Il faisait chaud. Trop chaud. L’air était lourd et poussiéreux. Le mélange étouffant. C’était un jour banal pour cette fin d’été. Une sorte d’électricité grondait au-dessus des hautes étagères. Le commerce paraissait minuscule pour quiconque osait pénétrer. L’entassement des petites boites marron sur les rayonnages rendait le lieu oppressant. Bien que le tenancier était absent, réfugié dans l’arrière-boutique, des murmures perçaient le silence. Comme s’il y avait eu des milliers d’âmes présentes, riant, pleurant, échangeant. C’était un amalgame étrange. Le résultat pouvait être aussi terrifiant que fascinant. Bien sûr, la magie planait. De tout le Chemin de Traverse, c’était assurément le magasin le plus empreint de sorcellerie. Les gens venaient pour ça. Pas par plaisir.
Un léger tintement fit taire les chuchotements et une voix pimpante de jeune garçon résonna :
— Pourquoi je n’ai pas droit à ma baguette, moi ?
— Parce que ce n’est pas fait pour les bébés, répliqua une autre.
C’était des paroles de fille. Certainement un frère et une sœur. Les conflits entre aînés et cadets étaient fréquents en ces lieux. Nous en avions l’habitude et régulièrement cela nous amusait. Le timbre plus grave des parents fit écho, blâmant leur progéniture pour le vacarme qu’elle occasionnait. Ollivander optait souvent pour cet instant pour intervenir. Sa présence suffisait à calmer les mœurs. Néanmoins, aujourd’hui il en avait décidé autrement. Peut-être souhaitait-il nous laisser profiter de la discussion enjouée qui se donnait dans l’entrée.
— Je me rappelle comme si c’était hier de l’achat de ma baguette. Tu verras Rose, celle qui te choisira ne pourra servir que toi.
« Rose ». Un très joli prénom. Je frémis d’envie. J’avais reconnu cette voix. Les paroles humaines possèdent toutes une vibration unique, que nous identifions facilement. Hermione Jane Granger n’était pas venue depuis longtemps. Et pourtant, je me souvenais parfaitement de son arrivée. Elle n’était pas très à l’aise, bien sûr. Ma voisine, et sœur avait lâché quelques étincelles d’impatience à mes côtés. Acte totalement normal pour une baguette en bois de vigne. Nous sommes toutes de grandes pressées, avides d'être manipulées.
Ollivander daigna enfin se montrer.
— Miss Weasley, quel plaisir de vous rencontrer.
Silence.
— Rose !
Remontrance.
— Bonjour, Monsieur.
Obéissance.
— Comment se porte votre baguette, Madame Weasley ? Si ma mémoire ne me fait pas défaut, c’était une baguette toute particulière qui avait voulu de vous…
Je ne pouvais pas observer la réaction d’Hermione Granger de ma place. Mais je devinai que ses joues étaient rougissantes. Les clients étaient souvent mal à l’aise que notre vendeur se souvienne aussi bien de nous. Cela rappelait qu’une part de notre allégeance lui était indéfiniment destinée. Mais aujourd’hui, Ollivander eut la décence de ne faire aucun commentaire au mari de la belle Hermione. Il fallait avouer que la situation du pauvre homme n’avait pas été facile lorsqu’il avait été en âge d’avoir sa propre baguette.
— Je suis droitière, pépia Rose.
Une audacieuse. Rares étaient ceux qui pressaient Ollivander de faire son travail. Beaucoup étaient trop incommodés pour oser. Ollivander adressa un sourire à la petite tête rousse que je distinguai difficilement derrière le bureau. Il sortit son éternel mètre puis prit toutes les mesures qu’il jugeait nécessaires mais que nous, baguettes, trouvions obsolètes. Je vibrai d’impatience lorsque mon vendeur posa sa main cornue sur ma boite. Il saisit également deux de mes consœurs. C’était totalement inutile. C’était une certitude pour moi, mais pas pour lui. Il nous déposa sur le comptoir et tendit l’une de nous à la jeune fille :
— Bois d’aubépine, vingt-cinq centimètres, elle contient un ventricule de dragon. Un mélange d’une grande puissance, particulièrement intéressant… Voyons.
Les baguettes d’aubépine étaient les préférées d’un bon nombre de sorciers. Il est vrai qu’elles sont fortes, notamment pour les sortilèges et les maléfices. Depuis la Grande Guerre, beaucoup de personnes les recherches, pensant que cela va les protéger. Mais les baguettes d’aubépine sont tellement capricieuses que beaucoup sont déçus. Et je savais également que la maigrichonne Weasley ne serait pas une flèche en sortilèges. Elle agita la baguette que lui avait donnée Ollivander et une tornade sembla remuer toute la boutique, décollant la poussière fixée sur les étagères depuis plus d’un siècle et envoyant valser quelques-unes de mes consœurs – qui n’en avait pas tant demandé. Le tenancier esquissa un sourire en lui retirant immédiatement de ses doigts fins.
— Bois de charme, plus courte : dix-neuf centimètres seulement. Celle-ci contient une plume de phœnix.
Ha ! On s’approchait un peu plus de la perfection, mais surtout de mon tour. Rose agita à nouveau cette baguette. Les effets ne se firent pas attendre et sa mère du utiliser la sienne afin d’éteindre le feu qui s’était déclaré sur sa robe. Elle lança un regard réprobateur à sa fille, mais ne dit rien. La petite hésita à rendre le morceau de bois, jugeant sa mère du coin de l’œil, l’air malicieux. Enfin, monsieur Ollivander me saisit.
— Beaucoup plus longue, trente-trois centimètres et demi. En bois de vigne, elle contient également une plume de phœnix.
Avant même que la gamine ne me touche, j’eus l’impression de faire jaillir des étincelles. C’était grisant. Je savais que je la servirais jusqu’à la fin, jusqu’à ce qu’elle trouve une meilleure baguette que moi – ce qui était peu probable – ou que je m’use à la tâche – ce que je ferais sûrement. J’aimais cette jeune fleur et elle avait intérêt de m’aimer à son tour. Elle m’agita, je laissais échapper quelques papillons. Sa mère la félicita, son père déposa sa main sur son épaule. Seul Ollivander savait que j’étais l'unique responsable de cette beauté. Il me laissait partir à contrecœur : mon créateur adorait toutes ses baguettes avec passion.
Je savais que j’accomplirais de grandes choses.