Le cours était sur le point de se finir et, déjà, la plupart des élèves se levait, faisant valser leurs sacs par-dessus leurs épaules en discutant. Tous sans exception attendaient que la sonnerie daigne sonner.
- Et pour vous, monsieur Scamander, souffla Mervin exaspéré en se tournant vers Lorcan, la copie du jeune homme en main, je sais que nous en avons déjà discuté mais, s’il-vous-plaît, cessez d’intégrer des ingrédients qui n’existent pas dans vos essais…
- Les Ronflaks Cornus existent vraiment professeur, protesta Lorcan à la fois indigné par les propos injurieux et le large ‘’P’’ inscrit sur le haut de sa copie. Dans la classe, tous ses camarades avaient cessé leurs bavardages pour écouter en ricanant la conversation.
Le professeur ferma ses yeux un moment comme pour éviter que sa patience ne lui échappe.
- D’accord, peut-être qu’ils existent, concéda-t-il. Mais tant que nous n’avons pas de cornes en poudre ou encore des serres à étudier, on ne peut pas connaître leur propriété et donc, baser des théories sur eux. Alors cessez de les ajouter à n’importe quelle potion !
- Si votre problème se réduit à ça, reprit Lorcan en enfouissant sa copie dans son sac, je peux le régler très facilement. Je vais au Danemark à Noël. Je vous en ramènerai quelques et même une dent si ma mère réussit à en attraper.
Un des amis de Lysander frappa celui-ci dans les côtes.
- Tu penses que tu pourrais me ramener un couple d’Enormus à Babille quand tu y seras ? demanda-t-il entre deux rires.
- Ils ne vivent pas au Danemark, lui répondit Lysander, haussant les sourcils.
C’en fut trop pour son ami qui redoubla de rire, laissant sa discrétion derrière lui. Le professeur Mervin claqua sa langue, affligé et agacé par l’indiscipline de ses élèves.
- Apportez-moi une corne d’un Ronflak Cornu et je reverrai votre note à la hausse, soupira-t-il à l’égard de Lorcan.
Au même moment, la cloche retentit et tous les élèves se précipitèrent vers la porte de la classe. Se précipitant dans la foule, Lysander parvint à se glisser à temps hors de la salle pour interpeller son frère à mi-chemin des escaliers.
- Lor’ ! Tu manges avec nous ce midi ?
Pour toute réponse, Lorcan jeta un coup d’œil par-dessus l’épaule de son frère aux amis de ce dernier qui riaient toujours bruyamment à propos de l’incident du Ronflak. Le garçon soupira et secoua la tête.
- Je ne pense pas, non. J’ai encore beaucoup à faire.
Il se dépêcha de gravir les escaliers alors que les amis de Lysander rattrapaient celui-ci. L’une des filles du petit groupe se rapprocha de lui et tout en fixant avec curiosité Lorcan demanda à son jumeau :
- Où est-ce qu’il va tous les midis ?
- Je te parie que c’est un vampire ! s’exclama un garçon.
Il couvrit sa tête de sa cape et saisit la jeune fille par la taille.
- Je veux boire ton sang ! grogna-t-il en allongeant le dernier mot pour faire plus dramatique.
- Dégage, Mickey ! le repoussa la sorcière.
- Il mange au septième étage, expliqua Lysander sans faire attention aux chamailleries de ses amis. L’été dernier, notre mère a dit un truc à propos de la tapisserie de Barnabas le Follé. Et du coup, Lorcan pense qu’il y a une carte secrète dissimulée quelque part derrière. Il passe ses midis à la chercher.
- Ah! s’exclama Mickey en jetant des regards aux autres. Eh bien, bonne chance à lui dans ce cas.
Ils virent Lorcan disparaître en haut des escaliers de marbres. Lysander s’arrêta un instant pour le regarder disparaître. Ses amis pénétrèrent dans le Grand Hall et Mickey s’arrêta pour l’interpeller.
- Tu viens, Ly’ ?
- Ouais, j’arrive.
Et il se précipita à la suite de ses amis.
Les cheveux blonds argentés de Lysander reflétèrent les flammes de la cheminée lorsqu’il rejeta sa tête en arrière, riant avec ses amis. Ils s’étaient tous assis à même le sol dans la Salle Commune des Serdaigle, profitant de la chaleur qui se dégageait de l’âtre. Profitant de cette agréable soirée, ils ne prêtaient aucune attention aux autres élèves qui s’occupaient en silence.
- Ly’, mon pote, dit Aiden Tropp, enserrant Lysander par les épaules, tu es tout rouge.
- Rire fait vivre plus longtemps, et mon objectif est de devenir immortel ! sourit Lysander.
Remarquant que Veronica Bayers le regardait fixement, il lui adressa un immense sourire. La jeune fille rougit alors violemment et coinça une mèche de cheveux derrière son oreille. Lysander étira son cou et parcourut la salle de ses yeux clairs. Lorsqu’il tomba sur un coin sombre, il se redressa légèrement et interpella son jumeau d’une voix grave.
- Hey, Lorcan! Pourquoi tu ne te joindrais pas à nous ? Cette fenêtre en a peut-être marre de refléter constamment ton reflet.
Lorcan leva son regard de la lettre qu’il était en train d’écrire. Ses yeux aussi pâles que ceux de Lysander observèrent un court instant le groupe d’étudiants qui tenaient compagnie à son frère. Quelques-uns jetèrent des regards dans sa direction et il fut saisit par leur expression. Aucun d’entre eux ne semblait vouloir de lui.
- Il a l’air occupé, Ly’, tenta Aiden.
L’interpellé agita une main dédaigneuse.
- Il écrit juste une lettre à ma mère. Il peut faire ça demain… Allez, Lor’ ! Viens ! Sociabilise-toi pour une fois.
Lorcan hésita, mâchouillant le bout de sa plume. Il n’avait jamais su comment se faire accepter par les amis de Lysander et ce n’était pas à ce moment précis que tout allait changer. Il n’avait jamais su non plus comment lui et Lysander pouvaient être à la fois identiques et si différents. A ce jour, Lorcan ne pouvait tout simplement pas tenir une conversation, ne serait-ce que minime, avec les personnes que son frère côtoyait quotidiennement.
De son côté, Lysander attendait impatiemment que son frère se décide. Il sauta par-dessus le fauteuil et, arrivé au niveau de son frère, se mit à le tirer par le bras.
- Tu vas finir par devenir comme le sage Rangy à ne jamais parler à personne ! dit-il en l’attirant vers le centre de la pièce.
- Qui ? l’interrogea Veronica, fronçant ses sourcils ce qui fit rougir Lysander.
- Tu sais, expliqua-t-il, le mec qui s’est construit un cocon d’ailes de Nargoles et n’en est pas sorti pendant sept ans. D’accord, il a pu voler après ça… mais sept ans de solitude !
Il secoua la tête et son auditoire se mit à rire.
- Le Rangy des histoires stupides que ton grand-père te racontait ? demanda Mickey Davis en gloussant.
- Ce ne sont pas des histoires stupides… marmonna Lorcan en enfouissant ses mains dans ses poches.
Tous les élèves présents dans la salle le regardaient à présent avec insistance. Lysander sourit, quelque peu tendu.
- Allez, Lor’ ! Admets quand même que c’est quand même un peu tiré par les cheveux. Papy exagérait souvent…
Lorcan haussa les épaules. Maman serait d’accord avec moi, pensa-t-il sans oser l’exprimer à voix haute. Honteux, il s’assit sur le rebord d’un fauteuil vide. Les discussions et les rires du groupe qui animaient la salle quelques minutes plus tôt tombèrent dans un silence gêné.
- Eh bien… C’est… euh… un intéressant chapeau que tu as là, Lorcan, dit Marie Corner poliment.
Ses yeux étaient rives sur le curieux couvre-chef du sorcier. C’était un chapeau qui oscillait entre un bonnet tricoté et un bec d’aigle, et personne n’aurait vraiment pu dire ce que c’était. Au bout d’un fil, en guise de pompon, pendait comme un radis desséché. Automatiquement, Lorcan posa une main sur son chapeau en forme d’aigle et, au contact de sa peau froide, celui-ci émit un long cri et battit des ailes, indigné. Tout le monde dans la pièce sursauta, même Lysander.
- Ma mère l’a fait pour moi, expliqua-t-il distraitement, pour éloigner les Nargoles.
- Oh ! acquiesça Marie, cherchant à savoir si elle devait rire ou non. D’accord…
Il y eut un nouveau silence gêné avant que Veronica ne se décide à se lever.
- Bon… Il se fait tard, annonça-t-elle. On devrait aller se coucher, pas vrai Marie? On a pas mal de devoirs à faire demain…
Marie l’appuya d’un geste de la tête et se leva à son tour, entraînant avec elle tout le reste du groupe.
- Tu viens, Ly’ ? demanda Aiden.
Il se glissa par-dessus le canapé pour rejoindre l’escalier en colimaçon. Il lança un coup d’œil à Lorcan qui regardait fixement les flammes.
- Et toi, Lorcan ?
La question avait été posée plus par politesse qu’autre chose et le jeune homme l’avait très bien compris. Lorcan secoua la tête, glissa jusqu’au sol et rampa jusqu’à la cheminée pour prendre le tisonnier. Il commença à pousser des bouts de journaux vers l’âtre qui mourrait petit à petit, ne laissant derrière lui que de petites étincelles. Soufflant dessus, il réussit à refaire partir le feu, oubliant totalement qu’il n’était pas seul dans la Salle Commune. Derrière lui, Aiden haussa les sourcils et lança un regard à Lysander qui lui-même observait la scène, penaud.
- J’arrive dans deux minutes, murmura ce dernier à son ami qui montait déjà les escaliers.
Lysander continua de regarder son frère rallumer le feu pendant une minute avant de soupirer et de s’étendre à ses côtés.
- C’est trop tard si tu veux apercevoir un Corbrax, dit-il à Lorcan. Maman dit qu’ils ne se montrent plus passé minuit.
L’autre garçon regarda la grosse pendule accrochée sur le mur qui surplombait l’escalier. Il soupira mais ne fit aucun commentaire. Tous les deux restèrent silencieux jusqu’à ce que Lorcan brise ce silence pesant.
- Ils ne m’aiment pas, soupira-t-il, résigné.
- Bien sûr que si ! le contredit Lysander. Ils ne se sont juste… pas encore habitués à ton caractère… unique !
- Ils rient de tout ce que je dis, ajouta son frère en jouant avec le tisonnier.
- Et ils font pareil pour moi.
- Mais c’est différent ! Tu ris avec eux.
- Et pourquoi, toi, tu ne le fais pas ?
- Parce que je ne trouve pas ça drôle.
Lysander se gratta l’arrière du crâne, encore plus gêné qu’avant.
- Allez… Admets au moins que certains trucs que papy et maman racontent sont ridicules !
- Peut-être. Mais ça ne veut pas dire que c’est faux !
Lorcan devint silencieux, mordillant sa lèvre inférieure avec contrariété.
- Juste… S’il-te-plaît, arrête de vouloir m’incruster dans ton groupe, d’accord? Tu n’as pas à te sentir coupable parce que je n’ai pas d’amis. Aucun de tes copains ne veut de moi à ses côtés… Et je comprends ça.
- Lorcan, ce n’est pas vrai… fit Lysander, indigné.
- Vraiment, ‘Sander ? Attends… Je viens récupérer mes affaires dans cinq minutes. Fais-toi à l’évidence mon frère, tu as devant toi le nouveau sage Rangy. Je pars maintenant que j’ai fini mes de sept ans d’isolation pour apprendre à voler.
- Tu n’es pas seul, insista Lysander. Ni aujourd’hui, ni jamais ! Mais qu’est-ce que j’y peux si tu te mets à l’écart toi-même ? Je veux que tu restes avec moi, je veux que tu viennes le midi pour manger avec nous. Pourquoi tu rejettes tout le monde ?
Lorcan lui accorda un long regard qui en disait long. Soupirant et reniflant, il désigna son chapeau, sa baguette coincée derrière son oreille et les taches d’encre qui lui parcourrait le nez et les joues.
- Je suis bizarre, ‘Sander. Et je ne sais pas comment ne plus l’être.
Cette nouvelle ne sembla pas déstabiliser Lysander qui soupira à son tour :
- Pour quoi essayes-tu de changer ? Tout le monde a un côté bizarre, Lor’. Tout le monde.
- Tu n’en as pas, toi.
- Mais bien sûr que si ! Et j’aimerais même l’être encore plus. Ne pas avoir peur de penser ce que je veux, croire en des choses folles, donner à tout et n’importe quoi, n’importe qui, une chance, ce sont des choses que TU m’as apprises. Et c’est ça qui te rend différent de tout le monde, c’est pour ça que les autres te trouvent ‘’bizarre’’. Si tu changes ça… eh bien, je détesterais vraiment voir ce toi-là disparaître.
- Tu serais bien le seul, fit Lorcan détachant son regard du feu et le plongeant dans les yeux de son frère.
Inconsciemment, il s’était tourné face à Lysander et à présent, ils se reflétaient l’un l’autre comme s’ils avaient été en face d’un miroir.
- Qui se soucie de ce que pensent les autres ! s’exclama Lysander. C’est leur problème ! Si tu changes, Lor’, ça me changera aussi. Alors ne change pas pour eux. Et puis tu te trompes. Tu as des amis. Qu’est-ce que je suis, imbécile ?
Il ébouriffa Lorcan et ce dernier finit par lui sourire. Sans même se consulter, ils se levèrent alors et se dirigèrent vers les escaliers.
- Dis, ‘Sander…
- Oui?
- C’est vrai que je t’ai appris toutes ces choses ou c’est seulement pour me remonter le moral ?
- Je le pensais, s’arrêta Lysander. C’est tout toi, ça.
Il passa son bras autour des épaules de son jumeau et, c’est en souriant et le cœur léger qu’ils rejoignirent leur dortoir.
- Hey, Ly’! cria Aiden le matin suivant alors que Lysander arrivait à la table de Serdaigle. Tu devrais raconteur à Brian cette histoire à propos du mec cocon! Il l’a ratée hier soir.
Ils étaient tous regroupés en bout de table, Marie, Mickey, Aiden et Veronica avec ses longs cheveux de soie brillants et son sourire radieux. Tous attendaient impatiemment qu’il se joigne à eux.
- Plus tard, peut-être, répondit Lysander.
Il entassa une pile de tartines et de bacon dans une serviette quitta la Grande Salle.
- ‘Lut .
Lorcan redressa la tête, faisant tomber du pain de sa bouche, surpris.
- Salut. Où sont tes amis ?
Son jumeau s’assit à ses côtés et fixa avec intérêt la tapisserie de Barnabas le Follé.
- Ils ne seront plus mes amis tant qu’ils ne t’accepteront pas tel que tu es. Alors… Tu as trouvé son secret ?
- Celui de la tapisserie ?
Avalant une grande bouchée de bacon, Lysander hocha la tête positivement. Lorcan reporta son intérêt sur la toile et sourit. Pas un de ces faux sourires, un vrai. Un sourire honnête.
- Non, pas encore, répondit-il.
- Bon… Eh bien, trouvons-le, alors !