Eclat de rose, éclat de voix. Lily tourne, et Rose aussi.
Lily tourne pour oublier. Oublier ses parents, oublier sa vie. Elle tourne aussi pour s’évader. Foutre en l’air les convenances, foutre en l’air ce qu’on attend d’elle. Lily n’est pas sa grand-mère, ne l’a jamais été. Lily trouve qu’on lui en demande beaucoup trop, mais Lily aime sa famille. Alors depuis de nombreuses années, elle fait, elle parle, elle agit. Comme l’aurait fait Lily Evans. Peut-être pas comme l’aurait fait Lily Luna Potter.
Rose tourne pour avoir mal. Avoir mal à la tête, avoir mal physiquement. Et penser ainsi à autre chose, qu’à la douleur intérieure. Qu’à ce mal qui lui ronge les entrailles. Sa vie, ses choix, ses parents. Rose vit la vie qu’on attend d’elle. Rose vit dans l’ombre de ses parents, écrasée par le poids de leurs actions passées. Mais elle reste forte comme l’auraient fait, comme l’ont fait, ses parents. Peut-être pas comme elle elle aurait voulu le faire.
Lily et Rose tournent. Elles tournent ensemble, elles ressemblent à des danseuses. Elles tournent au milieu des champs, elles tournent à l’ombre du grand marronnier. On dirait qu’elles vont s’envoler. Et puis elles rient. Elles rient, elles sourient, elles pleurent. Leurs lèvres s’étirent en un sourire à travers leurs larmes. Et Lily et Rose crient, et Lily et Rose oublient. Avant de tomber dans les bras l’une de l’autre.
Lily vient d’avoir dix-huit ans. Rose a vingt ans. Lily et Rose sont proches, très proches. Depuis de nombreuses années, elles se retrouvent ici lorsque tout n’est pas bien, lorsque tout pourrait être mieux. Lily n’avait que six ans, la première fois qu’elles se sont retrouvées ici. A l’ombre de ce grand marronnier, perdu au milieu des champs qui entourent le village où résident Rose et ses parents. Ce jour-là, Lily s’était disputée avec ses frères. Rose, elle, s’était pris la tête avec son frère. Elles étaient venues ici, un coup de vent les avait surprises. Lily s’était mise à tourner sur elle-même, faisant tournoyer sa petite robe d’été, et elle était belle. Elle était belle, avec les éclats du soleil qui rebondissaient sur sa chevelure rousse. Elle était belle, avec sa robe blanche qui formait un halo autour d’elle. Alors Rose avait ri, Rose avait souri. Rose avait tourné aussi.
Dix-huit et vingt ans. Rien n’a changé, le poids du passé ne s’est pas effacé. S’appeler Lily Potter ou Rose Weasley, c’est avoir le choix entre devenir plus extraordinaire encore que ses parents, ou tomber dans l’oubli et n’être que la « fille de ». Seulement, il est difficile de surpasser ses parents lorsqu’ils s’appellent Harry Potter, Ginny Weasley. Hermione Granger, Ron Weasley. Des noms que les fillettes ont croisé plusieurs fois dans leurs propres manuels, des noms qu’elles entendaient presqu’à chaque cours du temps de leur scolarité. Des noms qui les envahissent, des noms qui prennent bien trop de place. Lily veut partir vivre en Amérique. Rose, elle, a des rêves de France. Elles ont surtout des rêves d’évasion, des rêves d’un pays où elles ne seraient personne d’autre qu’elles-mêmes.
Lily et Rose ne tournent plus. Elles sont assises sous le grand marronnier, les yeux fermés. Elles ont l’air calme. Heureuses et apaisées.
-Sais-tu quand tu vas partir en France ? demande Lily en gardant les yeux clos.
Lily est magnifique. Les paupières ainsi fermées, les lèvres légèrement entrouvertes, les plis de sa robe retombant gracieusement sur ses cuisses. Lily est d’une beauté parfaite, et Rose sait que les garçons lui tournent toujours autour. Mais Lily n’en veut pas, Lily à peur. Lily pense qu’ils n’aiment que son nom, Lily n’a peut-être pas tout à fait tort.
-J’aimerais partir au plus vite. Papa et Maman ne sont pas vraiment d’accord.
-Naturellement.
-Naturellement.
La brise les caresse légèrement. Leurs cheveux roux volent autour de leur visage. Si elles étaient en France, Rose pourrait entendre le bruit des cigales. Mais Rose n’est pas en France.
-Pars. Ce soir. Fais ta valise et pars. Va demander un Portoloin au Ministère.
-Mais je ne peux pas m’en aller comme ça Lily…
-Si tu peux. Tu as le choix, tout le monde a le choix. Si tu repousses sans cesse ta décision, tu finiras par ne jamais partir. Si tu dois être heureuse là-bas alors va. Tes parents seront bien obligés de l’accepter.
-Je ne peux pas partir juste sur un coup de tête.
-Ce n’est pas un coup de tête, tu y penses depuis ta plus tendre enfance. Et puis, tu as été acceptée à la plus grande école de Médicomagie de France.
-Comment tu le sais ? demande brusquement Rose en tournant la tête.
-Hugo me l’a dit. Rassure-toi, tes parents ne sont pas au courant. Pas encore.
-Et toi, l’Amérique ? demande Rose en fermant de nouveau les yeux.
En s’imaginant en France, arpentant les rues de Paris, descendant les Champs-Elysées, se reposant sur une plage de sable fin en Province, écouter le bruit des cigales et le murmure du vent. En s’imaginant heureuse et épanouie.
-Si tu pars je pars. Je suis acceptée moi aussi.
-Tu le sais depuis quand ?
-Une semaine. J’hésitais encore mais je dois partir. Je dois partir pour pouvoir mieux revenir un jour, si le cœur m’en dit. Je veux vivre ma propre vie, pas celle de Lily Evans. Pas celle qu’on me demande de vivre.
-Je veux être heureuse.
Elles n’échangèrent plus une parole, assises qu’elles étaient sous le grand marronnier. Le silence les berçait, et les rêves les appelaient. Lily et Rose ne parlaient plus, parce qu’elles n’en avaient plus besoin. Ce devait être la dernière fois qu’elles se tenaient là, même si elles ne le savaient pas encore. La dernière fois avant de très nombreuses années, la dernière fois avant quarante-huit ans. Quarante-huit ans, le temps qui allait s’écouler avant qu’elles ne se retrouvent ici au milieu des champs. Quarante-huit ans, le temps durant lequel elles allaient vivre leur vie loin de leur famille, loin de tout. Quarante-huit années durant lesquelles elles n’auraient jamais été aussi heureuses.
Le bonheur était à portée de main. Elles y étaient presque. Lily et Rose se relevèrent. Peut-être le savaient-elles, finalement, qu’elles ne se reverraient pas avant longtemps. Peut-être avaient-elles deviné depuis longtemps, depuis toujours, qu’il n’y a qu’ailleurs qu’elles pourraient profiter pleinement de leur vie. Alors elles se lèvent. Elles se regardent une dernière fois, se disent au revoir du regard. Les dernières feuilles qui tenaient encore sur le marronnier tombent à leur pied. Lily et Rose ne sont pas heureuses. Pas encore. Mais elles le seront bientôt.
Parce que même si c’est ailleurs, même si ce n’est pas auprès de leur famille, le printemps refleurira.