Oublier. Oublier, elle devait oublier. Qu’elle n’avait plus rien, qu’elle était seule. Qu’elle n’aurait plus jamais rien.
James était là, bien sûr. James était toujours là. Dans les bons moments, dans les moins bons aussi. Depuis leur première rencontre, lorsque ses yeux farceurs s’étaient posés sur elle dans le train qui les emmenait pour la première fois vers Poudlard, ils ne s’étaient jamais séparés très longtemps. Pas forcément toujours pour les bonnes raisons. Mais c’était James.
-Effy…
Au début, ils ne s’aimaient pas. Mais ça n’allait pas plus loin, ils se toléraient. Et puis, en troisième année, il avait commencé à la martyriser. Comme s’il la détestait vraiment, comme s’il la haïssait. Et elle n’avait jamais compris pourquoi. Aujourd’hui encore, elle ne comprenait pas. Sans doute n’y avait-il rien à comprendre. C’était James.
-On devrait y aller, Effy.
La voix de James. Assez grave, illustrant le jeune homme qu’il était devenu. Et en même temps terriblement douce, terriblement douce en cet instant où il savait qu’elle en avait besoin. Maladivement besoin. Lui, il comprenait. Peut-être la détestait-il encore, peut-être la haïssait-il encore. Mais il comprenait. Il comprenait mieux que tous les autres. Après tout, c’était James.
-Je…
Elle ne pouvait plus parler. Elle se sentait mal. Du bout des doigts, elle effleurait délicatement la pierre qui se tenait face à elle. Elle essayait de capter quelque chose, de se souvenir. Mais se souvenir de quoi ? Elle ne les avait presque pas connus… Pourtant, depuis toutes ces années, elle portait le poids de leur disparition. Ses parents. Ses parents qui l’avaient abandonné. Alors aujourd’hui, elle n’avait plus de voix. Elle n’avait plus les mots. Ca faisait mal, terriblement mal d’essayer de parler.
James s’agenouilla à ses côtés. Elle sentit sa main se poser sur son épaule. Il était gentil. Ou peut-être méchant. Ca n’avait plus d’importance. Elle lui en avait terriblement voulu, à la fin de l’année passée. C’était lui, lui qui l’avait obligé à dévoiler son secret. Son passé, sa vie. Sans lui, tout ceci serait resté entre elle, Lisa, et Georgie. Ses amies. Mais il avait su se faire pardonner. C’était même grâce à lui qu’elle était là aujourd’hui. Que les pièces de son passé commençaient à s’assembler. Mais bon sang, qu’est-ce que ça faisait mal !
-Tu peux pleurer, Effy, tu as le droit tu sais.
-Tais-toi James, murmura-t-elle, la voix cassée.
Ca y est, elle pleurait. Elle sentait les larmes dévaler ses joues. Ca faisait un moment, qu’elle n’avait plus pleuré. En réalité, à peine deux mois. Mais il s’était passé tellement de choses durant ces deux mois, qu’elle avait l’impression que ça faisait une éternité.
La main de James exerçait une pression de plus en plus importante sur son épaule. Bientôt, elle sentit qu’elle pouvait se lasser aller, que ce n’était pas grave. Sa tête tomba lentement en arrière jusqu’à se nicher dans le cou de James. Un instant plus tard, elle était maintenue par l’autre bras de James, qui entourait sa taille. Elle pouvait pleurer. Elle en avait le droit. C’est lui qui venait de le lui dire.
Aucun des deux ne sut combien de temps dura cet instant. Peut-être une minute. Peut-être une heure. Ce n’était pas bien grave. Ils avaient encore quelques jours devant eux avant de devoir reprendre une vie ordinaire. Aujourd’hui n’était jamais que l’aboutissement final d’une aventure qui avait duré deux mois. Il allait falloir tourner la page maintenant. Alors autant se laisser aller, se laisser aller une dernière fois, afin de mieux pouvoir aller de l’avant.
Quand Effy se dégagea de l’étreinte de James, elle ne pleurait plus. Son visage était calme. Elle semblait sereine, apaisée. Les rayons de soleil rebondissaient sur sa chevelure rousse, et James sourit. Elle était belle. Mais lui, il ne pouvait pas le lui dire. Il n’en avait plus le droit, après tout ce qu’il avait fait. Alors il espérait simplement qu’un jour, Effy trouverait la personne qui saurait la rendre heureuse. Même si ça ne devait pas être lui. Lui, il ne la méritait pas. Il ne l’avait surement jamais mérité.
-Tu viens James ? demanda alors Effy en lui tendant la main.
Il souriait toujours. Il sera fort sa main dans la sienne. C’était peut-être la dernière fois qu’ils se tenaient ainsi par la main. C’était peut-être la dernière fois qu’ils passaient un moment seuls tous les deux. La vie, c’était quelque chose de si éphémère. Il l’avait compris ces deux derniers mois.
-Tu sais James… commença Effy.
Ces quelques mots restèrent en suspens, comme si Effy ne savait pas elle-même ce qu’elle voulait dire.
-Oui ? l’encouragea James.
-Je crois que j’ai au moins compris une chose.
-Et qu’est-ce que c’est ?
-La vie, ça n’a pas vraiment de sens. Elle peut s’évaporer en si peu de temps. Elle peut aussi durer si longtemps. Le seul sens qu’a la vie, c’est celui qu’on veut bien lui donner.
James médita ces mots un instant. Il aurait appris beaucoup de choses durant cet été. Et il n’oublierait probablement jamais toutes ces choses. Mais en quelques mots, Effy venait de résumer sa pensée, ce qu’il ressentait par rapport à tout ce qu’ils avaient vécu. Le seul sens qu’a la vie, c’est celui qu’on veut bien lui donner.
-Alors je crois qu’il ne nous reste qu’à lui donner le meilleur sens possible, dit-il en regardant Effy.
Elle lui sourit doucement tout en lui serrant la main plus fort encore. Un instant, il vit de nouveau les larmes perler aux coins de ses yeux. Mais elle les balaya d’un revers de main et tourna la tête vers les champs environnants. Tous deux, ils franchirent les grilles de cet endroit où ils ne reviendraient surement pas avant longtemps. Désormais, leurs visages étaient résolument tournés vers le ciel, vers l’avenir. La vie pouvait reprendre son cours désormais, elle n’attendait plus qu’eux.
Elle n’attendait plus que le sens qu’ils allaient lui donner.