeur lourde, musquée, presque métallique. Quelque chose d’entêtant, de brutal. Un mélange de sueur et d’autres choses que Draco n’arrivait pas à identifier. Mais une odeur résolument humaine, trop peut-être pour Draco qui sentit qu’il allait encore se trouver mal s’il ne s’éloignait pas rapidement de ce puits de chaleur et de vie. Pourtant il ne fit rien pour s’éloigner d’Agdistis et se laissa au contraire plus lourdement encore aller contre elle. Il respirait à plein poumon le parfum assassin qu’elle exhalait, la main agrippé au tissu de sa robe, qu’il imaginait froissée sous ses doigts. Elle resta immobile contre lui une minute, peut-être deux, voulant sans doute lui donner le temps de se remettre sans se douter qu’au contraire il se laissait tomber toujours plus bas dans les gouffres des enfers. Enfin, elle le força à pivoter et, en le soutenant, elle le poussa en avant. Il n’avait aucune envie de marcher, il était à peine capable de forcer ses yeux à demeurer ouverts, mais il avait la sensation que le corps qui avançait en s’appuyant lourdement sur les épaules nues d’Agdistis n’était plus tout à fait le sien, alors qu’importait ce qu’il faisait ? C’était comme s’il voyait la scène de l’extérieur, il aurait même pu sourire ironiquement devant cette débandade de grandeur, mais ses lèvres n’étaient pas plus à lui que le reste de ce corps fin et anguleux. Il y avait quelque chose de sensuel dans la manière dont ils se jouxtaient, dans le frôlement de leurs hanches, dans la main de Draco au creux des reins cambré d’Agdistis. Elle ne tanguait pas sous le poids presque inerte de l’homme contre elle, et ses talons claquaient au rythme irrégulier de leurs pas, comme le métronome déréglé d’une vie qui arrive à son terme.
Cette fois-ci la porte grinça quand elle s’ouvrit devant eux, et Draco ferma les yeux un instant en sentant la nuit glisser sur ses lèvres. Et dans le champ dévasté de son âme il laissa pénétrer le crépuscule, curieux de voir ce qu’il pourrait faire de pire à son cœur déjà froid. Il détaillait mécaniquement, ave un intérêt presque scientifique, chaque blessure que le vent réveillait, chaque douleur qui revenait, chaque noirceur qui s’accentuait. Dans ce contexte la chaleur du corps contre le sien lui paraissait être une insulte, une provocation faite au monde sensible, aussi il se débarrassa du bras passé autour de sa taille, se réjouissant à l’idée de s’enivrer de la noirceur du ciel après avoir offert son cœur tourmenté à l’étourdissement alcoolisé. Chaque bourrasque qui claquait emportait un peu de lui-même, et il sut alors sans doute aucun qu’il ne survivrait pas à cette nuit. Elle n’était que l’aboutissement magistral de prés de vingt année d’agonie merveilleuse. Il avait atteint les sommets de la grandeur décadente, il ne pouvait qu’apprendre à voler puisqu’il était hors de question qu’il redescende. Il ne le pouvait plus de toute façon, l’humanité l’avait depuis bien trop longtemps mise au rebut pour l’accepter de nouveau dans ses rangs. Draco leva la tête pour admirer les étoiles, stupéfait de devoir son nom à leur lumière. Il attrapa la main d’Agdistis avant de se laisser tomber au sol, dans une tentative mal calculée se s’asseoir sur l’herbe détrempée, où il finit par s’allonger, sentant toujours sur lui le regard d’Agdistis, et sa main dans la sienne. Il avait froid, à vrai dire tout son corps était parcourut de tremblements compulsifs et il sentait contre son dos l’eau de la pluie qui commençait à imprégner ses vêtements, sa peau, son âme. Lui qui avait toujours eu la peau pâle, il était presque fantomatique ainsi offert aux ténèbres. Il enfonça ses doigts dans la terre sombre en poussant un long gémissement, se cambrant pour résister à l’assaut de la matrice originelle qui tentait de lui donner un dernier souffle vital, et puis il s’immobilisa, suspendu entre le silence irréel de la nuit et le regard d’Agdistis qui ne le lâchait pas. Une éternité sembla s’écouler, les laissant tous les deux hagards et tremblants, puis Agdistis se pencha vers lui.
Une flamme soudaine anima les yeux de Draco, leur donnant un éclat étrange en comparaison à son visage marmoréen. Plus elle se penchait vers lui et plus Agdistis voyait les pupilles de Draco se dilater, avalant peu à peu la totalité du gris fissuré de ses yeux, effaçant les ombres qui y flottaient pour y jeter un éclat animal. Elle resta un instant suspendu à quelques centimètres du visage du jeune homme, opposant leurs regards, cherchant à pénétrer dans celui de son vis-à-vis, confrontant ses iris à la noirceur qui hantait Draco. Et, brusquement, leurs lèvres se heurtèrent dans un baiser aussi maladroit que violent. Maladroit parce qu’ils n’avaient plus vraiment le contrôle de leurs gestes depuis des heures, violent parce qu’il exprimait la peur désespérée de l’un et la grandeur échouée de l’autre. Draco referma ses bras sur le corps penché au dessus de lui, faisant basculer Agdistis contre lui. Il mordit ses lèvres plus qu’il ne les embrassa, les ongles profondément enfoncés dans sa peau, sûr de lui laisser des marques sanglantes. C’étaient les ténèbres qu’il étreignait à travers le corps chaud pressé contre le sien, il abdiquait enfin toute espèce d’humanité au profit du noir désir qui l’étreignait. Le lent dérèglement des sens qui avait été le sien n’avait tendu que vers cet instant ultime, celui où il se perdrait totalement en cédant à l’enfer jusqu’à la dernière parcelle de son être. Presque trop conscient pour l’être vraiment il resserra son emprise sur Agdistis, la sentant le griffer tandis que ses doigts trouvaient un chemin sous sa chemise. C’était presque un combat entre Draco et lui-même, entre son misérable être et la majesté défectueuse de son âme. L’éclat vert de l’absinthe dansait dans ses yeux, malsain et hypnotique, pourtant cette fois-ci Agdistis n’y prêta nulle attention lorsqu’elle s’arracha finalement à l’étreinte de Draco, le laissant haletant et enfiévré. Pour preuve de sa réalité il ne lui resterait le lendemain que les traces dont elle avait marqué sa peau, et sa certitude de ne plus jamais vouloir connaître les profondeurs dans lesquelles il avait sombré. Draco laissa le goût du sang lui envahir la bouche et diluer celui de l’absinthe, dans une agonie trop réelle pour être chimérique. Et dans sa chair, dans son sang, il le savait. Une partie de lui n’avait pas survécu à cette nuit.
Il était vivant.
Je redécoupe ce texte, qui avait été originellement posté sous forme d'OS, ce qui ne lui correspondait pas vraiment. Je répare maintenant cette erreur.
Bonne lecture !
Voilà, j'espère vraiment que vous avez aimé; Que ce soit le cas ou pas, pensez à me laisser une review s'il vous plait :)