J’en ai fait la douloureuse expérience, Dorcas.
Courir après toi est quelque chose que nombre de gens s'évertuaient à faire. Toi. Toi et tes boucles brunes. Toi et ton regard de givre. Toi et ton rire cristallin.
Oh, oui, les gens t’aimaient, Dorcas. Ils t’aimaient tellement.
A défaut de les avoir tous, toi, tu t’es contentée d’en choisir deux.
Et je n’en faisais pas partie.
Je ne t’en veux pas, tu sais. Après tout, nous n’avons vraiment jamais eu l’occasion de nous parler. Tout ce que je sais de toi, je le sais par commentaires interposés, par observation. Mais j’ai tout de même l’impression de te connaitre mieux que quiconque.
Pour certains tu es la vive, la belle, l’éblouissante adolescente que tu as toujours été lorsque tu étais à Poudlard. Pour d’autres, tu es la magnifique jeune femme qui a passé les derniers instants de sa vie à venger la mort de ses deux amours perdus. Pour d’autres encore, tu es et seras toujours la courageuse héroïne morte des mains même de Voldemort, parce qu’il t’avait jugée bien trop dangereuse pour ne pas exécuter la sale besogne lui-même.
Mais pour moi, tu n’es pas ça. Ou plutôt, tu n’es pas que ça.
Oh, Dorcas. C’est sûrement prétentieux de ma part, mais l’impression de te connaitre dans tes moindres détails. Je sais par exemple que tu n’as jamais aimé être à Gryffondor. Tu te serais davantage plu à Poufsouffle. Gryffondor, c’était trop de responsabilités, trop de loyauté, trop de courage. Et même si ces qualités faisaient partie intégrante de toi, tu t’es toujours obstinée à ne jamais vraiment y croire.
Je sais aussi que tu n’as jamais vraiment choisi entre Fabian et Gidéon. C’est cette hésitation qui m’a laissée longtemps espérer. Peut-être que si tu recherchais tant la compagnie des hommes c’était parce que…parce que tu étais comme moi.
Mais aujourd’hui que tu n’es plus là, je prends conscience que je n’aurais jamais cette réponse.
Je sais que ta plus grande est l’abandon et non pas les traqueurs, comme tu adorais tant le prétendre. Comment je le sais ? Mais parce qu’un jour, je t’ai surprise aux prises avec un épouvantard, et que tu as été incapable de réagir pendant dix bonnes minutes alors qu’il te murmurait des choses horribles que toi seule pouvait entendre. Et tout ceci avait le parfum oppressant de l’esseulement.
Oh, Dorcas. Tu ne t’en ai jamais doutée, mais j’ai toujours été derrière toi, tentant de me fabriquer des souvenir avec ta présence comme je ne pouvais le faire en étant ton amie. Si tu savais comme je les ai jalousés, ces Prewett. Toujours sur tes talons, toujours à t’admirer, à prétendre que tu étais la plus belle et la plus maligne fille de tous les temps. Et je ne les contredirai pas. Mais je continue tout de même de trouver ça injuste : malgré tout ce temps avec toi, ils ne te connaissaient pas vraiment. Admet-le. Le portait qu’ils ont toujours fait de toi correspondait si peu à la réalité qu’il en était presque risible. Toi, douce et charmante ? Pitié !
Savaient-il que quand tu remettais discrètement une mèche derrière ton oreille cela signifiait que tu t’ennuyais prodigieusement ?
Savaient-il reconnaitre le voile de tristesse qui recouvraient tes yeux lorsque tu parlais d’Yves, ce jeune homme que personne ne connaissait et qui était tombé au combat dans l’indifférence la plus complète ?
Savaient-il avec quelle jouissance tu riais d’eux, ces deux gamins qui te courtisaient sans relâche, dès qu’ils avaient le dos tourné ?
Tout le monde dit que la vie est injuste, et je commence à le croire. Mais ce n’est pas à cause de la guerre, ni des morts. Non, l'existence serait injuste même sans ça.
Ce qui est insupportable, c’est que tu n’as pas été capable de te rendre compte qu’ils t’aimaient tous malgré tes défauts.
Alors que moi, je t’aimais précisément à cause d’eux.
*a très très très peur*