Une voix sèche qui se veut terrifiante. Mais moi, je sais bien que c’est toi qui es terrifié Peter. Ne te souviens-tu pas de ces moments que nous passions à la Bibliothèque, à étudier ? Ne te rappelles-tu pas ces heures à parler avec animation du monde qui nous entourait et dont nous ignorions tout ? As-tu vraiment oublié ? Car moi non. Le jeune homme plein d’ambition, courageux camarade de Gryffondor, peu sûr de lui et pourtant plein de charme, il est toujours dans ma mémoire, quelque part.
– Monte !
Un ordre craché, et je ne peux empêcher un sanglot me secouer les épaules. Tu grimaces. C’est tout. Tu m’envoies chez ton maître, il va encore s’amuser avec moi, me torturer jusqu’à ce que je crie grâce, jusqu’à ce que mes suppliques soient plus fortes que mes hurlements de douleur. Et tu grimaces. Tu seras derrière la porte, n’est-ce pas ? Tu es toujours derrière la porte, à attendre qu’il ait fini, à écouter mon agonie.
Une simple pression de tes doigts sur mes épaules, et mes genoux heurtent le sol avec violence. Deux jours que je suis ici, et j’ai l’impression qu’une éternité s’est écoulée. Sans un regard, tu quittes la pièce et me laisses seule avec le monstre. Tu en avais tellement peur, Peter. Tu es encore terrifié, je le vois, mais à présent, tu ne peux t’en prendre qu’à toi-même.
– Alors, Charity, as-tu changé d’avis ?
Il m’observe avec ses yeux si froids et je sens mon rythme cardiaque accélérer. J’ai peur Peter. Toi aussi tu avais peur, tellement que tu te demandais comment des gens pouvaient accepter de le servir. Etais-tu déjà à son service, à ce moment ? Etais-tu déjà le rat que tu es devenu, le traitre qui n’a pas hésité à vendre ses amis ?
– Non.
Ma voix se brise, mais je sais qu’il l’a entendu, ce murmure pourtant à peine audible. Il pousse un profond soupir, comme affligé par ce qu’il s’apprête à faire. Puis il lève sa baguette d’un geste marqué par l’habitude et l’abaisse d’un coup.
Souffrance. Lente agonie qui ne me laisse aucun répit. Il n’y a rien d’autre que la douleur qui me transperce de part en part, qui me laisse haletante sans pour autant que je puisse souffler. Est-ce que je suis encore en vie ? Qu’est-ce que ma vie, si ce n’est cette douleur qui me foudroie ? Y a-t-il jamais eu autre chose qu’elle ? J’ai l’impression qu’elle a toujours fait partie de moi.
Aussi soudainement qu’elle est apparue, la douleur disparaît. Je suis allongée sur le dos, les bras lourds, le souffle court. Pantelante, je tente de me relever. Un pied se pose sur ma poitrine. J’étouffe, qu’on me laisse respirer ! Qu’on ait pitié !
– Si tu acceptais simplement de reconnaître l’évidence, tout sera plus facile pour toi.
Sa voix doucereuse semble pénétrer la moindre de mes cellules, comme s’il tentait de graver ses mots dans mon être. Ca serait tellement plus simple, oui. La mort, je l’accueillerais à bras ouverts, j’accepterais de quitter ce monde pourri jusqu’à la moelle. Mais je n’y arrive pas. Nos longues discussions me reviennent en mémoire, Peter. Celles où nous nous extasiions devant les inventions moldues, leurs avions, leurs téléphones, devant tout ce qu’ils ont trouvé pour pallier l’absence de magie dans leur sang, dans leur cœur.
– C’est navrant de voir les traîtres à leur sang tenter de se justifier. Vous tous qui avez pourtant le sang pur, pourquoi vous acharner ainsi à défendre les moldus ?
Il y a tant de mépris et de haine dans ses mots que j’en tremble. Je n’ai jamais compris en quoi on pouvait se sentir supérieur aux moldus. Ce n’est pas comme si nous avions choisi d’être sorcier. Comme si nous avions travaillé dur et qu’ils avaient simplement emprunté le chemin de la facilité. Tu te souviens, Peter ? De cet après-midi-là ? Quand Severus a traité Lily Evans de Sang-de-Bourbe ? Tu te souviens de l’indignation qui nous avait envahis ? De la colère qui s’était montrée ? De ces sentiments que nous avions partagés, le soir, dans la salle commune ?
– A moins que tu n’en sois une toi-même, Charity ?
Une lueur malsaine éclaire soudain ses traits, je sens la peur se faire plus présente que jamais. Pas le Doloris. Plus de torture. Par pitié je n’en peux plus !
– Cela expliquerait ta soi-disant fascination, un simple moyen de tenter de convaincre de jeunes enfants naïfs que vous n’êtes pas différents.
Il s’arrête un instant. Je ne peux m’empêcher de comparer ce moment de répit à l’œil d’une tempête. Provisoire.
– Fadaise !
Je sursaute, tandis qu’il s’indigne encore.
– Comme si nous pouvions mêler notre sang pur au leur. Comme s’il était envisageable de gâcher notre lignée avec ces créatures immondes !
Il se tourne brusquement vers moi, l’air si en colère que je tente de reculer. Son regard me pétrifie, cependant, et je vois arriver le démon, si grand, si terrifiant. Il plante sa baguette dans mon cou et me fusille du regard.
– Tu n'es qu’une imbécile, Charity.
Sa voix est calme, d’une douceur écœurante et si effrayante que j’en ai la nausée. Une de mes larmes tombe sur son poignet et il recule sa main avec un air dégouté. Et triomphant.
– C’est ça ! Tu es une imbécile doublée d’une voleuse ! A qui as-tu dérobé cette baguette, Charity ?
Il sort ma baguette de sa cape et me la tend devant le nez. Bois de frêne, crin de licorne, 28,3 centimètres, rigide. Je me souviens encore du jour où je l’ai achetée.
Nous avions terminé d’acheter tout ce qui se trouvait sur la liste, sauf la baguette. Je trépignais d’impatience, mais ma mère était occupée à fusiller mon père des yeux, dès qu’il lançait un sourire charmeur à une passante. Elle serrait ma main un peu trop fort, mais, excitée comme je l’étais, je n’en tenais pas compte.
– Entre, avait-elle lancé sèchement. On t’attend dehors.
Je ne compris pas tout de suite pourquoi elle me laissait seule. Puis la porte s’était refermée et je l’avait vue se mettre en colère contre mon père. Elle ne criait pas, mais ses yeux poussaient des hurlements de détresse. Je détournai les yeux. Petite fille de onze ans, les voir se disputer me faisait trop mal pour que je puisse le tolérer. Et alors, devant moi apparut la boutique. Sombre, austère, elle n’en restait pas moins fascinante. Il y avait quelque chose dans l’air. La magie. Je la sentais virevolter autour de moi, murmurer au vent automnal qui était entré avec moi, caresser ma peau et jouer avec mes cheveux. Je la sentais.
– Tiens, tiens, une cliente n’est-ce pas ?
Surgi de nulle part, Mr Ollivander s’était approché de moi, me jaugeant du regard.
– Ton nom ?
– Cha… Charity Burbage.
Il se gratta un instant le menton alors que son mètre prenait toutes les mesures possibles sur mon corps. Puis, il fronça les sourcils et disparut entre les hautes étagères. Lorsqu’il revint, quelques minutes plus tard, il tenait une longue boîte d’un vert presque noir.
Il l’ouvrit et alors que je me saisissais de la baguette, je sentis qu’elle ne m’était pas destinée. Lorsque j’agitais ma main sur le conseil du vieil homme, la boîte s’envola brusquement et retomba sur sa tête. Luttant pour ne pas rire, j’attendis qu’il revienne.
Trois baguettes se révélèrent tout aussi inadaptées. Puis, vint la quatrième. Mr Ollivander mit un certain temps à la trouver, cherchant parmi toutes les baguettes qui se trouvaient dans sa boutique celle qu’il pensait appropriée. Il revint l’air plus sûr que jamais, et me tendit la boîte. Doucement, je la saisis, ouvris le couvercle et contemplai longuement la baguette. Plutôt longue, d’un bois clair, elle était fine et majestueuse. Dans mes yeux d’enfant, elle brillait.
– Bois de frêne, crin de licorne, 28,3 centimètre, rigide.
Dès que je l’eus en main, je sus. Cette baguette serait la mienne. Un hochement de tête convaincu me donna raison et il me demanda d’appeler ma mère pour régler la facture. Nous quittâmes la boutique en trombe, sans que je ne puisse jamais remercier Mr Ollivander.
– Dis-moi à qui tu l’as volée, dis-moi !
Il l’agite un instant, et si je sens la douleur revenir au galop, elle n’est de loin pas aussi puissante que celle qu’il m’infligeait avec sa propre baguette. Pourtant, je m’entends crier, encore.
Ce n’est pas juste. Moi, je n’ai rien volé à personne. Il veut me faire avouer le crime d’un autre, moi, je n’ai rien volé à personne. Qu’on me vienne en aide ! Qu’on me tire de cet enfer où mon quotidien est fait de ténèbres et de torture ! Qu’on lui dise qu’il se trompe !
– Une baguette faible pour une voleuse, voilà bien la preuve.
Un sourire mauvais étire son visage hideux tandis qu’il appelle Peter.
– Ramène-la.
Ta main de fer me saisit sans douceur, ta main de chair tremble autant que les miennes. Tu es pitoyable Peter. Tu as perdu ce qui faisait de toi un ami cher à mes yeux. Tu as perdu l’intérêt que je te portais, avant. Tu as perdu ton âme, tu l’as vendue au diable, Peter. Au diable. C’est toi qui me l’avais dit, pourtant. C'est justement cette phrase qui a été la conclusion de plusieurs de mes cours. C'est encore cette phrase qui m’a aidée à surmonter les épreuves, à tourner le dos à ceux qui ne m’estimaient pas digne de partager le même air qu’eux.
Tu me pousses sans délicatesse dans la cellule, et je tombe à terre, sanglotant plus que jamais. Je le sais, je vais mourir.
Cela fait deux jours – si peu ? – que je ne l’ai pas vu, mais je me raccroche au bleu que le ciel avait juste avant qu’on ne m’enlève. Et je me répète sans cesse cette phrase que tu m’as dite un jour. Celle-là même qui me donne à présent le courage de ne pas céder. « Nous sommes nés sous le même ciel. Tous autant que nous sommes, avec ou sans magie, nous sommes pareils. » L’as-tu un jour pensée, cette phrase ?
– Mr Ollivander ?
Ma voix est faible et entrecoupée de hoquets.
– Mr Ollivander.
Un grognement faible me répond. Il est dans un état pire que le mien.
– Merci.
Une larme coule sur ma joue. Je ne m’étais même pas aperçue que je ne pleurais plus. Je la chasse d’une main tremblante, mais elle est rapidement suivie par d’autres et finalement, j’abandonne. Ce soir, je vais mourir, et j’ai terriblement peur.
Immobile, je fixe le plafond. Je ne peux faire que ça. Fixer le plafond et écouter la discussion. Terrifiée. Epuisée. Une éternité passe, peut-être deux, pendant lesquelles je tente de me libérer. Je n’ai aucune idée du sort qui me retient prisonnière, je sais juste que si je ne me débats pas, même intérieurement, je deviendrai folle.
La patience a toujours été mon fort, mais aujourd’hui, elle semble m’avoir abandonnée. J’ai peur. Le sort qui me maintenant silencieuse s’est levé, c’est mon heure. J’ai peur.
* – Reconnais-tu notre invitée, Severus ?
Soudain, on me tourne vers la cheminée et la douce lumière qu’émet le feu m’aveugle, après tant de temps enfermée dans l’obscurité. J’avale difficilement ma salive.
* – Severus ! Aide-moi !
Ma voix tremble tellement que je doute un instant qu’il m’ait comprise.
* – Oui, je la reconnais.
Je voudrais planter mes yeux dans les siens, le supplier par mon regard de m’aider, mais on me fait encore tourner.
* – Et toi, Drago ?
Il répond négativement par un hochement de tête. Bien sûr qu’il ne me connaît pas, il abhorre tout ce que je défends.
* – Tu n’aurais pas choisi sa classe. Car pour ceux d’entre vous qui ne le sauraient pas, nous recevons ce soir Charity Burbage qui, jusq…
Il prononce mon nom avec autant de dégoût qu’à son habitude, et j’ai encore plus peur. Je n’ai plus envie, je veux mourir. Qu’on me libère ! Lorsque je me retrouve à nouveau face à Severus, je ne peux me retenir d’essayer, encore.
* – Severus… s’il te plaît… s’il te plaît.
* – Silence.
Je me sens bâillonnée, incapable à présent de prononcer le moindre mot. J’ai peur. Je vais mourir et j’ai peur. Je veux mourir et j’en suis terrifiée. Qu’on me tue !
Je n’arrive même plus à écouter ce qu’il dit, je ne sens même pas les larmes couler à flot sur mes tempes. J’ai l’impression qu’une tempête dévaste tout dans mon cœur et dans ma tête, je voudrais hurler, je voudrais m’enfuir, je voudrais vivre, je voudrais mourir, je voudrais leur dire, juste leur dire. Je n’ai rien volé, je n’ai pas menti. Ce sont eux qui se fourvoient ! Ce sont eux qui ont tort. Je sais que j’ai raison.
* – Avada Kedavra !
Je le sais.