- Tu dois vraiment repartir en Roumanie ? demande Ginny tandis que Charlie s’assoit à ses côtés.
- Oui, il me reste encore beaucoup de choses à faire là-bas et j’ai déjà eu du mal à obtenir quinze jours pour le mariage, je ne peux pas me permettre d’en abuser.
- Mais nous avons besoin de toi ici ! réplique sa sœur. Ce qui vient de se passer n’est que le commencement. C’est ici que tu pourrais être utile, ici avec papa et maman. Avec moi.
Ginny n’arrive pas à regarder Charlie en prononçant ces mots. Elle sent que sa voix se brise de plus en plus, et baisser le ton ne cache pas cette faiblesse. Elle ne veut pas montrer qu’elle a besoin de lui maintenant, plus que jamais après le départ de ses amis. Ne comprennent-ils pas que l’angoisse sourde envahit chaque parcelle de son corps, écrasant sa cage thoracique, brûlant son estomac ? La moindre situation menace de la faire exploser, d’éclater ce trop plein d’émotions qu’elle emmagasine et dont elle ne peut se débarrasser.
Inspirer.
Expirer.
L’air entre et sort de ses poumons doucement et elle reprend peu à peu le contrôle d’elle-même. Ginny sent la main rassurante de Charlie dans son dos, les allées et venues qu’elle esquisse dans une tentative de réconfort. Il essaye de jouer son rôle de grand-frère, celui qu’il a abandonné en partant en Roumanie. Et c’est ce que Ginny a l’impression de revivre. Ce fameux été où elle a dû grandir, où ses parents ont dû la supporter. Elle n’était pas préparée à rencontrer la solitude, elle en avait fait son amie. A présent, elle devait se prendre en main et ne pas fléchir sous le poids de la triste, de la saveur amer, presqu’âcre de l’abandon. Elle n’est plus l’enfant de dix ans qui pleurait sur le quai du Poudlard Express parce que son dernier frère quittait la maison familiale pour ailleurs. Elle n’est plus la gamine sans courage d’accompagner Charlie à la zone des portoloins internationaux.
Aujourd’hui, ils sont tous partis. Il ne reste plus Ron et Percy pour la réconforter l’été. Il n’y a pas Fred et George pour la distraire et éloigner tous les Nargoles. Alors Ginny se pelotonne un peu plus contre Charlie, profitant une dernière fois de son étreinte chaleureuse. Elle sait que rien ne peut contrebalancer le poids des dragons et de sa passion. Est-ce égoïste de croire qu’il ne pense pas à la guerre, là-bas, dans ce pays si éloigné ? Qu’il fuit ? Elle aimerait lui cracher ces mots au visage, l’accuser des maux dont elle n’arrive à se défaire. Mais ce serait se mentir à elle-même. Ce serait briser leur lien fraternel, mince mais toujours là au moment le plus crucial. Charlie n’a jamais été le grand-frère avec lequel elle s’est le plus entendue. Il faisait ses études de petit sorcier quand elle soufflait ses bulles avec Ron, quand elle se cachait à la venue de Bilius et ne le voyait que quelques jours pendant les vacances.
Mais elle l’aime bien. Elle l’aime beaucoup même si elle s’est sentie trahie lorsqu’il est parti loin du Terrier. Mais après tout, il entamait une démarche similaire à celle de Bill pour l’Egypte et son mariage, à celle de Percy pour le Ministère et à celle des jumeaux pour leur magasin. Tour à tour, ils ont quitté la maison. Ron est né dans le moule Weasley, pourquoi aurait-il fait différemment ?
Les larmes coulent le long des joues de Ginny, elle devrait plutôt laisser courir son rire entre les murs de la maison, embrasser les membres de sa famille et les remercier mille fois pour des cadeaux qui l’émerveillent toujours. Elle sait que bientôt, elle devra sécher ses larmes et rejoindre ses parents et ses trois frères à table. Qu’elle se forcera à sourire devant le traditionnel gâteau et les paquets qui l’attendront sur la table. En voyant les bougies s’éteindre une à une, son cœur se serrera et elle ne pourra oublier la comparaison fugace qui envahira son esprit. Une flamme éteinte, une vie qui s’enfuit.
Elle pensera à la guerre dans laquelle ils sont plongés depuis que le Ministère a cédé, depuis ce mariage où tout a basculé. Elle se souviendra des lèvres de Harry sur les siennes, de son cœur qui battait la chamade lorsque Ron et Hermione les ont surpris. Elle aura encore l’impression de sentir sa main effleurer la sienne, frôler sa chute de reins, soulever ses cheveux. Ces souvenirs la hantent et pourtant, elle les savoure comme s’ils allaient un jour s’éteindre à leur tour. Car elle ne sait pas quand ils reviendront, quand elle pourra revoir le sourire rassurant de Hermione, la maladresse de Ron et le regard brillant de Harry.
Eux aussi l’ont abandonnée, eux aussi l’ont laissée sur le bord de la route. C’était il y a à peine dix jours, elle trouve que cela fait une éternité. Alors elle ne veut pas que Charlie retourne loin d’elle, elle aimerait le retenir encore un peu. Quelques jours, quelques semaines. Jusqu’à ce qu’elle retourne à Poudlard. Là, peut-être que Luna et Neville l’aideront à se battre, à ne pas rester inactive. Elle n’est pas un déchet qui se laisse abattre par les Mangemorts, elle ne craint pas les questions incessantes qu’ils posent sur Hermione et Harry, elle leur ment effrontément sur la situation de Ron. Et elle s’en sent fière. Elle s’appelle Ginny Weasley, a le droit d’utiliser la magie en dehors de Poudlard depuis son réveil ce matin et est prête à changer le cours de l’histoire.
Charlie ne bouge pas sous le poids de la tête de sa sœur sur son épaule. Il comprend sa détresse. Un peu. Il imagine que la situation ne sera pas facile jusqu’au premier septembre mais il les croit tous capables de s’en sortir. Lui non plus ne sera pas passif. De la Roumanie, il va participer à l’organisation de la fuite des nés-moldus. C’est un projet qui ne devait se faire qu’en cas de chute de la résistance des Aurors. Chute qui a eu lieu durant le mariage de son frère. Alors même s’il ne sera pas tous les jours aux côtés de sa famille, qu’il ne pourra pas aider Fred et George à maintenir ouverte leur boutique, il pensera à eux chaque matin et chaque soir. Pour leur avenir.
- Regarde Ginny, une étoile filante !
Sa sœur lève les yeux et l’entr’aperçoit à peine avant que le trait lumineux ne disparaisse derrière l’horizon. Le mois d’août leur offre souvent ce spectacle mais c’est une des seules fois où Ginny en profite en silence avec Charlie. Elle rêve d’être une de ces comètes, vivre à toute allure en allant droit vers l’avant. Laisser une trace furtive de son passage. Une couleur imprimée sur la rétine. Elle sait que l’étoile n’est pas allée s’écraser sur la Terre, la terre en aurait tremblé. Mais elle a tout de même disparu, partie ailleurs. Etoile filant plus vite que le vent. Ginny a fermé les yeux une seconde et a formulé de tout cœur son souhait. Celui qu’elle réitèrera devant son gâteau. Elle a envie de le crier au large ou de le chuchoter à un coquillage avant de le laisser couler dans la mer. Mais elle le garde enfoui au fond d’elle. Et elle attend.
Aujourd’hui, elle a seize ans et aimerait encore avoir l’insouciance des années passées. Savourer en toute innocence le gâteau au chocolat de sa maman, gazouiller au milieu des papiers froissés, jeter le cadeau de tante Muriel à la poubelle et dire beaucoup de bêtises.
Aujourd’hui, elle est seule. Définitivement seule avec les comètes qui se meurent.