(pièce en trois actes)
Murs de pierre brute. Trois cellules. L'une est inoccupée. On y distingue une grande flaque rouge sur le sol malgré l'obscurité.
Dans une autre, Drago Malefoy, assis, voûté. Il est squelettique. Sa veste de costume est bien trop large au niveau des épaules. Il en a roulé les manches à hauteur de ses coudes. Son pantalon est resserré autour de sa taille trop maigre par une cordelette. Sous la couche de crasse, on ne sait plus si ses cheveux sont blonds ou gris. Il est laid.
Dans la cellule d'en face, Pansy Parkinson. Elle arbore un rouge à lèvres carmin qui déborde en plusieurs endroits du pourtour de sa bouche. Elle aussi porte des vêtements trop grands. Il y a dans sa chemise un trou béant qui laisse voir ses côtes. Elle est laide.
Entrent trois silhouettes vêtues de noir. Elles ne prononcent pas une parole. Elles accompagnent Ginny Weasley. Elle parait furieuse, mais n'oppose aucune résistance. Son rimmel a coulé sur ses joues. L'une des silhouettes désigne de son long bras décharné la cellule inoccupée. Ginny y pénètre et la porte se referme sur elle. Elle parait reconnaître Drago et Pansy mais fait mine de les ignorer. Les trois silhouettes sortent.
DRAGO
sourire carnassier
Tiens, est-ce que ce ne serait pas la petite Weasley ?
PANSY
découvrant ses dents, d'une blancheur spectrale sous le rouge de sa bouche
Mais oui, c'est bien elle. Qu'est-ce qui t'amène ici, ma mignonne ?
GINNY
sans les regarder
Nous sommes tous ici pour les mêmes raisons.
DRAGO
Faux. Il y a tellement de manières différentes de commettre un meurtre.
PANSY
Et tellement de meurtriers différents. Tu sais, ma jolie, en cinq ans nous en avons vu défiler, et il n'y en a pas deux qui se ressemblaient.
DRAGO
Sauf nous deux.
PANSY
amoureusement
Sauf nous deux…
GINNY
Pour moi, vous êtes tous les mêmes.
DRAGO
Au bout d'un moment, bien sûr, ceux qui survivent commencent à se ressembler.
PANSY
Mais au début, nous étions différents.
GINNY
dédaigneuse
En quoi ?
DRAGO
Nous étions des criminels qui avaient peur.
GINNY
Tous les criminels ont peur.
DRAGO
As-tu peur ?
GINNY
Non. Je ne suis pas une criminelle.
DRAGO
Tu devrais, pourtant. Ceux qui ont peur tiennent plus longtemps, ici.
GINNY
Elle se résout à les regarder. Leur aspect bestial ne manque pas de l'effarer, mais elle tente de dissimuler son malaise.
Toi, tu n'as plus peur, et pourtant tu es encore en vie.
PANSY
haletante, avide, les yeux brillants
Il me l'a promis.
GINNY
Promis quoi, pauvre folle ?
PANSY
Il est encore en vie parce qu'il me l'a promis.
GINNY
Ce n'est pas une chose qu'on peut promettre.
PANSY
Il me l'a promis il y a cinq ans lorsqu'on nous a jetés dans nos cellules comme des chiens, parce que nous étions tellement morts de trouille, ma mignonne, tellement morts de trouille que nous avons eu besoin de nous jurer l'un à l'autre que nous survivrions.
DRAGO
Parce que les gens qui ont peur sont ceux qui ont le plus envie de vivre.
PANSY
Son ton est doucereux, mais il y a aussi quelque chose de menaçant dans sa voix sifflante.
Nous étions presque des gosses, à l'époque. Presque. Des gosses qui avaient juste fait ce que leurs parents leur demandaient de faire, des gosses obéissants.
DRAGO
Et grâce à Potter, à Saint Potter l'ami des Moldus et des Sang-de-Bourbe, nous nous sommes retrouvés deux gosses au milieu des fous.
PANSY
Tu le sais, ça fait un sale choc, une première visite à Azkaban, non ? Voir les détenus se vautrer comme des bêtes au fond de leur cellule, c'est perturbant, non ?
Tu peux imaginer, ma mignonne, que nous étions terrifiés. Alors nous avons juré. Juré que nous ne deviendrions jamais aussi tarés qu'eux. Et crois-moi, il faut avoir peur pour faire un serment pareil, parce que, tu sais, ici, la folie fait oublier la souffrance.
DRAGO
Alors oui, nous étions des criminels qui avaient peur.
GINNY
Elle semble à la fois terrifiée et fascinée par l'attitude de Pansy.
Et maintenant, vous êtes quel genre de criminels ?
DRAGO
Des criminels qui s'ennuient.
PANSY
Ca occupe d'avoir peur. Ca te prend aux tripes et tu ne penses plus à quoi que ce soit d'autre.
Pause.
Maintenant nous n'avons plus peur.
Pause.
Alors tu vas nous aider à faire passer le temps. Qu'a fait la gentille Ginny Weasley pour se retrouver à Azkaban ? Raconte-nous tout.
GINNY
dans un rire méprisant
Plutôt crever.
PANSY
Ca viendra bien assez vite, alors raconte d'abord.
GINNY
Je ne vous dirai rien. Même sous la torture, même folle, je ne vous dirai rien.
DRAGO
Ca viendra aussi. La torture, la folie surtout, si tu ne parles pas. Parce qu'à Azkaban, un criminel qui s'ennuie, c'est déjà un criminel à moitié fou.
Pause.
Ginny les dévisage. Ses yeux s'arrêtent sur la Marque des Ténèbres qui se dessine sur le bras de Drago. Les coins de ses lèvres se crispent.
GINNY
A moitié seulement ? Pour moi, vous êtes déjà perdus.
PANSY
Elle s'avance et appuie son visage contre les barreaux de sa cellule.
Pour toi, oui, peut-être bien. Mais ici, nous sommes parmi les plus sains d'esprit.
DRAGO
avec une certaine lassitude
Je vais te l'expliquer une fois, une seule fois avec une gentillesse désintéressée. Il n'y a qu'un moyen de rester lucide à Azkaban : c'est de garder l'esprit occupé. Et tout ce qu'on a pour ça, ce sont les mots. Tu sais qu'il existe un jeu, ici ? Le jeu du silence, ça s'appelle. On arrête tous de parler, on rentre en soi, et le premier qui devient fou a perdu. Et crois-moi, tu ne veux pas y jouer avec nous.
PANSY
Tu l'apprendras très vite, pour survivre à Azkaban, ma jolie, il ne faut jamais se taire. Parce que dès que tu auras cessé de parler, tu perdras pied. Et quand tu perds pied, ici, tu te noies.
DRAGO
Alors raconte.
PANSY
Raconte parce qu'ils n'attendent qu'une chose, que tu te taises. Si tu te tais, tu les invites à entrer dans ton cœur. Et ils te le mangeront, ils te le mangeront de l'intérieur.
Elle passe sa langue sur les lèvres. Le rouge s'étale.
GINNY
reculant inconsciemment
Les Détraqueurs ?
DRAGO
Les Détraqueurs. Et les remords.
PANSY
Il n'y a rien d'autre ici, ma mignonne. Rien que du vide. Tu n'as que nous et nous n'avons que toi. Il n'y a qu'une manière d'oublier les remords et c'est de parler, alors fais-le avant qu'ils te rongent le cœur.
GINNY
Vous n'avez qu'à raconter, vous. Parce que je ne parlerai pas et que si le silence s'installe, à vous aussi ils vous le rongeront.
DRAGO
rire jaune
Il n'y a plus grand chose à manger chez nous.
PANSY
Tu dois parler, parce que nous voulons que tu parles. Parce que si tu veux jouer avec nous au jeu du silence, nous participerons. Et nous gagnerons, à tous les coups et sans tricher.
GINNY
Qu'est-ce qui vous fait croire ça ?
DRAGO
Tu éprouves trop de remords. Tu es un être humain qui a agi comme une bête, et nous sommes des bêtes qui essayons de rester humaines. Les animaux sombrent moins vite, à Azkaban.
PANSY
Ils pensent moins.
Alors parle.
GINNY
Je n'ai rien à vous dire.
PANSY
Ca tombe bien, nous non plus n'avons rien à te dire.
DRAGO
C'est pourquoi nous allons jouer.
GINNY
Au jeu du silence ?
DRAGO
Non, à autre chose. A un jeu que j'ai inventé.
PANSY
une lueur affamée dans le regard
Au jeu d'Azkaban.
Ginny ne répond pas. Méfiante, elle se recroqueville doucement dans sa cellule.
DRAGO
Ca fait cinq ans que nous sommes ici, Pansy et moi. Cinq ans. Ca fait bien longtemps que nous n'avons plus rien à nous dire. Et pourtant nous ne pouvons pas nous taire, nous avons promis. Alors nous jouons pour nous tenir occupés.
GINNY
Le jeu d'Azkaban... Qu'est-ce qu'on y gagne ?
DRAGO
Il tourne sa tête vers Ginny. Il sourit. Des lèvres mais pas des yeux.
On n'y gagne pas, on peut juste éviter d'y perdre.
GINNY
Et si je perds ?
DRAGO
Tu meurs.
GINNY
Elle tente de dissimuler son angoisse derrière une assurance feinte, mais elle ne trompe personne.
Je ne suis pas certaine d'avoir envie de participer, en ce cas.
DRAGO
Tu n'as pas le choix. Parce qu'au jeu du silence, tu perdras forcément.
GINNY
Et il consiste en quoi, votre jeu ?
DRAGO
Il n'y a qu'une règle. Ne jamais se taire. Nous discuterons tous les trois, et le premier qui se terrera dans un coin de sa cellule en se bouchant les oreilles aura perdu. C'est très amusant.
GINNY
méfiante
Ca me paraît trop facile. Pourquoi irais-je faire une chose aussi idiote ? J'ai bien compris qu'il ne fallait jamais cesser de parler.
DRAGO
Parce que nous t'aurons dit des choses tellement affreuses que tu préféreras t'emmurer dans ton propre silence plutôt que de nous entendre. Un drôle de jeu, vraiment.
GINNY
Je ne peux même pas croire que ce soit possible.
DRAGO
Pourtant nous sommes devenus très bons.
PANSY
Et en cinq ans, nous avons eu le temps d'en voir défiler, des petits cons qui prétendaient ne pas pouvoir perdre.
GINNY
Elle frissonne.
Donc si je perds, je me cloître dans mon silence et je deviens folle.
DRAGO
Non, je te l'ai dit. Si tu perds, tu meurs.
GINNY
Comment ça ?
DRAGO
C'est l'enjeu. Le perdant se coupe la langue avec ses incisives. Il ne faut qu'un petit moment pour mourir de l'hémorragie.
Pause.
Ginny rit jaune.
Elle lève le menton. Elle veut paraître sûre d'elle mais sa voix tremble.
GINNY
Et si vous gagnez tous les deux et que je décide finalement de ne pas le faire ? Vous êtes enfermés dans vos cellules. Vous ne pourrez pas me forcer.
PANSY
Crois-moi, ma mignonne, si tu perds, tu auras envie de le faire.
DRAGO
Son sourire s'élargit.
Comme Zabini.
PANSY
Il était là juste avant toi. (Elle lève le nez, semble humer un parfum. Son attitude a quelque chose d'animal.) L'odeur de son sang imprègne encore l'air, ça me fait mal au crâne. Ils ne viennent jamais nettoyer les traces, ici, alors il faut attendre que ça sèche.
Ginny avise la flaque rouge à ses pieds. Elle laisse échapper un hoquet de terreur, puis recule encore. Son dos est à présent plaqué contre le mur de sa cellule.
PANSY
vorace
Alors, tu joues, ma mignonne ?
GINNY
Vous êtes complètement dingues. Je ne jouerai pas. Je préfère encore me taire. Même avec cent Détraqueurs dans le crâne, je sais que je ne deviendrai jamais aussi folle que vous.
DRAGO
Tu choisis le jeu du silence ? Bien. Nous allons te regarder faire, alors. Mais nous t'aurons prévenue.
Il s'adosse confortablement au mur et la contemple, l'air profondément amusé. Pansy s'allonge à même le sol, sur le ventre, les coudes contre la pierre et le menton calé dans ses paumes. Ginny s'affale dans un coin, s'accroupit et enfouit son visage dans ses genoux. Elle ne bouge plus.
Silence, long silence.
Puis, son corps se secoue de légers spasmes. Elle porte ses mains à ses tempes.
Silence.
Pansy et Drago paraissent ravis. Nouveaux spasmes, plus violents cette fois. Ginny hurle. Silence. Leur sourire se fait plus grand.
Silence.
Ginny lève la tête. Ses yeux et ses joues sont humides de larmes.
GINNY
tremblante
C'était… C'était atroce… C'est ça que ça fait, un Détraqueur, lorsqu'on est coupable ?
DRAGO
Oui. Un Détraqueur ou les remords.
PANSY
Même chose.
DRAGO
Bien. Tu as vu ce qu'était le silence. Tu comprends, maintenant, que tu n'as qu'une façon de le faire fuir : le jeu d'Azkaban. Il va te falloir faire une partie contre nous.
PANSY
Alors, tu joues ma jolie ?
Pause.
GINNY
Je joue.